Un film de : Thomas McCarthy
Avec : Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Brian d'Arcy James, Liev Schreiber, John Slattery, Stanley Tucci
Boston, 2001. A peine arrivé en poste, le nouveau rédacteur en Chef du Boston Globe demande à l'équipe de journalistes d'investigation, baptisée Spotlight, de rouvrir le dossier d'un prêtre accusé de pédophilie plusieurs années plus tôt. De fils en aiguilles, c'est l'ensemble de l'Eglise qui se révèle coupable de dissimuler de très nombreux cas similaires. Cette enquête, qui valut aux journalistes le prix Pulitzer, aura des retombées internationales. À côté de ses apparitions en tant qu'acteur (dans notamment Mémoires de nos pères, 2012 ou, plus récemment, le déplorable Pixels), de scénariste (pour Pixar entre autres) et de ses travaux d'écrivain, Thomas McCarthy est aussi un réalisateur que l'on peut qualifier d'engagé. Ses quatre premiers films traitaient déjà de problèmes de société sur le ton de la comédie dramatique (on se souvient surtout de The Visitor, une tendre amitié entre un vieil homme aigri et un couple de migrants), mais l'extrême gravité du sujet auquel il s'attaque à l'occasion de son cinquième film l'oblige à changer d'approche afin de s'interdire de tomber dans le pathos de mauvais gout. En travaillant avec le scénariste Josh Singer, qui s'est habitué aux affres du pouvoir politico-médiatique en travaillant sur la série The West Wing et le film Le cinquième pouvoir, McCarthy fait le choix de traiter le scandale des abus sexuels commis par des prêtres en l'abordant du point de vue des journalistes qui le révélèrent. À l'heure où le journalisme en est réduit à la course aux abonnements sur les réseaux sociaux et la surenchère de buzz, la volonté de rendre hommage aux véritables héros de l'investigation se pose en soit comme un acte politique. Le film se pose dès lors dans le sous-genre des enquêtes journalistes, dont les codes semblent gravés dans le marbre depuis la référence absolue qu'est Les hommes du Président d'Alan J. Pakula datant d'il y a déjà 40 ans, le seul réalisateur à s'en être affranchi est Michael Mann avec son Révélations. C'est là la principale limite de Spotlight, son incapacité de se détacher de son modèle, ce qui ne l'empêche pas de parfaitement fonctionner en tant que tel. Boston. Une ville que le cinéma hollywoodien nous a appris à voir comme un symbole de la criminalité héritée de la forte population d'origine irlandaise (The Town, Les Infiltrés,...) sans nous laisser entrevoir que le véritable pouvoir n'est pas entre les mains de mafias locales mais entre celle de l'Eglise. Boston étant aussi la ville la plus catholique des Etats-Unis. Les révélations de Spotlight vont dans ce sens, ce qui fait que, même si le scandale est à présent connu, l'identification du pouvoir ecclésiastique derrière lui devient une menace tangible. Incarné par le Cardinal Law, l'horreur de cette odieuse dissimulation prend un visage tandis que les journalistes qui l'accusèrent se révèlent être des êtres humains tout ce qu'il y a de plus banals. C'est en cela que le manque de sensationnalisme qu'impose la sobriété de la mise en scène va faire du déroulement de l'enquête une histoire cauchemardesque digne d'un véritable film d'épouvante ultra-réaliste. Réduit en deux heures, le travail qu'ont réalisé pendant plus d'un an les quatre journalistes du Boston Globes avant de sortir leur article à charge est inéluctablement condensé. De fait, le rythme reste soutenu de bout en bout, sans jamais se perdre dans des longueurs comme on pouvait le craindre d'une narration aussi modérée. L'influence du lobby de l'Eglise sur les sphères politico-médiatiques et les basses manœuvres d'un système juridique corrompu apparaissent elles-aussi comme des fléaux qui gangrènent la société américaine au même titre que le " phénomène psychiatrique ", telle qu'est qualifiée la pédophilie, pourrit la Sainte Eglise Catholique. En plus de la force que l'absence d'effets dramatisants lourdauds apporte au récit, la qualité des interprètes assure à chacun des protagonistes une authenticité et une humanité non négligeables à l'heure où les figures emblématiques du cinéma moderne sont de plus en plus loin des véritables héros du quotidien, mais aussi un certain anti-manichéisme lui aussi rare dans les productions américaines. Michael Keaton retrouve un excellent rôle de journaliste plus de vingt ans après Le Journal de Ron Howard, entouré de Mark Ruffalo, Rachel McAdams et Brian d'Arcy James. Ils forment un quatuor d'investigateurs entièrement dévoués à leur profession (un seul des quatre a une vie de famille), auquel le scénario n'ira jamais s'attarder sur la vie privée, préférant toujours mettre en avant leur investissement corps et âme dans leur enquête. De son côté Liev Schreiber livre ce qui est sans doute la meilleure prestation de sa carrière dans la peau d'un rédacteur en chef exigeant dont les motivations restent ambigu (sens du devoir ou attrait du gain ? À vous de juger), tandis que Stanley Tucci est, comme à son habitude, impeccable dans la peau d'un avocat retors. La grande sobriété de leur jeu s'accorde à merveille à l'ensemble de la réalisation, ce qui est aussi le cas des rôles secondaires. Parmi eux, les anciennes victimes sont assurément les plus poignants tant la dimension humaine avec lequel est traité leur traumatisme est assurée par un scénario d'une rare intelligence et privé des habituels artifices du genre mélodramatique. La sincérité qui a poussé le réalisateur à complètement s'effacer derrière son sujet et son traitement hérité de ses modèles prouve que la gravité de l'Affaire ne méritait pas d'être adaptée autrement. Cette lucidité est l'argument principal sur lequel repose Spotlight et qui en fait un grand film, déjà à ranger du côté des classiques.Nos attentes pour l'édition collector:
Les plus curieux retrouveront le fameux article sur ce lien, mais on peut espérer que la Warner ajoutera à l'édition blu-ray un témoignage de ses auteurs et leur avis sur la retranscription de leur travail dans ce film.
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