Note : 4/5
Nul doute que, dans le genre très américain et très cinégénique des films de boxe, la grande saga des Rocky tient une place importante et passionnante. Car Rocky Balboa est très certainement le seul des boxeurs cinématographiques à avoir connu une série de films aussi longue et aussi florissante, irradiant les années 1980 d’une aura unique. Rocky Balboa est le héros cinématographique qui représente d’ailleurs le mieux l’idéal du rêve américain, celui dans lequel tout est possible lorsqu’il s’agit de se battre et de s’affranchir de son milieu social.
©Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. and Warner Bros. Entertainment Inc.
On pensait avoir dit définitivement au revoir au personnage de Rocky Balboa en 2006 avec le film éponyme écrit (comme Rocky en 1976) et réalisé par Sylvester Stallone, dans lequel, de manière très émouvante, Rocky Balboa remonte sur le ring une dernière fois pour retrouver une raison d’exister alors que sa femme, Adrian, est morte d’un cancer, et que son fils le rejette, repart pour quelques rounds de plus pour tuer « la bête » qui est en lui.
Mais cela était sans compter sur la volonté de Ryan Coogler de faire un septième opus de la saga, en trouvant l’idée bienvenue d’en faire aussi le premier d’une suite de films sur le destin d’Adonis Johnson (du nom de sa mère) – Creed, fils illégitime du grand ami de Balboa, mort sur le ring dans Rocky 4, Appolo Creed. Et le film jongle bien entre ces deux valeurs, centrant son propos sur la relation qui s’installe entre Adonis et son nouvel entraineur, Rocky, et jouant des figures mythiques des Rocky en organisant un passage de témoin passionnant entre deux générations : celle du père, absent, de Adonis, et celle du fils, absent, de Rocky.
Car il s’agit bien, pour le personnage de Adonis, qui n’a jamais connu son père, de construire son héritage et d’aller chercher chez Rocky, chez son « oncle », cette figure paternelle qui lui manque et après laquelle il court presque instinctivement. Alors que le vieux boxeur l’entraine, une très belle histoire d’amitié, de famille, se tisse pour permettre à chacun de se faire une place dans le monde. Loin de sa gloire passée, Rocky doit apprendre à vivre sa vieillesse et retrouve une certaine tendresse perdue dans le regard bienveillant et admirateur du jeune Adonis.
De son côté, le fils d’Apollo Creed doit apprendre à vivre avec le nom de son père, considéré comme le plus grand boxeur de tous les temps. Élevé dans l’opulence par la veuve de son père, Adonis suit un chemin bien différent de celui qui lui est tout tracé : devenir boxeur comme son père. Creed porte bien son nom car il s’agit, pour Adonis, d’avoir le courage d’assumer l’héritage du père qu’il n’a jamais connu. Et c’est au prix d’un véritable parcours d’apprentissage qu’il se fera une place. L’idée de le faire parvenir tard, et après avoir voulu lui-même en forcer l’accès, au ring central de la salle de boxe, est le symbole de cette construction identitaire.
Malheureusement, si la recherche du père est passionnante quand ce dernier vient notamment hanter les pensées de son fils, la relation amoureuse du film manque un peu de profondeur. Car si Coogler tente de retrouver la pureté de la relation amoureuse de Rocky avec Adrian, il ne la touche jamais vraiment et manque un peu son objectif.
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Formidablement joué par un Michael B. Jordan qui réussit toujours à garder sous-jacentes les émotions de son personnage pour mieux les faire exploser lorsqu’il dérape, ou lorsqu’il atteint son objectif après avoir fait preuve d’une concentration totale pendant tout le film, Adonis est aussi celui qui permet à Rocky de réapprendre à vivre. Crépusculaire, Stallone fait preuve d’une grande science du jeu, interprétant son personnage en puisant lui-même dans ce qui fait la force de ses dernières années de carrière : sa vieillesse et sa fatigue physique. De manière comique dans la série des Expendables, il s’agit ici de dérouler la corde sensible de sa mélancolie, jouant magnifiquement de son visage figé par les années, de sa voix de plus en plus caverneuse, pour signer une interprétation remarquable de densité et pleine d’émotion qui se dévoile au fur et à mesure que la relation avec Adonis se développe. Rocky n’a plus la fougue et la rage d’antan et doit mener un tout autre combat que celui du ring. Et c’est cela même qui en fait un personnage déchirant que le vieux Sly porte merveilleusement.
Tel un fantôme, il ne fait que vivre à nouveau son épopée par transmission, en donnant au jeune Creed toute sa science du ring au travers d’un entrainement qu’il n’arrive plus lui-même à mener totalement. Et, souvent, les motifs et les grandes scènes des précédents films de la saga resurgissent au travers de l’entrainement d’Adonis. Lorsque celui-ci doit attraper une poule comme Balboa à son époque, mais surtout quand il fait son footing dans la ville, la présence de son mentor est là, tapie dans certains plans. Ainsi quand Michael B. Jordan est filmé de dos, portant son sweet à capuche gris, accompagné par les motos du quartier, on croit revivre l’une des scènes cultes de Rocky 2 lorsque ce dernier était suivi par tous les enfants de Philadelphie. Et lorsque, pendant de longues secondes, le boxeur est filmé de dos, caché par la capuche, il y a un peu de Rocky dans Adonis, par sa spontanéité, sa rage et son envie de vaincre.
Mais, avec sagesse et respect, Coogler laisse encore la montée inéluctable des marches du Philadelphia Museum of Art au vieux boxeur mélancolique maintenant accompagné par la jeunesse. Si cette montée des marches est si émouvante, c’est qu’il n’y a plus l’énergie d’avant, mais toujours cette volonté de combattre, et surtout cette soif insatiable de transmettre et de raconter un peu de lui à sa nouvelle famille, à Adonis Creed.
©Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. and Warner Bros. Entertainment Inc.
Pour ses combats de boxe superbement immersifs et fidèles au grand genre américain, pour la relation entre Creed et Balboa magnifiquement fidèle à la dimension sensible qui a toujours animé la saga, Creed est un très bon Rocky, mais aussi et surtout un bon premier Creed plein de promesses pour les années à venir.
Simon Bracquemart
Film en salles depuis le 13 janvier 2016