Elle scrute le contenu en une seconde. Une connaisseuse. N'extirpe rien du premier sac, l'écarte, examine le second. Retire une breloque et murmure: "Tiens je la retrouve, je les avais toutes offertes... gardé aucune".
"Oh!" sursaute-t-elle, sortant délicatement du sac un pendentif et un bracelet assorti.
"Tu dois conserver çà!"
À peine ai-je le temps de protester: "Non... vraiment, je ne porte pas de..."
"Avec tes cheveux, ton teint, ton style... C'est de l'ambre, magnifique, il t'ira à merveille!"
"Mais je... la couleur, l'or jaune, je ne sais pas...je ne suis pas très bijou! Je vous assure, prenez-le!"
"Ton père aimait lui offrir de beaux bijoux..." ajoute-t-elle à l'intention de mon amoureux.
Elle me tend le pendentif.
Je proteste faiblement: "Je porte seulement la chaînette en or blanc que ..."
"Çà se marie parfaitement! L'or blanc et l'or jaune! Viens!"
Elle m'entraîne dans sa chambre, avec une énergie à mille lieues de la démarche septuagénaire à laquelle je m'attendais. Elle se place derrière moi devant la glace et fait miroiter le pendentif devant mon cou. J'obéis, fascinée. Elle m'explique les propriétés de l'ambre, la complémentarité des métaux précieux, la juxtaposition sans surcharge, etc. J'admire les trois ou quatre longs pendentifs qu'elle arbore.
"Juste ce qu'il faut, tu vois, c'est toi, le blond et l'ambre! Tu dois absolument le porter!"
Je reluque le résultat, hésitante. "Vous... tu crois?"
Sans grand talent naturel pour la coquetterie, mon allure repose sur les exemples de féminité environnante, dont je m'inspire tant bien que mal. Ma mère me félicitait avec enthousiasme si je portais autre chose que du noir. Le rouge la satisfaisait particulièrement. Mes soeurs détiennent l'art de saisir avec assurance LE cintre coincé parmi des centaines d'autres et portant le chemiser parfait. La jeune fille de mon amie L me traîne dans les friperies aux quatre coins de la ville et déniche des perles rares pour quatre sous, alors que seule, je n'y vois que vieux chiffons et robes fanées.
La très belle dame, à qui je croyais offrir en cadeau les bijoux de son amie de toujours, décédée depuis peu, m'a convaincue. Nous rejoignons nos hommes dans le salon de la minuscule maison de campagne et je montre le pendentif jaune à mon amoureux. Plus connaisseur que moi, il approuve.
La conversation reprend autour de petits sandwiches à l'anglaise et de coupes de vin rosé, semblables à celles que l'on admire chez les antiquaires. Je pars dans la lune. La maisonnette, d'un abord modeste, recèle des trésors dignes de musées, de librairies de livres rares. Des toiles éclectiques, un peu croches sur leurs clous, racontent l'époque des débuts d'Abélard et Héloïse, je les rêve en doux professeur rencontrant l'élève brillante, le cinéaste sa muse, le photographe sa jolie modèle. Je refrène le réflexe de replacer un petit cadre tout près de moi.
Nous trinquons. Je soupire en déclarant comme j'aurais souhaité les connaître plus tôt, avant le départ de celle qui nous réunit ce jour là. Dans les yeux du doux professeur scintille un vif acquiescement et nous convenons de nous revoir en ville, après l'été.
Toute la semaine d'ensuite la magie de cette rencontre me poursuit. Les photos de leur voyage récent en Grèce, malgré l'âge et les genoux endoloris, Héloïse juchée sur une ruine, en plein trekking dans le berceau de la civilisation, vive et allumée, chaussures sportives à la mode, posant pour la lentille de son photographe. "Pas mal pour 70 ans, non?" avait-elle commenté en souriant.
Je me prends alors à croire à une longévité dont j'avais escamoté l'espoir, par un excès de soi-disant réalisme. Et si nous avions un jour 70 et 80 ans, M et moi? Et si nous visitions alors la Grèce, chaussés de baskets oranges?
Ainsi renaquît un horizon de plusieurs décennies auxquelles je m'étais interdit de croire depuis 2007.
Merci Héloïse de m'avoir fait cadeau de mon cadeau.
Merci Abélard d'avoir offert de me prêter ce livre, que je voulais relire et que j'avais timidement refusé d'apporter.