Le poète dit la cause des désordres
On a souvent dit (et peut-être estimé) que Pound, né aux États-Unis, mort à Venise après de longues années vécues en Europe (Londres, Paris, Rapallo), d’une guerre à l’autre, s’était toqué de théories économiques, perdant son art poétique. Incompréhension totale. C’est bien la poésie qui conduit à une pensée de la cause des désordres et des destructions.
Voyez ainsi (p. 129 à 133 de l’édition Carcanet) les notes préparatoires au premier des « Cantos pisans ». Le poète regarde l’étendue du désastre :
« ils ont fait des milliards de profit
Qu’ils les retirent
« les gains privés n’apportent pas la prospérité
l’équité est la vraie richesse des états
« fils du paradis dans la pleine splendeur
le disque du soleil sur le champ cultivé
au dessus de l’assemblée harmonieuse
« les nantis ne se sont pas préoccupés
de progrès social
ou de protection des salaires »
Pound va alors puiser ailleurs (un autre temps, ou un autre lieu) de quoi conforter son entreprise. Chez Dante ou dans les annales de la Chine classique. Notant au passage :
« à la réalité ? Oui, voilà justement en quoi j’ai cru ---
à la réalité --- quant à la cohérence ?
cohérence.
« dans le ‘Printemps et Automne’
il n’y a pas de guerres justes
le vent aussi est du procès »
et il va revenir à son image favorite (de leit motiv ) :
« la lance du soleil mesure les années ».
C’est bien la ligne de poésie qui rencontre ce qui barre la route du paradis rêvé, abîme la beauté. Mais dans la confiance accordée au « soleil », Pound s’aveugle parfois, multiplie les cibles, se trompe de cible. Il s’enrage (« rage de l’expression », F. Ponge) de l’écart entre désir et déception.
Le recueil que l’on doit à l’opiniâtreté de Massimo Bacigalupo permet de voir Pound dans ce combat,
« Et avoir tenté quelque chose plutôt que non »
Claude Minière
Ezra Pound, Posthumous Cantos, rassemblés et présentés par Massimo Bacigalupo. Carcanet éditeur (Manchester, U.K.)
*Livre en anglais, les traductions des poèmes sont de Claude Minière.