Valls et le non-penser

Publié le 17 janvier 2016 par Jean-Emmanuel Ducoin
La prestation réfléchie et préparée de Manuel Valls dans ‘’On n’est pas couché’’ était-elle impropre? Dégradante pour la fonction?

Un cran supplémentaire dans le tout-est-possible; quelque chose d’ultra-gênant; presque de malsain… Longtemps encore, les commentateurs disserteront sur la place d’un premier ministre dans un talk-show de fin de soirée, un samedi soir de grande écoute, coincé entre déconne et sérieux, quand le mélange des genres s’impose comme règle et que cette règle même assujettit ceux qui doivent s’y soumettre à des postures de communication, à des «coups de com», selon l’expression consacrée. Ainsi, la prestation réfléchie et préparée de Manuel Valls dans On n’est pas couché était-elle impropre? Dégradante pour la fonction? Déplacée pour une parole publique dont on souhaiterait que l’usage ne soit certes pas sacralisé –évidemment pas!– mais efficace et utile pour autre chose qu’honorer l’un des rendez-vous cathodiques vénérés par les pires communicants qui rôdent dans les coulisses de la politique. Au fond, qu’importe ce que nous pensons de l’émission de Laurent Ruquier. En se livrant à l’«infotainment», Manuel Valls a cantonné sa fonction dans un exercice d’apparence et d’affectivité, renvoyant sa vision libérale de l’individu en forme d’individualisme. La culture de l’émotionnel à n’importe quel prix est venue remplacer brutalement l’émotion de la culture et de la politique. Ce en quoi il est coupable. Pour ne pas dire irresponsable.
Cet épisode survient une semaine après sa petite phrase scandaleuse aux effets dévastateurs chez les intellectuels: «Expliquer, c’est déjà vouloir excuser.» Comme si les sciences sociales, la sociologie, etc., à force de chercher des explications, donnaient des excuses aux contrevenants à l’ordre social. Un amalgame abject. À l’évidence, le premier ministre multirécidiviste s’enfonce, sur tous les sujets, dans une opération de non-penser de très grande envergure et rejette tous les discours de raison, fondés sur la connaissance des réalités. Cette dérive permanente nous conduit désormais à espérer que ce soit un humoriste qui lui exprime ses quatre vérités, comme l’a fait Jérémy Ferrari, samedi soir, non sans talent. Et pendant ce temps-là? Pas un seul mot sur l’injustice ­innommable vécue par les huit de Goodyear. Doit-on seulement s’en étonner?
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 18 janvier 2016.]