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Jérémy Ferrari "Vends 2 pièces à Beyrouth"

Par Gjouin @GilbertJouin
Le Trianon80, boulevard Rochechouart75018 ParisTel : 01 44 92 78 00Métro : Anvers
Ecrit par Jérémy Ferrari
Présentation : Après Hallelujah Bordel !, spectacle qui prenait pour sujet de prédilection les religions, Jérémy Ferrari est de retour avec un sujet encore plus reposant : les guerres.Dans ce spectacle baptisé Vends 2 pièces à Beyrouth, il s’attaque à un sujet quelque peu grinçant et qui risque, évidemment, de satisfaire ses détracteurs. Voici comment il le décrit :« En effet, il a étudié la guerre… et il en est certain, la guerre c’est chouette ! Ça libères des espaces, des femmes mariées, permet aux soldats de tuer des gens pour nous protéger des monstres qui tuent les gens. La guerre enrichit les gouvernements, permet aux associations humanitaires de partir en vacances, réduit le taux de chômage, la délinquance et donne une excuse à BHL pour éviter les concerts de sa femme… »
Mon avis : Ce que j’aime, entre autre, chez Jérémy Ferrari, c’est l’aspect artisanal, voire même scolaire, de son travail. Lorsque ce garçon s’aventure sur une scène pour y présenter un spectacle, il en a potassé la thématique et s’est documenté sur le sujet pendant des mois. Ce fut ainsi le cas avec Hallelujah Bordel !, son premier seul en scène, qui traitait des trois religions monothéistes. Pour peaufiner le second, Vends 2 pièces à Beyrouth, il lui consacré deux années. Jérémy est aussi studieux que perfectionniste. Il veut surtout ne jamais être pris en défaut sur le thème qu’il s’est choisi. Si on a le moindre doute, il a de quoi argumenter et, s’il le faut, il brandit des dossiers ! Scolaire, je vous dis… Il nourrit peut-être le complexe de celui-qui-a-arrêté-ses-études-en-seconde. Après les religions, il aborde aujourd’hui une matière qui en est le corollaire : les guerres. Guerre et religion, c’est quasiment un pléonasme.
Jérémy Ferrari est un humoriste différent. Il se pare de légèreté pour envoyer du lourd. D’aucuns, Yann Moix en tête, l’ont comparé à Pierre Desproges. C’est vrai qu’il y a des points communs : le goût de la belle écriture, un côté sale gosse qui aime choquer, un ton faussement naïf et débonnaire pour dénoncer dérives et turpitudes… Mais, pour moi, ma comparaison s’arrête là. Ferrari EST Ferrari. Il a son style à lui, sa gestuelle ; il est unique. Imaginez que, dans vingt ans, on qualifie un jeune humoriste de « nouveau Ferrari » ! On a vraiment une foutue manie en France de coller systématiquement des étiquettes et d’établir des comparaisons…
Mais venons-en à l’essentiel : le nouveau spectacle de Jérémy Ferrari.Son entrée en scène est digne d’un blockbuster. Lumières lasers aveuglantes, fumée, son sensurround qui nous accélère les battements de cœur… On est conditionné. Jean slim bleu moulant ses cuisses musclées et t-shirt noir à manches courtes, il jaillit d’un fauteuil Chesterfield pour occuper immédiatement le devant de la scène. Pas de round d’observation. Bille en tête, il attaque par… une attaque. Du moins, par la simulation d’une attaque de la salle semblable à celle perpétrée au Bataclan ! Le ton est donné. Jérémy ose. Il pousse le curseur à l’extrême, dépassant carrément la zone rouge pour atteindre le degré le plus sombre et le plus dérangeant et le plus trash de l’humour noir. Les garde-fous sont pulvérisés, les vannes sont grandes ouvertes.Jérémy sourit, chambre, ironise, s’indigne, vocifère. Son cynisme est salutaire. Il agit comme une soupape. Sa férocité est à la hauteur de sa révolte qui est elle-même égale à son extrême lucidité. Si, d’aventure, il a la faiblesse de s’attendrir (sur ses parents, sur lui-même…), il se ressaisit bien vite. Il n’est pas là pour jouer du violon. Il est là pour parler à armes égales (« armes » dans le sens marchand, dassaldien du terme) avec les terroristes et les va-t-en-guerre.
Jérémy Ferrari balaie large ; il mitraille. Il ne s’économise guerre. Mais ses objectifs sont parfaitement ciblés. Pour qu’on ne se méprenne pas, pour être imparable quant à ses arguments, il est allé jusqu’à prendre des cours auprès d’un éminent professeur de géopolitique. Un enseignement qu’il partage volontiers avec nous. Il se fait par exemple didactique pour se livrer à un rapide exposé sur la religion islamique de Mahomet à nos jours. Grâce à lui, j’ai enfin compris ce qui différenciait historiquement les Sunnites des Chiites.
Mais Jérémy Ferrari est d’abord et avant tout un humoriste. Il passe avec brio du stand-up au bon vieux sketch, démontrant ainsi d’indéniables qualités de comédiens. Les deux qu’il interprète sont de grands moments de drôlerie. Dans le premier, il campe le pompiste de Villers-Cotterêts qui voit soudain débarquer dans sa station service les frères Kouachi en cavale. Dans le second, il incarne un recruteur de kamikazes affligé par le manque de motivation de ses derniers volontaires. En dépit de la profonde gravité des sujets, on hurle de rire.
Je ne veux pas en dire plus sur ce spectacle très complet, riche, dense et responsable. A la fin, après s’en être pris frontalement à certaines ONG (la lettre « O » désignant le mot « Onnêteté »), il se livre à une vibrante anaphore autour de l’apostrophe « J’emmerde… ». C’est brillant, engagé, gonflé, radical. Chacun la recevra comme il veut ; il n’en a cure. D’ailleurs, il l’affirme lui-même : « Je ne recherche pas l’unanimité »…D’accord, il ne la recherche pas. Mais au vu des applaudissements nourris et des acclamations qui ont salué la fin de son show, l’unanimité il la fait auprès de son public. Et quand on voit à quelle vitesse les réservations affluent pour sa tournée et ses prochaines dates parisiennes, il peut se sentir rassuré. L’honnêteté et la sincérité, ça paye encore.
Enfin, pour terminer, un petit mot pour saluer la prestation de Laura Laune, la jeune humoriste qui a assuré la première partie de Jérémy. Cette pseudo Sainte Nitouche, toute mignonne, débite des horreurs en ayant l’air de s’excuser. Les deux sketches qu’elle nous a proposés sont remarquablement écrits et interprétés. Après elle, on ne voit plus l’école et n’entend plus les fables de la même façon. A suivre…
Gilbert « Critikator » Jouin

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