La soupe et les vieux pots

Publié le 11 juin 2008 par Doespirito @Doespirito

« Wikipédia cannibalise l’image des entreprises du CAC 40 et de leur dirigeants ». Rien de moins. Dans un communiqué daté du 10 juin 2008, l'agence Euro RSCG C&O s'inquiète en effet de voir que les fiches Wikipedia de 39 dirigeants du CAC 40 et de 29 dirigeants de sociétés cotées apparaissent en premier dans les recherches sur google.fr. Et la situation n'a pas l'air de s'arranger : « 12 entreprises du CAC 40 voient l’article Wikipédia arriver dans les 3 premiers résultats affichés par Google, contre 4 entreprises seulement en octobre 2006 », même si les institutionnels arrivent en premier dans tous les cas. Conclusion de l'agence : « Ainsi, Wikipédia et les internautes s’immiscent progressivement mais durablement dans la construction de l’image des grands groupes français et de leurs dirigeants, à laquelle ils participent activement. » Horreur, malheur !

RSCG remet une couche sur la polémique éculée sur la fiabilité de sources de  Wikipedia, entretenue à l'envi par Pierre Assouline qui en a fait son fond de commerce. Ça sent tellement la poussière que ça en devient comique. Le remède proposé par l'agence  ? «Parce qu’il n’y a aucune raison que la voix des anonymes ait plus de poids que celle de l’entreprise ou du dirigeant concerné, Euro RSCG C&O milite pour la création et l’utilisation d’un nouveau standard de communication permettant aux entreprises de s’exprimer sur Wikipédia tout en respectant le principe  de neutralité auquel l’encyclopédie est attachée». Il ne manquerait plus que ça. Une NDLE (note de l’entreprise) rédigée par elle-même  pour «permettre à l'entreprise de répondre dans un souci d’égalité des parties prenantes et dans le strict respect du principe de neutralité et d’objectivité de Wikipédia.» Tant qu'on y est, pourquoi pas une NDP (Note du Président)...

Quand on sait les sommes colossales dépensées par ces mêmes sociétés et dirigeants pour promouvoir leur image, leur réputation et leur notoriété, c'est en effet rageant pour une agence de voir qu'une encyclopédie collaborative, gérée de façon décentralisée et fonctionnant sans publicité, puisse damer le pion aux experts auto-proclamés de la com. Je pèse mes mots, en effet : j'ai bien peur que ceux qui ont fait cette étude ne comprennent pas grand-chose à l'objet de leurs réflexions.
 
Honnêtement, en lisant le communiqué, je me suis demandé où était le problème. Ils devraient être contents, au contraire. Notons que cette possibilité de donner son point de vue existe déjà sur Wikipedia. La plupart des fiches d'entreprises comportent un lien vers le site institutionnel. Ce qui, par parenthèse, contribue grandement à hisser ledit site dans les résultats Google, qui comptabilise le nombre de liens pointant vers un site pour établir le ranking. Ensuite, on peut donner son point de vue dans les pages de discussion. Mais si c'est pour poster des communiqués de presse, franchement... Et puis, de toutes façons, visiblement, ça fatigue les communicants. Car le web 2.0, c'est compliqué, ça bouge tout le temps, pour des gens pendus en permanence à leurs Blackberry mais formés à la publicité façon Ecole de guerre.
Or, il faut leur rappeler qu'on est entré dans une nouvelle ère. Par exemple celle des logiciels libres, construits par des communautés de développeurs. Et ça marche, par ce que c'est bien plus efficace (notamment en termes de sécurité) et que ça ne coûte rien. Firefox grignote petit à petit Explorer, Thunderbird fait de même avec les logiciels de messagerie de Microsoft. Signe des temps,
en janvier 2008, la Gendarmerie Nationale, qui avait déjà délaissé Office au profit de sa version Open source, Open Office, a annoncé l'abandon du système d'exploitation Windows, au profit d'Ubuntu, issu de la même démarche.

Le Web 2.0,
c'est aussi la fin des fenêtres pop up et le passage sans transition d'un site à l'autre, d'une page à l'autre, les liens RSS qui permettent de diffuser l'information automatiquement entre des sites inscrits, j'en passe et des meilleurs. C'est surtout l'explosion de l'interaction entre les utilisateurs, avec les réseaux sociaux (Facebook et consorts) et de l'émergence d'un utilisateur non plus passif mais véritablement acteur. Qui peut publier de façon autonome, diffuser, voire aller jusqu'à s'approprier une marque existante pour la façonner à son image.

Dans ce contexte, l'idée de vouloir maintenir les entreprises dans leur position de maître du jeu, à l'abri de leurs murailles numériques, est assez saugrenue.  Au lieu d'imaginer des solutions à dormir debout, des recettes qui de toutes façons ne marchent pas, nos valeureux amis feraient bien d'aller ce qui se passe de ce côté ci de la Toile. De nouvelles pratiques naissent, des communautés innovantes se développent. Chers Euros, faites une expérience : ouvrez un blog, créez une fiche wikipedia au hasard. Vous verrez que vous n'aurez plus jamais envie de faire ce genre d'étude. Et vous aurez en revanche plein d'idées nouvelles pour vos clients. C'est magique.