Retour sur Paco Ibáñez- VIVENCIAS
Vendredi 22 janvier 20h
Domaine d'O - Montpellier
" Une chanson ce n'est jamais que quelques mots, ce n'est que trois minutes dans le cours du temps, mais une seule seconde peut être d'éternité. En fait, le pouvoir de la chanson est énorme. Et tout à fait inexplicable : elle nous entraîne vers l'utopie, vers des limites que, peut-être, nous n'atteindrions pas sans elle, et c'est cela notre destin : croire à l'utopie. " (Paco Ibáñez)Temps maussade, pluie fine et froide et pourtant hall des grands jours au théâtre Jean-Claude Carrière. On se reconnaît, on s'interpelle, l'ambiance a déjà la saveur des grands moments de retrouvailles avec une pointe de nostalgie. Facétie d'une fausse annonce de début de spectacle, à 19h 45, et le hall se vide en direction de la salle. Une salle bien remplie où les générations se côtoient. Il y a ceux qui sont venus communier avec leurs souvenirs et ceux qui sont là pour s'en créer. Cercle rouge ponctuant la scène, plongée dans l'obscurité. Le rouge et noir, déjà en place, il n'y manque que Paco et son poing levé !
Décor sobre, tapis rouge, chaise noire et support noir pour le verre d'eau, c'est tout de noir vêtu que le héros de la soirée, d'un pas tranquille, guitare à la main, traverse la scène. Indestructible, toujours jeune, le fougueux rebelle de 81 ans nous rappelle, avant toute chose, ses relations privilégiées avec Montpellier. Un certain mai 68 et des spectateurs enthousiastes dans un amphi de la " fac de lettres ", devenue depuis Université Paul-Valéry. Il est bien un peu essoufflé, mais la voix est là et les chansons, commentées avec beaucoup d'humour, se succèdent sans heurts ni surprises. Elles y sont toutes, leur mélodie habillant les beaux textes de Garcia Lorca, les poèmes de Goytisolo, de Gongora, de Rafael Alberti, mêlées aux souvenirs d'une enfance basque et... pieuse, d'un oncle tout puissant et d'un âne obéissant. On retrouve le Pape, un anticléricalisme bon enfant et tout ce qui fait de Paco ce libertaire à l'ancienne. Il y aura même une dédicace spéciale pour les amis Tena, Simone et Jean, ses hôtes à Montpellier en 68. Ils sont là, dans la salle, et il leur offrira " Palabras para Julia " de Goytisolo et " Como tù " de Leon Felipe.
Plus loin, une petite incursion dans l'actualité et les jeunes de " Podemos ", auxquels Paco souhaite un peu de " débolchevication ". Il leur offre " Ya no ay locos ", en espérant qu'ils le soient un peu pour faire mentir le libéralisme financier. Mes voisins apprécient, reprennent en choeur, à sa sollicitation, le Brassens du " Parapluie ", faisant suite à un hommage appuyé à notre grand Sétois. " Le plus grand troubadour mondial ! ". Hommage aussi aux langues régionales, avec une série de chansons allant du castillan au galicien en passant par le catalan et le provençal, " une langue plus douce que l'occitan ". Il va même jusqu'à chanter en italien, n'oubliant personne. La participation du guitariste Mario Mas apporte à plusieurs chansons une dimension supplémentaire et , s'il fallait encore le prouver, confirme Paco Ibáñez dans sa qualité aboutie de compositeur.
La courte interruption de l'entracte, occasion de déguster un bon verre de rouge, vite passée, on y retourne sans se faire prier.
Paco se pose comme un homme de toutes les cultures méditerranéennes, n'omettant pas, au passage, de rappeler qu'une poignée de fous ne fait pas une civilisation et que les arabes nous ont laissé de grandes preuves de leur qualité et de leur art de vivre. Cordoue, Grenade, Boabdil, autant de noms pour nous faire rêver. Et puis il y a les amitiés latino-américaines, on écoute Neruda, Nicolas Guillen, et on voyage. Quel diable d'homme que ce Paco qui nous entraîne dans un tourbillon fait de nostalgie, d'amitiés indéfectibles et de grandes fulgurances. Un peu espagnol, un peu basque, un peu catalan, un peu français, au travers d'historiettes, presque des " chistes ", on le retrouve, à Paris, bouchant un trou au plâtre, et à Apakintza se moquant des amitiés carlistes de l'oncle basque.
Les une heure tente prévues largement dépassées, on en redemande et avec la complicité de Paco nous avons encore droit à un hommage à la terre, au travail et à la vie avec " Andaluces de Jaén " et à cet " hymne magnifique du combat pour la liberté de l'Espagne " qu'est " A galopar " de Rafael Alberti. Une standing ovation, témoignage spontané du plaisir partagé et du souhait de pouvoir, longtemps encore, écouter la voix inimitable de Paco, achève cette soirée mémorable.
Si Gabriel Celaya nous affirme que la chanson, à l'image de la poésie, peut être "une arme chargée de futur", on ne pouvait espérer, ce soir au théâtre Jean-Claude Carrière, une meilleure démonstration !
Biographie
Francisco Ibáñez Gorostidi, connu sous le nom de Paco Ibañez, est né à Valence en 1934. Après la guerre civile, sa famille doit s'exiler en France. Il étudie la guitare à Paris, avec Andrés Segovia. En 1964, il sort son premier disque " Lorca y Góngora ", avec une pochette de Salvador Dalí. Il rentre en Espagne en 1967 et ses chansons deviennent vite des hymnes contre la dictature franquiste. Il retourne en France en 1971 et en 1973, le régime franquiste lui interdit de jouer en Espagne. Avec sa voix rauque et aux riches nuances, il a chanté des poèmes de Lorca, Miguel Hernández, Rafael Alberti, Góngora, Blas de Otero et Neruda, et ceux de nombreux autres. En 2002, trois ans après la mort de Goytisolo, Paco Ibáñez a présenté un nouveau disque entièrement dédié au poète catalan.
Liens
Domaine d'O
http://www.domaine-do-34.eu/spectacles/tous-les-spectacles/paco-ibanezSite officiel
http://pacoibañez.org/ Vidéos Paco Ibanez - La Poesia es un arma Palabras para Julia (Donostia-2014)
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