Quand les lecteurs de Babelio rencontrent Marie Neuser

Par Samy20002000fr

Gondoles, monuments, pizzas et autres gourmandises… L’Italie évoque pour beaucoup un pays plein de charme et douceurs. C’est un tout autre paysage qu’une trentaine de lecteurs Babelio a découvert le vendredi 15 janvier lors de leur rencontre avec Marie Neuser, une professeur agrégée d’italien et auteur de Prendre Gloria, publié chez Fleuve éditions. Ce récit est le quatrième roman de Marie Neuser après Prendre Lily paru cet été chez le même éditeur et dont il fait office de préquelle. Alors que Prendre Lily se déroulait en Angleterre et nous emmenait sur la traque d’un psychopathe insaisissable, c’est en Italie que se déroule l’enquête, près de 10 ans auparavant, alors qu’une jeune fille vient de mystérieusement disparaître

Dans la commune italienne de P, on sauve les apparences. Sauf le 12 septembre 1993, le jour où la jeune Gloria Prats quitte son amie Elena pour se rendre à l’église. Car cette fois, elle n’en ressortira pas. Fugue ? Enlèvement ? Combien de temps Damiano Solivo, collectionneur de mèches de cheveux et camarade de jeux à base de lames et d’urine et 2e protagoniste dans l’affaire Prats pourra-t-il rester dans l’ombre ?

Découvrir les faits

Puissante critique sociale, Prendre Gloria est une histoire vraie, celle d’Elisa Claps, le double réel de la Gloria de Marie Neuser. C’est grâce à la télévision italienne que l’auteur a pour la première fois pris connaissance de l’affaire de la jeune Elisa Claps. “J’ai entendu parler de cette affaire lorsqu’ils ont retrouvé le corps d’Elisa, plus de 17 ans après sa disparition dans une église . Les médias sont entrée en ébullition en Italie, il était impossible de passer à côté de cette histoire à l’époque”. Au contraire de la France,l’Italie autorise les procès à être filmés et les médias à diffuser des informations relatives à l’enquête. Du pain béni pour Marie Neuser qui décide alors de se pencher sur cette affaire : “ L’émission Chi L’ha visto (Où es-tu en français) m’a permis de me tenir informée des détails de l’enquête. Au fur et à mesure des diffusions, je découvrais des éléments de plus en plus incroyables sur la vie de Danilo Restivo, le meurtrier. Quand j’en ai parlé à une amie, elle m’a conseillé d’en faire un livre. Une demi journée plus tard j’étais lancée.”

Quand la réalité devient fiction

Bien sûr, l’intérêt de ce deuxième roman de Marie Neuser ne tient pas tant dans la découverte du coupable, mais plutôt dans l’incompréhension face à certains éléments de l’enquête et le fait que le meurtrier, pourtant connu, ne soit pas appréhendé plus tôt : “Je voulais essayer de faire le lien entre les éléments plutôt chaotiques relayés par les médias. C’est le grand “pourquoi” qui surplombait les faits qui a motivé mon écriture. Pourquoi a-t-on pu laisser fuir un coupable ? Pourquoi n’a-t-on retrouvé le corps de sa victime que dix-sept ans après ?  ” Plus encore qu’une simple curiosité, Marie Neuser explique à ses lecteurs qu’elle a également cherché à rendre sa dignité à la victime en tentant de résoudre le mystère. “J’ai laissé parler ma plume pour remplir les zones d’ombres de l’enquête. Mais la réalité est tellement folle que je n’ai pas souvent eu besoin de rajouter d’éléments fictionnels pour rendre le tout divertissant. Par exemple, pourquoi le prêtre qui découvre le corps d’Elisa deux mois avant sa découverte officielle a-t-il gardé cette information pour lui ? Pourquoi ?” Peu à peu, c’est un véritable jeu de suppositions qui s’installe entre les lecteurs et Marie Neuser, chacun y allant de son avis pour justifier les démarches incompréhensibles des acteurs de l’enquête. Le seul personnage exclusivement fictionnel dans le roman de Marie Neuser est le voleur de tuiles  : “Personne n’a jamais pu justifier le vol de ces tuiles dans le procès d’Elisa, j’ai donc inventé un voleur, c’est ce qui m’a paru le plus logique.”

Une justice médiatique

Grâce à la juridiction italienne, l’auteur a pu trouver toutes les informations nécessaires à la rédaction de son roman dans les médias. “L’affaire a été très suivie en Italie ainsi qu’en Angleterre et c’est pourquoi beaucoup d’articles de presse étaient disponibles sur le sujet, même si ma principale source d’informations demeure l’émission italienne Chi L’ha Visto qui diffusait les procès, les pièces à convictions et même les rapports d’autopsie.”

Une avocate dans le public de lecteurs présents lors de cette rencontre n’a pas manqué de souligner l’impossibilité absolue de ce genre d’émission en France et sa surprise face à une telle publicité médiatique des procès. “L’avantage de ce type d’émission italienne, lui répond l’auteur, c’est que j’ai pu voir absolument tous les acteurs de l’enquête mentir devant le juge et cela m’a beaucoup aidé pour les dépeindre dans mon roman, pour essayer de deviner quelles pouvaient être leurs motivations.”

L’enquête à sa façon

Très surpris par la construction particulière du roman, les lecteurs ont logiquement interrogé l’auteur sur ses méthodes d’écriture : “Je ne voulais pas raconter l’histoire chronologiquement car dans cet ordre précis elle n’a absolument pas de sens. Je l’ai écrite comme je l’ai reçue, c’est à dire dans le désordre.” Élucidée à la manière d’un puzzle, l’enquête de Restivo met en jeu des motivations extrêmement disparates chez un grand nombre de parties prenantes, ce qui en rend la compréhension délicate. Loin de vouloir perdre cette dimension, Marie Neuser a choisi de réaliser ce roman à plusieurs voix et de disposer les épisodes de l’enquête comme bon lui a semblé “J’ai changé l’ordre de mes chapitres jusqu’au moment de rendre mon manuscrit et c’est pour cela que j’ai veillé à tout dater.”

Roman sans héros

Contrairement à beaucoup de romans actuels, le récit de Marie Neuser ne met pas en scène de héros, mais bien une chorale de protagonistes prenant chacun leur tour la parole grâce à de courts chapitres dédiés. “Ma volonté première était de montrer tous les protagonistes “patauger dans la choucroute” autour de l’affaire et pas de me concentrer sur la vision d’un policier ou de la famille de la victime. Le roman ne tournant pas autour de l’identité du meurtrier en particulier, l’absence de héros est rendue possible.”

Si Marie Neuser donne une importance équivalente à tous ses personnages, c’est en partie parce qu’elle a mis du sien dans chacun d’entre eux : “Je pense que dans chaque personnage qui parle, il y a une partie de moi. J’ai cherché dans mes souvenirs pour les rendre vivants et j’y ai mis du mien, même dans le voleur de tuiles.” Un favori ? Oui, Marie Neuser confie avoir une petite préférence pour les chapitres dédiés à Elena. En revanche, l’auteur avoue ressentir de l’empathie même envers le meurtrier, au passé si difficile : “Son histoire est si désolante que l’on ne peut que le comprendre ou tout du moins essayer.”

Diptyque

Prendre Gloria est la seconde partie d’un diptyque consacré à l’enquête et si Gloria a été écrit en premier, c’est Prendre Lily qui est sorti d’abord : “ Au départ, je ne pensais écrire qu’un seul tome et puis lorsque je me suis penchée sur la partie anglaise de l’enquête, qui a malgré tout duré 8 ans, j’ai compris que tout ne tiendrait pas dans un seul livre. C’est mon éditeur qui a choisi de publier Prendre Lily en premier, permettant de faire découvrir la parti thriller avant celle concernant la fabrication du monstre.”

Projets

La séance de question s’oriente enfin vers les projets à venir de Marie Neuser, décidée à ne pas écrire un nouveau polar : “Je ne quitterai bien sûr pas l’univers du noir. Je pense m’attaquer à la notion du passage à l’acte, c’est elle qui au fond m’intéresse. Je pense notamment au dépeceur de Montréal : comment en vient-on à dévorer un être humain devant des caméras ? C’est ce genre d’interrogation qui m’inspire ; j’aime chercher des explications à l’inconcevable et c’est d’ailleurs pour cette raison que l’affaire Restivo m’a tant captivé et me hantera encore longtemps.”

La rencontre s’est clôturée avec l’habituelle séance de dédicace pendant laquelle les lecteurs en ont profité pour échanger directement avec l’auteur, ravie d’entendre l’analyse de ses lecteurs face à cette fascinante enquête.

Retrouvez Prendre Gloria de Marie Neuser publié chez Fleuvenoir.