En 2006, ils enregistrent ce disque avec Getatchew Mekuria, "the king of ethiopian saxophone". Cette musique a quelque chose d'improbable et d'un peu miraculeux : des petits blancs hollandais nourris de musique tonale et de quatre temps exécutent à la perfection une musique modale, rythmiquement très éloignée de leurs habitudes, en groovant aussi bien que les locaux, et sans jamais renier d'où ils viennent. Un mélange singulier de groove africain, de gammes pentatoniques typiquement éthiopiennes, de guitares punks nerveuses, et de textes parlé/chanté avec un accent anglais parfait. Mekuria est aux anges avec ses copains punks, et peut nous offrir cette sonorité magnifique nourri d'un vibrato assez unique, qu'on ne retrouvera sur aucun enregistrement Blue Note, ces phrases incroyables qui ne sortent jamais des cinq notes de la gamme, et qui sont pourtant infiniment complexes et expressives, toutes choses qui ont fait sa gloire à la belle époque.
On peut écouter le tube "Musikawi Silt", une diablerie rythmique sur trois temps, où la plupart des attaques sont en l'air, le truc à donner des cauchemards au jazzeux moyen. Il faut au moins le degré de maîtrise d'un Secret Chiefs trio pour oser une reprise qui claque ; ça devient "Safina" sur l'album Book M, une version électro-funk, qui ose un chorus de violon et un magnifique break. On est sous le charme de la ballade "Sethed Sekeletat", sa drôle de gamme mineure qui évite systématiquement la septième, son break bizarre qui mange un temps; sa mélodie poignante, son solo de guitare déchirant, son texte métaphysico-pas du tout éthiopien. "Eywat Setena fegagn" nous plonge au plus profond de la jungle africaine, comme si le rêve blanc avait l'occasion de s'exprimer à plein, avec la caution du noir. Les soufflants s'en donnent à coeur joie et rivalisent de virtuosité pour rendre les cris animaux et les bruissements les plus envoûtants. C'est Duke Ellington qui est jaloux.
La rencontre The Ex/Mekuria c'est comme Robinson avec Vendredi chez Tournier (RIP) : c'est le "sauvage" qui initie le blanc à une autre vie.
En bref : on savait que le jazz éthiopien moderne c'était la tuerie (Compilation Éthiopiques, Mulatu Astatké, etc.). mais le jazz-anarchopunk éthiopico-hollandais c'est carrément la boucherie !