Sinistre(s): tous les moyens sont bons pour Valls

Publié le 24 janvier 2016 par Jean-Emmanuel Ducoin
La moindre prise de parole du premier sinistre l’éloigne d’un homme de gauche. Décomplexés. Dans la préface qu’il donne à l’excellent livre de Patrice Cohen-Séat, Peuple! Les luttes de classes au XXIe siècle (éditions Demopolis), le cinéaste et écrivain Gérard Mordillat déclare: «L’absence de guerre sur le territoire français n’est qu’une illusion, un faux-semblant exalté pour nous égarer. L’oligarchie politico-financière (qui est) à la tête de l’État mène une guerre où l’adversaire n’est pas l’autre, la puissance étrangère, mais le citoyen salarié, cet “ennemi payé”, selon Kafka. Cette guerre contre la classe ouvrière –la working class des Anglais– (…), cette guerre sociale dévaste la société par la promotion d’un chômage de masse, l’acceptation d’une pauvreté endémique, l’élimination de l’égalité au profit de la charité, l’oubli de l’exploitation au profit de l’exclusion, l’anéantissement de toutes les lois de protection des salariés, (...) la ruine des services au nom du dieu Profit, ce dieu unique auquel tout doit être sacrifié pour le bonheur d’un très petit nombre contre la multitude.» Le bloc-noteur pourrait poursuivre de bout en bout la citation de ce texte admirable, tant il en partage le contenu… Au cœur de cette «stratégie du choc» globale, dont avait parlé avec esprit visionnaire Naomi Klein, quelques nouveaux libéraux décomplexés sont venus accompagner les néoconservateurs de la pire espèce, avec l’usage d’arguments qui empruntent désormais au fonds de commerce idéologique du monde marchand le plus infâme. Comme vous le savez, depuis 2012, et plus encore depuis sa nomination le 31 mars 2014, Manuel Valls est non seulement l’un de ceux-là, mais il se revendique censément premier sinistre «de gauche» et, croyons-le ou non, il serait même issu (comme Macron paraît-il) des rangs «socialistes», dont on se demande ce qu’ils vont devenir à force de passivité. Ainsi, le premier sinistre n’a que deux idées en tête. Primo: poursuivre la pédagogie du «il n’y a pas d’alternative» proclamé sur tous les tons, dans tous les lieux, par les politiques stipendiés par les forces les plus réactionnaires et les puissances financières. Secundo: liquider la gauche, atomiser son cœur battant comme son idéal de justice et d’égalité.
 Amalgame. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons. Y compris se révéler sous son vrai jour, faire tomber les masques, chaque semaine un peu plus. C’est bien simple: la moindre prise de parole du premier sinistre l’éloigne mécaniquement de ce qu’il prétend être: un homme de gauche et un républicain épris de droiture ayant grandi sur le terreau fertile de la justice sociale. Tout y passe. Même le plus inattendu –sauf à oublier à qui nous avons affaire. À l’évidence, le dernier épisode en date n’était ni une précipitation de langage, ni un dérapage, d’où sa gravité extrême en tant que construction théorique. Parlant des attentats et du djihadisme, l’ex-maire et député d’Évry a déclaré: «J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé. (…) Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser.» Comme si les sciences sociales, la sociologie, etc., à force de chercher des explications, donnaient des excuses aux contrevenants à l’ordre social. Le premier sinistre confond deux verbes pourtant simples et éloignés l’un de l’autre: «excuser» et «expliquer». Terrifiant amalgame, qui témoigne de sa volonté de faire porter le soupçon sur tous ceux qui exercent pour métier d’étudier le monde social, ses comportements et les raisons – parfois, souvent – de ses comportements. Les climatologues seraient donc complices des phénomènes climatiques, les géologues des tremblements de terre et les scientifiques (qui cherchent, dieu merci, des raisons médicales) du cancer. Mieux: il n’y aurait rien dans le passé lointain ou récent qui «explique» notre ici et maintenant… Proférer de telles inepties nous «dit» quelque chose de cet homme-là: il ne peut plus parler au nom de la gauche. L’a-t-il d’ailleurs jamais pu? [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 22 janvier 2016.]