Paysage
II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre...
Et la lune verser son pâle enchantement. Je verrai les printemps, les étés, les automnes ; Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais. Alors je rêverai des horizons bleuâtres, Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres, Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin, Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin. L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre, Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ; Car je serai plongé dans cette volupté D'évoquer le Printemps avec ma volonté, De tirer un soleil de mon coeur, et de faire De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal