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Voici une petite histoire vraie de ma période caissier-chez-Auchan :
Je dis bonjour à la dame. Elle ne me répond pas. Ses courses s’entassent sur le tapis roulant. Je les saisis une à une, les passe au scanner, les range dans les sacs plastiques, saisis, passe, range, saisis, passe… J’en ai marre ! Tous les jours, c’est le même cirque. Assis sur un siège inconfortable, je rêve de mon lit. Du fond de la galerie marchande perce un rayon de soleil. Il y a de l’air, une infinité de possibles. Je pourrais siroter un café, bronzer dans mon jardin, lire, m’évader, une amie viendrait frapper à ma porte et nous pourrions…
Le temps de ce voyage, vingt-cinq clients sont passés, ont réglé leurs achats, sont partis, après un au revoir monsieur, madame ou mademoiselle prononcé machinalement. Dix clients à l’heure, pas terrible ça. Une présence bienveillante m’a tiré de ma rêverie. Une vieille dame que je vois depuis plusieurs semaines. Nous n’avons jamais discuté. Je l’ai prise pour une autre, une voisine. Aujourd’hui elle revient, elle fait la queue, je la regarde. Elle fuit mon regard. Je saisis ses articles, puis les ensache, lui dis bonjour, vous allez bien ? Elle me répond par un large sourire qui illumine son visage. Pourtant ce sourire a quelque chose de cassé. Une émotion dans ses yeux la trahit. Elle me tend une main tremblante. Au creux de cette main, une petite enveloppe blanche. Il s’agit peut-être d’un pourboire et je n’ai pas le droit. Je ne voudrais pas décevoir son élan généreux. Ses yeux sont baissés. J’accepte discrètement l’enveloppe et la dissimule sous mes chèques. Je ne peux pas l’ouvrir maintenant, je vais attendre. Je ne sais pas quoi lui dire. Nous nous sourions timidement.
Elle s’en va. Un sac plastique à chaque bras. Elle a les yeux rouges, se retourne. Arrivée au bout de l’allée, elle se retourne encore. Craint-elle que je n’ouvre pas ? Mes pensées la suivent, l’accompagnent dans son trajet en bus, lui portent ses courses dans l’escalier, entrent et découvrent son appartement, les portraits qui sont affichés, lui tiennent les mains, engagent une conversation à mots comptés. Il faut pourtant que je revienne à moi, et continue de travailler. Les clients se suivent et se ressemblent. Le mécontent, l’irascible, la marmaille, l’absent. Je brûle de savoir ce que contient l’enveloppe. Un petit quart d’heure et c’est ma pause.
J’ouvre. Et là, point de pourboire mais un billet écrit, une liste manuscrite : « le langage des fleurs », et au fond de l’enveloppe, une violette.