Le 11 janvier 2016, un enseignant est agressé dans la rue, à Marseille, par un adolescent armé d'une machette. Cet enseignant de 35 ans a le tort de porter une kippa et donc d'être identifiable. Son agresseur de 15 ans, Turc d'origine kurde, se réclame de , et l'attaque parce qu'il est juif. L'agressé, professeur à l'Institut franco-hébraïque La Source, se protège avec la qu'il tient dans sa main...
Cette agression fait suite à de toujours plus nombreuses agressions et menaces judéophobes, perpétrées et proférées au cours des dernières années en France par de jeunes délinquants se réclamant de l'islam. Dans Une France antijuive?, paru l'an passé, quelques mois après les assassinats de Juifs commis par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, Pierre-André Taguieff fait part de ses regards sur la nouvelle configuration judéophobe.
Il remarque que, si les traditionnels se déclaraient antijuifs ou antisémites, les antijuifs contemporains se prétendent antiracistes. Et sont scandalisés par:
- le communautarisme juif
- la puissance du lobby juif
- le racisme de l'Etat d'Israël (les membres des minorités non juives de nationalité israélienne y ont les mêmes droits que les Juifs...)
- les crimes sionistes (les boucliers humains, sacrifiés pour la cause palestinienne, font des " victimes innocentes "...)
Ces antijuifs ne sont donc pas antisémites, mais antisionistes, nuance: " Dans le vocabulaire antijuif, les Juifs ont changé de nom répulsif: ils ne s'appellent plus "sémites", mais "sionistes". " Pour ces antijuifs nouvelle manière, derrière tout Juif se cache un sioniste. Qu'est-ce qu'un sioniste? un comploteur, un responsable des malheurs du monde, une incarnation satanique " d'une puissance occulte dotée d'ubiquité et d'omnipotence ", un raciste:
" Si les Juifs, en tant que "sionistes", sont des "racistes", alors ceux qui les dénoncent comme tels sont du côté de la noble lutte contre le racisme. "
" Il suffit de remplacer "Juifs" par "sionistes" et "complot juif" par "complot sioniste" pour paraître tenir un discours contestataire étranger à la propagande antijuive. "
L'antiracisme, dont ces antijuifs se réclament, est une idéologie qui " présuppose notamment que le racisme va toujours du "Blanc" (le dominant supposé) au non-Blanc (le dominé présumé), et que le "Blanc" coupable et raciste par nature ne saurait être en position de victime. " Et un Juif, n'est-ce pas un Blanc? CQFD.
L'antisionisme a un double sens. Cela peut-être:
- la critique de la politique menée par tel ou tel gouvernement d'Israël
- ou le projet de faire disparaître Israël de la carte
C'est dans cette dernière acception qu'il faut comprendre l'antisionisme du Hamas, à la tête de Gaza, un antisionisme radical, que cautionnent consciemment, ou inconsciemment, les partisans de la cause palestinienne, dont d'aucuns, lors de manifestations parisiennes, en juillet 2014, ont crié: " Mort aux Juifs! ", tant il est vrai que " la frontière entre la critique systématique d'Israël et la haine visant les Juifs s'est effacée "...
Le jeune islamiste radical s'imagine exclu et discriminé en raison de ses origines ou de ses croyances. Il est victime d'un racisme spécifique, qui a pour nom islamophobie, à qui il impute son échec social. S'il commet des actes terroristes, ce n'est donc pas sa faute. N'étant pas un sujet doté de liberté, il ne peut en être tenu responsable. Au moins il réagit contre le Système. En fait il est un instrument qui s'est laissé prendre:
" Les actions terroristes sont faites autant pour provoquer la peur et l'indignation que pour intensifier les conflits, rallier les tièdes et radicaliser les sympathisants. "
Ce terrorisme, ce jihadisme, n'a rien à voir avec l'islam qui est une religion de paix? Si, justement: " Si pour de nombreux musulmans, qu'on a des raisons de juger majoritaires en France [...], l'islam est bien "une religion de paix", vécue et pratiquée comme telle, il est pour d'autres une religion de guerre sainte, le drapeau du ressentiment et de l'esprit de vengeance. "
L'auteur cite l'appel d'intellectuels musulmans, mis en ligne le 11 janvier 2015, Notre responsabilité à l'égard du terrorisme au nom de l'islam: " Aujourd'hui la réponse à cette guerre ne consiste pas à dire que l'islam n'est pas cela. Car c'est bien au nom d'une certaine lecture de l'islam que ces actes sont commis. Non, la réponse consiste à reconnaître et affirmer l'historicité et l'inapplicabilité d'un certain nombre de textes que contient la tradition musulmane. Et à en tirer les conclusions. "
Il ne faut donc pas se méprendre: " Etre un antiraciste conséquent, aujourd'hui, c'est lutter contre l'antisionisme radical devenu mondial, qui constitue l'une des principales formes contemporaines de la pensée raciste, incluant un programme d'élimination de l'ennemi diabolisé. C'est en même temps combattre le jihadisme qui en est l'un des principaux vecteurs, qu'il ne faut pas réduire à une simple régression vers la sauvagerie, mais au contraire comprendre comme une puissante utopie messianique, capable de mobiliser nombre de jeunes musulmans. "
Taguieff ajoute: " Et autour de cette cause politico-religieuse mobilisatrice, qui a instrumentalisé la cause palestinienne, s'agrègent d'autres "grandes causes", tel que l'anticapitalisme gnostique ou l'antimondialisme complotiste, autres sources et ressources de la judéophobie contemporaine, sans être toujours reconnues comme telles. "
Francis Richard
Une France antijuive? - Regards sur la nouvelle configuration judéophobe, Pierre-André Taguieff, 328 pages CNRS Editions