Scène 6 (cont.4)

Publié le 18 janvier 2016 par Nicolas Esse @nicolasesse

Madame H. : J’irais bien marcher sous la pluie.
Patrizia : Oui mais là, il fait beau.
Madame H. : Il n’y a plus de printemps.
Patrizia : Ouvre la bouche pour dire quelque chose. S’interrompt.
Au printemps, il pleut souvent.
Madame H. : Et on entend le bruit du vent.
Patrizia : Elle avance bien, votre petite poésie…
Madame H. : … Le bruit du vent dans les feuilles. Chez mes grands-parents, il y avait un grand parc. Je fermais les yeux et j’essayais de m’orienter en écoutant le bruit du vent. Les arbres à aiguilles font  un sifflement aigu, énervé, on dirait des serpents. Les bouleaux sont plus métalliques que les tilleuls. Les platanes résonnent comme des vagues. J’étais une petite fille un peu seule mais très gaie. Je courais tout le temps. Je suis toujours très gaie et j’ai 54 ans.
Patrizia : On ne court plus à 54 ans.
Madame H. : Ah bon ? Et qu’est-ce qu’on fait à 54 ans ?
Patrizia : On achète un déambulateur.
Madame H. : Je cours plus vite et plus longtemps que vous.
Patrizia : Rit
Et votre papa il est plus fort que le mien. Et vos jouets, ils sont plus beaux que les miens. Et si je vous embête vous direz tout à votre maman. Moi, je vous embête pas, je vous regarde courir sur votre tapis roulant. Courir. Courir. Vous courez après quoi ? Après la petite fille dans le parc ? Après vos gigolos à la peau mate ?
Madame H. : Je cours pour que mes jambes continuent de courir.
Patrizia : Moi, je ne cours pas. Pas besoin. Tout fonctionne très bien comme ça, sans rien faire. Tandis que vous, vous devez continuer à faire le hamster sur votre tapis roulant. Si jamais le tapis s’arrête, vous fondez, vous faites une grosse flaque par terre, une grosse flaque de graisse de hamster.