La majorité de ce quatorzième volet se déroule en hiver, une saison déjà souvent exploitée par Bill Watterson, mais l’auteur n’éprouve visiblement aucun mal à se renouveler tout en continuant d’aborder les mêmes sujets.
Le lecteur sait donc pertinemment qu’à l’aube de Noël, Calvin fait attention à ne pas être trop méchant car il doit s’assurer que le Père Noël lui apportera bel et bien des cadeaux. Chose peu évidente, car avec toute cette neige, la tentation de balancer des boules de neige dans la tronche de Susie Derkins, sa petite voisine et souffre-douleur attitrée, est évidemment très grande. Il compte d’ailleurs se rendre au pôle Nord afin de défendre sa cause avec pour avocat son fidèle compagnon en peluche Hobbes. Tout un programme !
Si le retour de l’hiver lui donne l’occasion d’effectuer des descentes périlleuses en luge à la recherche d’une poussée d’adrénaline, il démontre à nouveau à quel point il peut être créatif une fois entouré de cet or blanc. Le neuvième tome avait déjà permis de donner naissance à son splendide « musée des horreurs des bonhommes de neige » et ce tome-ci dévoile quelques nouvelles créations intéressantes, dont un bonhomme de neige maléfique qui lui donne beaucoup de fil à retordre.
Ah, qu’il fait bon d’être enfant quand il neige ! Enfin, sauf quand on s’appelle Susie Derkins bien évidemment et qu’on a Calvin comme voisin. La petite va de nouveau en voir des vertes et des pas mûres, enfin, surtout des blanches et des bien froides. Encore que… la petite ne se laisse pas faire et n’a finalement pas trop à se plaindre lors de ce tome puisqu’à la grande surprise de tout le monde, Calvin va lui offrir des fleurs et même lui découper un beau cœur en papier. Y aurait-il anguille sous roche ?
L’imagination débordante de Calvin ne sert pas qu’à modeler la neige, mais également à se transformer en Spiff le Spationaute, pour réveiller son père, ou en Hyperman, le redresseur de torts, pour lancer une boule de neige grosse comme une boule de bowling sur la pauvre Susie, voire même en Balle Traçante, un détective privé qui n’a pas peur de mener l’enquête pour trouver l’identité de celui qui a mis leur salon sens dessus dessous. Mais sa créativité ne s’arrête bien évidemment pas là. En effet, si, lors du neuvième tome, le petit Calvin transformait déjà sa fameuse boîte en carton capable de voyager dans le temps en duplicateur, il améliore ici encore son invention grâce à son « éthicator », qui permet de créer des clones sans forcément multiplier le nombre de bêtises. Autant vous prévenir que cette version gentille de Calvin est non seulement assez surprenante, mais surtout à mourir de rire !
« Tu es la seule personne que je connaisse dont même le bon fond est tenté par le mal. »
À l’instar des tomes précédents, celui-ci reprend des histoires de différentes longueurs, allant de trois cases à quelques pages. Chacune offre un plongeon mélancolique dans le monde de l’enfance et invite à découvrir les fantasmes, les rêves et le regard critique de ce petit bonhomme sur le monde des adultes et sur la société en général. Au menu de ce quatorzième volet, il y a bien évidemment aussi les gags récurrents concernant les monstres sous le lit ou le bond de Hobbes lorsque Calvin rentre à la maison. Le lecteur a également droit à quelques récits centrés sur la famille, qui abandonnent souvent les parents de Calvin assez perplexe, notamment lorsqu’il imite son père ou remplit la baignoire d’encre.
L’insubordination de Calvin ne se limite évidemment pas à ses parents car sa maîtresse et le proviseur en font également régulièrement les frais. Il faut dire que notre chenapan n’est pas trop fan de l’école, où son corps est parfois présent, mais son esprit rarement. Le pauvre a d’ailleurs subi un lavage de cerveaux de la part d’extra-terrestres, ce qui explique qu’il ne sait plus additionner. Et je vous invite vivement à assister à son exposé intitulé « à la maison, après l’école », qui m’a fait hurler de rire.
Si la puissance comique de ces strips atteint des sommets, l’humour est également souvent d’une telle sophistication que plusieurs niveaux de lecture sont possibles. Au-delà de la simplicité apparente de ces gags burlesques se cache en effet un autre niveau de lecture, plus adulte, qui mêle critiques acerbes, réflexions intelligentes et cynisme ravageur. Les noms des personnages faisant respectivement référence à Jean Calvin et à Thomas Hobbes, le lecteur ne s’étonnera d’ailleurs pas de croiser quelques considérations philosophiques.
Parlons finalement de l’empathie inévitable envers ce duo éminemment sympathique, qui émeut le temps d’un câlin lors de l’évocation des cadeaux de Noël. Ce gamin doté d’un sens de la répartie incroyable est particulièrement attachant et l’idée de donner vie à une peluche dans son imaginaire est tout bonnement brillante. Cela résulte non seulement en une complicité incroyable entre les deux, mais permet surtout de donner vie à l’imaginaire de l’enfant. Ensemble, ils vivent des aventures mêlant absurde, tendresse, drôlerie, nostalgie et justesse.
Visuellement, le dessin de Bill Watterson est d’une grande simplicité, mais ces visuels aux décors quasi inexistants permettent de mettre l’accent sur les personnages et sur des textes d’une finesse rare. Il faut un talent énorme pour parvenir à partager des tranches de vie en seulement trois cases et pour pondre des gags purement visuels sur base de postures ou d’expressions.
Encore un excellent tome !