Mon métier comporte en fait un caractère religieux : l’aide au prochain. J’ai toujours voulu être docteur. Lorsque j’avais 17 ans, la mort accidentelle d’un neveu âgé de 2 ans a sans doute dynamisé cette nécessité de faire médecine. Ma vocation vient des boat people de la fin des années 1970. J’appartiens à la génération Charlie Hebdo, Balavoine, Coluche… Ne pouvant pas partir en mission humanitaire – j’ai eu deux enfants assez tôt –, j’ai finalement réalisé que ce type d’action pouvait être mené en France, en bas de chez soi. Pendant 15 ans, notre combat avec des amis a été de faire naître et exister la discipline d’urgentiste.
J’ai toujours été dans un état d’esprit cartésien. Mon père ne croyait pas, ma mère si. Elle m’a transmis sa gentillesse. Pour moi, la spiritualité est un peu au-dessus de la religion : elle transcende quelque chose. Plus j’avance, plus je mesure l’énormité du problème, de la complexité des personnes et de l’existence. Mystère d’une vie après la mort, mystère des pouvoirs de l’esprit. Je me pose toutes ces questions. Celles relatives à la souffrance et à Dieu ont toujours été chez moi obscures. Comment peut-il laisser faire ? En fait, je suis un athée compliqué. Sans cesse, je suis confronté au lien entre la religion et la mort. 54 % des certificats de décès en France sont remplis par les urgentistes. L’expression religieuse ressort souvent dans ces moments extrêmes. Je vois des prêtres au chevet de catholiques, des Africains aux rites étranges, des musulmans préparer l’enterrement qui aura lieu en Tunisie, des juifs organiser des cérémonies à même les chambres... Oui, j’aide à ça. J’ai tendance à croire que les gens vont chercher dans la religion de la bienveillance. Un réconfort. Et je le respecte.
En tant qu’urgentiste, je dois me battre pour la vie. Malgré son absurdité, du fait de sa finalité. C’est assez étonnant. Quelque chose d’absurde n’est pas forcément négatif... Cette vie est magnifique, belle comme un feu d’artifice. Beauté de la culture, de la rencontre, de la nature... Beauté des sourires, des rires, de la gentillesse, des combats contre les souffrances. Un des secrets de l’existence est que le bonheur n’est pas une chose acquise. Il est très difficile d’être heureux. Garder son âme de môme pour être capable de s’émerveiller demande un véritable travail. Moi qui aurais dû être tué le 7 janvier, je vois chaque jour comme un cadeau. Comme une chance renouvelée pour un monde meilleur. Chaque matin doit être le premier.
Que reste-t-il chez les gens à la frontière de la mort ? Que reste-t-il sur leur table de chevet ? Une Carte bleue, des projets immobiliers, des bijoux ? Rien de tout ça. Il ne reste que l’amour. Une photo ancienne d’un proche, une boîte ayant appartenu à leur mère, de petits objets, de petits riens, essentiels à leurs yeux. Cette idée de la croissance selon laquelle il faut à tout prix consommer est une erreur philosophique. J’ignore si c’est l’amitié qui est la succursale de l’amour ou le contraire, mais c’est ce qui me fait vivre. Depuis les attentats, mon détachement pour les choses matérielles a pris un autre niveau. Je me concentre sur l’essentiel : la vie. Je suis un scientifique mais je dois reconnaître que l’amour est immatériel. En fait c’est ça : l’amour est ma religion ! »
> Les étapes de sa vie :
1968 Naissance à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne).
1993 Intègre les urgences de l’hôpital Saint-Antoine à Paris.
1998 Création de l’Association des médecins urgentistes de France.
2000 Rencontre Charb.
2003 Alerte les médias sur les conséquences de la canicule.
2003-2015 Chroniqueur à Charlie Hebdo.
2008 Muté au Samu de Paris.
2010 Publie Histoire d’urgences, tome 2 (Cherche-Midi).
2014 Publie On ne vit qu’une fois (Cherche-Midi).
2015 Attentats à Charlie Hebdo. Reçoit la Légion d’honneur.
(source : La Vie)