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[Interview manga] Kurokawa : un éditeur populaire

Publié le 16 janvier 2016 par Paoru

Interview Kurokawa

Cela faisait quelques mois que j’avais mis l’exercice en pause mais avec les bilans de fin d’année il est grand temps : l’interview éditeur est de retour ! Pour commencer cette nouvelle série de 4 voir 5 entrevues ce semestre, c’est Grégoire Hellot, directeur de collection chez Kurokawa qui va ouvrir le bal. Pour la sortie, cette semaine, de One-Punch Man, ça tombe à pic. Pour cette 3e entrevue nous avons évoqué un premier bilan 2015, mais c’était également l’année des 10 ans donc, à travers différentes œuvres, quelques constats et des initiatives éditoriales, cette interview a été l’occasion de redéfinir ou ré-affirmer les priorités et l’identité de l’éditeur manga d’Univers Poche : pertinence, excellence et accessibilité en sont quelques unes, comme vous allez le voir dès maintenant… Bonne lecture !

2015, année du renouveau ?

Bonjour Grégoire Hellot,

Commençons par l’actualité… On entend parler depuis fin 2014 d’amélioration pour le marché du manga donc question : 2015, année du rebond ?

Oui, complètement. Quand on regarde le marché on voit qu’il était à la baisse depuis quatre ans puis en 2014, il a fait une légère remontée : après des baisses entre -5 et -9 % l’année s’achevait sur un -2 %, c’est-à-dire une stabilisation.

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Il y avait en effet un début de remontée au second semestre et on se demandait si cette progression serait confirmée en 2015… C’est quelque chose de timide ou de vraiment marqué ?

Non c’est assez significatif puisque l’on fait +10% pour l’instant (interview réalisée à la mi novembre, NDLR). Il faudra voir ce que donne novembre et la fin d’année mais il y a déjà eu plein de bonnes choses : entre Arslan, Pokemon, Red Eyes Sword chez nous, puis les très bons scores de l’Attaque des Titans et ses dérivés, les survivals chez Ki-oon

On constate aussi que le shôjo reprend des couleurs avec plusieurs titres assez forts : chez Kurokawa il y a Wolf Girl & Black Prince qui a été le meilleur lancement shôjo en 2014 et qui continue à être très fort cette année. Toujours chez nous on note aussi le retour de séries très puissantes à la publication assez lente comme Vinland Saga, on n’avait pas eu deux tomes la même année depuis un moment déjà, le démarrage de Saint Seiya Saintia Shô qui est bon et Ultraman s’accroche bien aussi…

Comment expliques-tu cette tendance à la hausse ?

Les tendances que je vois c’est que nous étions en baisse car les séries qui trustaient les premières places étaient des titres comme Naruto qui ont dix ans ou plus aujourd’hui. Alors que là depuis deux ou trois ans, nous avons des séries très fortes : je pense à Arslan, L’attaque des titans et Pokémon.

La cause première du rebond serait donc l’arrivée de nouvelles séries ?

Exactement. Les gens qui avaient commencé à lire Naruto à 15 ans en ont 25 aujourd’hui, donc forcément leur consommation de manga baisse. Le public a changé aussi : avant nous étions peu à lire du manga mais on achetait tout ce qui sortait. Maintenant nous sommes plus nombreux mais ils lisent tous la même chose. Il y a une convergence des goûts, mais ils n’avaient pas d’autres choses à découvrir. Or là nous avons eu deux années exceptionnelles où il y a énormément de nouvelles licences qui ont réussi à susciter l’intérêt des gens.

JUMP
Le renouveau des blockbusters en France s’est plutôt fait, pour le moment, sur des titres de la Kodansha comme L’attaque des Titans et Seven Deadly Sins que sur Kuroko no Basket ou Assassination Classroom de Shueisha. Comment tu expliques ça ?

Tout est question de période éditoriale. Quand tu as un magazine, que ce soit le JUMP ou un magazine de Kodansha, il faut un équilibre : tu ne peux pas avoir dix séries de bagarres. Tu vas donc prendre trois séries de bagarre, trois séries de sport, trois comédies romantiques, etc.

Le truc c’est que, dans le JUMP, les trois séries de bagarre c’est One Piece, Naruto et Bleach… donc il n’y a pas de place pour une nouvelle série de ce genre. Donc tu fais un nouveau manga de sport, comme Haikyu ou Kuroko no Basket, qui cartonnent au Japon mais marchent moins bien chez nous car le sport ça ne fonctionne pas en France, tu fais des séries comiques comme Assassination Classroom qui a plus de mal qu’au Japon parce que le manga humour ne réussit pas en France… Et pendant ce temps là Kodansha, qui est déjà servi en séries de sport ou en comédies romantiques, avait besoin de se renouveler leur manga de bagarre… Finalement il s’agit juste d’un hasard de calendrier.

Après le marché français est microscopique face au marché japonais, donc Shueisha n’a pas fait une mauvaise affaire en sortant un Kuroko no Basket plutôt qu’un énième manga de bagarre.

Ce retour de séries fortes est donc une bonne chose pour le marché, mais il aura fallu beaucoup de temps pour qu’une génération de Naruto, Bleach ou d’autres cèdent la place. Bleach n’est pas tout à fait fini en plus, et One Piece est parti pour durer. Est-ce que tu penses que les nouveaux leaders qui s’installent sont partis pour suivre le même schéma ?

Pas forcément, on voit déjà que l’Attaque des Titans n’est pas conçu comme un manga qui pourrait dépasser les 50 tomes de par le choix de son récit par exemple. Et puis pour les récits longs qui occupent le haut des ventes, il y a déjà Fairy Tail qui continue depuis un long moment déjà.

Licences et stratégies : les choix de Kurokawa

One-Punch Man
Je fais la transition avec votre catalogue : dans cette vague de nouvelles séries il en restait une encore inédite chez nous, c’était One-Punch Man, depuis peu annoncé chez Kurokawa. Elle était très convoitée, comment vous avez fait pour l’avoir ?

Parce qu’on était les meilleurs.

Quels étaient vos arguments et qu’est-ce qui a fait la différence selon toi ?

Je ne peux parler à la place de l’éditeur mais je suppose qu’ils ont été déçus par ce que proposaient les autres éditeurs alors que nous avons présenté un lancement très original, nous nous sommes aussi engagés sur une qualité éditoriale. One-Punch Man est une œuvre qui est très… écrite, même si on parle souvent de ses qualités graphiques : le scénario, les jeux de mots constituent tout un univers qu’il faut réussir à retranscrire en français et je pense que là-dessus nous avons une expertise éditoriale.

Si One-Punch Man a aussi bien des qualités graphiques que scénaristiques et une réelle identité, c’est donc un potentiel carton : on peut supposer que vous allez « mettre le paquet » mais concrètement quelle est votre stratégie sur ce titre, est-ce que l’on peut aller au-delà d’un public manga avec et comment ?

Notre stratégie sera simple : faire ce que l’on sait faire le mieux, à savoir toucher un public qui n’est pas forcément le cœur de cible du manga. Grâce à son propos universel sur le héros et son rapport à l’univers qui l’entoure, One-Punch Man possède une universalité dans sa narration que nous allons mettre en avant du coté de la communication afin que les médias puissent transmettre cette universalité à leurs lecteurs/spectateurs.

Arslan tome 1

One-Punch Man
c’est pour 2016, revenons sur 2015… Tu cites l’Attaque des titans et Pokémon dans les nouvelles séries à succès, c’est quelque chose que l’on savait déjà. Mais si je t’écoute bien, Arslan ferait lui aussi un très bon démarrage cette année ?

Sur les dix-sept premières semaines de vente, le tome 1 s’est écoulé à plus de 30 000 exemplaires… Ce ne sont plus des chiffres que l’on voit si souvent.

Effectivement. Si on fait la comparaison avec Hero Tales le succès n’avait pas été de la même envergure…

Il faut faire attention en comparant ces deux séries car c’est très différent. Hero Tales est un fanzine qu’elle a fait avec ses amis au lycée et qui a été adapté en dessin animé… puis elle l’a refait en manga quand elle est devenue professionnelle pour accompagner le dessin animé. Arslan est l’adaptation d’un roman, ce n’est pas pareil.

De plus Arslan est un livre important au Japon, un classique de l’heroic fantasy. Peut-être pas au point des Seigneur des Anneaux car le propos est assez différent mais c’est un livre très populaire, une saga qui compte quinze tomes et qui va continuer… Il possède des qualités narratives indéniables, le matériau de base est très bon, donc comme Hiromu Arakawa a un vrai talent pour raconter les histoires, le manga est d’une très grande qualité.

Tiens d’ailleurs ce roman a-t-il été publié chez nous ?

Oui, le premier tome a été publié chez Calman Levy, à l’époque où l’éditeur faisait une double collection avec Kazé.

Ça a l’air d’être quelque chose d’assez ancien, est-ce tombé dans les limbes avec peu d’espoir de voir la suite ?

Je n’ai pas l’impression que l’expérience fut concluante et qu’ils sortiront la suite…

Ça me permet de rebondir sur un autre sujet : certains éditeurs publient désormais les light novels qui ont inspiré des mangas, est-ce que c’est quelque chose que vous pourriez envisager de faire ?

Je pense que le light novel ne marche pas en France. Point. Toutes les expériences qui ont été menées par les gros ou les petits éditeurs en France ou aux Etats-Unis montrent que ça ne fonctionne pas. Simplement parce que si le gens veulent lire des romans en France, ils veulent lire des vrais romans : quand tu vois le succès de Hunger Games ou d’Harry Potter ça montre qu’ils veulent des vrais livres de 500 pages, des pavés et non pas des choses de 150 pages écrit… « facilement ». C’est ça le principe de la light novel, c’est fait pour les gens qui ont la flemme de lire. Mais chez nous les gens qui ont la flemme de lire ne lisent pas, tout simplement, il n’y a pas d’entre deux.

Autre nouveauté de l’année chez vous, des classiques français en manga. Même si c’est encore mineur on peut voir des français émerger timidement au Japon avec La République du catch de Nicolas de Crécy dans l’Ultra Jump, ou Radiant de Tony Valente. De votre côté vous sortez Les Misérables ou Arsène Lupin chez Kurokawa où ce sont des récits français qui sont réadaptés et mis en avant. Quels sont les intérêts de ces influences croisées pour nous ?

Les misérables tome 3
Si j’ai choisi Les Misérables ou Arsène Lupin en manga c’est parce que j’ai été inspiré en discutant avec des bibliothécaires et des documentalistes qui m’ont dit : « les jeunes gens d’aujourd’hui ne lisent plus, à part le manga ils refusent de lire des bouquins. » ou « les élèves de collège et de lycée sont en échec scolaire car ils ne veulent plus lire de livre mais on arrive à les intéresser car il y a des adaptations en BD de grands classiques français. »

Je me suis dit que c’était la voie à suivre : j’ai fait Les Misérables et Arsène Lupin et je compte bien en proposer d’autres pour justement faire en sorte que le manga puisse avoir un rôle de vecteur de culture car les bibliothécaires, les documentalistes et les professeurs sont en demande de ce genre d’ouvrage. Il y a beaucoup de jeunes gens aujourd’hui qui disent que « la culture française c’est ringard », que « les histoires françaises c’est bidon, moi j’aime que les supers héros », etc. alors que, parmi ceux qui lisent le manga des Misérables et qui ne connaissent pas l’œuvre originale, certains vont dire que « c’est mortel », que «  Javer c’est un enculé ! »… ils rentrent dans l’histoire !

Quand tu lis Arsène Lupin tu te dis « merde il a inspiré Batman, il a inspiré tous les supers héros mais en fait c’est un Français de 1910 »… C’est un bagage culturel que l’on transmet de manière modernisée.

Peut-être qu’un jour des artistes français publieront régulièrement des mangas au Japon mais le but recherché avec ces deux titres n’est pas l’échange franco-japonais. C’est avant tout d’intéresser des gens au manga – car il y a des gens qui connaissent Les Misérables et qui seront curieux de voir ce qu’en font des auteurs japonais –  et d’attirer les gens qui ne lisent que des mangas mais qui se disent que « ah Les Misérables j’ai toujours eu la flemme de lire, donc en manga c’est peut-être l’occasion de jeter un coup d’œil. » Idem pour Arsène Lupin c’est l’occasion d’en apprendre plus sur cette figure du patrimoine culturel français.

On parle donc d’utiliser des classiques de notre culture adaptés en manga pour attirer un public mais il y a aussi une autre possibilité : faire de certains mangas des classiques de lectures, en leur donnant des « lettres de noblesse » si on peut le dire ainsi. Cela se fait souvent à travers des collections particulières : Ecritures chez Casterman, Latitudes chez Ki-oon, Made in chez Kana,… Est-ce quelque chose que vous pourriez envisager chez Kurokawa ?

Pas pour l’instant non. Nous sommes un éditeur poche, on vise plutôt le grand public avec des petits formats, des choses pratiques à lire… Nous voulons plus aller vers 512 pages pour 10 euros que le contraire (Pokemon – La Grande Aventure, NDLR), nous cherchons à être un éditeur populaire.

Le prix reste donc l’un des éléments clés chez vous…

Oui, et je suis fier d’être l’éditeur le moins cher du marché.

Comment faire pour le devenir et/ou le rester, quels sont les choix que ça impose ?

C’est mathématique : il suffit de baisser sa marge, et de faire en sorte de réduire les coûts de production sans sacrifier la qualité. C’est un choix à faire, et que nous avons fait car nous estimons que le manga est un produit grand public et populaire.

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Après l’accessibilité, l’attractivité : les couvertures (on salue Fabien Vautrin votre directeur artistique au passage). C’est une problématique assez particulière dans le monde du manga, et Kurokawa semble tirer son épingle du jeu, à l’image de Nozokiana. Pourtant la validation des visuels avec les Japonais ce n’est pas quelque chose de réputé pour être simple, comment gérez-vous ça ?

Tout simplement, on leur explique. On leur dit « voilà visuellement votre livre n’est pas adapté donc soit vous nous faites confiance et vous nous suivez sur ce design et on en vend plein, soit vous nous imposez un visuel que les gens ne vont pas comprendre et vous n’en vendrez pas. » Et neuf fois sur dix ça marche.

Est-ce que c’est quelque chose qui s’est simplifié au fur et à mesure des années avec leur compréhension du marché français ?

Non en fait ça a toujours été comme ça, il n’y a jamais eu de soucis. Sur les licences c’est plus compliqué car il y a des logos imposés et des chartes graphiques mais nous avons toujours fait au plus libre possible. Nous n’avons jamais eu de couverture où nous nous sommes dit : « c’est vraiment pénible qu’ils nous imposent ça, on ne va pas en vendre. »

Nous avons toujours réussi à plaider notre cause. La preuve c’est que nos couvertures de Nozokiana, qui ne ressemblaient absolument pas à ce qui se faisait au Japon, ont été imposées par les Japonais à l’éditeur allemand. Pareil, le logo de Magi que nous avons créé a été imposé pour tout le reste de l’Europe.

Dans la lignée de la couverture le graphisme d’un manga a lui aussi une importance primordiale. Là-dessus tu dis en interview que le problème n’est pas tellement que le manga soit moche ou non c’est surtout qu’il rentre ou pas dans l’idée que les gens se font d’un graphisme manga… C’est quoi cette « image » et est-ce que ça t’oblige à refuser beaucoup de titres ?

Difficile de décrire un style de dessin par les mots ; il s’agit d’un graphisme « dans l’air du temps », et oui malheureusement, même si je ne les ai jamais comptés, il m’arrive régulièrement de devoir faire l’impasse sur des titres intéressants car graphiquement « ça ne passerai pas » auprès du public. Et sortir un excellent manga qui ne se vend pas reste une expérience frustrante et aucunement épanouissante, donc…

Silver Spoon 12
Après la couverture ne fait pas tout, il faut savoir « positionner un manga », quelque chose sur lequel tu travailles beaucoup (je me souviens du travail sur Silver Spoon par exemple). C’est quoi ta recette pour ça : tu y réfléchis seul, en équipe ?

Nous y réfléchissons avec Adeline qui est l’éditrice de Kurokawa et Fabien. Mais, à vrai dire, je ne sais pas vraiment quoi te répondre puisque pour nous c’est l’évidence même : quand tu sors un bouquin tu sais ce qu’il y a dedans.

Ensuite c’est une question de pertinence : faut-il sortir Silver Spoon comme une énième comédie romantique ou est-ce qu’il est plus pertinent de jouer sur le coté du lycée agricole et de tenter un partenariat avec le ministère de l’agriculture ? La réponse nous a semblé assez évidente, encore faut-il s’intéresser au produit culturel que les éditeurs japonais t’ont confié.

Ce qui va de pair avec prendre du temps pour chaque titre et en sortir moins, votre politique depuis le début…

C’est un choix. Le marché étant inondé ça ne sert à rien d’en faire plus. Ça ne se vendra pas d’une part et d’autre part les libraires vont te détester. Moi je sais que la plupart des libraires que l’on connait directement ou indirectement apprécient Kurokawa parce qu’il y a peu de titres donc ils peuvent tous les travailler. Quand un distributeur vient dans une librairie présenter les titres Kurokawa il y en a peu donc le libraire s’en souvient et c’est aussi plus facile à conseiller aux lecteurs.

C’est une question de respect du libraire et de l’éditeur que de ne pas inonder le marché.

C’est une stratégie que tu défends et que tu expliques depuis toujours, et on pouvait imaginer qu’avec les difficultés du marché du manga ces dernières années, une majorité aurait opté pour cette solution. Mais le nombre de publication continue d’augmenter chaque année : certains restent de très gros pourvoyeurs de manga et même si le nombre de publication baisse chez d’autres de nouveaux entrants arrivent dès qu’il y a une brèche… C’est sans fin ?

C’est un problème de réflexion… et d’ambition. Nous on ambitionne de vendre beaucoup d’exemplaires de chacune de nos œuvres. La plupart des autres éditeurs réfléchissent en termes de part de marché. Parfois ils ont un manga qui se vend à trente mille exemplaires qui s’arrête, et plutôt que de sortir un autre nouveau manga qui risque de faire vingt ou vingt-cinq milles ventes ils vont publier dix mangas qui font trois milles ventes pour garder le même niveau et donc ne pas perdre de part de marché.

Une logique comptable ?

Les deux logiques sont comptables au final mais je dirais qu’il y a une logique de maths d’un coté avec les parts de marché, et une logique d’excellence de l’autre avec un travail sur chaque titre. Nous avons choisi l’excellence. Après je ne peux pas répondre à la place d’un tel ou d’un autre, certains ont choisi d’être numéro un en terme de part de marché et les patrons disent aux responsables mangas : « tu te débrouilles, tu charges la mule s’il le faut mais vous devez être numéro 1 ». On leur met la pression et ils sortent deux fois plus de livre que nous.

La décennie écoulée… et celle à venir

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Finissons l’interview en prenant un peu de recul. Qu’est-ce que ces 10 ans de tentatives, réussites ou échecs, et ce travail en tant que directeur de collection t’ont appris sur ton métier et sur le marché du manga ?

Ce que j’ai appris…

Que le marché des enfants c’est dur et qu’il faut être bien préparé.

Que les Japonais, contrairement à ce qu’on veut te faire croire dans les films ce ne sont pas des gens mystérieux et ce n’est pas super difficile de travailler avec eux, il faut juste connaître les règles. Je trouve ça même beaucoup plus difficile de travailler avec les Américains qu’avec les Japonais pour être tout à fait franc avec toi.

Que les imprévus c’est comme tout, ça se gère. Que les communautés aussi ça se gère. Les fans de manga ont la réputation d’être des ayatollahs, des mecs super violents, super véhéments sur internet. Ben non, il suffit de leur expliquer intelligemment pourquoi tel manga sera en retard, pourquoi on a fait tel choix de traduction. Ce sont des gens intelligents qui peuvent entendre ce que tu as à leur dire. Le tout c’est de prendre la peine de leur parler et de communiquer avec eux.

Quels sont tes moteurs et les ambitions pour les années à venir ?

Tout simplement continuer à faire ce que l’on fait, c’est-à-dire élargir le manga, trouver des solutions pour proposer à des gens qui ne lisent pas ou ne lisent plus des mangas de venir ou d’y revenir en publiant des choses à la fois originales et pertinentes. On dit qu’au Japon il y a des mangas pour tous les âges : oui effectivement il y a des mangas sur les hôtesses, des mangas sur le golf, etc mais ce n’est pas parce que des hommes de 50 ans au Japon vont lire des mangas sur le golf que des hommes de 50 ans en France vont vouloir lire la même chose. Il faut aussi créer des surprises éditoriales auquel le public français n’aurait pas pensé et éveiller sa curiosité.

C’est notre but. Tout en continuant à créer un nouveau public sur la collection enfant pour s’assurer d’une nouvelle génération.

Dernière question : en 2013, en pleine baisse du marché je t’avais demandé comment faire face aux difficultés du manga. Si j’adapte la question à la reprise du marché en 2015, qu’est-ce qu’il faut faire pour poursuivre ce rebond et éviter que ce ne soit qu’un feu de paille, qu’il finisse par repartir à la baisse ?

De toute façon tu auras toujours ce problème de l’alimentation : les blockbusters suivent un phénomène cyclique et le problème se posera tous les cinq ans. Il ne se résoudra jamais. Ce n’est pas comme les supers héros où pendant 50 ans tout un tas d’auteurs différents vont dessiner le même personnage. Quand une série s’arrête il faut qu’une autre prenne la suite. C’est sans fin de toute façon.

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Mais en dix ans les éditeurs de manga ne font plus leur travail de la même façon : en termes de qualité, en termes de communication et de marketing… pas mal de choses ont évolué. Est-ce qu’il reste encore selon toi des choses où l’on peut et où l’on doit encore mieux faire ?

Ça peut être des choses techniques que les Japonais savent faire et nous non, c’est imprimer les pages couleurs en milieu de bouquin. Ce n’est pas possible car les mangas sont imprimés en cahier de 16 pages, donc si ta page couleur ne tombe pas sur un multiple de 16 tu ne peux pas la mettre. C’est purement technique mais là-dessus on va s’améliorer.

Il y a d’autres améliorations que l’on peut envisager comme sur le numérique : cela fait cinq ans que les éditeurs japonais sont frileux sur le numérique mais maintenant que ça se développe on se rend compte que ça a du mal à décoller en France et qu’au final ce ne sera peut-être pas l’Eldorado que laissait entrevoir les Etats-Unis. Là bas le marché s’était très bien développé, ça représentait 40% du secteur, mais on se rend compte que les gens reviennent au livre papier et que le numérique se casse la figure.

C’est donc très difficile de savoir de quoi sera fait l’avenir dans ce domaine, notamment sur les mangas car nous arrivons à une double génération avec des jeunes et des adultes : est-ce que les jeunes vont préférer une consommation sur tablette et quelle genre de consommation, est-ce que les adultes reviendront eux vers le format papier ? Ce sont des questions à se poser sur les années à venir. Donc voilà pour l’instant je pense que les points sur lequel on peut améliorer le manga en France concernent les modes de diffusion numérique, essentiellement.

C’est noté, merci Grégoire Hellot et encore joyeux anniversaire à Kurokawa !

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Pour en savoir plus sur Kurokawa et son actualité, vous pouvez vous rendre sur leur site internet, leur blog où les suivre sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Enfin, en complément, je vous conseille l’interview fleuve de Kurokawa chez les amis de Manganime !

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Retrouvez également les bilans manga annuel du marché français réalisés par le chocobo : 2010, 2011, 2012 , 2013 et maintenant 2014.


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