en mil neuf cent quatre-vingt-quatre
j'entamais avec fierté mon dec en arts plastiques
je me disais que si un jour je gagnais vingt-cinq mille
je serais riche
je sais c'était quand même beaucoup d'argent à cette époque
dans mon esprit de jeune fille
je ne savais pas ce qu'étaient les affaires
et je ne savais rien de la société
plus de trente ans plus tard
je circonvolutionne continuellement dans une galaxie
d'ambition de réussite sociale et d'affaires
de vouloir être quelqu'un
voilà c'est ça
je me compare toujours aux autres
je veux tout le temps être plus
tiens mon dada ces dernières années
c'est d'avoir un complexe d'infériorité face aux titres professionnels
j'ai travaillé dans le dernier mois avec une collègue
dont le nom est suivi des lettres llb cpa cga
ça m'impressionne beaucoup compte tenu des efforts requis
pour arriver à obtenir ça
dans un autre univers
c'est comme un boston finisher
et un kona finisher
insatisfaite de mon statut
je veux en tout temps
un nouveau titre une nouvelle job un nouveau projet
comme si le présent ne me suffisait pas
comme si je n'arrivais pas à livrer ce qu'il faut
maintenant à bien faire ce qui est requis
je n'ai pas le courage d'être parfaite maintenant
comme tout mon présent est une prévoyance du futur
je vis mon réer
je veux être une autre personne
décorée gradée graduée
et puis après encore
médecin pharmacienne comptable avocate ingénieure
je me sens toujours comme une imposture
je ne veux jamais y arriver
car j'ai la chienne d'y être
et comme la vie sait répondre à nos insécurités
je tombe sur cette chronique vendredi matin
m'inspirant à tout vendre ne plus dépenser
et prendre ma retraite à trente-cinq ans
comme la vie est simple
l'homme-chat qui est le plus sage d'entre nous
dirait
chérie il y a un entre-deux
donc hier soir
pour discuter de ça et de tout
on finit au petit alep
à manger des trucs aux pitas
en jasant d'écart-type de sinus cosinus et tangentes
c'est lui qui me l'explique
ce sont encore pour moi des concepts demeurés abstraits
depuis le secondaire cinq
à boire une bouteille de trousseau de la vigne louis pasteur
et à desserter sur une gelée à l'eau de rose
bref je n'ai toujours pas de titre professionnel
et je ne prendrai pas ma retraite à trente-cinq ans
je suis trop occupée à avoir du plaisir
et à essayer d'être plus
je cours après une chimère
pour ne pas affronter l'angoisse
je suis tout sauf zen
je suis en mouvement
mais un jour mes amis
je serai satisfaite de ce que je suis
j'aurai la discipline d'aller jusqu'au bout du présent
je me foutrai éperdument des affaires et de la société
je reviendrai à l'art
et je me fermerai la trappe
pour profiter de la vie
point.
(jouez la toune.)