Making a Murderer a eu un succès phénoménal sur Netflix, montrant les rouages d’une enquête et d’un procès très médiatisé, review du documentaire
À moins d’avoir vécu dans une grotte en Alaska ces quelques dernières semaines, vous avez entendu parler du documentaire signé Laura Ricciardi et Moira Demos, Making a Murderer. A grand coup d’images et d’enregistrements s’étalant sur plus de dix ans, la série-documentaire raconte la terrible histoire de Steven Avery, un homme issu d’une famille modeste dans le comté de Manitowoc, Winsconsin. Steven Avery a passé 18 ans en prison pour un crime qu’il n’a pas commis, le viol et la tentative de meurtre d’une jeune femme. Les tests ADN n’étant pas encore d’actualité à l’époque, il a fallut 18 ans aux autorités pour prouver son innocence. Il est enfin sorti, il commence à reprendre ses marques dans le monde extérieur. Mais le sort en a décidé autrement. Il est maintenant le suspect principal d’un nouveau crime atroce, le meurtre barbare d’une jeune femme de 25 ans, Teresa Halbach, dont il clame son innocence pure et simple. Le documentaire retrace l’enquête et le procès.
Avant toutes choses, il est très important de clarifier certains points. Le premier, et à mon sens, le plus important serait que la série toute entière n’est destiné qu’à prouver au public l’innocence de Steven Avery. Jamais on ne verra d’images ni de témoignages allant dans le sens inverse de cette théorie. Maintenant, peut-être n’y avait-il aucun témoignages mettant en doute son innocence, bien entendu, mais ça reste peu probable sur cette affaire. Nous sommes en face d’un documentaire dont la subjectivité n’est plus à prouver. La seconde chose à souligner est que d’un point de vu purement « cinématographique », le documentaire n’a aucune valeur, c’est un documentaire, il documente les faits. Pour cela, il sera présenté uniquement des images d’archives, photos ou vidéos, des papiers officiels, des enregistrements téléphoniques, des archives de médias, des enregistrements de procès, etc. Jamais on ne verra un seul acteur ni une seule reconstitution, uniquement les protagonistes de cette sordide histoire. C’est à mon sens très important de le souligner car c’est ce qui rend le documentaire encore plus surréaliste. Imaginons un instant que je sois quelqu’un d’important, riche et célèbre, comme par exemple un producteur de série télévisée policière, et que quelqu’un vienne me proposer le script de cette histoire, en insistant sur le fait que se soit une fiction, jamais ô grand jamais je n’aurai accepté de la produire. Trop d’incohérences, trop de preuves tirés par les cheveux, trop de faux témoignages, de mensonges, d’avocats véreux, d’incitations ou de coercition, partout, tout le temps. Une fiction n’aurait jamais pu établir un univers crédible avec cette histoire. Et c’est là que tout ceci devient totalement fou, ce documentaire est la triste réalité, rendant le tout incroyablement étrange et édifiant.
Maintenant que tout ceci est dit, passons au vif du sujet. Bien que ce soit peu courant de dire ça pour un documentaire, des spoilers mineurs peuvent s’être dissimulés dans les paragraphes suivant.
Dans le coin rouge, nous avons Steven Avery. Issu d’une famille modeste que l’on pourrait qualifier de redneck white trash, propriétaires d’une casse automobile, n’ayant que peu de liens avec la « communauté » de sa bourgade, provoquant ainsi l’animosité de ses voisins. Personne n’aime les Avery. Ils sont tous plus ou moins un casier judiciaire pour des délits plus ou moins importants, et sont officiellement reconnu comme des fauteurs de trouble. Un jour de 1985, une jeune femme est retrouvée sur une plage voisine, violée et battue. Le coupable parfait était à portée de main, Steven Avery. Malgré le manque flagrant de preuves aussi bien physiques que circonstancielles, il est jugé coupable. Le système judiciaire du Wisconsin étant ce qu’il est, il n’aura pas le droit à la liberté conditionnelle du fait qu’il ait plaidé non-coupable, ce qui était la vérité. Il va passer sa vie en prison pour un crime qu’il n’a pas commis. Cette expérience seule aurait pu le briser. Après cette enquête et ce procès plus que douteux, la vie suit son cours.
Dans le coin noir, nous avons le bureau des shérifs du comté de Manitowoc. Dans un comté aussi peu peuplé que celui-ci, il est relativement normal que les agents des forces de l’ordre connaissent tous le monde, et plus particulièrement une famille comme celle des Avery, notoirement connue pour trouble à l’ordre public. Ce sont eux qui ont conduit l’enquête sur le viol de Penny Beernsten, accusant Steven Avery avant d’avoir le moindre témoignage de la victime, bien que celui-ci n’ait jamais commis de crime de cet ordre. Après un bel exemple de coercition de témoin et un procès n’ayant jamais fait appel à la vingtaine de témoin pouvant fournir un alibi à Steven Avery, les shérifs ont enfin pu se débarrasser d’une petite frappe de leur chère communauté. Tout ça se passe en 1985. Dix ans après, soit en 1995, un shérif obtient une information du comté voisin, signalant qu’une personne a avoué le crime pour lequel Steven est en prison. Mais personne ne bougera le moindre cil suite à cette nouvelle. C’est seulement en 2003, quand la technologie aura assez évolué que les preuves ADN seront examinées, innocentant Steven Avery, et accusant par là même la personne s’étant confessé 8 ans plus tôt.
Steven est donc libre. Après 18 ans de prison, il ne veut pas en rester là. Il intente un procès au bureau des shérifs de Manitowoc, demandant des dommages et intérêts à hauteur de 36 millions de dollars. Rien que ça. Tout avance dans son sens jusqu’à quelque jours avant le verdict de la court civile. Un jeune femme disparaît, Teresa Halbach.
L’enquête se porte directement sur Steven. Des preuves toutes plus « étranges » les unes que les autres font leur apparition, parfois au bout de plusieurs jours, voire même semaines, comme par enchantement. Toujours trouvées par les shérifs du comté de Manitowoc, sans exceptions, bien qu’ils aient été mis sur la touche, dû au conflit d’intérêt causé par le procès intenté par Steven. Des preuves faisant leur apparition après parfois huit ou dix perquisitions dans la même pièce. Bizarre bizarre, surtout quand il y a des très fortes chances que ces preuves aient été placées là par la police. Mais maintenant, il faut un témoin. Et ce témoin sera Brendan Dassey, le neveu et voisin de Steven Avery. Brendan a 16 ans au moment des faits, et un Q.I. de 70 qui fait de lui malheureusement une cible très facile. Interrogatoires multiples sans présence de tuteur légal ni même d’avocat, pression de la part de la « figure d’autorité » qu’est la police, Brendan avoue les faits qui sont reprochés à son oncle, tout en se mettant dans une position de coupable. Deux meurtriers pour le prix d’un, ticket gagnant.
Le reste du documentaire sera le procès de Steven puis celui Brendan. On navigue entre le complot, les parjures, les mensonges et les preuves accablantes pendant ces 6 ou 7 épisodes.
Maintenant, nous sommes en droit de nous demander ce que l’on doit penser de ce documentaire.
En toute honnêteté, je n’ai que très peu de connaissance quant au système judiciaire américain (mais seules références proviennent de New York, police judiciaire, je ne peux vraiment pas être qualifié de connaisseur!) et encore moins de celui de l’état du Winsconsin. Mais je pense avoir un minimum de bon sens, comme tout adulte qui se respecte. Et il y a deux notions qui ne me sont pas étrangères, la présomption d’innocence qui n’a jamais été respectée à aucun moment donné, et la culpabilité au delà de tout doute raisonnable. Dans une interview, Moira Demos, une des deux réalisatrice du documentaire le souligne bien. « There are things that say he could be guilty, but is he guilty beyond a reasonable doubt? Nothing I’ve seen, and I’ve seen a lot of stuff, nothing has convinced me of that. » « Certaines choses pointent vers sa culpabilité, mais est-il coupable au-delà de tout doute raisonnable ? Rien de ce que j’ai pu voir, et j’ai vu beaucoup de choses, ne m’a convaincu de ça. » Qui est à blâmer pour ça ? D’un point de vu purement personnel, je pointerai du doigt les médias. Ils se sont jetés sur cette affaire toute griffes sorties et n’ont jamais essayé de modérer leurs propos faces à l’innocence ou la culpabilité de l’accuser. Ils avaient leur sujet pour les six mois à venir et ont influencé les jurés bien avant que le procès ne débute, probablement malgré eux, bien entendu, mais les faits restent les mêmes.
Pour conclure, je ne peux que vous recommander très chaudement de regarder ce documentaire, il reste réellement passionnant. Outre les frasques dignes d’un mauvais cop-show, on y découvre de l’intérieur les rouages d’un système corrompu, pas forcément par l’argent ou le pouvoir, mais corrompu moralement par des personnes n’essayant jamais de respecter les droits fondamentaux des leurs voisins. La preuve de sa culpabilité ou de son innocence n’est définitivement pas apportée, le personnage reste assez trouble, mais le doute est bien là. Et c’est ce tout petit doute qui nous fera réfléchir.
Making a Murderer est disponible sur Netflix depuis le 18 Décembre 2015, le premier des dix épisodes est disponible en vost sur la chaine Youtube Netflix US & Canada