Et Taubira partit, emportée sur les rivages de nos consciences

Publié le 28 janvier 2016 par H16

La déchéance. C’est par celle-ci que Taubira se sera trouvée acculée à la démission : ne pouvant souffrir de devoir porter le projet de loi de révision constitutionnelle et notamment son article 2, la Garde des Sceaux a rendu son tablier, mettant fin à un conflit évident entre sa position et celle du reste du gouvernement.

Et c’est donc avec toute la sobriété qui la caractérise que Christiane Taubira a présenté d’un œil ferme et d’un geste vif sa démission au chef de l’État qui l’a acceptée. Dans un magnifique taubitweet aux envolées lyriques qu’elle sait manier avec la même fougue que celle du gai laboureur faisant des sillons dans sa confiture d’abricots avec sa fourchette, elle a ainsi déclaré que résister, c’était parfois rester, parfois partir, et que là, elle se sentait bien de partir un coup et d’aller résister ailleurs.

Comme de bien entendu, si la nouvelle a réjoui une partie des Français, d’autres n’ont pas eu assez de leurs deux yeux pour pleurer ce départ en lançant un regard bourrelé de remords sur tout ce qui aurait pu être fait mais ne l’a pas été, ce qui fut mais n’est plus, cette Justice qui aurait, d’après Christiane, gagné en solidité et qu’elle rêve invaincue. Et le bilan s’établit déjà, frêle esquif laissé à nos mémoires, dansant sur les mers outragées d’une actualité bousculée aux profondeurs desquelles se nichent les mille et une questions qui resteront en suspend après ce départ si magistral de la cantatrice de Twitter dans une bouffée de vapeurs émotionnelles complexes.

Dans ce bilan, tant est à retenir et tant aussi reste à découvrir, petits nuggets de surprises malicieuses qu’on sait laissées par une femme forte et précautionneuse de ses arrières. Son œuvre majeure, le Mariage Pour Tous, a montré qu’elle sait marcher main dans la main avec le cœur de notre belle génération, et a certainement permis au peuple progressiste de lancer d’une main sûre un regard plein de confiance vers l’avenir qui l’attend de pied ferme. On évoquera aussi la modeste augmentation du budget de son ministère, âprement obtenu de hautes luttes, et qu’on pourra mettre en rapport, pour rire, avec les performances étonnantes de l’institution pendant l’exercice de son mandat, où l’augmentation des effectifs n’aura pas coïncidé avec une hypothétique augmentation des condamnations, des mises sous écrou, mais plus probablement avec celle de la délinquance et de la criminalité.

Dans ce bilan, on devra peut-être aussi évoquer quelques douloureux passages, de ceux qui seraient initiatiques s’ils n’étaient pas plutôt symptomatiques voire catastrophiques : difficile d’oublier le traitement très particulier du Mur des Cons, qui n’aboutit à rien de concret pour les fautifs, trop syndicalisés, trop à gauche, trop favorablement connu des services de l’État. Difficile d’oublier aussi les affaires, multiples, rocambolesques parfois, de récidivistes chamarrés, normalement condamnés, normalement libérés, normalement repris après un crime de trop, mais finalement encore libres ou évadés alors qu’ils n’auraient pas dû l’être. Si la démissionnaire pouvait bien, en 2012, user de l’argument pourtant élimé qu’elle héritait alors d’une situation bien pourrie par de bien piètres prédécesseurs, après presque quatre années d’une besogne musclée à tenir d’un œil lucide et vigilant le gouvernail de la justice française, l’argument ne tient plus sauf à dire qu’elle n’aurait eu aucun impact ou une poigne trop faible.

Or, de poigne il ne peut être douté pour cette femme aux convictions si chevillées au corps qu’on la sent déplacer un impressionnant volume de casseroles qui tintinnabulent à chacune de ses envolées lyriques. Et si on lui passera sans mal l’incohérence d’avoir un jour de 1993 voté l’investiture de Balladur, beaucoup de Socialistes n’oublieront pas qu’elle joua une amère partition en 2002, petit colibri volant de son bec la goutte d’eau qui aurait pu éteindre cet incendie qui crama Jospin.

Du reste, on peut, on doit même, entre deux tournures qui rappellent aussi sûrement ses tweets qu’un Gustave Labarbe sous amphétamine, ne pas perdre de vue qu’existe encore pour un François Hollande aussi pédalophile que rigologène la menace d’une nouvelle jospinade par la même Christiane. Impossible, dès lors, de ne pas se demander si un éventuel silence n’a pas été acheté. Et sinon, on ne pourra s’empêcher d’imaginer la gêne occasionnée du côté de l’Élysée à chaque fois qu’elle parlera ou, pire, taubitweetera son avis.

En attendant, la voilà donc remplacée par Jean-Jacques Urvoas, un homme qui, en tant que député, n’a pas cessé d’encourager, d’appuyer, d’accompagner et de soutenir la dérive sécuritaire de l’État français, au détriment des libertés des citoyens. Car sous les traits de ce parlementaire falot se cache un farouche défenseur de l’intrusion étatique dans la vie des citoyens, par tous les moyens possibles. Tout indique que le nouvel arrivant, soutien frétillant de la Loi de Programmation Militaire de 2014, rapporteur zélé de la loi Renseignement, bien trop proche de l’Intérieur (et qu’il a d’ailleurs convoité jusqu’à récemment), contrôleur de l’état d’urgence, aura les mains libres pour faire avancer la petite loi mitonnée par Taubira, qui fait entrer dans le droit commun des mesures d’exception consternantes comme l’utilisation des IMSI-catchers dans des enquêtes contre la délinquance ou la récupération des e-mails et fichiers archivés dès l’enquête préliminaire.

Autrement dit, tout indique que la diva des tweets ampoulés est partie juste à temps, alors que vont passer dans la routine d’une démocratie et d’un État de droit des mesures aussi exceptionnelles qu’iniques. Et pendant que certains se réjouissent de son départ, la France, elle, continue sa descente de Charybde en Scylla.

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PS : écrire à la Taubira, ce n’est vraiment pas une sinécure.

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