Saint Martin de Ré est la première étape dans notre traversée de l'île. Nous voulons voir l'endroit duquel est parti le fameux "Papillon". Le gigantesque parking est gratuit et clairsemé en hiver. Il s'étend au pied des locaux pénitentiaires du village. D'un côté, les touristes, de l'autre, les prisonniers condamnés à de longues peines derrière les barreaux. Et ce n'est pas récent. Déjà, dès la fin du XIXème siècle et jusqu'à la deuxième guerre mondiale, les hauts murs renfermaient les vies mises entre parenthèses de ceux qu'on concentrait ici avant leur embarquement pour le bagne de Cayenne. Ce fut le cas de Papillon et de bien d'autres. Les bagnards ont ainsi laissé des traces dans l'île, comme par exemple cette belle carte peinte sur un mur par l'un d'entre eux. L'enfermement et la liberté, le grand large et les geôles comme horizons croisés.
Se sentent-ils prisonniers, les habitants de Saint Martin, lorsque la population se multiplie par 5 en saison estivale ? Se sentent-ils plus libres en décembre lorsqu'ils peuvent jouir de leur intimité sans souffrir d'encombrement chronique ? Décembre est la saison idéale. On peut marcher tranquillement dans les rues désertes, profiter de la vue sur l'océan infini depuis les épaisses murailles de Vauban. On peut grimper au sommet de la tour de l'église Saint Martin sans avoir à respecter les feux rouges et les feux verts dans les escaliers étroits. Du haut, rien n'arrête le regard, aucun bruit ne perturbe le silence de l'océan qui dort devant nous. Les prisonniers perçoivent-ils les modulations de l'agitation entre l'été et l'hiver ? Les milliers de touristes songent-ils parfois que les prisonniers n'ont pas la chance de noyer leurs yeux dans autre chose que les flaques d'eau dans la cour de la Maison Centrale ? Deux mondes qui s'effleurent sans se toucher, et Saint Martin de Ré qui compose sa symphonie entre le noir et la lumière.