Un film de : Danny Boyle
Avec : Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rogen, Jeff Daniels, John Ortiz, Michael Stuhlbarg
A trois reprises, en 1984, 1988 et 1998, Steve Jobs a profité d'un show public pour lancer son nouveau produit. Les quelques instants qui précédèrent ces trois moments charnières dans la carrière de ce génie caractériel furent à chaque une occasion pour lui de régler ses problèmes relationnels, sur un plan aussi bien intime que professionnel.Les coulisses d'un mythe en pleine construction.
Depuis maintenant un peu plus de quatre ans qu'il est mort, de nombreux livres, plusieurs documentaires, ainsi qu'un premier biopic assez discutable ont déjà été consacrés à Steve Jobs. Autant dire qu'il reste un personnage autour duquel plane tout à la fois un culte et un mystère. Parmi les livres consacrés à ce nabab de l'informatique, Aaron Sorkin a adapté celui rédigé par Walter Isaacson, une biographie posthume commandée en son temps par Jobs en personne, avant de vendre le scénario aux studios Sony qui eux-mêmes en confièrent la réalisation à David Fincher, reformant ainsi le duo gagnant de The Social Network. Le retrait du projet, tour à tour, de Sony, de Fincher et de Christian Bale, longtemps attaché au rôle-titre, compromirent sérieusement l'aboutissement de ce film. Heureusement, Universal, enrichi par une année en tête du box-office mais encore à la recherche d'un favori aux Oscars (car, non, ni ni même Jurassic World n'ont leur chance dans la course à la statuette dorée!), s'est ré-accaparé le film et le confia à Danny Boyle. Un pari risqué pour un projet aussi ambitieux, le réalisateur britannique n'ayant plus fédéré le public depuis quelques années. C'est dans ce sens que va également l'accueil d'un public très frileux, lors de sa sortie américaine, ayant enregistré un démarrage à peine supérieur à celui du film de Joshua Stern, unanimement considéré comme un échec. Comment alors expliquer cette mauvaise réception? Outre que Michael Fassbender soit loin d'être aussi bankable aux Etats-Unis que les acteurs pressentis pour remplacer Christian Bale -pas moins que Leonardo DiCaprio, Tom Cruise ou encore George Clooney-, c'est surtout l'aura de Jobs elle-même qui va nuire au box-office du long-métrage.
Là où le film de Stern n'offrait du cofondateur d'Apple qu'une vision hagiographique que n'auraient pas dénigrée les attachés de presse de la marque à la pomme, le point de vue qu'en donnent Boyle et Sorkin est beaucoup plus mitigé. Dans un pays où Steve Jobs jouit encore d'une popularité digne d'une pop-star, en dénoncer l'égocentrisme et le cynisme reste un tabou qui allait sans surprise provoquer une levée de boucliers. Or, c'est justement sur cette corde sensible que va jouer ce film en décortiquant ses rapports humains et leur évolution à trois dates capitales de la carrière du personnage. L'idée de s'éloigner du schéma linéaire inhérent aux codes du biopic classique a dû pousser le scénariste à se focaliser sur trois moments précis, quitte à y condenser de nombreuses sous-intrigues. Qu'il l'ait lui-même considéré comme une aubaine narrative ou comme une limite dramaturgique, l'obligation qu'a eue Sorkin de ne pas respecter la chronologie de certains événements est devenu le principal argument des détracteurs du film. Dès lors,l'image écornée de Steve Jobs est apparue pour ses fans, mais aussi son successeur Tim Cook et sa femme Elaine, comme le fruit d'une vaste diffamation mal documentée. Cette construction tout à fait assimilable à celle d'une pièce de théâtre en trois actes fut paradoxalement l'occasion pour Danny Boyle de penser sa mise en scène d'une façon très cinégénique. Avec un premier acte filmé sur une pellicule 16mm archaïque, le second sur un 35mm plus chaud et le dernier en digital très aseptisé, le réalisateur réussit à donner à chacun des trois tiers une identité visuelle qui lui soit propre tout en s'accordant avec son sujet. Etant entièrement composé de dialogues (on ne compte pas plus d'une poignée de secondes silencieuses sur les 120 minutes!), et impliquant inéluctablement beaucoup d'échanges techniques, le scénario pourrait ne risquer de d'être rébarbatif et de ne parler qu'aux connaisseurs en technologies informatiques. Pour contrer cette bavardise et cette complexité, plutôt que d'opter pour une narration didactique comme tant de films hollywoodiens l'auraient fait, la frénésie maîtrisée du montage -une chose pour laquelle on ne saurait nier au réalisateur de Trainspotting et Slumdog Milllionaire d'être talentueux-, agrémentée d'une bande originale enivrante, donne au film un rythme sans temps mort particulièrement divertissant. En plus de cette qualité formelle, la subtilité de l'écriture ainsi que les excellentes interprétations de chacun des acteurs font de une étude de caractère approfondie mêlé à un drame humain émouvant.
Le look qu'adopte Fassbender parvient à en faire un sosie confondant de Steve Jobs, mais c'est surtout le charisme que dégage l'acteur qui le rend si proche de son rôle. Le caractère méprisant et autoritaire dont il fait preuve à l'égard de ses interlocuteurs ôte rapidement tout le respect qu'impose son irrémédiable génie de marketer, qui dépasse le simple talent de vendeur d'ordinateurs pour faire de lui un show-man doublé d'un manipulateur hors-pair. En cela, la partition de Fassbender est remarquable -pour ne pas dire oscarisable- dans sa façon d'être à la fois différente et de suivre une continuité logique dans chacune des trois parties du film et dans la relation qu'il entretient avec chacun des personnages " secondaires ". Toute l'intelligence du scénario repose justement dans cette observation acerbe de la façon dont, si Jobs est passé du statut de nerd control-freak à celle d'icône internationale en quelques années, son ascension n'a pu se faire qu'au dépend de ses acolytes, qu'il s'agisse de son ami informaticien et second co-fondateur d'Apple Steve Wozniak, interprété par Seth Rogen, ou bien du PDG de la société, présenté comme un père spirituel, John Sculley, joué par Jeff Daniels. Pour sa part, si Kate Winslet en est " réduite " au rôle de l'assistante-confidente, ce n'est que parce que l'interprétation de son rôle initial de Laurene Jobs a subit la désapprobation de cette dernière. La véritable héroïne du film est en fait celui de Lisa, la fille de Steve Jobs (dont le jeune âge a impliqué le recours à trois actrices différentes) dans le sens où elle apparaît comme la seule et unique source de rédemption de son père. Si le film ne poursuit pas le personnage au-delà de 1998, c'est qu'il n'aurait pas intéressant de rajouter, par exemple, le lancement de l'Ipad en 2010, puisque l'état d'esprit de Jobs est resté le même. On pourra toutefois regretter que, contrairement à The Social Network, le scénario ne se conclut pas par des données chiffrées qui nous rappelleraient que ce gourou de l'obsolescence programmée à opéré son pari en imposer sa mainmise sur l'industrie micro-informatique mais aussi sa vision sournoise du capitalisme selon laquelle " l'offre définit la demande ". Malgré la non-exactitude assumée des faits, le travail fait par le scénariste en s'entretenant avec les proches de Steve Jobs permet de donner de lui une image proche de ce qu'il était réellement. A mi-chemin entre la figure de l'impitoyable arriviste et celle du surdoué en quête de reconnaissance, cette représentation ne fera pas consensus mais est incontestablement le support à un film qui, en adoptant son énergie nerveuse, est un excellent moment à passer. S'il ne révolutionnera pas le genre comme l'iPhone avait pu le faire dans sa catégorie, il serait dommage que ce long-métrage fort habile connaisse le même soufflé que les iGlass!Nos attentes pour une édition collector:
Comme toujours dans le cas d'une histoire vraie, le meilleur bonus serait un making of couplé des témoignages des personnes qui apparaissent dans le film, et pourquoi pas le documentaire Steve Jobs: The man in the machine d'Alex Gibney, reconnu comme le plus abouti à ce jour.
Crédits images : © Universal PicturesThe following two tabs change content below.