Code du travail : le préambule de Badinter

Publié le 26 janvier 2016 par H16

Voilà, ça y est, c’est fait, Robert Badinter a remis à Manuel Valls son épais rapport sur les grands principes du Code du travail. Grâce à cet indispensable travail, la grande Réforme Du Code Du Travail Qui Envoie Du Steak peut commencer.

La Commission Badinter (oui, encore une autre commission) avait en effet été chargée par le premier ministre de définir le « socle » de droits garantis par le nouveau Code du travail, en cours de gestation. Partant du constat que l’actuel Droit est « une forêt obscure où seuls les spécialistes peuvent trouver leur voie », la Commission propose de refonder l’usine-à-gaz en se basant sur 61 grands principes fondamentaux (parce que le fondamental, c’est vendu en pack de 61, apparemment), en essayant de limiter le rôle de la loi et en augmentant celui de la négociation collective. Avec cinq douzaines de principes pour guider, les marges de manœuvre apparaissent immédiatement généreuses…

Ensuite, pour faire simple, deux think-tanks idéologiquement opposés ont eu la charge d’éplucher la jurisprudence : l’Institut Montaigne d’un côté, Terra Nova de l’autre. Le premier aboutit à la conclusion que le meilleur échelon de négociation reste l’entreprise, appliquant ainsi un principe de subsidiarité qui a démontré son efficacité partout dans le monde, pendant que l’autre trouve qu’il vaudrait mieux le faire par branche, dont on peut assez bien mesurer l’impact puisque c’est à peu près ce principe qui est en œuvre actuellement dans une France quasiment vitrifiée.

Enfin, bardé de ces recommandations, analyses et volumineux rapports, le ministère du Travail, actuellement cornaqué par une stagiaire, une certaine Myriam El Khomri, lancera la réforme proprement dite qui est déjà planifiée sur deux ans, ce qui nous amène dans bien longtemps, dans une galaxie très lointaine, et plus précisément, au-delà des élections présidentielles de 2017. « Jamais » est donc une option crédible.

Dans ce contexte, la question des 35 heures hebdomadaires a naturellement été posée. Et comme elle l’a été par Emmanuel Macron, l’ensemble de la classe politique s’est immédiatement crispé. Citons au passage Anne Hidalgo, qui n’a pourtant pas de rôle à jouer dans l’affaire, mais qui s’est empressée de donner son avis ce qui lui a permis de tacler généreusement le ministre de l’Économie et de s’acheter dans la foulée une dosette de socialisme lyophilisée prête à l’emploi :

Voilà encore un débat du XXe siècle qu’on vient nous poser sur la table. Aujourd’hui la question (…) c’est comment on arrive à préserver un modèle social. (…) On ne va pas faire en sorte que les gens travaillent plus en gagnant moins ! (…) Ce sont des débats du siècle dernier (…) On est en train de s’enferrer dans des débats qui, vus de Davos, peuvent peut-être satisfaire quelques grands investisseurs qui classent les grands pays en fonction de leur degré de libéralisme -plus on est libéral, moins il y a de protection sociale, mieux on est.

Belle vision du monde dans laquelle les débats, indépendamment de leur contenu et des conclusions atteintes, seront d’autant plus méprisés qu’ils sont tenus par des gens que la gauche exècre.

Belle culture politique associant libéralisme à absence de protection sociale, ce qui permet de patouiller joyeusement comme une enfant simplette aux doigts profondément enfoncés dans la pâte-à-modeler conceptuelle où tout peut se plier, se mélanger et se déformer pour rentrer dans tous les contenants possibles.

Belle idéologie socialiste qui a d’ailleurs largement démontré son efficacité ! Combien de chômeurs en France grâce à elle et son modèle social que le monde entier nous envie mais ne recopie surtout pas ?

Et au passage, belle formule rhétorique qui consiste à immédiatement traiter le sujet par le mépris en le classant comme rétrograde (sans dire pourquoi), d’un siècle dont nos amis socialistes peinent pourtant à s’extirper avec des difficultés comiques…

La réalité est cependant claire, évidente : le salariat est en train de se modifier profondément.

D’une part, 15% des salariés européens sont « multi-salariés », c’est-à-dire exercent plusieurs activités différentes et disposent donc de plusieurs contrats de travail. D’autre part, l’explosion du nombre d’auto-entrepreneurs en France montre le besoin criant d’autonomisation des individus, qui ne peut pas passer par un droit du travail rigide.

Enfin, les nouvelles technologies donnent effectivement l’occasion à un nombre croissant d’acteurs de se débarrasser des intermédiaires. Elles redéfinissent de façon profonde, structurelle, à la fois le rapport au travail et le rapport à la hiérarchie, de façon bien plus fluide, que ce qui existait jusqu’à présent. Le schéma traditionnel, dans lequel le patron est en haut de la hiérarchie et dans lequel le salarié, en bas, doit en être protégé, est bouleversé par ces changements qui font de plus en plus du salarié son propre patron, vendant son temps et sa force de travail plutôt que s’attachant à une unique entreprise pour toute une carrière.

Ces changements sont largement perceptibles partout dans le monde. Ils le sont aussi, dans une certaine mesure, au sein même de la société français qui, engluée dans ses lois d’un autre siècle (et plutôt le XIXème que le XXème), a tant de mal à s’adapter (ce qui se traduit directement par un nombre de chômeurs record).

En revanche, ces changements ne sont pas du tout perceptibles au sein des décideurs : les politiciens, les syndicalistes, les administrations n’ont pas encore intégré cette nouvelle donne pourtant essentielle. S’il y a bien des pans entiers du pays qui sont, résolument, coincés dans le XXème siècle, ce sont ceux où s’agitent les élus, Anne Hidalgo y compris, et qui continuent de percevoir le monde au travers de prismes qui ne sont plus en vigueur depuis au moins 30 ans.

Les réactions de la maire de Paris ne sont donc pas du tout surprenantes, mais parfaitement symptomatiques du mal français concernant son droit du travail : tout changement sera immédiatement critiqué, soit en hurlant à la perte des protections qui n’ont jamais fait qu’accentuer le gouffre entre ceux qui ont un emploi et ceux qui aspirent à en avoir un, soit en utilisant des anathèmes rhétoriques pour esquiver les questions de fond.

Et si on constate déjà de telles crispations alors que cette réforme n’est même pas entamée, que croyez-vous qu’il adviendra lorsqu’il s’agira de s’attaquer vraiment au gros-oeuvre ? Que croyez-vous qu’il se passera lorsque les syndicats et tout ce que le pays compte d’intellectuels experts des questions du travail s’empareront de ces questions brûlantes ? Plus à propos encore, pensez-vous vraiment que Myriam, l’intérimaire du Ministère, aura les épaules assez solides pour leur tenir tête ? Imaginez-vous que le président de la République saura faire preuve de fermeté devant cette partie de l’opinion qui va grogner fort, très fort, et probablement tenter de prendre la rue ?

On peut très raisonnablement en douter. Mais heureusement, le Code du Travail aura bientôt un beau préambule écrit par Badinter.

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