D'après LE CONDAMNÉ À MORT (10 avril 1883)
Dans un moment de colère, un monégasque venait de tuer sa femme
À l'unanimité, la Cour Suprême de la Principauté le condamna à mort. Il ne restait plus qu'à exécuter le tueur. Par malheur, il n'y avait à Monaco ni guillotine ni bourreau.
Suivant l'avis du Secrétaire aux Affaires Étrangères, le Prince s'adressa au gouvernement français pour obtenir le coût d'une prestation de coupeur de têtes avec la location de son engin. Malgré de nombreuses relances, il dut attendre six mois pour obtenir le projet du contrat paraphé par le garde des Sceaux. Le transport de l'appareil à trancher et le déplacement d'un praticien compétent revenait à seize mille francs. Le Prince trouva ces conditions excessives. Alors, il questionna le roi d'Italie. Une monarchie amie devrait se montrer moins exigeante qu'une République, fût-elle décadente. L'Italie fournit un mémoire se montant à douze mille francs.
Le Prince refusa de puiser une telle somme dans les caisses de son État. Le cou de l'assassin ne vaut pas ça. Il le fera décapiter par un soldat monégasque et consulte le général, chef de sa petite armée, qui lui répondit :
-" Mes hommes ne sont pas habitués à manier la hache. Ne comptez pas sur moi pour demander à l'un d'eux de s'acquitter de cette tâche. "
Le Prince convoqua alors les magistrats de la ville et leur soumit son épineux cas de conscience. Ils délibérèrent et commuèrent la peine de mort en prison à perpétuité.
Mais la Principauté ne possédait pas de prison. Il fallut construire une maison de détention et nommer un geôlier pour garder le prisonnier.
Mais à la fin de l'année, le Prince estima que les débours liés à l'entretien de la prison et au salaire du gardien grevaient trop lourdement les Finances. Sa Majesté supprima la charge de geôlier. Mais, invité à se garder tout seul, le prisonnier ne manquerait pas de s'évader. Alors, on le fit rentrer chez lui. Chaque jour, le cuisinier du Palais lui apportait ses repas à domicile. Un jour, le maître-queux oublia sa mission. Le prisonnier s'en est plaint au majordome du Prince. Depuis cette date, il a déjeuné et diné avec les domestiques du Palais. Et comme il n'avait jamais découché, le Prince lui donna l'autorisation de sortir de la Principauté. Alors, le prisonnier lui répondit :
-" Altesse, votre faveur me fait vraiment plaisir mais que pourrais-je bien faire hors de nos frontières puisque je n'ai pas d'argent ? J'ai été condamné, vous ne m'avez pas exécuté. J'ai accepté. Vous m'avez ensuite imposé une peine à perpétuité. Quand vous l'avez supprimée, je n'ai rien dit. Aujourd'hui, vous voulez me chasser de la Principauté. Ah ! Mais non, Monseigneur, je suis votre prisonnier ! Je reste ici. "
Le Prince, fou de colère, lui remit six-cent francs et lui ordonna de vivre à l'étranger jusqu'à sa mort.