Les cyber-dealers et leurs bitcoins ont rendu les djihadistes de l’EI jaloux, eux aussi souhaitaient utiliser une monnaie plus rock’n’roll que le classique Dollar. C’est chose faite depuis cet été avec le Dirham d’or. Simple fantaisie ou preuve tangible d’un ancrage du groupe terroriste ? Examen d’un nouveau venu sur l’échiquier monétaire qui manque de tout sauf d’originalité.
Du groupe à l’état terroriste
Quand le leader de l’EI, Abu Bakr Al-Baghdadi, annonçait l’an dernier que le califat allait se doter de sa propre devise, la plupart des experts ont cru à un simple coup de communication destiné à remonter le moral des soldats suite aux revers militaires subis par l’organisation. La récente saisie de matériel de frappe de monnaie par les autorités turques près de leurs frontières montre pourtant qu’il ne s’agissait pas d’un bluff mais bien d’un pas supplémentaire vers une administration terroriste.
En effet si le nom Etat islamique reste un mensonge dans le sens où il n’est reconnu comme tel par aucun membre de la communauté internationale, il s’en rapproche de plus en plus dans la forme. L’EI avait une population, un territoire, un gouvernement capable de lever des impôts ; il se dote maintenant de la prérogative régalienne majeure qu’est la souveraineté monétaire. Une manière de montrer au monde sa puissance et sa légitimité.
Le retour à une finance plus Islam-friendly
Pas de billets, ni de chèques pour les djihadistes : dans la doctrine salafiste, attribuer à un objet (en l’occurrence un bout de papier) une valeur supérieure à celle qu’il possède intrinsèquement revient à pratiquer la riba : l’usure, interdite par le Coran. La nouvelle devise de l’état islamique n’est donc matérialisée que sous forme de pièces en métaux précieux : le Dirham d’or, le Dinar d’argent et le Fils de cuivre. De plus, l’usage du Dollar US, une monnaie « satanique, conçue pour opprimer les musulmans », était un paradoxe embarrassant pour ceux qui se veulent pourfendeurs de l’Occident. Le Bayt Al-Mal (sorte de banque centrale créée pour l’occasion) a exposé les taux de change qu’il a fixé sur l’infographie suivante :
Mettre l’économie américaine à genoux
En lançant leur propre monnaie, les cadres de Daesh sont convaincus que la Russie et la Chine seront tentées de vendre leurs réserves libellées en Dollars et leurs bons du Trésor américains et se tournent à leur tour vers une monnaie « précieuse » , mettant ainsi le système financier américain à genoux. Un pari qui trahit d’importantes lacunes en macroéconomie chez les djihadistes, car si tous les systèmes monétaires modernes reposent aujourd’hui sur des monnaies fiduciaires, c’est avant tout parce qu’il n’y a pas assez d’or sur Terre pour assurer une liquidité satisfaisante des échanges.
Peu de chance non plus que ces pièces d’or améliorent la santé économique de l’EI. S’il impose que ses transactions soient réalisées en Dirham, il risque de perdre ses partenaires (trafiquants de pétrole et autres contrebandiers). En effet, bien qu’elle possède une valeur intrinsèque, une monnaie frappée du sceau de l’EI peut poser des problèmes techniques à l’usage, comme se faire arrêter pour terrorisme en payant ses courses.
Surement le pire placement depuis les actions Eurotunnel
En outre, c’est un plan d’épargne plutôt médiocre sur le long terme dans la mesure où la probabilité que l’EI disparaisse d’ici cinq ans est élevée. Sans parler du risque d’une chute des cours de l’or ou de l’argent qui dévasterait la valeur de cette devise déjà bien mal partie.
Il faut donc espérer que le groupe terroriste poursuivra son fantasme d’une monnaie halal car même si Daesh a encore épaté la foule en démontrant sa capacité à s’administrer, il s’est également greffé un talon d’Achille économique capable, à terme, de participer à sa destruction.