Maria Borio, née à Pérouse où elle vit, a obtenu une thèse en Littérature italienne à l’Université de Sienne et a publié des études sur Sereni et Montale (ouvrage : “Satura” et la poésie contemporaine, 2013), Fortini et De Angelis (colloque Identité / Diversité). Rédactrice des sites Le parole e le cose et Nuovi Argomenti – où elle dirige la section poésie –, collaboratrice de plusieurs autres sites et revues (« Allegoria », « Moderna », « Strumenti critici » etc.) elle est amenée à lire beaucoup de poésie hyper-contemporaine. Ses textes ont paru dans l’Almanacco dello Specchio Mondadori 2009, « Poesia », « Atelier », « L’Ulisse » … Elle a donné récemment deux longues interviews fort intéressantes (ici et là). Sa langue est le plus souvent simple et directe, avec des accents fortiniens ou pasoliniens, comme ici : « Assis ici à nos tables / je sais que nous pourrions rester / jeunes toute une vie. / Il nous faut peu de choses… ». La jeunesse revendiquée se module chez elle, sans illusions passéistes, en nostalgie de l’enfance, ou mieux de la poésie comme enfance revendiquée.
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(J.-Charles Vegliante, déc. 2015)
Lui croit à la rigueur de l’Est,
les portraits à fond vide sur les parois de l’église.
C’est mon frère, surpris à voler outre-frontière
de la pâte dentifrice à quinze ans –
sou après sou, un vrai import-export –
l’autre est à Rome, mon frère,
caché en secret toujours mon frère.
Les filles travaillent avec les mails,
enfilent leurs convers, s’échangent la liste,
enveloppes jaunes, tours, horaires, chez elles,
à l’hôtel, le dimanche. J’ai quelqu’un à Rome
qui travaille pour l’église – indéchiffrable –
passion pour certains trucs comme les livres héraldiques,
symboles, horaires, respecter.
Mais il connaissait sa sœur jusque dans son bain,
elle se salissait, se nettoyait
et elle était fraîche et choisissait
de porter le voile même à la maison.
Celui qui apprend une autre langue, la nuit
dans les casques qui parlent,
et le matin en les enlevant on croit entendre
des milliers d’oiseaux qui brisent la fenêtre,
aura une longue vie :
que nous n’avons pas trente ans,
que nous travaillons bien,
que disent-ils faire des enfants en protection –
s’ils l’ont reconnue,
si c’est un client qui a appelé le premier
que la fille n’était pas seule
dans le centre quand elle s’est explosée.
Nous sommes nés dans ces souliers pour courir en forêt,
libérer les cerfs pris au piège.
Apporte à la maison l’odeur des sapins,
apporte-moi le compte exact –
et ils se réconcilient ainsi
en espérant un lieu
de passions noires e adolescentes.
Je nettoierai de nouveau vingt souliers
de vingt couleurs
un jour insoupçonnable.
Lui crede al rigore dell’est,
i ritratti a sfondo vuoto sulle pareti della chiesa.
E’ mio fratello, sorpreso a rubare oltre il confine
pasta per dentifricio a quindici anni –
soldo su soldo, una import export –
l’altro è a Roma, mio fratello,
nascosto in segreto sempre mio fratello.
La ragazze lavorano con le email,
infilano le convers, scambiano la lista,
buste gialle, i turni, gli orari, in casa,
all’hotel, la domenica. Qualcuno a Roma
lavora nella chiesa – indecifrabile –
la passione per certe cose come i libri araldici,
simboli, orari, rispettare.
Ma conosceva sua sorella anche quando faceva il bagno,
si sporcava, si puliva
ed era fresca e sceglieva
di mettersi il velo anche in casa.
Chi impara un’altra lingua di notte
nelle cuffie che parlano
e la mattina togliendole sembra di sentire
migliaia di uccelli che rompono la finestra,
avrà una vita lunga:
che non abbiamo trent’anni,
che lavoriamo bene,
che dicono fare figli a barriera –
se l’hanno riconosciuta,
se è stato un cliente il primo a chiamare
che la ragazza non era sola
nel centro quando è esplosa.
Siamo nati in queste scarpe per correre nelle foreste,
liberare i cervi intrappolati.
Portami a casa l’odore degli abeti,
portami l’esatto conto –
e si riconciliano così
sperando un luogo
di passioni nere e adolescenti.
Tornerò a pulire venti scarpe
di venti colori
un giorno insospettabile.
*
Voici la brume qui ne te fait pas parler
elle est dense sur les maisons,
est les cristaux glissants qui sonnent sur le velux,
sur la balustrade de cuivre,
minérale comme un miroir :
c’est revenir loin en arrière, quand courir
était faire la brume pour se cacher
sous le toboggan du garage
dans le coin le plus sombre,
quand nous avons été enfants, nous quatre,
et nous jouions à qui fait pipi le plus loin
dans le noir. Personne ne te trouve.
Il me semble que je te vois apparaître
avec tes longues mains et tes genoux sales,
tu joues au chien sans race, malade,
qui suivait les portes de toutes ces maisons.
Je l’entends quand la brume se lève
aujourd’hui encore sur le jardin
comme si elle suivait beaucoup de tours d’atmosphère
et nous faisait sentir ensemble déjà là-haut
avec lui qui a de la terre humide de novembre
sur le poil et des yeux d’étoile
pendant que tu comptes les fois qu’il s’est fait aimer.
Huit heures du matin : laisse-moi descendre
encore sur la rampe en cône
dans le tunnel du garage,
je sais qu’au moins une porte de fer est ouverte
et qu’il y a encore le coin le plus sombre
parmi les taches d’essence et d’humidité.
Le brouillard s’éclaircit, s’évapore
la mine des sentiments
où toi, en ce sexe ou en un autre,
tu dis que maladie n’est rien de différent.
Mais je t’imagine heureux
au moins en ce point, et tu es heureux,
tu es, je n’imagine rien d’autre.
Maria Borio, extraits de de Post ‘900, lirici e narrativi, anthologie procurée par M. Fantuzzi & I. Leardini, Borgonero, Ladolfi, 2015
Traductions de Jean-Charles Vegliante