TOUS NOS NOMSDinaw MengestuAlbin Michel, août 2015, 336 pagesTraduction de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsched
Dinaw Mengestu, né en 1978 à Addis Abeba, est arrivé aux Etats-Unis à l’âge de deux ans avec ses parents, qui ont fui la guerre civile en Ethiopie. Auteur de Les belles choses que porte le ciel (2007, Prix du premier roman étranger), Ce que l’on peut lire dans l’air (2011, Prix Mahogany), son troisième roman, inspiré en partie d’un séjour effectué en Ouganda, évoque l’immigration aux Etats-Unis d’un jeune Africain, dans les années 1970.
Le héros, sans nom, qui vient d’un pays non nommé, s’installe dans un bidonville à Kampala, « En arrivant à Kampala, je n’étais plus personne ; c’était exactement ce que je voulais ». Il se lie d’amitié avec Isaac, l’Ougandais, engagé politiquement, qu’il rencontre sur le campus de l’université de Kampala. D. rêve de littérature, de devenir écrivain. Isaac le surnomme Professeur, Langston ou Ali. La révolution se produit en Ouganda et nous en suivons les péripéties.
Le roman est construit sur l’alternance de deux récits : l’histoire d’Isaac aux Etats-Unis, la relation amoureuse avec Helen, l’assistante sociale, racontée par Helen et l’histoire d’Isaac, l’Ougandais, de l’amitié complexe qui unit ces deux jeunes, raconté par Isaac, l’immigré africain à Kampala, qui a emprunté l’identité du véritable Isaac pour fuir la violence en Ouganda.
L’auteur raconte, avec une grande économie de mots, l’histoire des révolutions africaines, et les difficultés rencontrées par le couple mixte. Il réussit à évoquer les abus de la révolution, le dévoiement de l’idéalisme révolutionnaire au profit du pouvoir personnel, sans jamais dénoncer. Il questionne ainsi la violence gratuite, le retournement des alliances et l’instauration de la terreur. Il suggère et les idées s’imposent.
On retrouve les thèmes déjà traités dans les deux précédents romans : immigration, déplacement, déracinement, pauvreté, intégration, guerres - mais l’auteur les aborde avec beaucoup d’émotion et de finesse. Il décrit simplement les faits. C’est ainsi qu’on assiste à la transformation de villageois, qui basculent soudain dans la sauvagerie : ils tuent d’autres réfugiés qui fuient la guerre.
Parallèlement, nous nous retrouvons à Laurel, une petite bourgade du Midwest, où vit Helen. Dinaw Mengestu décrit une relation amoureuse dans son intimité : la vie solitaire que mène Isaac, entre la bibliothèque où il dévore tous les livres et l’appartement qu’Helen l’a aidé à meubler ; les préjugés raciaux et la découverte de soi, au-delà des secrets. Isaac est rebaptisé « Dickens » par Helen.
L’homme sans nom. Il est une ombre.
L’auteur tisse intelligemment les liens entre ces personnages et pose la question du nom, de l’appropriation : qui est le véritable Isaac ? Une incertitude pèse sur la réalité du personnage qui raconte : Isaac l’Ougandais ou l’immigré africain ?
Vincente Duchel-Clergeau