Ce n'est pas tout à fait un premier roman. L'auteur confesse en avoir commis un précédemment qui n'a pas été publié. Alors il a "mis le paquet" pour celui-ci qu'il a écrit à toute allure en Espagne, en l'espace de sept semaines.
Le résultat est brillant. En attendant Bojangles (prononcer bodjangueulssss) a déjà été acheté, à la dernière Foire du Livre de Francfort, par dix éditeurs étrangers. Il fait partie des 5 finalistes pour le grand prix RTL Lire, qui sera remis lors du prochain Salon du livre de Paris.
C'est un objet inclassable, ou alors peut-être entre Boris Vian et Fitzgerald. C'est une histoire d'amour fou, entre un homme et une femme mais aussi entre un enfant et ses parents.
Quand le fils raconte, le récit se teinte de surréalisme. Mais quand il intercale des extraits du journal du père le lecteur comprend davantage l'ampleur de la situation. Malgré la cocasserie de nombre de scènes on espère, comme l'écrit le père à propos des histoires que lui-même rapporte, qu'il n'y a rien d'autobiographique dans la description de cette folie douce qui tourne mal : cette histoire est trop grosse, trop monstrueuse pour être vraie ! C'est une fable ! (p. 28)
Il fait vivre au lecteur l'intensité du coup de foudre avec une femme incroyable, qu'il conquiert en rivalisant d'absurdités et d'impostures à une cadence d'enfer jusqu'à ce moment si particulier (p. 33) où l'on peut encore choisir l'avenir de ses sentiments (...) au sommet du toboggan (...) avec cette douce impression de ne plus rien décider, (...) s'enfuir (...) ou m'engloutir dans un bac aux sables mouvants, dorés et ouatés.
L'expression pour le meilleur et pour le pire sera usée jusqu'à la corde. Ils vont convoler dans une sorte de folie douce qui tournera à la folie furieuse. Et pourtant, et c'est là que le roman est extrêmement attachant, il y a beaucoup de moments frappés au coin du bon sens, évidemment car il en va de la folie comme du reste, rien n'est tout rose ou tout noir.
Je ne suis pas sûre qu'en vous résumant l'affaire je parvienne à restituer l'écriture si particulière d'Olivier Bourdeaut. Peut-être saisirez-vous son univers si je vous dis qu'il m'a fait penser au film Marguerite.
Je vous conseille de commencer par écouter Nina Simone avant de plonger dans sa lecture. Soit dit en passant la chanteuse est à la mode puisque c’est une autre de ses chansons qui lançait le spectacle que j’ai vu il y a quelques jours au Théâtre de l’Atelier. Il y était encore question de marguerites.
La passion amoureuse est parfois aveugle. Les parents semblent vivre un amour infini qui s’épanouit dans un monde parallèle où leur enfant occupe la place d’un petit prince. Ils se vouvoient, laissent le courrier s’entasser dans un coin, ont pour animal de compagnie une grue de Numidie sensible aux mondanités, dansaient chaque jour sur "Mr Bojangles" de Nina Simone et surtout font la fête autant que possible. L'enfant apprend à mentir à l'envers à l'école, à l'endroit à la maison et analyse avec la lucidité propre à ses jeunes années une réalité souvent déformée, pour le moins complexe.
C’est joyeusement sérieux, faussement naïf, autant extravagant que bouleversant surtout lorsque le déménagement (c'est ainsi qu'il désigne la démence) devient dévastateur. L’amour pourra-t-il faire un miracle ? Sans doute au moins le temps d’une chanson.
Olivier Bourdeaut est né au bord de l’Océan Atlantique en 1980. On raconte que l’Education Nationale, refusant de comprendre ce qu’il voulait apprendre, lui rendit très vite sa liberté. Dès lors, grâce à l’absence lumineuse de télévision chez lui, il put lire beaucoup, ce qu’il piochait au petit bonheur dans la bibliothèque de ses parents, et rêvasser énormément.
Il a travaillé dans l’immobilier, l’expertise du plomb, la chasse aux termites et l’édition scolaire. Ce qu’il souhaitait le plus au monde c’était écrire. Ce roman est le premier à être publié.
En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut, Finitude, en librairie depuis le 7 janvier 2016