C'est par ces vers qu' Alphonse de Lamartine termine la première partie de son poème dédié au château de , qu'il considère comme sa terre natale et qu'endetté jusqu'au cou, il sera un jour contraint de vendre.
En lisant Le Royaume des oiseaux, de Marie Gaulis, de tels vers viennent spontanément à l'esprit. Ce livre est en effet le récit des vies de celles et de ceux qui ont précédé la narratrice sur Terre et qui ont habité la demeure familiale savoyarde avant qu'un de leurs descendants ne doive se séparer de ce royaume " étroit et merveilleux ".
Après la mort en couches de sa femme Jeanne, Max de Foras, l'arrière-grand-père de la narratrice, en 1895, épouse en secondes noces Mary Read, une riche héritière américaine. L'argent qu'elle apporte va permettre au château de ne pas s'écrouler et à la famille Foras de dépenser, en réceptions, danses et banquets.
Marie de Foras, pieuse catholique, fait construire une chapelle. Autant son mari est indolent, autant est entreprenante cette fille de John Meredith Read, "Après qu'elle y a installé des salles de bains, Max devient adepte du long " qui fut général et consul des Etats-Unis en Grèce et en France ". C'est elle qui surveille les travaux d'entretien et de modernisation du château. bain matinal et quasi quotidien "...
Max, libre penseur, chasseur et fumeur de pipe, regrettant le " silence d'avant le téléphone et la radio, silence d'avant toute cette machinerie électrique qui a depuis envahi l'espace ", perpétue la tradition velléitaire de la famille: " Les comtes, depuis plusieurs générations et avec quelques exceptions, n'étaient pas simples d'esprit, ils étaient simplement paresseux avec des élans désordonnés vers l'action ou plutôt [...] le simulacre d'action. " ...
Joson de Foras, fils de Max, aime l'aventure. Il abandonne ses études de droit à l'université de Princeton pour partir vers le nord, " faire le trappeur en Alaska " prétend-il. Il ne retourne à New-York que lorsque, partageant " la couche de peaux " d'une femme de tribu, il s'entend parler d'union par la famille de celle-ci... Rappelé par son père, de retour en Savoie avec Dora, sa jeune et belle femme, il est pris au piège dans le château...
Dora, en fait Théodora, aurait pu faire tout autre chose que d'être châtelaine en Savoie et d'épouser Joson, ce nobliau apathique et défaitiste. Elle n'est pour autant pas uniquement, comme c'est la destinée féminine de son temps, maîtresse de maison, épouse et mère. Artiste dans l'âme, elle devient " peintre malgré tout ": " C'était une forme de résistance tout autant que de création [...], c'était la façon pour moi d'exister et de tenir ma vie. "
Cette histoire, qui restitue plusieurs époques, est racontée par les défunts Marie, Max, Joson et Dora, et par leur bien vivante descendante.
Les défunts regardent le monde depuis leur poste d'observation, qui n'a rien à voir avec la croyance inculquée " depuis l'enfance, en la vie éternelle et l'immortalité de l'amour ": ils flottent, dans un " présent sans limite ", au-dessus du royaume, " dans les nuées, devenus oiseaux peut-être, ou nuages ou vent ". La narratrice elle rassemble ses souvenirs et les traces laissées par les défunts.
Bien après eux tous, resteront " les pierres, couvertes de mousse, lézardées ou descellées ":
" Les pierres sont résistantes, elles s'adaptent, supportent la pluie, la neige, le vent. Et même si les toits s'écroulent, ce qu'ils finissent par faire - on ne connaît pas de monument très ancien qui ait gardé sa toiture, les temples laissent passer l'air et la lumière - demeurent longtemps, plus longtemps que nos vies, celles de nos aïeux et celles de nos héritiers, les murs avec leurs traces de fenêtres et de portes, les tours, les escaliers qui ne mènent plus qu'à la vaste trouée du ciel. "
La modernité n'efface jamais complètement les vestiges des mondes anciens...
Francis Richard
Le Royaume des oiseaux, Marie Gaulis, 128 pages Zoé (janvier 2016)
Livres précédents chez le même éditeur:
Le rêve des naturels (septembre 2012)