La rapidité des réactions dans la presse internationale (Le Monde par exemple, ou encore l’Humanité ou même le New York Times) y est sans doute pour quelque chose. Le mot “caricature” (à la différence de “dessinateur de presse” par exemple) est suffisamment explosif, il rappelle, en particulier dans le monde arabe, suffisamment de polémiques encore fraîches dans les esprits pour que le pouvoir égyptien, qui a dû s’en rendre compte, choisisse de faire machine arrière.
En apparence du moins, car on verra bien si, comme l’affirme Angry Arab notamment, il est innocenté de toute accusation. Pour ma part, je ne serais pas étonné que cette libération ne soit pas exactement la fin de ses problèmes. Le plus souvent notés comme en passant, les motifs qui lui ont valu de passer une nuit au poste méritent qu’on s’y arrête un peu plus.
A l’image de ce qui s’est passé à la fin de l’année dernière et qu’on évoquait dans ce billet écrit il y a une quinzaine de jours, les autorités égyptiennes ont remis au goût du jour une vieille tactique, qui a fait ses preuves au temps de Nasser par exemple, celle du harcèlement administratif. Pour éviter d’être accusées de censure, elles préfèrent réduire au silence toutes les voix contestataires en les accablant sous une avalanche d’enquêtes menées par la très riche gamme des services étatiques nationaux, régionaux, ou même municipaux. Dans l’inextricable maquis de la législation égyptienne, il y a toujours un texte disponible pour faire appliquer une règlement qui, en temps ordinaire, serait volontiers oublié.
Pour l’éditeur Merit, il manquait une licence d’éditeur (après une vingtaine d’années d’existence et des centaines de titres publiés), et on lui reprochait peut-être aussi quelques légèretés avec les règles du dépôt légal. Pour Town House et le théâtre al-Rawabet, on vient d’apprendre que la procédure risque de durer fort longtemps ce qui “justifie” dans l’immédiat l’arrêt sine die de toute activité. On peut deviner à l’avance que les services des impôts, notamment, vont prendre tout leur temps pour éplucher les archives récupérées lors de la descente de police à la fin du mois de décembre.
En ce qui concerne Islam Gawish, jamais, au grand jamais, il n’a été question de l’interdire de dessiner quoi que ce soit ! Comment oserait-on seulement formuler de telles accusations !!! Non, apparemment (article en arabe), on lui reproche la “direction d’un site électronique d’information, avec une page Facebook, sans autorisation”. Le dessinateur est donc en infraction avec l’article 10 de la loi sur les communications de l’année 2003. Pour faire bonne mesure, on lui reproche aussi d’utiliser des copies pirates de programmes informatiques, en infraction là encore de la loi (la n°82 de l’année 2002). La “dissémination de fausses informations sur internet” (وبث بيانات على شبكة الانترنت على غير الحقيقة) n’intervient donc que de manière très marginale. Réglons d’abord le problème des copies illicites, semble dire le régime, il sera toujours temps d’évoquer le reste…
On aurait tort de critiquer les seuls Égyptiens dans cette affaire (même s’ils doivent être localement les champions incontestés de la complexité administrative). Tous les pays de la région, sans exception, introduisent dans leur arsenal juridique des “lois numériques”. Avec les meilleurs prétextes du monde (qui peuvent être à l’occasion de vraies “raisons” : protéger les professionnels de l’information, le droit d’auteur, les citoyens contre la diffamation, etc.), elles permettent de museler sur internet, et au-delà, toute velléité d’expression un peu dérangeante. Et tout cela, sans jamais s’en prendre, officiellement du moins, à la liberté d’expression…
La conclusion, qu’il faut lire de manière totalement ironique bien entendu, revient à Islam Gawish, avec la complicité d’un jeune poète égyptien, Nabil Abdel Hamid (نبيل عبد الحميد) : “Tu peux toujours faire des dessins, faire rire, jouer les innocents, on voit bien que t’as encore rien compris !”