"Il savait dessiner les forêts et depuis qu'il s'est noyé, personne ne s'y est risqué. Et ceux qui osent, maman et moi les méprisons.Pour dessiner une forêt qui soit assez grande, on ne met pas la cime des arbres et le ciel. Juste des troncs droits et très gros qui s'élèvent vers les nuages. Le sol est constitué de doux vallons, de plus en plus loin, de plus en plus petits, jusqu'à ce que la forêt soit infinie. Il y a des pierres, mais on ne les voit pas. La mousse pousse dessus depuis des milliers d'années et personne n'y a touché. Si on marche dans la mousse, cela fait un grand trou qui prend une semaine à se réparer. Si on marche dessus une deuxième fois, on a fait un trou pour l'éternité. Si on marche une troisième fois sur la mousse, cela la fait mourir.Dans une forêt bien peinte, tout est plus ou moins de la même couleur, la mousse, les troncs et les branches des sapins. Tout est doux et grave, à mi-chemin entre le gris, le marron et le vert, mais avec très peu de vert. Si on veut, on peut y placer un être humain, une princesse, par exemple. Elle est toujours blanche, très petites avec de longs cheveux blonds. On la place au milieu ou dans la bordure dorée. Après la mort de John Bauer, les princesses sont devenues modernes et elles étaient de n'importe quelle couleur. Juste des enfants normaux déguisés."
(extrait de "Baies" une nouvelle issue de "L'art de voyager léger et autres nouvelles" de Tove JANSSON, Livre de poche; illustrations de John BAUER, bien-sûr)