Il faisait si froid ce matin de janvier-là, un peu comme aujourd'hui. Etait-ce vraiment janvier d'ailleurs, je ne sais plus. Je ne sais plus si les trottoirs étaient blancs, je me rappelle lui avoir dit de m'attendre dans le couloir de la bibliothèque, surtout pas dehors, elle qui vient du sud, elle qui par chance ce jour-là croiserait mes pas. J'ai dit j'aurai une écharpe à étoiles et je suis assez grande, elle a dit j'aurai des bottines à franges et je suis toute petite. Quand je suis arrivée elle était là, petite elfe emmitouflée, c'était notre première fois, une première fois comme une centième. Nous avons parlé longtemps, de la vie d'ici, du froid et du ciel trop souvent si gris, de sa vie à elle, de sa chance d'être nomade au gré des vents. De l'image de soi et de l'importance de se faire la paix, grand chantier moderne des filles d'aujourd'hui, de l'indulgence nécessaire, du hasard des rencontres et du regard sur la vie. J'aime tellement le sien, son credo, son mantra que je l'ai adopté tout de suite, il y a bien longtemps, quand nos vies ne se croisaient encore que sur les écrans : Se souvenir des belles choses. Toujours.
Alors oui, on voit, on entend tellement de choses terribles qu'on peut choisir de s'en préserver. Cela ne veut pas dire qu'on n'affronte plus le quotidien, le réel. Mais a-t-on besoin de voir la misère et le malheur et la mort pour y croire ? Ne passons-nous pas trop de temps à voir des choses, plutôt qu'à en vivre ?
Alors non, la vie n'est pas que jolie, c'est vrai, on en parle assez souvent, vous et moi, ici, des larmes et des questions, de ceux qui s'en vont et du chagrin. Mais je reste, après toutes ces années à écrire ici, persuadée que chercher le joli, l'humain, l'émouvant, le touchant chaque jour dans les petites choses, même les plus tristes, les plus dures, est une discipline, une survie. Et oui, je préférerai toujours m'émouvoir de la douceur qui émane d'une photo, de la beauté d'un ciel rougissant, plutôt que de regarder le gris : il est là sous mes yeux, le plus souvent, dès que je tourne la tête vers la fenêtre.
Et May, petite elfe si jeune encore, l'a compris bien avant moi, que la vie est un chapelet de souvenirs que nous choisissons de composer avec les pierres les plus précieuses. Que la vie est facétieuse, souvent, si on sait accueillir les surprises qu'elle nous envoie, pour nous qui ne sommes pas à plaindre si on y regarde bien.
Alors c'était une évidence, parce qu'elle a ce regard que j'aime sur les choses, et de l'or au bout des doigts, qu'un jour, comme ça, je lui ai demandé de la douceur, du blanc, du vert, de la pureté, de l'espace, et le résultat, vous l'avez sous les yeux, ici, tout autour. Et moi, j'ai envie, comme on étrenne un nouveau cahier le jour de la rentrée, d'y écrire des choses jolies, jolies comme une elfe.