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UGCB - Primeurs - Aveugle - Polémique

Par Mauss

Nos lecteurs ont eu largement l'occasion de discuter ici les avantages et inconvénients du principe de l'aveugle (on ne porte un jugement que sur le jus et non aussi sur l'étiquette) lors de dégustations, comparatives ou non. On sait que c'est le principe de base du GJE créé en 1996 : c'est dire qu'on a eu largement le temps d'en constater les avantages et inconvénients !

L'UGCB vient donc de publier un communiqué informant que pour les primeurs de mars/avril, elle n'offre plus cette possibilité, réclamée courageusement en son temps par Michel Bettane et quelques autres pointures de la critique, et donc que les médias venant à Bordeaux devront accepter les nouvelles règles mises en place. David Cobbold, Jancis Robinson ont exprimé leurs points de vue (= réprobation) : ICI.

Que peut-on supputer de caché derrière cette décision de l'UGCB dont on rappelle qu'elle est présidée en ce moment par Olivier Bernard, co-propriétaire du célèbre Domaine de Chevalier en AOC Pessac-Léognan. Une personnalité qui n'a pas peur d'agir et sait dire, parfois, souvent, les choses vertement.

Regardons d'abord la situation :

a : c'est plié, et pratiquement dans toute l'Europe, le millésime 2015 est grand, sinon exceptionnel. Il n'y aura donc aucun journaliste "responsable" qui dira le contraire. Bref, on part sur de bonnes bases, un très bon à-priori… auquel, effectivement, il est assez facile de souscrire.

b : sans que cela se dise ouvertement - à Bordeaux on pratique des subtilités étonnantes de langage - une vaste majorité des médias qui viennent à Bordeaux n'y connaît pas grand chose dans la dégustation des vins primeurs, les plus intelligents de cette catégorie prenant soin de copier ce qui est dit et écrit par les quelques pointures reconnues, d'autant plus que certains zozos américains ont un malin plaisir de venir avant tout le monde, histoire d'être les premiers à porter la bonne parole. Donc, quel est l'intérêt de prendre en charge tant de gens dont les compétences ne sont pas forcément évidentes ?

Bref : un nettoyage s'impose, c'est évident. Et laisser cette frange de quasi-incapables d'appréciations justes dire, écrire des choses à partir de dégustations aveugles, c'est bêtement prendre un risque inutile. 

c : et puis, il faut savoir que quelques Maisons de Négoce qu'on place sur le podium depuis des lustres, les "kadors" qu'ils soient en rive gauche ou droite, organisent eux-mêmes, dans un contexte, dans des conditions véritablement luxueuses, des dégustations privées pour les plus grands noms de la critique. Précisons que ces Maisons reçoivent ainsi régulièrement les échantillons des plus grands noms de la région, à l'exception des "premiers".

d : … oui : les premiers (Latour, Lafite, et Cie) (et ceux juste derrière qui s'y associent) ont une loi intangible : leurs vins ne se dégustent que chez eux. Point. Il est simplement hors de question qu'une petite balade ici ou là, un service aux températures aléatoires, une lumière trop vive ou trop faible, et surtout un discours "inadapté" viennent troubler un jugement, lequel doit se baser sur d'autres choses que la simple dégustation du jus présenté.

e : enfin, sans que ce soit anecdotique, en ces temps d'économie d'énergie, d'écologie politique, réunir sur 2 jours tous ces médias dont le prix carbone doit être impressionnant, c'est s'assurer, quelque part, de papiers positifs.

Que cache alors cette décision de l'UGCB ?

a : chacun sachant à quel point il est délicat de juger un jus primeur, souvent "préparé" pour ces jours si chéris d'écrivaillons nécessiteux d'une gloriole temporaire (du style : "j'y étais, moi"), prendre le risque de présenter les vins en aveugle, c'est se tirer une belle balle dans le pied.

b : chacun sachant que de plus en plus de noms du haut du panier (et de plus en plus aussi de noms pas forcément dans le panier) exigent des journalistes de passer par les fourches caudines de leurs discours, de leurs commentaires avant même de taster, cela décrédibilise de plus en plus le travail d'organisation de l'UGCB. En terme brut : cela devenait un cirque assez singulier ! Autant arrêter les frais.

c : l'UGCB sait naturellement qu'en excluant l'aveugle, elle permet aux médias de dire moins de bêtises car tout le monde sait que s'il est facile de dire des gros mots sur tel ou tel "bourgeois" qui ne porteront pas à conséquences, écrire, publier un commentaire de même gabarit sur un classé, c'est vachement plus délicat. Bref : on évitera des fausses notes et les rares qui s'y aventureraient seraient vite montrés du doigt comme incompétents. Les augustes membres de l'UGCB ont dû signer ce changement de politique à l'unanimité.

d : écartons toute hypocrisie : si Robert Parker demandait en son temps l'aveugle (bon : il n'y a jamais eu d'huissier pour vérifier la concordance entre ses notes de dégustation et ses notes publiées), bien évidemment l'UGCB ne se serait jamais lancé dans une telle décision. Ce qui veut dire quoi ? Que l'UGCB veut simplement reprendre la main (a repris la main ?) et se constituer un groupe docile de médias, chose plus qu'importante eu égard au Bordeaux Bashing… heureusement en fin de course, tant il est vrai que cela a pénalisé pas mal de crus qui ne le méritaient pas !

e : plaidoyer pro-domo : chacun sait qu'un classé ou équivalent ne peut véritablement être jugé correctement à ce niveau de son évolution (si ce n'est par une douzaine de grands dégustateurs et courtiers/négociants) et donc que n'importe quel dégustateur de n-ième niveau a besoin de connaître un tantinet l'historique du château, du cru, sa capacité à évoluer vers le haut, les qualités reconnues des derniers millésimes pour écrire des choses sensées. 

Une première conclusion, brute de fonderie ?

La récréation est finie : tout le monde dans les rangs et les grincheux au piquet !

… toute une époque… :-)


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