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T. Guénolé : les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ?

Publié le 21 janvier 2016 par Despasperdus

« J'appelle balianophobie un mélange de peur et de haine envers le "jeune-de-banlieue". Tel qu'il est haï et craint par les balianophobes, le "jeune-de-banlieue", c'est en fait la quintessence de trois figures elles-mêmes profondément haïes et craintes par les classes dominantes françaises : le pauvre, le jeune, et le musulman (c'est-à-dire, sous le vocabulaire pseudo-culturel, l'Arabe). Contrairement à ce que pourrait laisser croire cette expression, ce dernier ne correspond pas à la réalité : la population âgée de 13 à 30 ans qui vit dans les territoires urbains périphériques pauvres. »

« Dans une symétrie sociologique frappante, les classes dominantes du pays, et ses élites dirigeantes, sont l'exact contraire de ce croquemitaine de synthèse : des classes moyennes, âgées, de culture catholique. C'est le "bloc MAZ" que décrit Emmanuel Todd dans Qui est Charlie ?."»

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Dans son court, mais substantiel essai, Thomas Guénolé entre dans le vif du sujet en décrivant le phénomène de stigmatisation (et ses causes) dont le jeune-de-banlieue est l'objet, repeint en une espèce de sauvage qui incarne le mal absolu.

« Pour répondre au besoin économique, sans lequel les médias ne peuvent pas perdurer, les rédactions en chef font le choix éditorial de traiter les jeunes de banlieue presque exclusivement sous l'angle de la violence, de la délinquance et de la criminalité. Ils contribuent ainsi à construire et à enraciner le stéréotype balianophobe du "jeune-de-banlieue, nécessairement à capuche, nécessairement brûleur de voitures et dealer de shit. (...) Fondamentalement, elles font en effet ce choix parce qu'entre un reportage sur les jeunes trafiquants de drogue dans les cités, et un autre sur les difficultés sociales des mères célibataires de banlieue, le public - vous et moi - choisira dans son écrasante majorité de regarder celui sur les trafiquants.»

Thomas Guénolé souligne combien l'ensemble des médias dominants, la plupart des intellectuels les plus médiatiques, à l'instar d'Alain Finkielrault (un chapitre rassemble ses déclarations sur le sujet : ambiance années 30 garantie en remplaçant arabe et musulman par juif) et le cinéma simplifient à l'excès et de manière systématique le jeune-de-banlieue et, ce faisant, déforment la réalité.

Ces derniers produisent un climat politique et idéologique malsain, très profitable au Front national, comme si, d'ailleurs, le discours raciste de l'extrême droite par le biais de l'instrumentalisation d'une laïcité qui, chez elle, se résume au saucisson et au vin rouge, avait contaminé l'ensemble des forces politiques, socialosphère incluse (coucou Le Guen et E. Badinter), hormis la gauche radicale, en moins de 10 ans.

« La propagation de l'intégrisme musulman dans les lieux de culte de l'islam français suscite d'immenses inquiétudes dans le débat public. Nos services de renseignement estiment cependant qu'au total, 89 lieux de culte sont infiltrés par l'intégrisme. Cela représente moins de 4 % des mosquées et salles de prières. La suspicion généralisée d'infiltration intégriste envers les moquées de France est donc aussi stupide que, par exemple, se montrer soupçonneux envers les Toulousains parce que Mohammed Merah était toulousain lui-même. »

Cet essai prend à bras le corps, ensuite, les fantasmes les plus répandus sur le jeune-de-banlieue dans le débat public en les traitant un à un, de manière thématique, chapitre par chapitre. La réalité du terrain et celles des statistiques révèlent combien les idées-reçues reposent sur des rumeurs ou des faits marginaux qui sont surexploités par la sphère médiatico-politique.

Pour l'auteur, il ne s'agit pas d'excuser ( coucou Valls, aussi inculte et démagogue que Sarkozy). mais de montrer que la réalité est parfois toute autre, parfois plus complexe que la pensée dominante qui dépeint ces jeunes en voleurs, trafiquants, violeurs, islamistes, casseurs ou terroristes.

« De fait, après la déchristianisation de la France, les enquêtes disponibles confirment que la désislamisation est en marche. les deux tiers des musulmans de plus de 55 ans font leur prière tous les jours ?. Moins d'un tiers chez les 18-24 ans la font. 4 musulmans sur 10 vont à la mosquée pour la prière du vendredi . C'est moitié moins chez les 18-24 ans. Seule exception : le jeûne du Ramadan reste suivi à 70 % quelle que soit la tranche d'âge. Cette anomalie statistique du Ramadan confirmerait sa réputation d'être une coutume culturelle plutôt qu'un événement véritablement religieux (comme Noël pour la plupart des gens nés dans le christianisme).

Tous les thèmes sont traités : sexe, école, échec scolaire, précarité, chômage, logement, délinquance, trafics, transports en commun, islam, rapports avec l'autorité, antisémitisme, homophobie, rapports entre les deux sexes, etc et bien entendu le voile (ou les voiles...). Sur ce point, les contradicteurs de l'auteur ne pourront pas l'accuser d'omettre ou d'éluder certains "problèmes" :

« Venons-en à présent à un aspect de l'islam français qui déchaîne les passions depuis une trentaine d'années : le voile. 85 % des musulmanes de France de moins de 35 ans ne portent jamais de voile. 7 % le portent rarement, et seulement 8 % le portent régulièrement. A partir des données déjà citées sur les origines immigrées, on peut donc estimer, par extrapolation, que 5 % des jeunes femmes de banlieue d'origine étrangère récente portent rarement le voile, et que 6 % le portent de temps en temps. »

Au final, se dessine le tableau d'une jeunesse, diverse et contrastée, socialement très défavorisée, et étonnement attachée à son pays, la France, alors qu'elle subit, en première ligne et sans filet de protection, les politiques néolibérales des gouvernements de droite classique et de droite socialiste depuis plus de 30 ans.

On comprend aussi la logique de l'acharnement des classes dominantes, grands médias, intellectuels de marché médiatique et partis politiques à la solde du patronat (du FN jusqu'au PS) à inventer, en se drapant dans les plis d'une laïcité qu'ils dénaturent, un archétype du jeune-de-banlieue, exclusivement violent, délinquant, inculte, intégriste islamiste et terroriste en puissance, à stigmatiser et à exclure de la communauté, parce qu'il représente pour eux une menace pour leur position dominante et leurs privilèges, à l'instar des classes dangereuses du XIXème siècle.

Les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ? Un antidote puissant au discours dominant.


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