Christiane Taubira, une voie royale pour sa sortie ?

Publié le 18 janvier 2016 par Sylvainrakotoarison

" J'ai beau être une sorcière d'Amazonie, il y a des limites à mon pouvoir. " (Christiane Taubira, 13 mars 2014).

S'il y a bien une personnalité politique sur laquelle je me suis trompé, c'est bien Christiane Taubira, la Ministre de la Justice. Quelques jours après sa nomination le 16 mai 2012, je m'étais interrogé à tort sur sa présence au gouvernement et m'étais demandé si elle n'allait pas devoir rapidement démissionner. Il se trouve qu'elle est maintenant la cinquième Garde des Sceaux les plus longs des cinq Républiques françaises, et cela depuis la proclamation 1869, avec presque quatre ans de longévité, derrière seulement quatre prédécesseurs : Jean Foyer, René Pleven, Alain Peyrefitte et Robert Badinter.
Cette longévité est étonnante car selon certaines informations que j'ai pu recueillir, Christiane Taubira n'a jamais aimé se retrouver Place Vendôme. Lors de la nomination de Manuel Valls à Matignon, elle convoitait même le Ministère de la Culture. L'instabilité des membres de son cabinet, son caractère assez difficile ne l'ont pas empêchée de rester à son poste très exposé car progressivement, elle est devenue comme une icône. Paradoxalement, ce sont probablement ceux qui n'ont cessé de l'insulter, souvent de manière parfaitement raciste (notamment l'extrême droite), qui l'ont confortée à son ministère.
Je dois dire que je suis souvent en désaccord avec Christiane Taubira sur de nombreux sujets politiques, mais il faut pourtant souligner que je l'apprécie beaucoup également. Que je la respecte beaucoup. Non parce qu'elle serait une représentante supposée de la "féminitude" ni encore moins de la "diversitude", je me moque autant de la couleur de sa peau que de son sexe ou de son vélo ou encore de la couleur de son écharpe.
Non, ce que j'apprécie chez Christiane Taubira, c'est qu'elle est une véritable femme politique. Elle est devenue, depuis 2012, un rare "poids lourd" de François Hollande. Or, des personnalités politiques, il n'y en a plus beaucoup en France. Au mieux, on a des gestionnaires forts en thème, au pire, des décultivés sensibles à l'intérêt personnel ou clanique. Dans le gouvernement actuel, c'est assez simple, elle est l'une des rares à faire de la politique, avec Manuel Valls. Même Laurent Fabius n'en fait plus alors qu'il était un " animal politique" redoutable pendant plusieurs décennies.
Christiane Taubira est l'une des rares responsables politiques en France à faire de la politique, c'est-à-dire, à utiliser sa culture pour transformer des réformes en véritables actes politiques. On pourra donc dire ce qu'on veut d'elle, la traiter de tous les noms d'animaux ou maugréer contre son côté électron-libre (ce qui est plutôt rassurant, un ministre qui ne soit pas inféodé à un parti ni à une prise de décision robotisée), elle fait de la politique et dans cette France de 2016, cela détone.

Contrairement à ce qu'on veut lui coller à la peau, elle n'est pas un indépendantiste de la Guyane, ou en tout cas, plus depuis au moins trente-cinq ans, c'est dire si ceux qui l'accusent de ce militantisme devraient d'abord se rappeler leur militantisme de jeunesse qui pourraient aussi être d'une grande incohérence avec leurs options politiques actuelles. Mais elle n'est pas non plus la représentante supposée de l'aile gauche du gouvernement : rappelons en effet qu'elle est membre du Parti radical de gauche, qu'elle se situe donc au centre gauche dans l'échiquier politique, et qu'elle a même voté la confiance du gouvernement d' Édouard Balladur lorsqu'elle a été élue (pour la première fois) députée de Guyane. Et l'année suivante, elle s'est fait élire députée européenne en quatrième position sur la liste ...de Bernard Tapie !
Concrètement, c'est sûrement sa défense de la loi sur le mariage gay (loi n°2013-404 du 17 mai 2013) que l'histoire politique du pays retiendra d'elle dans les décennies à venir. Pourtant, cette réforme a des conséquences ultra-minimes et est d'une importance dérisoire quand on pense aux enjeux économiques (le chômage a crû de 650 000 demandeurs d'emploi de la catégorie A en trois ans) et aux enjeux de sécurité (avec les attentats de 2015).
Introduisant le 29 janvier 2013 à l'Assemblée Nationale le fameux débat dans une perspective historique, elle a rappelé ceci : " Le mariage civil porte l'empreinte de l'égalité. Il s'agit d'une véritable conquête fondatrice de la République, dans un mouvement général de laïcisation de la société. Une telle conquête était importante essentiellement pour ceux qui étaient exclus du mariage à cette époque. Après la révocation de l'édit de tolérance, dit édit de Nantes, en 1685, les protestants ne pouvaient se marier qu'en procédant secrètement avec leur pasteurs. Ils ne pouvaient pas constituer une famille et leurs enfants étaient considérés comme des bâtards. " pour aboutir à ceci : " Que l'on nous explique pourquoi deux personnes qui se sont rencontrées, qui se sont aimées, qui ont vieilli ensemble, devraient consentir à la précarité, à une fragilité, voire à une injustice, du seul fait que la loi ne leur reconnaît pas les mêmes droits qu'à un autre couple aussi stable qui a choisi de construire sa vie ? " sans oublier d'évoquer l'adoption des enfants : " Au nom d'un prétendu droit à l'enfant, vous refusez des droits à des enfants que vous choisissez de ne pas voir. ".
Mieux qu'une simple défense du texte, Christiane Taubira en a fait un étendard de fierté en citant quelques vers : " Nous en sommes si fiers que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gaston.Damas : l'acte que nous allons accomplir est "beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l'aube voit s'épanouir enfin les pétales". Il est "grand comme un besoin de changer d'air". Il est "fort comme le cri aigu d'un accent dans la nuit longue". " (29 janvier 2013).
La réforme pénale de Christiane Taubira (loi n°2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales) est loin d'être unanime et pertinentes. De nombreuses maladresses ont pollué son action (comme ses déclarations lors de l'affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy et de son avocat). Sa volonté de dépénaliser le conduite sans permis de conduire (projet présenté au conseil des ministres du 31 juillet 2015) a été une erreur désastreuse, qui a encouragé l'insécurité routière, heureusement vite annulée par son rétropédalage du 24 septembre 2015.

Et si je suis en complet accord avec Christiane Taubira concernant la déchéance de la nationalité, je reste stupéfait qu'elle reste encore au gouvernement alors qu'elle a réaffirmé le 7 janvier 2016 son opposition à cette révision constitutionnelle. C'était pourtant elle qui aurait dû la défendre au Parlement à partir du 3 février 2016, mais finalement, ce sera Manuel Valls lui-même, très enclin à s'approprier non seulement des sujets sécuritaires mais de tous les sujets gouvernementaux, un peu à l'instar de Nicolas Sarkozy lorsqu'il était à l'hyper-Élysée.
C'est clair que depuis le 23 décembre 2015, date à laquelle le conseil des ministres a contredite son annonce la veille que la déchéance de nationalité ne serait pas retenue dans le projet de loi constitutionnelle, la position de Christiane Taubira est plus qu'instable. D'ailleurs, l'absence de sa propre démission pour faire valoir ses convictions pourraient même décevoir ses plus chauds partisans (dont je ne suis pas !).
Par ailleurs, si François Hollande et Manuel Valls ont voulu la maintenir au gouvernement, c'est aussi pour affirmer la coloration sociale de leur équipe. Elle est soutenue par de nombreux futurs électeurs potentiels lors de la prochaine élection présidentielle et doit donc être ménager. C'est pour cela que je peux proposer au Président de la République une excellente conclusion, qui pourrait la pousser à la sortie du gouvernement sans donner l'impression de l'avoir limogée.
Fin février 2016, François Hollande aura en effet une décision importante à prendre. Le mandat de Jean-Louis Debré comme Président du Conseil Constitutionnel (nommé en février 2007) s'achève et c'est au Président de la République de nommer son successeur pour neuf ans. Nicolas Sarkozy n'a pas eu le loisir d'une telle nomination en raison de la brièveté de son mandat. Le successeur de François Hollande n'en aura pas plus l'occasion, du moins, dans le mandat entre 2017 et 2022 puisque la personne qui sera nommée en février 2016 restera en fonction jusqu'en février 2025 !
C'est donc une nomination cruciale car rare, et aussi en raison des prérogatives de l'instance que cette personne présidera, qui ont été élargie par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 avec les questions prioritaires de constitutionnalité, mais aussi ses prérogatives anciennes comme le contrôle du bon déroulement de l'élection présidentielle.
En nommant Christiane Taubira à ce haut poste, François Hollande réussirait à la fois à l'exclure du gouvernement (par la grande porte) et préserver son électorat qui la soutient. Une voie royale pour évincer Christiane Taubira des affaires. Ou républicaine, disons.
Bon, c'est vrai que les rumeurs les plus insistantes donneraient Laurent Fabius favori à ce poste. Le Ministre des Affaires étrangères souhaiterait quitter le gouvernement sur cette image de succès de la COP21 qu'il a présidée en décembre 2015 et ce poste d'honneur lui permettrait de terminer une carrière politique bien remplie dans les plus grands honneurs de la République. Mais franchement, serait-ce un bien pour la République ? Le Conseil Constitutionnel ne doit pas devenir une maison de retraite pour anciens "animaux politiques" en voie de reclassement. Pourquoi, dans ce même ordre d'idée, ne pas y nommer aussi Michel Rocard ou Lionel Jospin ou encore Bertrand Delanoë ?! Ou d'autres anciens de la Mitterrandie, comme Jean-Denis Bredin, ou même, plus jeune, Jean-Pierre Mignard (proche de Jacques Delors et de François Hollande) ?
Puisque nous y sommes, à propos d'un éventuel remaniement ministériel, il est vrai que les rumeurs de départ du gouvernement de Christiane Taubira et de Laurent Fabius sont persistantes, et aussi du départ de Fleur Pellerin du Ministère de la Culture. Alors, pour simplifier la vie des deux têtes de l'Exécutif, je leur propose les successeurs. Nouveau Ministre de la Justice : Manuel Valls. Nouveau Ministre des Affaires étrangères : Manuel Valls. Nouveau Ministre de la Culture et de la Communication : Manuel Valls. Comme cela, tout sera clair, un peu comme Lucien Grandgarçon dans " Monsieur le Ministre, tome 2", excellente bande dessinée de l'excellent Christian Binet, créateur des Bidochon.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 janvier 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Christiane Taubira, ministre météore ?
La déchéance de la nationalité.
Le mariage gay.

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160115-taubira.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/christiane-taubira-une-voie-royale-176588
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