Le dix sept janvier dernier disparaissait Gottfried Honegger au terme d'une vie dont on ne mesure peut-être pas encore totalement l'amplitude et la richesse. Son amie Aurélie Nemours, lorsque je l'interrogeais sur son propre itinéraire lui aussi d'une incroyable densité, me confiait : "Il faudrait deux ou trois vies...". Aurélie Nemours aura vécu quatre vingt quinze années d'une aventure totalement dévouée à l'art concret. Gottfried Honegger, décédé à quatre-vingt dix huit ans, lui aussi totalement impliqué dans la voie de l'art concret, a vraisemblablement vécu les trois vies enviées par Aurélie Nemours.
Sa première vie commence en Suisse où il est né. A travers l’Europe, dans les années d’après-guerre, de nouveaux signes de vitalité confortent le mouvement de l’abstraction géométrique. Sur le terreau de l’art concret Zurichois poussent des idées nouvelles. Gottfried Honegger fréquente à Zurich les artistes du groupe Allianz. Intéressé par les recherches de Max Bill, Richard Paul Lohse, Joseph Albers sur des systèmes déterminés, il prend cependant ses distances, quelque peu ennuyé par ce qu’il estime constituer un résultat connu d’avance. Mais cette première vie l'engage définitivement dans cette recherche ou, si la rigueur est la règle, elle ne prend pas, chez Honegger, l'aspect de l'austérité comme parfois chez son amie Aurélie Nemours. L'homme à besoin de bouger, jouer, découvrir, expérimenter.
Et cette deuxième vie sera celle d'un infatigable voyageur. Venu en France, puis aux Etats-Unis, puis en France, puis en Suisse, il a dû épuiser ceux qui ont voulu le suivre à la trace. Après une carrière de graphiste publicitaire, il ne se consacre vraiment à la peinture qu'à partir de son séjour à New York en 1958. Il rencontre Miro, Le Corbusier, Arp, Hans Richter, Sam Francis, Barnett Newmann, Franz Kline, Mark Rothko, Alexandre Calder, Michel Seuphor...
L'importance déterminante de l'aléatoire qu'il a découvert à travers le livre de Jacques Monod Le Hasard et la Nécessité en 1970 influence non seulement son œuvre mais également sa vie, au point qu'il se promène en permanence avec un jeu de dés dans sa poche pour animer les choix du quotidien. Lorsque j'ai le privilège de rencontrer Gottfried Honegger en 1995, c'est un jeune homme qui s'exprime, toujours habité par la passion pour sa création, convaincu que la vie doit être un jeu.
L'Espace de l'art concret
La troisième vie de Gottfried Honegger prendra forme avec sa vocation de collectionneur passionné et militant. Plutôt que de se construire un cénotaphe majestueux, Honegger a préféré donner du sens à la promotion de l'art concret qui a animé sa vie. Sybil Albers sa compagne et Gottfried Honegger ont fait des choix de collectionneurs durant leur vie entière. Ils ont voulu rendre leur collection accessible au public. Mise en dépôt auprès de la ville de Mouans-Sartoux dans un premier temps, cet ensemble a fait l’objet d’une donation à l’état français en 2000. Six cents œuvres regroupant cent quatre vingt artistes de multiples nationalités ont constitué ce fond exceptionnel. .
Gottfried_Honegger en 1995
L'Espace de l'art concret inauguré en 1990 à Mouans-Sartoux a fêté en 2014 les dix ans d'existence de son bâtiment référence. Devenu Fonds National d’Art Contemporain, l’Espace de l’Art Concret en juin 2004 inaugurait un bâtiment manifeste : la Donation Albers-Honegger destinée à conserver et présenter le fonds d'œuvres concrètes données à l'État français par Sybil Albers, Gottfried Honegger, Aurelie Nemours et la Browstone Foundation.
Il aura fallu attendre ses quatre-vingt dix sept ans pour que Gottfried Honegger obtienne l'année passée une exposition personnelle au Centre Pompidou de Paris. Là encore la communion avec son amie Aurélie Nemours se vérifie, elle aussi accédant à une exposition monographique au Centre Pompidou pour ses quatre-vingt quatorze ans.
"Alpha Oméga"
Exposition posthume de Gottfried Honegger
Du 24 janvier au 22 mai 2016
Espace de l'art concret
Château de Mouans
06370 Mouans-Sartoux