" l'énigme de la nuit se casse avant de dire. à chaque mouvement des lèvres, à chaque mot jeté dans le vide, et joué sur la table... il n'y aurait pas d'échéance, pas de raison, pas de saison...pas encore, ou jamais. il y aurait encore, et déjà, la lumière, l'interruption des fleurs, le froid d'un outil, la solitude des routes. et le vide du ciel qui emporte le sens, et le rire, et le glissement d'une image contre ta joue, et la marque de l'air sur la peau, et dans l'écriture la ressassante brûlure de l'ouvert... " Dupin, in L'écouteRendre aux singularités leur opacité nous parait être et l'enjeu et l'émotion sensible émanant des images (fixes ou non) de Valérie Jouve. Cette
Cette tentative a une valeur artistique et poétique, car toute image artistique dévoile moins qu'elle n'interroge l'impossibilité de la représentation, évoque plus qu'elle ne désigne. Cette tentative a une valeur politique à une époque où tous nous sommes " surexposés ", surveillés, identifiés, contrôlés, soumis à la lumière étale et classificatoire des pouvoirs.
Cette opacité de l'Autre nous renvoie, en miroir, à notre propre opacité, à notre propre capacité de résistance, à l'ombre épaisse de notre propre insu (notre part d'invisible). Alors, et contre toute attente (parce qu'on la croyait plutôt dépendre du
Reprenons notre idée sur un autre plan... Ce qui a toujours intéressé Valérie Jouve, depuis ses premières images en noir et blanc à Saint-Étienne jusqu'à ses films et images en Palestine, en passant par la rencontre photographique et quasi chorégraphique des corps et de l'espace urbain (séries Les Personnages, Les Passants...), c'est l'entre-deux.
" Dans tous mes actes, dit Valérie Jouve dans un entretien, j'aime questionner le sens par des dialogues entre les corps, entre un corps humain et un bloc bâti, entre une image et une autre, entre le corps du spectateur et le corps photographique. Cet entre-deux instable refuse l'affirmation, l'état de fait définitif ". Aussi Valérie Jouve fait-elle " danser " ses figures, aussi fait-elle se disjoindre par le mouvement suggéré les stratifications du sens. L'entre-deux se joue encore chez elle dans le montage des images, l'accrochage inédit d'une exposition, la composition d'un livre, ou les zones de frottement entre l'image fixe de la photographie et l'image en mouvement du cinéma.
Mais, afin que l'entre-deux ne soit pas simplement une " communication " entre deux éléments, une juxtaposition ou une simple différenciation, mais bel et bien l'espace d'une rencontre et d'une mise sous tension, il faut, comme le souligne le philosophe François Jullien, des écarts.
" Il faut dégager de l'entre pour faire émerger de l'autre (sinon l'autre n'est que projection ou modification de soi), cet entre que déploie l'écart et qui permet d'échanger avec l'autre, le promouvant en partenaire de la relation résultée. L'entre qu'engendre l'écart est à la fois la condition faisant lever de l'autre et la médiation qui nous relie à lui.
Car ne nous trompons pas sur ce fait : il faut de l'autre, donc à la fois de l'écart et de l'entre, pour promouvoir du commun. Car le commun n'est pas le semblable : il n'est pas le répétitif et l'uniforme, mais bien leur contraire. " (François Jullien, in L'écart et l'entre)
Dans les images de Valérie Jouve, quelque-chose ne se donne pas à voir, résiste dans l'ombre (même en pleine lumière!), se retire en se dévoilant. Le regard (de l'artiste, du spectateur) n'est alors plus un regard d'appropriation et d'accommodation, mais un risque pris dans la rencontre sensible de l'autre à l'écart de soi.
Jean-Emmanuel Denave
Lyon, janvier 2016
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