Contrairement aux poncifs poussifs du genre, Inuits, les âmes blessées de Jérôme Ségur, sorti avec le coffret Ethnies chez ZED, nous conduit chez les inuits non pour en faire un exemple de vertu pour occidentaux en manque de spiritualité mais pour faire le constat d’une terrible acculturation, de ses conséquences et des solutions qu’on peut espérer lui apporter.
Matthew Naulaq, inuit de la province canadienne du Nunavut, a été condamné pour trafic de drogue. Elena Ootoovak a quant à elle était convaincue d’avoir mis le feu à une cabane. Comme tous les prisonniers ayant reçu une peine de moins de deux ans, il peux bénéficier d’un programme de réinsertion. Dinos Tikivit s’occupe de ses jeunes désorientés en leur enseignant la culture traditionnelle de son peuple.
Le programme de réinsertion mis en place par le gouvernement nunavutien exclu toute remise de peine. Ainsi, les participants, tous volontaires, ne sont motivés rien d’autre qu’une volonté réelle de s’en sortir. Peu des ayants droits manifestent leur envie de participer au grand désespoir des autorités pénitentiaires et des éducateurs. C’est que le mal qui touche l’âme inuit est profond. Comme nous le disons souvent dans nos lignes, connaître sa propre culture, c’est pouvoir apprécier celle des autres et surtout, c’est partir avec une base solide dans la vie. Au Nunavut comme chez nous, la déshérence culturelle crée des personnes en manque de sens près à s’engouffrer dans n’importe quel artifice redonnant un semblant d’horizon à leur vie. Pour certain, c’est la consommation de drogue et pour d’autre la criminalité, l’un comme l’autre exerçant avant tout des fonctions cathartiques aptes à combler le vide d’existences malheureuses. La mondialisation au sens capitaliste, qui n’est porteuse que de valeurs biaisés par le pouvoir et l’argent, pousse vers cette issue fatale, remplaçant l’être par l’avoir.
Ni Seygur ni Tikivit ne critique l’apport indéniable de la modernité. L’éducateur reconnaît sans mal l’avancée qu’à pu constituer l’introduction des armes à feu pour la chasse ou bien des moto-neiges pour les transports. Le problème ne réside pas dans les avancées techniques et la culture inuit peut s’enrichir de culture extérieure. Non, la problématique importante est que, comme tout système de colonisation, l’introduction du libéralisme chez des peuplades nomades vivant de solidarité et de troc, a été fait en dépit du bon sens, comme si la marche pour le progrès pouvait se faire à marche forcée, comme si la vision capitalisme du monde était adaptable à tous les écosystème humain. On dit qu’il y a beaucoup de chômage chez les populations inuits, mais il conviendrait de reconsidérer ce qu’est le travail. Il est certain que faire travailler les populations du grand nord dans l’espoir d’enrichir quelques entrepreneurs aux dents longues et quelques actionnaires cyniques, à l’image de la masse des salariés occidentaux, est une utopie.
Les travaux offerts par l’étendue désertique et enneigée ne peuvent être envisagés comme source de revenue pour les capitalistes. Il s’agit de travaux vivriers, inscrit dans le réel et le quotidien d’un pays et d’un climat très rude. Privé de cette culture qui leur permettait de survivre, le peuple inuit est victime d’un très fort taux de suicide. Il n’est pas fondamental de trouver du travail à tout le monde. Ce qui est fondamental, au contraire, c’est de redonner de la valeur à chaque jour, que l’on sache pourquoi on se lève. Les inuits n’ont guère besoin d’emploi, ils ont besoin de renouer avec des savoirs-faire ancestraux qui leur ont toujours permis de vivre dignement. Le retour à une économie locale devient indispensable. Elle est indispensable pour permettre aux petits paysans et artisans de vivre de leur travail. Elle est indispensable pour redonner du sens à nos vies. Elle est indispensable pour lutter contre la médiocratie qui place l’employabilité comme valeur supplantant l’art des métiers. Jeter un œil à Demain en complément, qui est toujours en salle, si vous le pouvez et traite de ses problématiques.
Les jeunesses du monde entier sont confrontées à un problème semblable. Les métiers, c’est-à-dire les savoirs faire, disparaissent au profit d’emplois interchangeables et sans âmes. En quête de sens, elles s’égarent dans un désœuvrement propice à la violence. Les pouvoirs politiques nous serinent avec le plein emploi et la croissance. Le système est à bout de souffle. L’expérience tentée par Dinos Tikivit ne tend pas à permettre aux étudiants de trouver un emploi en sortant de prison. Non, elle vise plus loin et plus juste. Elle leur permettra de subvenir à leur besoin en dehors de tout lien de subordination hiérarchisé et managérial. S’ils ne se font pas à nouveau happé par un monde qui n’a pas de sens dans l’étendue glaciale où ils vivent, car les tentations restent fortes, Matthew et Elena se dresseront fièrement défiant l’immensité qu’ils auront faite leurs. Le travail, salarié qui plus est, n’est pas une valeur, c’est une servitude. Plus ou moins volontaire.
Boeringer Rémy
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