L’avenir appartient à celui qui crie tôt. Pour réussir à tirer son épingle du jeu dans la jungle numérique qu’est YouTube, il sera nécessaire d’être fort en gueule, mal embouché, ou encore bête comme ses pieds. Et le pire dans tout ça? Vous aimez ça, et moi aussi.
Soyons sérieux : les bons sentiments sont ennuyants. Particulièrement sur Internet, où la capacité d’attention est constamment morcelée entre diverses sources d’information et de divertissement. Sans oublier Twitter, Facebook, les courriels, etc. Afin d’intéresser suffisamment de gens pour obtenir un revenu basé sur les clics et le nombre d’affichages, il s’agit généralement d’être concis et efficace. Ou de développer un style favorisant les abonnements et les visites répétées sur une chaîne YouTube.
Chez les YouTubeurs spécialisés en jeux vidéo – critiques, commentateurs et autres let’s players – un marché au bord de la saturation force les artisans à adopter des tactiques commerciales menant vers une uniformisation du contenu. Aujourd’hui, cette armée de joueurs aux allures de clones multiplie les vidéos où des individus se filment en mortaise tandis qu’ils déversent leur fiel contre de mauvais jeux ou s’époumonent à qui mieux mieux pour attirer les clics. Et ça marche.
41 millions de clients satisfaits
La preuve? Le champion incontesté de ce genre, PewDiePie, le Suédois Felix Kjellberg, déclarait déjà en 2013 des revenus de l’ordre de 4 millions de dollars US. Une part vient de YouTube, bien entendu, où le jeune homme compte désormais plus de 41 millions d’abonnés et dépasse les 10 milliards de clics, mais avec cette popularité vient surtout de lucratives ententes commerciales visant la vente de produits dérivés. Sur son site, Kjellberg offre entre autres un «Bro Fist» en mousse pour la modique somme de 24,99$ US (en rabais). PewDiePie est une marque, et c’est ce succès que recherche une bonne partie de sa concurrence sur YouTube.
Au-delà de tous ces défenseurs de la «vraie» création vidéo, il faut se rendre à l’évidence : chialer rapporte.
On peut certainement affirmer que Kjellberg ne fait qu’occuper un marché, mais plusieurs dénoncent cette culture du nivellement par le bas ou, à tout le moins, cette culture de l’hypocrisie. Le jeune homme va même jusqu’à trôner régulièrement en tête de palmarès portant sur «Les pires chaînes de jeu sur YouTube». Un autre YouTubeur, Dunkey, n’y est pas allé de main morte avec une vidéo de son cru où il place ses collègues et rivaux face à leurs contradictions. «Soyez originaux», plaide-t-on. Mais le gros de l’argent échoue dans l’escarcelle de ceux qui parlent fort, qui gesticulent et qui enterrent les autres.
YouTube lui-même est-il à blâmer? Après tout, plus les vidéos recueillent de clics, puis leur créateur fait sonner le tiroir-caisse. Ergo, il faut appeler au plus grand groupe de gens naviguant sur YouTube – les préadolescents immatures âgés de 10 à 12 ans, soutient un utilisateur du service Quora répondant à la question : «Y a-t-il des let’s players qui ne sont pas totalement emmerdants?»
Et pourtant, au-delà de tous ces appels à privilégier la qualité par rapport à la quantité, au-delà de tous ces défenseurs de la vraie création vidéo, il faut se rendre à l’évidence : chialer rapporte. Cette vérité est vieille comme le monde, et les chroniqueurs de tout poil ne se sont jamais gênés pour exploiter la colère et l’outrage à des fins lucratives. Cette façon de fonctionner s’est simplement transposée sur YouTube. De toute façon, qui aime une vie trop rangée, trop parfaite?
Les gens heureux n’ont pas d’histoire
Incidemment, qui aime les critiques élogieuses d’un jeu sans mauvais côté? La majorité des gens préfère plutôt les discours incendiaires et les massacres par écran interposé.
Frédéric Molas, alias le Joueur du Grenier (Photo : YouTube).
The Angry Video Game Nerd fut l’un des premiers à débroussailler ce marché, et les autres ont suivi : le Joueur du Grenier, ProJared, même les Game Grumps n’hésitent pas à saupoudrer leurs let’s plays de vulgarité ou de jurons bien sentis lorsqu’un jeu est trop difficile ou mal conçu. Idem pour Le Jeu, C’est Sérieux, où le personnage un peu grognon de Laurent LaSalle, rédacteur en chef de Branchez-vous, ajoute une certaine «couleur locale» à la chaîne.
Il ne faut toutefois pas croire que tous les YouTubeurs n’ont rien à dire au-delà de leur colère ou de leur frustration. Si par exemple Jim Sterling cultive la schadenfreude – le plaisir à voir les autres souffrir – de son public en remuant la vase nauséabonde formée par le fond du baril des jeux vidéo, ses commentaires sur l’industrie sont particulièrement pertinents. Combattre le feu par le feu, sans doute.
Qu’on le veuille ou non, ces YouTubeurs qui hurlent sont là pour rester. Ne reste qu’à effectuer un tri entre les bons ou les mauvais crieurs, peut-être? Ou trouver une autre façon de canaliser notre frustration en ligne.
NDLR : Une précédente version de ce texte comportait des informations erronées. Celles-ci ont été retirées. Toutes nos excuses.