Après Kurokawa la semaine dernière, nouvelle interview éditeur et pas des moindres, puisque c’est la première entrevue avec les éditions Akata et surtout avec Bruno Pham, responsable éditorial. Depuis sa prise d’indépendance vis à vis de Delcourt, Akata a su retrouver un nouvel élan grâce à des titres avec un vrai fond, régulièrement engagés et militants… Qui lui ressemblent en somme, comme en témoigne Daisy, Colère Nucléaire, Dans l’intimité de Marie, Orange, Prisonnier Riku ou encore la surprenante collection WTF.
Pour ce premier entretien il y avait beaucoup à dire et un éditeur à (re)découvrir, c’est donc un passionnant pavé qui vous attend… Bonne lecture !
Akata, le retour !
Bonjour Bruno Pham…
Nous voilà arrivés fin 2015, l’heure des bilans. En termes de ventes, quel est le tien pour Akata ?
Alors tout dépend des titres bien sûr, mais nous sommes globalement contents. Tout d’abord, je suis très heureux d’avoir réussi à réimposer assez rapidement du shôjo manga : orange a vraiment explosé ! Nous avons dû réimprimer cinq fois le tome 1 en un an et nous en sommes à un tirage au-delà de 20 000 exemplaires. Nous n’en sommes pas encore à 20 000 exemplaires vendus puisque la dernière réimpression date d’avant Noël, pour tous les tomes d’un coup. Mais ça fait plaisir sur le marché actuel.
Depuis que l’on a quitté Delcourt, on a clairement senti qu’il y a eu un trou éditorial sur le marché du shôjo manga. Chez tous les éditeurs, les titres les plus pertinents ne sont pas ceux qui se vendent le mieux et les meilleures ventes de la catégorie sont, pour rester poli, assez « classiques ». Donc, oui, je suis content qu’on ait pu imposer assez vite un titre comme orange qui a vraiment sa touche et qui est assez exceptionnel.
Effectivement. D’autres bonnes surprises ?
Il y a de beaux succès qui n’étaient pas gagnés d’avance comme Ladyboy vs Yakuzas. C’était un coup de poker.
Pour le moins oui !
Et le poker se passe plutôt bien ! (Rires)
Evidemment ce ne sont pas des bouquins qui sont dans les tops des ventes, mais ça marche bien. Après, on a su le défendre, le positionner et le revendiquer donc ça joue beaucoup. Nous avons déjà réimprimé le tome 1 il y a deux mois et sur le 2 ça ne devrait plus tarder. Nous en sommes à plus de 6 000 exemplaires vendus sur le premier tome…
Ah oui quand même, on se situe bien au-dessus d’un simple équilibre, là où il y aurait pu y avoir un four !
Ah, ça aurait pu être un four monumental ! On aurait pu se faire défoncer par tout le monde. Mais je pense que les gens ont compris notre démarche. Ça fait plaisir de pouvoir prendre des risques et que ce ne soit pas en vain, ça motive pour continuer dans cette direction.
Le fait de l’avoir sorti dans la collection WTF?! a permis de bien le positionner car le second degré de cette collection a été clairement identifié grâce à Magical Girl of the End. C’eut été sans doute plus compliqué si Ladyboy avait été le premier…
Probablement oui. Cela dit, dans Ladyboy vs Yakuzas, il y a un vrai fond social au-delà du second degré. On parle vraiment de misère humaine derrière. Le premier tome est assez « drôle » mais la suite l’est beaucoup moins. C’est aussi ça la force des auteurs japonais : de partir sur des idées complètement what the fuck mais de réussir à dire des choses derrière.
Donc voilà c’est un beau succès, je pense que même l’éditeur japonais a été un peu surpris d’avoir cet écho là en France.
Mais j’avoue que que ça nous a mis un peu la pression pour la suite de la collection WTF?! car on ne veut pas tomber dans la surenchère… Au début on avait prévu de mettre Séki, mon voisin de classe dans cette collection WTF ?! par exemple, mais du coup non ! (Rires)
Pour le coup Séki aurait très nettement cassé cette dynamique…
On veut la casser de toute façon, comme je le disais, on ne va pas rester cantonné aux styles des trois premières œuvres. WTF?! c’est une expression qui a un sens assez large, donc nous sommes bien décidés à proposer quelques surprises, car ça n’aurait pas de sens de proposer toujours la même chose…
Si tu fais toujours la même chose, il n’y a plus de surprise, donc il n’y a plus de WTF?! ! (Rires)
Voilà, exactement. Après je parlais de Séki, mon voisin de classe : là aussi, ça se passe plutôt très bien !
Ah ?
Oui oui, et ça fait super plaisir car c’est un titre que nous voulions faire depuis longtemps. Guy Delcourt avait préféré ne pas se lancer. Nous avons hésité à le faire en indépendant car quand des titres cartonnent à ce point au Japon mais que personne ne se positionne dessus, c’est aussi que tout le monde pense que c’est casse-gueule… Comme c’était un coup de cœur depuis longtemps on s’est lancé.
C’est un peu tôt pour analyser les ventes mais nous avons du réassort sans arrêt, plusieurs mois après le lancement en août, donc c’est bon signe. Je me méfie des retours après Noël mais habituellement lorsque ça ne se passe pas très bien, les retours sont assez rapides sur les tomes 2 et 3 et ça s’ajuste assez vite alors que, là, nous avons pu constater que la mise en place n’était pas suffisante et qu’on nous en demande davantage.
La réputation du titre monte aussi, comme on a pu le voir au Salon du Livre et de la Jeunesse à Montreuil…
Justement, quel accueil pour un titre comme ça sur le salon de Montreuil ?
Et bien sur ce salon c’est ma meilleure vente ! Avec les Pommes Miracles également, qui ne se vend pas très très bien mais qui cartonne sur des salons comme celui de Montreuil. Séki ça se vend tout seul : il y a des gens qui connaissent déjà, comme les documentalistes de CDI et l’ensemble du corps pédagogique, et il y a aussi des enfants qui connaissent déjà. En plus lorsque des parents voient des titres comme ça ils sont tout-de-suite rassurés et savent qu’ils peuvent l’acheter pour leurs enfants sans souci.
Donc voilà, le tome 1 est juste au-dessus de 5 000 exemplaires vendus depuis seulement fin août, ce qui est un bon début très encourageant.
Après il y a le fond qui tourne, comme Magical Girl of the End qui fonctionne bien et se vend tous les mois. Il y a aussi Daisy qui se vend toujours !
Et pourtant quand un manga n’a plus d’actualité (le second et dernier tome de Daisy est sorti en juillet 2014) c’est toujours difficile de le faire durer…
Je pense qu’on est sur des profils qui sont très proches de titres que nous avions chez Delcourt comme Global Garden. Cette série ne faisait que 8 tomes et nous en avons vendus pendant des années et des années. Ces titres bénéficient d’une aura particulière. Tous les mois je passe quasiment autant de Daisy que de Magical Girl of the End tome 1.
C’est vraiment pas mal en effet. Après, il faut dire que le nucléaire est toujours un sujet d’actualité…
Je pense que nous sommes aussi bien identifiés dans des milieux… je n’aime pas dire écolo et militant, donc disons dans des milieux alternatifs. Nous faisons vivre autant la ligne éditoriale alternative que notre ligne éditoriale shôjo donc la combinaison des deux donne une aura particulière qui fait que ce livre a marqué les esprits et continue de trouver sa place en librairie.
C’est aussi assez rationnel pour les libraires, qui n’ont pas forcément beaucoup de place, d’avoir une série qualitative et finie en 2 tomes. On a un très bon soutien des libraires spécialisés où l’on fait une grande partie de notre chiffre d’affaire et c’est aussi grâce à eux qu’un titre comme Daisy continue de trouver son public.
Enfin, les problématiques vont rester cruellement d’actualité pendant des décennies entières et au fur et à mesure on peut espérer que la conscience collective va s’ouvrir pour aborder ces sujets qui vont au delà du nucléaire pour savoir comment on fait pour construire l’avenir.
Autre type de titre : Prisonnier Riku. Quel bilan, pour le moment, pour ce shônen pas comme les autres ?
En ce qui concerne « Prisonnier Riku », la série s’en sort tout à fait honorablement. Et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance ! En fait, c’est assez typique de ce genre de manga : une fois que le lectorat a accroché, il est fidèle de manière irréprochable. Dans ce genre de situation, c’est vraiment la qualité du titre, qui sait passionner sur la longueur, qui garantit cet intérêt constant. Du coup, malgré la longueur, une fois le lectorat « stabilisé », les mises en place ne diminuent jamais. Et après, vu la réputation du titre, on recrute lentement mais sûrement, des nouveaux lecteurs en permanence.
A ce sujet, je tiens à remercier pas mal de libraires, car je sais qu’ils défendent beaucoup le titre, qu’ils n’hésitent pas à le mettre dans les mains des clients « frileux ». Ca compte énormément pour ce genre de manga, et ça rend ce genre de projet viable (en tout cas, ça ne nous met pas « en danger » financièrement). Bref, concrètement, si on exclut les ventes salons (je ne les ai pas ici), le tome 1 est juste au dessus des 5000 exemplaires. Le reste moins, c’est mathématiques, mais en gros, on est stable vers les 2000 exemplaires. Tant que ça ne descend pas plus bas, tout va bien. Surtout si de nouveaux curieux se rajoutent sur les premiers tomes chaque mois… Comme on dit : « petit à petit, l’oiseau fait son nid ».
Ensuite, dans une interview qui date de Japan Expo 2015, tu dis qu’être dans les tops ventes n’est pas dans vos priorités mais que votre but est d’être à l’équilibre, voire un peu plus qu’à l’équilibre, pour pouvoir tenter des paris et des coups de cœur comme on l’évoquait plus haut…
C’est-à-dire qu’être dans les tops ventes ce n’est pas un but en soi, mais il faut quand même que l’entreprise tourne. Ce que je voulais surtout dire, c’est que la rentabilité d’un livre ne se regarde pas simplement à travers ces tops ventes. Des livres comme Daisy ou Ladyboy le confirment justement, car ils se vendent tous les mois et ils font que tu gagnes de l’argent. C’est aussi pour ça qu’analyser un marché sur ces tops ventes est un piège.
Alors, justement, en terme de chiffre d’affaire global, sur vos deux premières années en indépendant, est-ce que vos résultats collent aux objectifs que vous vous étiez fixés ?
Ah, c’est une bonne question ! Mais je ne sais pas si on s’était vraiment fixé des objectifs chiffrés en fait. (Rires) Tout ça a été fait de manière un peu…
Artisanale ?
A la Akata, disons. Nous avons vu intuitivement comment se portait le marché, on voit ce qui arrive au Japon et ce qui sort en France, nous avons une certaine expérience et nous n’avons pas fait ça comme des idiots, même en avançant à tâtons. Donc nous nous sommes lancés sans forcément formuler des objectifs précis mais le but était de faire des bouquins bien et d’en vivre un minimum.
Après si on veut parler chiffres – ce n’est pas forcément représentatif mais les gens aiment bien ça – nous sommes à + 224% à fin octobre, mais on a sorti beaucoup plus de titres en 2015 aussi, donc c’est à prendre avec des pincettes.
L’engagement, l’auteur et l’éditeur
Si on s’intéresse à la composition de votre catalogue maintenant, dans une interview au média Musique de Chambre (un nom étonnant d’ailleurs !), tu définis le catalogue Akata de la manière suivante : des titres engagés, des titres que vous aimez bien, des titres avec des idées fortes…
En ce qui concerne les titres engagés, on pourrait dire qu’ils vont à l’inverse d’une image lisse de la population japonaise…
Je ne suis pas du tout d’accord avec ça ! Qui a une image lisse du Japon ? Je n’en ai jamais eu. Si on regarde le cinéma qui nous arrive en Europe, c’est surtout l’indépendant : il a rarement été lisse. C’est plutôt un cinéma « auteurisant », ce que l’on peut regretter, d’ailleurs, car il y a aussi du cinéma grand public avec un vrai fond social. Mais, je ne pense pas que, même dans l’imaginaire collectif, les gens ont une image lisse du Japon, car on l’a toujours connu comme un pays qui ose faire un peu tout et n’importe quoi.
Après, ce n’est pas systématiquement de la revendication sociale mais, dans l’esprit d’une certaine culture européenne, le Japon n’est pas forcément très « propre ». Dans l’éditorial japonais, il y a toujours eu une liberté de ton et de sujets dans le manga.
Alors pour préciser un peu ce que j’entends par ce cliché, il n’est pas vraiment sur le Japon mais plutôt sur ce désir du consensus, de ne pas faire de vague dans la société qui ne semble pas forcément en ligne avec ces œuvres engagés…
Mais il faut justement faire la différence entre ce qu’est la société et comment elle en gère l’expression artistique. Dans la société japonaise il y a faire des vagues et faire des vagues. Il ne faut pas oublier que dans l’histoire du Japon il y a quand même eu des grands moments de révolte aussi. D’ailleurs c’est évoqué…
Dans Unlucky Young Men ?
Dans Unlucky effectivement et prochainement dans Mishima Boys. Donc dire que la société japonaise ne veut pas faire de vague ce n’est qu’une vision partielle à un moment donné de son histoire qu’il ne faut pas généraliser à mon avis.
Et d’ailleurs quand vous publiez Mishima Boys, Daisy ou d’autres, est-ce qu’il y a un message que vous voulez faire passer au lecteur français sur la société japonaise ?
Ce n’est pas un message sur la société japonaise, c’est un message global sur le monde et sur la société française car nous sommes dans des sociétés modernes qui ont toutes les mêmes problématiques.
Moi il n’y a rien qui m’horripile plus que quand je lis des chroniques qui disent : « avec ce livre on comprend mieux la société japonaise, c’est comme ci, c’est comme ça ». Non !!! Il faut regarder et transposer à ce que ça donne dans notre société. Si on prend un bouquin comme Silent Voice on lit partout « ah ! Ijime au Japon ! Ijime au Japon ! », mais on a pareil en France et ça s’appelle le harcèlement, qu’il soit scolaire ou au travail. Et on n’est vraiment pas mieux en France ! En tant qu’élu municipal qui gère l’école de mon village, je peux vous assurer que j’en entends des vertes et des pas mûres sur le harcèlement à l’école. Partout. Seulement les Japonais ont, eux, la force d’en parler et ces mangas sont des vecteurs pour parler de l’être humain de manière générale.
Comment dénichez-vous ces titres, dans quel genre de magazines sont-ils publiés ?
Au même endroit que les autres en fait. Tous ces titres sont eux aussi publiés dans des grands magazines. Daisy a été publié dans Dessert de Kodansha, qui fait Say I Love You par exemple. C’est du manga mainstream, c’est aussi ça la force du Japon : c’est de faire de ces sujets de l’entertainment grand public. Colère Nucléaire est dans le magazine de Thermae Romae donc c’est aussi du mainstream… Encore que les notions de mainstream et d’indépendant existent au Japon mais de manière tellement plus complexe que chez nous, tellement moins dichotomique. Chez nous, c’est noir ou c’est blanc et là-bas t’as toutes les nuances de gris… et pas de Grey d’ailleurs (Rires).
Est-ce que l’engagement de ces auteurs les rend populaires au Japon ? Est-ce que l’on peut comparer cet engagement à celui de nos auteurs de BD Franco-belge qui sont connus pour ça chez nous ?
Ça dépend des auteurs, c’est assez différent…
Ça dépend des personnes ?
Oui voilà. Cela dit les auteurs japonais ont toujours beaucoup de modestie, c’est donc très difficile de tirer le vrai du faux, entre ce qu’ils pensent et ce qui est exprimé dans leur manga. Ils ne vont pas se mettre en avant et parler de leur ressenti. Au final nous sommes rarement en contact avec eux, ça ne facilite pas la chose non plus.
Cela dit l’auteur de Colère Nucléaire a été très critiqué. Son bouquin est très brut de décoffrage et il avait besoin d’exprimer ça, de dire ce qu’il avait sur le cœur, peu importe la forme que ça prenait. Il y a eu des réactions assez virulentes à son encontre, même si d’autres ont été beaucoup plus bienveillantes.
Mais la plupart du temps, quand tu peux parler avec les auteurs, ils te disent qu’ils n’ont pas forcément l’impression de faire un manga engagé, pour eux ils parlent simplement de l’être humain. C’est comme cette histoire de mainstream / pas mainstream : chez nous il y a les gens très militants et engagés d’un côté et ceux qui s’en foutent de l’autre. Au Japon, c’est beaucoup plus graduel, on peut vouloir dire les choses sans forcément se dire 300% militant ou être contre tout sans arrêt. Il y a cette grosse différence…
Ce n’est pas parce qu’on dit quelque chose qu’on est dans l’opposition…
Voilà et on ne rentre peut-être pas parfaitement dans des cases où l’on veut à tout prix nous enfermer.
En ce qui concerne la liberté d’expression de ces auteurs… Poison City tirait une sonnette d’alarme sur la censure au Japon. Est-ce qu’il y a de quoi être inquiet pour la liberté d’expression au Japon selon toi ?
Disons que dans une société moderne capitaliste où les médias sont contrôlés et au service des politiques et des grands groupes, il y a toujours un risque. Simplement aujourd’hui il y a plein d’outils d’information, il n’y a pas qu’un seul éditeur au Japon, il y en a plusieurs, des gros comme des petits. Le risque existe, mais la censure totale je n’y crois pas. C’est bien qu’il y ait des bouquins comme Poison City mais on n’en est pas là.
J’ai un très bon exemple, c’est Nana. Très clairement Ai Yazawa ne voulait pas continuer la série aussi longtemps, mais elle l’a fait. Or, à un moment dans le manga, Nana Ozaki a un monologue intérieur : elle voulait faire plutôt du punk et du grunge mais comme son groupe de musique cartonne, elle fait de la pop… Et ça la fait chier. Mais elle se dit, en substance, que puisque ça marche elle doit continuer dans cette voie, qu’elle n’a pas le choix. Elle se pose cette question à elle-même.
Très clairement, dans ce monologue, tu comprends qu’Ai Yazawa parle à travers son personnage : « ce n’est pas forcément ce que j’ai envie de faire mais je continue ». Et en lisant ça Shueisha et ses éditeurs comprennent bien ce qu’elle essaie de dire, ils ne sont pas bêtes. Mais ils décident de le laisser comme ça parce qu’ils ont l’intelligence de laisser leurs auteurs s’exprimer.
Après il y a des sujets tabous, comme l’Empereur. Mais nous sommes dans un monde où, si l’auteur a une vision plus internationale, il peut très bien être publié ailleurs. C’est ce qu’a fait Eiji Otsuka : Mishima Boys ne trouvait pas d’éditeur au Japon, c’était trop compliqué. Il nous a trouvé nous et il a pu repartir au Japon et dire « bon j’ai un éditeur en France » et ça a débloqué la situation.
Donc, voilà, il y a des risques et des tabous, mais il y aussi des éditeurs suffisamment intelligents pour laisser s’exprimer des auteurs et il existe toujours des solutions diverses pour que la création continue de se faire.
Shôjo : un secteur vaste… et complexe
Passons ensuite aux titres que vous aimez. S’il y a bien un secteur auquel vous êtes historiquement lié c’est celui du shôjo. Il a beaucoup souffert ces dernières années mais on entend à droite et à gauche que le rebond des ventes depuis fin 2014 s’accompagne d’une meilleure forme de ce secteur. En dehors d’orange, déjà évoqué, est-ce que c’est quelque chose que tu as globalement constaté ?
Humm… C’est compliqué. D’abord il faut savoir que les ventes de shôjo mangas ne sont pas des ventes immédiates, car il y a beaucoup de fond. Je l’ai toujours constaté même à l’époque de chez Delcourt : il y a des bouquins qui vont démarrer doucement, qui mettent plus de temps à s’installer et puis ils montent, ils montent et se vendent longtemps. Au final ça peut donc être ultra-rentable. Il y a pas mal de shôjos comme chez Kana avec l’auteur de Blue Spring Ride qui trouvent vraiment un grand écho, mais il y a aussi beaucoup de flops.
Il y a des titres qui se vendent bien, chez Soleil aussi notamment, mais parmi ces titres dont on dit qu’ils se « vendent bien », il y en a beaucoup pour lesquels les ventes ne sont objectivement pas terribles. On dit qu’ils se vendent bien car il y en beaucoup qui sortent et que, comparativement, on peut dire que certains s’en sortent bien, forcément. Par exemple sur Double Je, je suis déçu par les ventes. C’était à nouveau un coup de poker car on ne partait pas sur un shôjo romance classique mais sur un shôjo polar qui réfléchit sur le système judiciaire, c’est un peu particulier, à la Akata quoi ! (Rires)
Mais je ne suis pas inquiet pour autant pour le shôjo manga : comme je le disais plus haut, notre départ de chez Delcourt a fait un trou, qui n’est pas encore comblé, parce que les gens ne savent pas le faire forcément comme nous – encore que chez Kana il y a une ligne éditoriale plus proche.
Quand tu dis « le faire comme nous », c’est parce qu’il faut une certaine expérience pour faire du shôjo manga, pour bien choisir les titres ?
Ce n’est pas une question d’expérience ou de choisir les titres. C’est facile de faire de l’argent avec du shôjo manga. Simplement je n’ai pas envie de publier n’importe quoi. Ce qui est plus difficile c’est de savoir imposer des titres qui sont en peu différents.
L’époque de Delcourt a connu des très belles années avec des rafales de titres comme Otomen, Comme elles, Lollipop, … tout ça s’est très bien vendu et les titres avaient un vrai fond. Après je ne suis pas non plus inquiet pour l’année prochaine. En shôjo manga on va tirer notre épingle du jeu. J’en suis sûr à 300 % (Rires)
Ah, et quand est-ce que vous annoncez ce titre exceptionnel ?
Demain j’espère ! Si Shueisha répond, enfin.
On suivra ça alors, de près ! Après le shôjo, si on en vient maintenant au josei…
Alors d’abord le josei ça n’existe pas. J’avais fait un article dessus dans le magazine Manga 10 000 images (ci-contre ndlr) : le mot tel qu’il est utilisé dans pas mal de pays, c’est une appropriation des lecteurs étrangers qui l’ont un peu fantasmé. Les éditeurs japonais n’ont pas de chartes très claires à ce sujet : il y a juste du manga pour les filles et le reste on s’en fout un peu. Il y a des tranches d’âges mais ce n’est pas clairement défini.
On en revient à ce que voulait dire tout à l’heure alors, on veut mettre une étiquette sur quelque chose.
Exactement. Mais le josei n’existe pas, enfin pas tel quel. Même les éditeurs japonais ne l’utilisent pas tous de la même manière voir même de manière fluctuante au fur et à mesure du temps et des années, quand ils font des mises à jour sur leur site par exemple…
Ah carrément ?
J’ai un bon exemple, je vais prendre ma tablette et je vais aller sur l’e-shop de la partie e-book et je vais aller dans la partie manga et josei… Et on va rigoler ! (Rires)
Bruno s’exécute et constate…
Alors qu’est-ce qu’il y a de dans les nouveautés josei ? Il y a un shônen manga, Koi to Uso, dans du josei… Déjà on est mal barré. On voit Blue Spring Ride aussi, et puis même Hare Kon qui est un seinen manga plutôt « coquin » dirons-nous. Donc voilà ce terme ne veut rien dire au final !
Alors, reformulons : en ce qui concerne le shôjo dont les héroïnes sont plus adultes. Il y a plusieurs essais, que ce soit par vous à de nombreuses reprises ou récemment chez Komikku, mais le résultat est souvent décevant…
Si on appelle pseudo-josei les mangas issus de 2-3 catalogues japonais dans un format bien précis (toujours les mêmes) avec une femme adulte, ça marche très peu, mais chez Soleil il y a plein de titres où les héroïnes sont adultes, des titres venant plutôt de Shôgakukan, et je pense que certains trouvent leur public, même s’il faudrait demander à Iker (Iker Bilbao, directeur éditorial de Soleil Manga, NDLR) pour en être sûr.
C’est vrai que chez Delcourt ça a été difficile, même si on a trouvé un bel écho pour Un drôle de père, qui continue à se vendre aujourd’hui.
Avant que le seinen ne se vende bien en France on a beaucoup entendu dire que le public masculin quittait le manga en grandissant. Est-ce que tu penses que le public féminin, qui est arrivé avec l’explosion du shôjo dans les années 2000, s’éloigne lui aussi de ce format en grandissant ?
Il y a aujourd’hui une diversité de l’offre culturelle adaptée au public féminin – sans être sexiste – qui s’est beaucoup élargie. Il y a des personnages féminins beaucoup plus forts, avec une vraie épaisseur, qui éclosent, que ce soit au cinéma, dans les séries télé, dans des œuvres qui sont fondamentalement mixtes. Du coup le public féminin arrive à se retrouver dans des titres de tous les genres, dans le manga comme ailleurs, et pas seulement dans une catégorie donnée.
En plus, du fait de quelques difficultés sur ce secteur à une certaine époque, il n’y a pas forcément eu beaucoup de propositions, donc comme les lectrices n’ont pas envie de lire toujours la même histoire et que la surproduction culturelle leur donne beaucoup de choix, elles se tournent vers d’autres choses. Après c’est toujours difficile à analyser et il faut se méfier des généralités mais je pense qu’on peut l’expliquer en partie ainsi.
C’est vrai que c’est difficile… Tiens puisque l’on parle de la mixité d’œuvre mature : quel est le public de Dans l’intimité de Marie par exemple ?
Euh je ne sais pas encore très bien à vrai dire… (Rires)
Je pense qu’on a beaucoup d’adolescentes. Cela dit j’aimerais bien qu’il y ait plus de mec qui le lise, ça les ferait réfléchir un peu.
Je sais que j’ai eu du mal à me faire un avis sur ce titre. Je me souviens que sur le tome 3 je me suis demandé pourquoi l’auteur avait voulu faire une double page sur les règles d’une fille vue par le héros…
Je pense que l’auteur est très intelligent et qu’il a une sensibilité très mixte, qu’il n’hésite pas à regarder le fond de l’âme humaine. Il a bien compris que, dans les sociétés modernes, c’est compliqué d’être une fille.
Il ne faut pas oublier qu’il montre ça dans un magazine seinen à coté de Ladyboys vs Yakuzas et de Zéro pour l’éternité et la réaction est d’ailleurs assez amusante à regarder. Beaucoup de mecs n’aiment pas parler des règles par exemple. Cela dit même quelques filles ont aussi été un peu choquées en France, parce que la société leur a mis dans la tête que c’était sale et qu’elles culpabilisent. D’autres ont dépassé ça et elles peuvent rentrer dans le tas dans les débats parce que ça les saoule que certains en soient encore là. C’est pour ça que je pense que ce manga est décomplexant et que ça fait du bien.
L’acquisition des licences : un titre, une histoire…
Est-ce que votre départ de Delcourt a changé grand-chose dans votre rapport avec les éditeurs japonais ?
Oui et non. Là par exemple on va manifestement travailler avec Shueisha. Après, lorsque nous sommes en concurrence avec plusieurs éditeurs sur un titre, on a tendance à l’avoir moins souvent qu’avant… Delcourt pouvait sortir plus d’argent, d’une part, et certains éditeurs japonais peuvent se demander si Akata, maintenant qu’il est indépendant, sera encore là dans 5 ou 10 ans. On n’est pas inquiets, nous, mais eux peuvent l’être.
Paradoxalement, je pense que ça a renforcé nos rapports. D’abord on a eu beaucoup de soutien de la part de certains éditeurs japonais qui nous ont rapidement encouragés et nous ont exprimés leur confiance. Nous avons rapidement pu avoir leurs titres à notre catalogue.
De plus, à l’époque de Delcourt, lorsque nous parlions aux Japonais, nous représentions deux entreprises donc on devait toujours mettre des pincettes, dire que « ça c’est notre point de vue, mais on ne connait pas encore celui de notre partenaire ». Cela dit, ça ne nous a jamais empêché d’être francs avec eux, contrairement à d’autres on n’a jamais eu besoin de faire des courbettes hypocrites, et lorsque nous n’étions pas contents on l’a toujours dit.
En résumé, c’est plus compliqué sur les titres où nous sommes en compétition mais en tant qu’indépendant, c’est désormais plus facile puisqu’on peut s’exprimer plus directement et ça a renforcé nos rapports avec eux (en réalité, je parle surtout pour moi, car Dominique les connaît depuis tellement longtemps…).
Ceci étant, on ne travaille pas encore avec Hakusensha (Fruits Basket, Berserk, Suicide Island, Le pacte des Yokai, etc. NDLR)… Et là je ne suis pas content d’eux et je leur ai dit plusieurs fois. J’estime que ce n’est pas normal car nous avons été ceux qui ont le mieux défendu leur catalogue et aujourd’hui il n’y a personne de meilleur que moi pour défendre leurs titres, je n’ai pas peur de le dire… et de leur dire !
Quels sont leurs titres qui auraient eu leur place dans le catalogue Akata selon toi ?
Typiquement, Telle que tu es. J’ai été le premier, tout de suite, à en parler à Hakusensha ! On a été les premiers à faire une offre… Kana l’a eu, malgré des résultats pas si brillants en shôjo mangas ces derniers temps. C’est pas très logique, mais bon… J’espère sincèrement qu’il trouvera son public, mais je pense que ça mérite un travail très spécifique et revendiqué. Sinon, La nouvelle vie de Nina, par exemple. Mais on ne voulait pas faire d’autres offres à Hakusensha tant qu’on n’avait pas de réponse pour Telle que tu es et ils ont mis un temps monstrueux à se décider. Du coup, on n’a fait aucune autre offre depuis très longtemps. Il n’empêche qu’à l’heure actuelle, leur catalogue est encore complètement sous exploité, mais évidemment, je n’en dirais pas plus…
Comment justifient-ils leur refus ?
Ils ont toujours refusé de travailler avec de nouveaux éditeurs. Ce n’est pas spécialement lié à nous, c’est une politique générale d’entreprise. Je ne le prends donc pas personnellement mais je ne suis pas content quand même. Je ne vais pas laisser tomber, mais continuer car je suis persuadé que pour bien travailler leur catalogue il faut une vraie vision éditoriale derrière.
Les derniers titres de cet éditeur qui sont sortis en France sont loin de faire des étincelles. Quand on dit que ces derniers temps, il y a des shôjo mangas qui se vendent un peu mieux en France, c’est tout le contraire pour eux ! Ils sont au ras des pâquerettes en ce moment, parce que je pense qu’ils ont mal été défendus. Mais je ne lâcherai pas l’affaire de toute façon. J’y arriverai un jour.
« Un jour je l’aurai ! » comme dit la pub (Rires)
Voilà. Je suis jeune, j’ai du temps !
Puisque l’on parle d’acquisition de titres, comment Magical Girl of the End est arrivé entre vos mains ?
En fait… (Rires) En fait j’adore les Magical Girls, donc j’avais repéré le bouquin mais je n’avais jamais osé le commander. Je me disais que si je commandais ça, on m’enverrait directement bouler du genre : « Bruno tu nous fais chier avec tes trucs futiles » donc je me suis dit que ce n’était même pas la peine. Et il se trouve qu’un jour Dominique (Dominique Véret, le fondateur d’Akata, NDLR) ramène le titre du Japon. Mais il ramène le tome 2, car il avait flashé sur la couverture. Avec Nagy, on a donc sauté dessus et on a kiffé tout de suite car ça parle bien à notre génération. Sur les deux premiers tomes on a bien trippé mais c’est sur le tome 3 qu’on s’est dit « allez, on y va ! ».
Le tome 3 avec la fameuse révélation…
Oui, il révélait qu’il y avait vraiment un scénario. Comme on avait déjà un bon feeling on a fait une demande et ça a marché, et tant mieux parce que l’auteur est ouf et qu’il a une vraie vision pour son titre. Dans le dernier chapitre au Japon on voit qu’il est vraiment très fort !
Sur le même sujet… tu disais dans une interview à Gemini que chaque acquisition de vos titres a une histoire unique en fait. Est-ce qu’il y en a une qui t’a particulièrement marquée ?
Ouaaaah, c’est comme demander à un parent s’il a un enfant qu’il préfère, là ! (Rires)
C’est toujours des souvenirs… Il y en a qui sont plus classiques, plus standards, d’autres où tu luttes davantage. Magical Girl était un bon exemple mais Ladyboy c’est un peu pareil : j’avais repéré le bouquin mais je n’osais pas le commander, on n’avait pas encore créé la collection WTF ?!. Je me disais « ils vont me traiter de fou ».
Ça a tout changé quand on a créé la collection WTF ?! en fait.
Ça a été un déclencheur…
Ça a tout changé même en interne, dans le choix d’un certain type de livres. On s’auto-censurait parfois, on se disait que ce n’était même pas la peine d’essayer. Ladyboy je n’étais pas sûr que ça soit dans la vision Akata du manga. Avec la collection WTF ?!, ça devenait évident, il avait sa place.
On s’est redéfini en tant qu’individu et en tant que groupe, ça a mis une alchimie différente entre nous, qui n’est pas toujours évident à gérer.
Et donc la collection WTF?! se créé mais je n’avais pas encore commandé Ladyboy, même s’il était inscrit dans mes favoris de mon navigateur… Jusqu’au jour du rendez-vous à Francfort avec Futabasha. La responsable des droits avec qui je m’entends très bien me montre plein de livres. Il n’y avait pas grand-chose qui me plaisait mais je vois derrière qu’elle avait amené Ladyboy mais qu’elle ne le montrait à personne. Du coup je lui dis que je veux lire le bouquin qu’elle avait posé là-bas – je voulais le voir quoi ! – et après m’avoir demandé si j’étais bien sûr « parce que ça parle de viol quand même », elle me le file et je lis ça dans le train… Dans le train plein de business men qui reviennent de Francfort. Donc, ça aussi c’était assez drôle comme moment, certains me regardaient d’un œil chelou ! (Rires)
Ensuite je l’ai montré en interne sans souci parce que je savais qu’il avait sa place dans la collection WTF ?!
Après, pour revenir à ta question, c’est vrai que si je devais en donner un qui me tient particulièrement à cœur… Il y a notre futur best-seller de 2016 de chez Shueisha, que j’ai vraiment hâte d’annoncer. J’ai tellement envie que les gens le lisent !
Le temps qu’on publie l’interview ça aura été annoncé…
Oui, je peux te le dire de toute façon : c’est le nouveau titre de l’auteure de Switch Girl !! : Ugly Princess. Donc qui ne sera pas chez Delcourt. Au-delà de la réputation de l’auteure qui n’est plus à faire et qui garantit des ventes minimums, ce titre est complètement à contre-courant de ce qui se fait en ce moment, y compris au Japon. C’est une véritable bouffée d’air frais qui, tout comme Switch Girl !!, parle de la pression sociale des apparences.
C’est le genre de bouquin précieux qui peut sauver des vies. En tout cas, après avoir fini son best-seller, Natsumi AIDA s’est longuement demandé ce qu’elle devait dessiner ensuite. Sa conclusion , c’est qu’elle voulait dessiner une œuvre « que seule elle pourrait dessiner ». En fait, elle s’inspire beaucoup de sa jeunesse, dans Ugly Princess. D’une certaine manière, lire ce manga, c’est aussi une manière de la connaître la femme qui est derrière Switch Girl !!.
Question peut-être bête mais, pour ce titre… La bataille a dû être féroce, non ?
La bataille a été féroce en effet…
Même si tu n’es pas l’éditeur japonais, qu’est-ce qui, selon toi, a fait la différence ?
Il y a eu une rencontre humaine, quand Natsumi Aida est venue à Japan Expo en 2012 et…
Bruno Pham poursuit, visiblement ému…
Parfois, il y a des gens qui expriment de la reconnaissance.
Et d’après ce que j’ai pu comprendre, on a aligné plus d’argent sur la table, même si entre les ragots et la réalité il y a toujours une différence. De toute façon, ça ne fait pas tout. Natsumi Aida savait que j’avais toujours été derrière Switch Girl !!, que c’est moi qui l’ai ramené en interne. J’ai déjà dû gueuler pour avoir Switch Girl !!, en fait, car au départ ce n’était pas nous qui l’avions, ce n’était pas chez Delcourt. Je n’étais vraiment pas content à l’époque, et je l’ai fait savoir à Shueisha. Du coup, ils ont dit à l’éditeur qui était parti pour l’avoir – le contrat n’était pas encore signé avec ce dernier – qu’ils mettaient tout en stand-by.
Quelques mois plus tard on avait Switch Girl !!. Je reste persuadé que ce titre n’aurait pas forcément trouvé le même écho si ce n’était pas nous qui l’avions publié. On avait tout de même une forte réputation à l’époque. Du coup, on avait autant l’image de marque, que la confiance de tous les professionnels. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que personne n’y croyait autant que nous (même si c’était en même temps l’angoisse de balancer en librairie un bouquin avec une héroïne qui se gratte les fesses !! C’était… tellement à contre courant ! Comme Ugly Princess aujourd’hui.)
Ce que j’ai appris c’est qu’ils avaient parlé de moi à Natsumi Aida à ce moment là et qu’elle a dit : « ben on le donne à lui ! S’il kiffe mon bouquin à ce point-là, j’ai envie que ce soit lui ! »
Ça, je l’ai su quand elle est venue à Japan Expo.
Au final, Shueisha ne nous a jamais dit pourquoi on avait eu Ugly Princess, donc ça reste des suppositions bien entendu. Mais de ce qu’ils nous ont dit, ils ont aussi vu qu’on y croyait vraiment à fond, avec un plan promo assez conséquent. Donc il y a ces trois choses, principalement.
Ce n’est pas la première fois que je l’entends ça, chez un éditeur : « on l’a eu car ils ont senti qu’on était prêt à vraiment s’investir à fond »
Ça dépend des éditeurs mais je suis assez persuadé que Shueisha a vu qu’on le défendrait mieux. Après, ils ont aussi vu nos résultats sur des livres comme orange, donc ça a forcément pesé dans la balance : ce sont des gens pragmatiques et ils ont raison de l’être.
Bruno Pham : le portrait en manga
Comme toute première interview avec un éditeur, on passe maintenant à quelques questions pour essayer de te découvrir davantage… On commence avec ton premier souvenir de manga !
Oh là ! Euh… Ce serait bien Vidéo Girl Ai, chez mon cousin, je ne suis pas sûr. En plus je ne l’ai pas lu tout de suite car d’abord ça ne m’attirait pas, et puis j’étais en famille alors je n’étais pas là pour lire des mangas. Mais je l’ai lu plus tard et j’ai beaucoup apprécié.
Quel est ton premier souvenir marquant alors ?
Dans ce cas c’est la publication de Sailor Moon. J’étais content de découvrir enfin la version papier de la série… J’avais vu Akira, Appleseed et ce genre de titres mais ça ne m’attirait pas tant que ça, et je n’avais pas l’âge pour les lire de toute façon.
Seconde question : quel est le manga qui a suscité la plus grande émotion chez toi ?
Subaru… ou peut-être, quand même, ce que fait Natsumi Aida dans Ugly Princess. Le tome 4 c’est une bonne claque dans la gueule. Après il y a orange et… pfff en fait y en a plein ! (Rires)
Donc voilà je dirais d’abord Subaru, le tome 1, et Ugly Princess tome 4. J’étais fébrile quand je lisais les chapitres dans le magazine ! Une claque dans la figure !
Troisième question : le manga que tu donnerais à lire à ton pire ennemi ?
(Rires)
Alors attend, il faut que je trouve le titre… L’amour à tout prix, peut-être. C’était chez SeeBD je pense, chez Akiko.
Et pourquoi celui-là ?
Parce que… C’est un puits sans fond de nullité et de crétinerie humaine ! C’est le genre de livre qui rend bête. Je ne devrais pas dire ça, car c’est une auteure qui est connue et qui a une certaine carrière, mais je ne sais pas comment on peut créer des personnages aussi clichés, aussi creux, et faire un truc qui montre à ce point le pire de l’être humain.
C’est le genre de titre que je vomis. Après je me force à lire des choses qui ne sont pas pour moi, de ne pas prendre un titre ou une catégorie de titres de haut, il faut toujours aller au-delà de ses proches clichés. Mais ce genre de livre, ça me fait souvent de la peine, profondément, en tant qu’être humain…
Question 4 : Le manga pour mieux comprendre Bruno Pham ?
Dans ce cas là il faut regarder Utena… L’anime.
Pour les messages passés, pour les valeurs défendues ?
Pour tout. Il y a tout dans Utena.
Question 5 : Le blockbuster sur lequel tu n’as jamais accroché ? Il y en quelques uns je suppose…
Lequel ? Il y en a trop ! (Rires)
On va dire Bleach. Je n’a jamais compris… Mais comme il n’y avait pas grand-chose à lire quand c’est sorti en France, je lisais tout, même ce que je n’aimais pas vraiment. Le grand paradoxe c’est que j’avais vraiment envie d’aimer Bleach car je kiffais totalement les couvertures, je me suis forcé à le lire pendant plein de tomes parce que j’avais juste envie de l’aimer, cette série. Mais je n’ai jamais réussi.
Question 6 : un flop injuste en manga…
Y en a trop ! (Rires)
Je vais rester parmi les titres que j’ai sortis : Mitsuko Attitude, Parapal, Simple comme l’amour… Il y en a vraiment trop. Mais si je ne devais en citer qu’un je resterais sur Simple comme l’amour. Sur celui là je ne suis pas content après les gens qui n’ont pas fait leur boulot, mais en l’occurrence je ne parle pas de Delcourt mais de la presse culturelle et des pseudos experts de la BD. Quand il y a une auteure comme Fusako KURAMOCHI qui arrive en France ce n’est pas normal que tout le monde passe à côté, qu’ils ne comprennent pas que c’est une des figures majeures de la bande dessinée mondiale.
Le manga est un média qui a peu de visibilité par rapport au nombre de gens qu’il touche, même si ça a évolué ces derniers années. Quel regard portes-tu sur le travail de la presse vis-à-vis du manga, qu’elle soit généraliste ou spécialisée d’ailleurs…
Je trouve que c’est toujours très insuffisant. Je dirais qu’il y a du mieux, clairement, et il serait mal venu de me plaindre parce qu’on a du soutien, comme Colère Nucléaire qui est sélectionné par France Info. On a eu des vrais échos dans la presse généraliste pour Daisy, pour les Pommes Miracles, même avec Seediq Bale on a eu des très beaux articles. Nous avons du soutien de la part de certains journalistes, donc il y a du mieux. Après ça ne s’est pas fait tout seul, Dominique travaille énormément dessus, ce n’est pas facile.
Mais pour moi c’est encore insuffisant, parce que la presse reste dans un spectre trop franco-français et que des titres ne se font remarquer que lorsqu’ils parlent de tout sauf du Japon. Tu prends Bride Stories ou Arte récemment : ils montrent qu’on aime bien se regarder nous-mêmes et c’est très européen de toute façon. On a été foutre le bordel dans le Monde entier, que ce soit à travers le colonialisme ou ce genre de choses, et on refuse de voir notre responsabilité historique dans les maux du Monde d’aujourd’hui. La presse française exprime ça, dans les choix des mangas dont elle parle.
Quand un manga parle de nous et de notre histoire il trouve plus facilement sa place…
Ce qui est légitime. C’est normal. Mais ce qui me gêne c’est qu’on ne parle que de ça… C’est cet ethno-centrisme qui me dérange.
Question 7 : un titre que tu aurais aimé avoir dans ton catalogue ?
Le requiem du roi des roses…
(Titre de Aya Kanno, une auteure publiée au Japon chez Hakusensha découverte en France par Akata-Delcourt et dont les titres précédents étaient jusqu’ici publiés par eux, NDLR)
Je ne ferais pas plus de commentaires là-dessus…
Question 8 : Le prochain titre ou prochain tome que tu attends le plus, en tant que lecteur ?
Oh la la, difficile !
Là, j’ai eu ma dose il y a pas très longtemps donc c’est dur à dire ! (Rires)
C’était quoi cette dose ?
J’ai reçu mon colis avec plein de shôjo mangas de Shueisha dedans. Je suis un grand lecteur de leur shôjo !
Les shôjo de chez Shueisha ont quelque chose de particulier par rapport à ceux d’autres éditeurs japonais ?
De particulier je ne sais pas mais c’est sûr qu’ils ont de bons magazines. Après j’adore Hakusensha, j’aime bien quelques magazines de chez Kodansha… Mais ce n’est pas une question de savoir s’ils ont quelque chose de particulier, en fait, c’est juste savoir s’ils correspondent à mes goûts ou pas. Les shôjos manga de Shôgakukan correspondent peu à mes goûts sauf dans le magazine Flowers, qui signent tous les bides shôjos manga en France… Comme Seven Seeds ou plus récemment Les Deux Van Gogh, qui a été vendu comme un seinen d’ailleurs… no comment. Il y aurait un vrai sujet à faire là-dessus, tous ces shôjos mangas présentés comme des seinens ou des shônens…
Ça te dérange que la classification japonaise soit modifiée quand elle arrive en France ?
Si on utilise la classification japonaise on le fait bien, sinon on ne le fait pas. C’est pour ça qu’on n’a pas mis de classification japonaise sur la collection Akata… J’en ai marre de voir des titres qui, sous prétexte que ce n’est pas de la romance, sont retirés du shôjo. Le shôjo manga est le genre le plus riche au Japon donc pourquoi le modifier comme ça ? Ces changements sous-entendent beaucoup de choses sur ce qu’on pense être la production féminine et ça en dit long sur ce que certains éditeurs pensent sur les femmes.
En effet… Allez, pour en revenir à la question, quel est le prochain tome que tu attends ?
Je lis beaucoup de prépublication donc c’est plutôt des chapitres… Il y en a bien un mais je ne peux pas te donner le nom car j’attends le dernier tome avec impatience, mais il n’est pas sorti en France et je viens tout juste de récupérer le contrat !
(Rires) Effectivement ce serait délicat ! Mais on va rester sur ce titre mystérieux alors, ça mettra un peu de suspens !
Je vais le dire comme ça alors : j’attends beaucoup le tome 3 d’un shôjo manga qui se finit en trois tomes et que l’on devrait sortir au second semestre !
Un parfait teaser, merci !
Pour suivre l’actualité d’Akata, en savoir plus sur leurs titres ou lire les billets de Bruno Pham : direction le site internet de l’éditeur. Vous pouvez également les suivre sur Facebook ou Twitter. Enfin vous pouvez découvrir l’émission Shôjo Vorace sur You Tube, animée par Bruno Pham et dont le nom parle de lui-même. Voici le dernier numéro en date :
Remerciements à Bruno Pham pour ses réponses et son temps.
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Doki-Doki (mai 2012, janvier 2014)
Glénat (mars 2009 – décembre 2012, janvier 2015)
IMHO (avril 2012)
Isan Manga (mars 2013)
Kana (novembre 2012 – janvier 2014)
Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012 – décembre 2013)
Ki-oon (avril 2010 – avril 2011 – janvier 2012 – janvier 2013, avril 2014, février 2015)
Komikku (mai 2014)
Kurokawa (juin 2012, décembre 2013, novembre 2015)
nobi nobi ! (septembre 2013)
Ototo – Taifu (octobre 2012, novembre 2014)
Pika (avril 2013, décembre 2014)
Sakka ( juillet 2015)
Soleil Manga (mai 2013, mars 2015)
Tonkam (avril 2011)
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