Les Éditions Le Bruit du Temps ont publié récemment Ponge, pâturages, prairies de Philippe Jaccottet.
« Car ce qui tenait, ce qui tient, dans une certaine mesure, devant la mort (non la mort imaginée ou pensée, mais la présence d’un être mort qui fut proche – sans même parler de la douleur, qui est une autre affaire), ce pourrait n’être pas seulement, ni nécessairement, la Parole (religieuse, de quelque religion que ce soit) ; pas seulement ce que l’on est en droit d’appeler, en pesant ses mots, le sublime (dont je verrais en ce moment précis l’image la plus juste chez Dante, dans le pas fier et douloureux de Dante du plus bas au plus haut de la montage du monde) ; pas nécessairement le "parfaitement accompli" (dont la perfection même, au contraire, risque de se briser contre pareil écueil). Non. Ce pourrait être autre chose encore, à propos de quoi m’est revenu en mémoire l’adjectif double forgé par Hölderlin dans "Le Rhin" ; "reinentsprungenes", le "pur jailli", "ce qui sourd pur", dont il nous avertit qu’il est "énigme."
Or je crois que la chose "jaillie pure" de Hölderlin n’est pas très loin de "l’étincelle d’or de la lumière nature" de Rimbaud, chez qui sa recherche est essentielle, ce qui légitimerait le "mythe" créé autour de son œuvre en lui donnant une place tout à fait à part dans la poésie moderne. Que Rimbaud, en effet, ait été plus proche de la source qu’aucun de ses contemporains, je crois que cela s’entend immédiatement, sans qu’il soit besoin d’en dire plus ; même si l’impossibilité de fonder en raison cette différence peut gêner, rendre le texte, et l’ébranlement qu’il produit, suspects à un esprit trop positif.
Serait-il dès lors trop simple, ou léger, d’imaginer que "ce qui sourd pur" puisse purifier, par calcination, ou laver, par baptême, les pires horreurs ? Dans les livres, ce jaillissement ne se produirait d’ailleurs que par instants, dans une phrase, dans un vers que nous sommes alors tenté de qualifier, faute de mieux, de "magiques", par l’intensité de leur effet sur nous ; dans la musique, il pourrait s’agir d’un thème, de quelques mesures, d’une simple modulation (comme il en est de si parlantes, notamment, chez Schubert) ; ici comme là, de guère plus qu’une inflexion. (Et il m’est arrivé non pas de penser, là encore, mais de ressentir que la poésie, et la musique, dans leurs moments de magie, ou de grâce, semblent précisément infléchir le mouvement du monde, fléchir la rigueur du destin.)
Philippe Jaccottet, Ponge, pâturages, prairies, Le Bruit du Temps, 2015, pp. 40 à 42.
Philippe Jaccottet dans Poezibao :
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