Reproductions et copies
L’art à l’épreuve de la standardisation
La reproduction d’œuvres d’art vit son âge d’or. De plus en plus d’enseignes commerciales et de sites web spécialisés proposent à bas prix des copies ou des reproductions d’œuvres consensuelles. Avec le clonage des Jocondes et des Marilyn Monroe, une regrettable uniformisation des goûts détourne le public des créations originales.
Je me suis intéressé cette semaine à l’envers du décor : les « usines d’art » chinoises qui alimentent ce marché fleurissant.
À propos de l’auteur :
Commissaire-priseur depuis 2012, j’ai eu maintes occasions d’animer des ventes aux enchères dites « courantes » où sont dispersés des objets de faible valeur. Ces ventes permettent de réaliser ce qui distingue fondamentalement une œuvre originale et un fac simile : au lendemain de son achat, la reproduction ne vaut quasiment plus rien.
Il sera donc toujours préférable d’acheter une petite œuvre originale qu’une grande et pâle copie. Il y a, entre elles, autant de différences qu’entre une vraie tomate et une tomate cultivée hors-sol : l’authenticité a une saveur.
Frank Puaux
UN SIÈCLE DE REPRODUCTION
Le phénomène de la reproduction d’art n’est pas nouveau et nous avons déjà suffisamment de recul historique pour en apprécier les effets à long terme. Le XIXème siècle a révolutionné la production des objets de décoration avec des procédés mécaniques permettant la multiplication des tirages (la chromolithographie, le métier Jacquard, la galvanoplastie, etc.)
Ces méthodes industrielles ne doivent pas être confondues avec l’édition d’art, dans laquelle l’auteur maîtrise la direction artistique de la production de l’image (voir par exemple notre interview de Didier Brousse sur les tirages photographiques). Une copie servile ne transmet jamais l’âme de l’œuvre dont elle s’inspire, ou – pire – elle la compromet tout à fait !
en canevas
en étain
en chromolithographie
Les innombrables Glaneuses qui ont envahi tous les foyers français au début du XXe siècle en sont un regrettable exemple. N’ont-elles pas nuit au chef d’œuvre de Jean-François Millet qu’elles pastichent maladroitement ? En tout cas, leur prolifération a indéniablement lassé le public et leur valeur est aujourd’hui tout à fait nulle.
Les Glaneuses du XXIe siècle sont des portraits de Audrey Hepburn, des taxis new-yorkais et des cabines téléphoniques britanniques. De nouveaux procédés de reproduction photomécanique perfectionnent de jour en jour la qualité de ces fac simile, mais ils n’en demeurent pas moins des copies standardisées et le marché en est saturé.
Ce jugement n’est pas esthétique et je suis même partisan des « produits dérivés », du moment qu’ils n’ont pas la prétention de remplacer la création. Je regrette simplement que des sites internet (aux noms révélateurs comme art.fr, easyart.fr, ou muzeo.com) entretiennent une confusion entre art et décoration, alors que tant d’auteurs auraient besoin d’être mieux diffusés.
L’art n’est pas forcément hors de prix : quand bien même il coûterait trois fois plus cher, le plus simple des dessins d’un jeune artiste aura toujours plus de valeur que trois reproductions mécaniques.
LA PEINTURE TAYLORISÉE
Au-delà de la question de la reproduction mécanique, se pose le problème de la copie manuelle. De nombreux sites – comme instapainting.com ou arts-reproductions.com pour ne citer qu’eux – proposent, à des prix très modiques, des toiles peintes en Chine selon des procédés « industriels ».
Le village chinois de Dafen, dans les environs de Shenzhen, concentre à lui seul 8000 artistes et produit 60 % des peintures à l’huile dans le monde*. La copie des grands chefs d’œuvre des musées occidentaux est un gagne-pain incontournable pour les jeunes diplômés des écoles des beaux-arts qui, pour la plupart, ne parviendraient pas à vivre de leurs créations autrement.
Bien que ces jeunes artistes soient recrutés lors de grands concours de vitesse, rien ne sert de jeter l’opprobre sur ces ateliers : ils produisent ce qu’on leur commande et, en dehors de quelques portraits de famille photo-réalistes, les clients réclament avant tout des copies d’après De Vinci ou Van Gogh.
C’est l’essence même du rapport à l’art qui est en jeu : les tenants de la reproduction mimétique ne semblent apprécier que les images qu’ils connaissent déjà, alors que l’art est justement le domaine de la subjectivité, de l’innovation et de l’inventivité.
LE POUVOIR DE L’ORIGINALITÉ
Daisuke Takakura, Crowd (série Monodramatic), 2014 / Courtesy Tezukayama Gallery, Osaka (détail)
Pourquoi s’embarrasser d’une énième Joconde alors que celle du Louvre restera toujours la plus belle et que vous y aurez toujours accès ? Acheter une œuvre d’art originale à un artiste encore méconnu a de nombreux avantages, qu’on ne devine pas forcément lorsque l’on a encore jamais essayé. Avez-vous jamais ressenti la satisfaction de repérer un groupe de musique ou une marque de vêtement avant qu’ils ne deviennent à la mode ? C’est une des innombrables raisons qui pourraient vous convaincre de passer le pas !
Vous ressentirez peut-être également le plaisir de détenir une pièce qui a un sens et une histoire. Et qui dit sens, dit débat, car vous ressentirez peut-être l’envie de partager avec vos amis les émotions qu’elle suscite chez vous. Ou vous préférerez éventuellement cacher votre pièce unique pour une contemplation égoïste. Cela dépend des gens. D’une certaine mesure, vous aurez de toute façon l’impression de participer à l’art de votre époque, de vivre avec votre temps et, si vous connaissez l’artiste, d’avoir encouragé sa créativité.
Nul doute en tous cas que votre première acquisition deviendra un prolongement de votre personnalité, qu’elle accompagnera des moments de votre vie et que le regard que vous portez sur elle évoluera avec le temps. Autant d’émotions que ne connaîtront jamais les collectionneurs de posters de taxis new-yorkais !
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