Le marin

Par Antoine06 @AVissuzaine
L’homme était arrivé depuis cinq minutes mais il présentait déjà des signes d’impatience. Il regarda sa montre, alluma une cigarette, et fit glisser ses doigts sur l’écran de son téléphone portable se laissant aller d’un réseau social à l’autre. Aucune information intéressante n’avait été publiée depuis sa précédente connexion quinze minutes auparavant. Il rangea son téléphone et referma son blouson pour se protéger du froid. Celle qu’il attendait était en retard.

Il faisait nuit désormais. Il s’était fait cette remarque comme s’il s’était dit intérieurement : « Tiens, une voiture bleue, ou rouge ». Il n’avait pas fais attention à la tombée de la nuit, cela avait probablement commencé quand il avait senti le froid quelques instants plus tôt et qu’il avait refermé son blouson. La nuit était arrivée, lui semble-t-il, sournoisement, sans prévenir. Bien qu’il fasse nuit tous les soirs et que le jour revienne tous les matins, il semble parfois que l’arrivée de la nuit soit une surprise. Le froid s’immisçait maintenant et son blouson ne suffisait plus. Il tapait un pied après l’autre sur le sol pour feindre de se réchauffer, comme pour montrer au froid qu’il ne l’impressionnait pas. Il savait que dans les jours prochains il devra affronter la houle et les flots sur un navire, ce froid de ville n’était rien à côté, mais sur un bateau il se sentait plus fort et il n’était pas seul comme à cet instant-ci où il attendait une femme dans une ville du sud à la tombée de la nuit. Il n’aimait pas cette ville, dont les gens d’ici ont la prétention de croire qu’il y fait toujours beau temps et dont les bulletins de vote sentent la haine et le repli. Il n’aimait pas cette ville d’escale sinistre bordant cette Méditerranée qui ne la méritait pas. Dans l’ouest, s’il pleuvait plus souvent qu’ici, la vie lui paraissait moins morne et les escales moins longues.    Il vit enfin celle qu’il attendait qui semblait flâner sans se soucier de ce rendez-vous. Elle avait pourtant été heureuse dans ses bras ces jours derniers, comment pouvait-elle être si nonchalante à l’approche d’un rendez-vous auquel elle était déjà en retard ? Il la vit et repensait à ces instants heureux passés dans cette chambre minuscule, où ils fumaient la même cigarette en bavardant nus après avoir fait l’amour. Il la vit et ne parvint pas à s’imaginer qu’elle avait ronronné des mots d’amour la veille encore et qu’il lui avait fait croire qu’il ne repartirait pas en mer alors qu’il avait déjà signé son nouveau contrat. Il la vit ignorant son existence, peut-être avait-elle oublié leur rendez-vous, que son amour avait été un simulacre, une sorte de mensonge tacite, une tartufferie réciproque, ce qui l’arrangeait presque parce qu’il devait rompre et que c’était pour cette raison qu’il lui avait donné un rendez-vous à l’angle de deux avenues, comme pour symboliser deux routes qui se séparent. Peut-être devrait-il partir, fuir vers son bâtiment sans donner d’explications de toute façon pitoyable. Elle semblait si peu concernée à ce moment précis. Il hésita à quitter les lieux encore une seconde, peut-être deux.
Et il a crié son nom : « Barbara ». ***


Très librement inspirant du grand Maître Jacques. (1907-1977). Poème publié en 1946.
Sans comparaison possible, je n'ai pas cette prétention, j'avais ce poème à l'esprit ce matin, le texte est venu ensuite.
"Le poète s'adresse à une femme inconnue, vue dans la rue et dont il ne connaît que le prénom, Barbara, parce que son amoureux l'avait interpellée devant lui. Le poème est une interrogation sur le sort des individus en temps de guerre, victimes possibles des bombardements.
Il nous fait part de l'attachement qu'avait son auteur pour la ville de Brest ainsi que de sa tristesse à la suite de sa destruction par les bombardements alliès lors de la Seconde Guerre Mondiale" (source : Wikipédia)