Yannis Youlountas, décembre 2014, membre de l'assemblée d'occupation de l'Ecole Polytechnique à Athènes
TANT QU'IL Y AURA DES BOUILLES...
La ZAD de Sivens dans le Tarn, une expérience libertaire
Yannis Youlountas
CONTROVERSE SUR LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE
Lettre de Jean-Pierre Voyer à M. Bueno, 1998 (Extrait)
L'ANARCHISTE OMAR AZIZ
et l'auto-organisation dans la révolution syrienne
Leila Shrooms, Tahrir-ICN, août 2013 (suivi de "Repose en victorieux",
"Auto-organisation dans la révolution du peuple syrien",
"Un anarchiste syrien conteste la vision binaire rebelle/régime de la résistance").
A ROADMAP TO A JUST WORLD "Une feuille de route vers un monde juste, le peuple ranimant la démocratie",
Discours de Noam Chomsky au DW Global Media Forum, Bonn, Allemagne, juin 2013
L'INVENTION DE LA CRISE, Daniel Durouchoux, Échanges, la revue des dirigeants financiers,
Commentaire deLukas Stella, juillet 2012
PAR-DELÀ L'IMPOSSIBLE, Raoul Vaneigem, avril 2012
CHOISIR SON MAÎTRE N'EST PAS UNE LIBERTÉ,Lukas Stella, mars 2012
LE MOUVEMENT DES OCCUPATIONS AUX ÉTATS-UNIS , Interview de Ken Knabb, novembre 2011
POUR UNE NOUVELLE INTERNATIONALE,Message d'une insurgée grecque, décembre 2008
LETTRE OUVERTE DES TRAVAILLEURS D'ATHÈNES À SES ÉTUDIANTS,Des prolétaires, décembre 2008
L'ÉTAT N'EST PLUS RIEN, SOYONS TOUT Raoul Vaneigem, juillet 2010
LES FACHISTES S'AFFICHENT EN SE CACHANT ! Le logo du FN est une copie conforme du logo du MSI.
Les origines historiques du Front National, quelques extraits de"Fascisme et grand capital" de Daniel Guérin,
de Guy Debord et de Raoul Vaneigem.
LA MORT À PETITES DOSES PREND SON TEMPSLukas Stella, mars 2011
TOURNANT INSURRECTIONNEL, À Londres comme partout, prenons l'offensive !
Guitoto, mars 2011
COLÈRE ET INDIGNATION, Communiqués CRIIRAD du 23 et 25 mars 2011 (extraits)
COMMUNIQUÉS DE L'OBSERVATOIRE DU NUCLÉAIRE (extraits), mars 2011NOUS VOULONS VIVRE, Dan depuis la prison de la Santé, février 2011
ENTREVUE AVEC UN ANARCHO-COMMUNISTE
SUR LA PLACE DE LA LIBERTÉ AU CAIRE
RÉVOLUTION EN TUNISIE, En avant ! En avant !Parti Communiste-Ouvrier d'Iran
LA RÉVOLUTION MÉDITERRANÉENNE NE FAIT QUE COMMENCER Le régime de Ben Ali au bord de la rupture.
Les biens de la famille du président Ben Ali attaqués et pillés.
, les miliciens de Ben Ali font régner la terreur, Radio Kalima, janvier 2011
Massacre en Tunisie, plus de 80 morts - L'armée fraternise avec les manifestants...
, La chasse aux jeunes est lancée. Un jour, bientôt, ils vous chasseront !
Yahia Bounouar
CROYANCES OBJECTIVES, CAPACITÉS RÉDUITES, Lukas Stella
"Stratagèmes du changement", Chapitre V, 2008
NOUS SOMMES LE MONDE EN DEVENIR, Lukas Stella, août 2009
IMPERCEPTIBLE CONDITIONNEMENT, Lukas Stella,
"Stratagèmes du changement", Chapitre IV, août 2008
APPEL À LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE, Raoul Vaneigem, avril 2009
SUR LA SÉMANTIQUE GÉNÉRALE, Kourilsky-Belliard, Edward T. Hall, Alfred Korzybski, A.E. van Vogt,
Bernard Wolfe, Gregory Bateson (extraits)
SANS RÉSISTANCE NI DÉPENDANCE Jules Henry et Léon Léger,
Les hommes se droguent, L'état se renforce, 1974 (Extraits)
GUY DEBORD, Préface à la quatrième édition italienne de "La société du spectacle", 1979 (Extrait)
DÉPHASAGE, La machine à réduire, Lukas Stella
(extrait de la brochure "Abordages informatiques"), 2002
LE RÊVE DE LA RÉALITÉ Heinz Von Foerster et le constructivisme
Lynn Segal, 1988 (Extraits)
Anthropologue et anarchiste, une double casquette que l'Américain David Graeber, un des penseurs les plus lucides de notre époque, garde vissée sur la tête dans la bourrasque. Pilier du mouvement Occupy Wall Street, il a rendu criant, en 2011, le scandale d'une finance avide, immorale et irresponsable. Plus personne, aujourd'hui, n'ignore qui sont les " 99 % ". Mais l'engagement a un prix. Fin 2011, les camarades de Graeber ont été expulsés manu militari du petit parc new-yorkais qu'ils occupaient depuis deux mois ; l'anthropologue avait, lui, déjà été exclu de l'université Yale, où il enseignait, en 2007. Et il n'a jamais retrouvé de poste dans une université américaine. Auteur en 2011 d'un essai remarquable, Dette : 5 000 ans d'histoire, Graeber a finalement trouvé refuge à la prestigieuse London School of Economics (LSE). C'est là que cet agitateur non violent (mais au débit de mitraillette) nous a reçu pour évoquer son dernier livre, "Bureaucratie", et plonger avec une folle vivacité dans le grand tournis du monde.
ENTRETIEN AVEC TÉLÉRAMA
Nous vivons, dites-vous, dans une société extrêmement bureaucratique. Sur quoi repose cette affirmation ?
Le mieux est de partir d'un exemple concret. J'ai appelé ma banque l'autre jour, pour lui demander de lever une fonction de sécurité qui m'empêche d'accéder à mes comptes depuis l'étranger. J'ai passé quarante minutes au téléphone avec différents interlocuteurs pour résoudre le problème - en vain. Imbroglio bureaucratique classique, mais cette fois dans le cadre d'une entreprise privée ! Quand j'ai demandé : " Comment est-il possible qu'un simple changement d'adresse puisse dévorer quarante minutes de ma journée - et de la vôtre - sans trouver de solution ? ", on m'a répondu que c'était la faute des régulations imposées par le gouvernement. Mais la séparation entre le " public " et le " privé " est-elle si tranchée aujourd'hui ? D'une part, le public est de plus en plus organisé comme un business et, d'autre part, le marché privé se réfère à des règles émises par les gouvernements. Mais surtout, aux Etats-Unis, les lois définissant les règles du marché sont toutes le résultat d'un lobbying exercé par les entreprises sur les députés. Mon banquier a donc tort de se plaindre : il est coresponsable de mes problèmes de bureaucratie.
Le capitalisme ne ferait pas mieux que le socialisme en matière de règlements et de paperasse - fût-elle électronique ?
L'objection la plus commune adressée au modèle socialiste, c'est sa dimension utopique. Les marxistes imaginent une version idéalisée de la vie et demandent aux êtres humains d'être à la hauteur de cet idéal... impossible à atteindre ! Obstinés, les régimes socialistes imposent des règles de conduite à la population. Quand des individus y dérogent, plutôt que de reconnaître que les règles sont mauvaises, le régime déclare que tout le mal vient des hommes et les envoie au goulag. Méchant défaut dans la cuirasse du projet socialiste... Mais voyez à quel point, dans le système capitaliste, l'hiatus n'est pas si différent : la dernière fois que j'ai regardé les résultats de la première banque du monde (ou presque), J.P. Morgan, j'ai découvert que 75 à 80 % de leurs profits venaient des frais de gestion de compte et des agios imposés aux clients endettés. Ces banques émettent elles aussi des règles " idéales " ; et à chaque fois que nous sommes pris en défaut, elles nous ponctionnent.
Comment se fait-il que personne ne réagisse ?
Quelqu'un a réussi à faire croire à tout le monde que la bureaucratie était un fléau du secteur public, alors que c'est un modèle qui transcende la séparation public/privé. Au début du siècle dernier, tout le monde savait que la bureaucratie de l'administration et celle des entreprises, c'était pareil.
Mais instaurer des règles claires ne profite-t-il pas à tous ? Chacun les connaît, les choses sont transparentes...
Pour que nous adhérions comme un seul homme au projet bureaucratique, il faut qu'il soit attirant. Le système capitaliste l'a très bien compris. A chaque fois que des règles existantes créent une situation ubuesque, il promet une solution... en inventant de nouvelles règles ! Peu importe que le problème ne soit jamais résolu et que le système se transforme en machine à fabriquer des règlements, la " transparence " est sauve. Au nom de ce nouvel idéal, l'effort pour se libérer du pouvoir arbitraire produit encore plus de pouvoir arbitraire : les réglementations nous étouffent, des caméras de surveillance apparaissent partout, la science et la créativité sont étranglées et nous passons tous une part croissante de nos journées à remplir des formulaires.
Depuis 2008, on a plutôt entendu beaucoup de critiques contre la dérégulation de la finance...
La dérégulation ne nous débarrasse pas des règles : elle en crée d'autres, différentes. Dire qu'on dérégule est toujours une promesse idéologique - l'objectif réel est d'émettre ses propres règles et d'être le premier à bord.
Une " règle " domine tous les débats aujourd'hui : il faut payer ses dettes. Qu'on soit gouvernement ou simple particulier...
Oui, et cette question est directement liée à l'expansion de la bureaucratie : aujourd'hui, pour payer ses dettes, le foyer américain moyen se voit amputer chaque mois de 15 à 40 % de ses revenus (étrangement, il est impossible d'obtenir des statistiques exactes sur cette question !). Encore une fois, n'oublions pas que l'essentiel des profits de Wall Street provient de dettes individuelles ou collectives - souvenez-vous de la crise des subprimes. Les politiciens auxquels s'adressent les lobbyistes sont tout à fait d'accord pour garantir un certain taux de profit aux banques. Ils n'ont d'ailleurs jamais prétendu agir autrement : leur première réaction après le krach de 2008 ne fut-elle pas de déclarer qu'ils ne laisseraient jamais tomber la finance ?
Vous en parlez quasiment comme d'un complot.
Parce que c'en est un. Ces hommes et femmes politiques votent des lois mille fois plus favorables aux banques qu'à leurs clients - au point que les Américains reversent plus d'argent, aujourd'hui, à Wall Street qu'au fisc. On n'est pas si loin de l'époque où la mafia faisait voter par les députés des lois sur l'ouverture des casinos... Le mouvement Occupy Wall Street l'a d'ailleurs tout de suite compris. Les jeunes gens qui l'ont lancé, en 2011, s'étaient rendu compte qu'ils avaient suivi les règles - fait des études poussées comme on le leur avait demandé, accumulé des dettes pour des décennies (et promis de les rembourser), décroché leur diplôme... Pour découvrir quoi ? Que les mêmes institutions auxquelles ils allaient devoir rembourser des intérêts toute leur vie n'avaient pas respecté les règles, elles ; qu'elles avaient détruit l'économie par leurs combines spéculatives et s'en sortaient sans une égratignure !
Barack Obama avait promis de changer les choses...
C'est un immense gâchis. Combien de fois, dans l'histoire américaine, un président élu sur la promesse de s'attaquer aux inégalités a-t-il eu une aussi belle occasion de modifier le système en profondeur ? La crise de 2008 a eu l'effet d'un séisme, le peuple américain était vraiment en colère, si Obama avait dit " je nationalise les banques ", les gens auraient dit " ok " ! Mais il n'a pas bougé : il a protégé le système de santé privé (après avoir promis de créer une forme de Sécurité sociale) ; et il a sauvé la finance. Quand on pense qu'il a remporté les présidentielles de 2008 grâce aux jeunes, trois fois plus nombreux à voter en 2008 qu'en 2004... Etonnez-vous que sa popularité ait déjà chuté de 50 % chez ces mêmes jeunes quatre ans plus tard.
Ces jeunes sont-ils toujours demandeurs de changement ?
Un sondage m'a beaucoup frappé ces dernières années. On demandait aux Américains : " Quel système économique préférez-vous, le socialisme ou le capitalisme ? ". Bien entendu, le capitalisme l'emportait sur l'ensemble des sondés, mais les jeunes étaient partagés - 35% pro-capitalisme, 32% pro-socialisme et le reste sans opinion. Ce qui veut dire que la moitié des 15-25 ans ayant une opinion politique aux Etats-Unis sont prêts à considérer la possibilité d'un changement radical de modèle économique - dans une société où personne n'a dit quoi que ce soit de positif sur le socialisme, à la télévision, depuis plusieurs décennies !
Pourquoi les Démocrates américains - et la plupart des sociaux-démocrates au pouvoir en Europe - semblent-ils si réticents à changer de politique ?
Longtemps, les socio-démocrates ont espéré pouvoir changer le monde de l'intérieur, quand ils arriveraient au pouvoir. Mais dès qu'on leur confie les rênes, quelque chose les arrête. La peur, peut-être. Quand Occupy Wall Street a démarré, des milliers de personnes ont découvert que la désobéissance civile pouvait être efficace, qu'on pouvait se faire entendre sans se faire agresser par la police. Certains médias ont même décidé de s'intéresser à nos motivations, et la gauche modérée s'est réveillée. Notre plus grande erreur, à Occupy, a été de penser que nous pourrions parvenir à une alliance avec les Démocrates. En 2011, ils n'avaient pas besoin de nous. Quand ils ont compris que nous n'avions pas l'intention de devenir un Tea Party de gauche - qui aurait menacé leur périmètre politique - ils ont regardé ailleurs. Notamment quand, après deux mois d'occupation, la police nous a attaqués pour vider Zuccotti Park.
Si on avait dit aux spectateurs du premier alunissage qu'Internet serait l'invention majeure du demi-siècle à venir, croyez-moi, ils auraient fait la moue.
L'Amérique a laissé passer sa chance ?
La société américaine est redevenue fondamentalement conservatrice. Regardons les trois arguments clés du " meilleur des systèmes possibles ". Grand un : " Le capitalisme crée des inégalités, mais les revenus des plus pauvres augmentent toujours sur le long terme. " Ce n'est manifestement plus le cas. Deux : " Le capitalisme assure une certaine stabilité politique. " Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les crises politiques se multiplient sur tous les continents. Et trois : " Les progrès technologiques sont un moteur extraordinaire pour un monde meilleur. " Il ne reste plus qu'à prouver que le monde s'est amélioré moralement. Joli bulletin de notes !
Les technologies n'ont-elles pas rendu notre vie plus facile ?
Ça dépend du curseur que vous choisissez. Je me souviens des images de Neil Armstrong marchant sur la Lune - j'avais 8 ans - et des rêves que l'on faisait à l'époque sur ce que l'humanité serait capable de faire trente, quarante ans plus tard. Le réveil est brutal ! En 1969, les connaisseurs pensaient qu'on irait sur Jupiter, que les voitures voleraient et que des robots nettoieraient nos appartements. Qu'a-t-on à la place ? Des téléphones capables d'envoyer et recevoir des vidéos... Super, surtout quand on sait que le premier essai concluant de vidéo-téléphone date des années 1930 ! Et Internet, direz-vous ? C'est vrai, nous disposons tous à domicile d'un bureau de poste géant et immédiat... Mais si on avait dit aux spectateurs du premier alunissage qu'Internet serait l'invention majeure du demi-siècle à venir, croyez-moi, ils auraient fait la moue. Quand aura-t-on le courage de reconnaître que nous n'avons pas été capables de réaliser nos rêves, alors que nous les savions à notre portée ?
Le débat est ouvert. Aux Etats-Unis, dans les années 1970, certains penseurs affirmaient que l'évolution trop rapide des technologies était responsable des problèmes sociaux qui se multipliaient dans le pays depuis les années 1960, et qu'il fallait freiner le progrès. Mais ce ne sont pas les investissements privés qui ont manqué, ce sont les investissements publics. Car la recherche fondamentale aux Etats-Unis reste largement financée par le gouvernement, qui a décidé de lui-même de réorienter ses crédits vers les technologies médicales et celles de l'information. Voilà comment, quarante-cinq ans après Apollo 11, on n'est toujours pas fichus de créer un robot avec qui discuter, ou au moins capable de faire tout ce qui pourrait améliorer le quotidien d'une personne physiquement dépendante.
Un changement politique peut-il modifier le cours de la révolution technologique ?
Toute l'histoire le montre : toute correction politique change la trajectoire des progrès technologiques. Mais permettez à l'anthropologue que je suis de poser une question simple : pourquoi répète-t-on en boucle qu'il n'existe qu'une façon efficace d'organiser l'économie alors que l'histoire en a fabriqué des dizaines, suivant les lieux et les époques ? On va me rétorquer que ces modèles ont existé longtemps avant l'industrialisation et sont aujourd'hui inopérants. Moi qui pensais que les technologies devaient nous donner plus d'options dans la vie ! Au Moyen Age, il y aurait mille façons d'organiser l'économie, mais dès qu'on s'équipe d'un ordinateur, il n'y en a plus qu'une ?
Le capitalisme est au bord de l'effondrement, suggérez-vous. Qu'en est-il de l'après capitalisme ?
La question, pour moi, est moins de savoir comment on peut l'aider dans sa chute que de s'assurer que ce qui le remplacera sera préférable. Mais il faut d'abord faire un diagnostic juste sur l'époque présente. Et ce n'est pas si simple. Dans les années 1980, avec des marxistes de tout poil, on s'étripait autour du problème suivant : sachant que la date de naissance du capitalisme est plus ou moins fixée à l'an 1500, avec l'urbanisation et le développement du commerce, mais que l'industrialisation et le travail salarié ne sont pas vraiment apparus avant 1750, qu'a-t-on vécu exactement entre ces deux dates ? La réponse me paraît évidente : pendant deux cent cinquante ans (50 % de la vie du capitalisme !), les gens ne savaient pas qu'ils avaient changé de modèle. Si l'on suit cette logique, nous pourrions bien, aujourd'hui, être déjà sortis du capitalisme sans nous en rendre compte. Déjà en train de construire un nouveau modèle, sans savoir de quoi il s'agit.
Quel bilan faites-vous d'Occupy Wall Street ?
Les gens sont déçus qu'Occupy n'ait pas bouleversé le monde du jour au lendemain. Mais quel mouvement social y est jamais parvenu ? Une action comme celle-ci ouvre des champs de possibilités, ce n'est que dix, vingt ou quarante ans plus tard qu'on voit lesquelles se sont réalisées. En 1848, des révolutions se sont produites partout et pas une seule n'a pris le pouvoir. Mais qui pourrait dire qu'elles n'ont pas préparé les révolutions russes de 1917 ? Mon sentiment personnel, c'est que nous avons énormément accompli dans le très court temps qui nous a été offert - entre six mois et un an. Nous avons changé le discours politique sur les inégalités. Avant nous, plus personne aux Etats-Unis n'osait parler de " classes sociales ". Aujourd'hui, même les républicains reconnaissent que les inégalités sont un sérieux problème - et qu'ils n'ont pas la solution. Les conséquences d'Occupy ne se sont peut-être pas manifestées là où on les attendait. Beaucoup de sympathisants d'Occupy espéraient qu'émerge une ribambelle de mouvements similaires : ça n'a pas été le cas. Mais qui oserait nier l'impact international des Indignés, de l'Afrique du Nord au Moyen-Orient ?
La désobéissance civile, oui, la violence, non : vous restez ferme sur ce principe ?
La seule façon de traiter avec les politiciens est de les menacer de faire... sans eux ! Avec le recul, je pense même que c'était la seule stratégie qui aurait pu marcher pendant Occupy. Elle a bien marché en Argentine ! En 2001, une succession de gouvernements et de Présidents incapables ont mis le pays à genoux. Les gens ont alors créé leur propre assemblée populaire, occupé leur usine et développé une économie alternative, jusqu'à ce qu'ils parviennent à cette conclusion terrible pour les politiciens argentins : " Tous comptes faits, on ne sent plus la nécessité d'un gouvernement ". Soudain, c'était aux politiques de prouver qu'il restait de bonnes raisons de les prendre au sérieux. Quand il arrive au pouvoir, Nestor Kirchner est un social démocrate tout doux, la dernière personne dont on attendrait des solutions radicales. Il s'est trouvé forcé de jouer la déflation. En quelques mois, la dette avait chuté de 95 % !
Vous êtes un intellectuel anarchiste scruté par tous les activistes de la planète. Comment le vivez-vous ?
Désormais, je suis bien placé pour savoir que l'engagement a un prix. La seule chose que j'ai possédée dans ma vie, par exemple, était l'appartement où j'ai grandi à New York et dont j'ai hérité. Je sais, de source sûre, que les services de police ont parlé au syndic de mon immeuble pour me faire débarrasser le plancher (la plupart des gens qui ont participé de près à Occupy Wall Street ont subi ce type de mésaventure). Quand j'ai été viré de l'université Yale, personne, dans les facs américaines, ne m'a proposé de poste ; et c'est pour cela que je suis un Américain en exil, ici, à la London School of Economics, où j'ai été très bien accueilli. L'université américaine est devenue terriblement conservatrice. S'ajoute peut-être aussi, dans ce rejet, la mauvaise conscience de certains professeurs de sciences humaines, radicaux dans l'âme mais lucides sur le fait qu'ils participent eux aussi d'un système qui exploite éhontément les étudiants en les criblant de dettes. Je les renvoie à quelque chose qu'ils préfèrent ne pas voir, je suis leur vilain miroir. Je ne juge pourtant personne !
Comment vous organisez-vous, entre les travaux de recherche et le militantisme ?
J'ai trois boulots, entre l'université, l'activisme et la rédaction de mes livres. Mais conjuguer plusieurs vies entraîne un sentiment de culpabilité permanent, celui de laisser tomber des projets et les gens qui comptent sur vous. La clef de ma productivité, si vous voulez tout savoir, c'est ma capacité à transformer mon penchant à la procrastination en méthode infaillible pour travailler beaucoup ! Ayez toujours deux ou trois projets à mener de front : en travaillant sur le premier, vous évitez de faire le second, et en bossant sur le second vous évitez de vous mettre au troisième. Au final, vous devenez très efficace ! Aujourd'hui, il faut impérativement que je finisse un papier sur la dette pour le Journal du parlement allemand ; à la place, je mène un travail de réflexion sur le sens des " anthologies "... que je reporte au profit d'un essai sur les enfants de pirates qui ont créé, en 1720, sur l'île de Madagascar, une des expériences démocratiques les plus précoces de l'Histoire. Voilà ma technique ! Mais mon prochain grand projet reste un livre sur les origines de l'inégalité, dans lequel je me suis lancé avec un archéologue.
Depuis les années 60, les archéologues ne nous apprennent plus grand-chose sur les origines de l'inégalité. Or, ce qu'il en disaient auparavant était faux. Ils affirmaient que lors les premiers regroupements humains, la plupart des hommes vivaient dans de petites communautés de 30 ou 40 personnes partageant ce qu'ils possédaient sur un mode à peu près égalitaire ; bientôt, les villes se forment, un début de civilisation apparaît, des surplus s'accumulent - du coup il faut des gens pour administrer ces surplus - l'écriture, la comptabilité sont inventées et avec elles surgit l'inégalité. Joli scénario... mais complètement faux. D'abord, même quand les hommes vivaient en petits groupes, le rapport social à l'égalité à l'intérieur de ces groupes n'a jamais cessé de varier. Pour ce qui est des villes, les premières d'entre elles étaient organisées sur un mode plus égalitaire que les petites communautés qui les avaient précédées : les maisons avaient à peu près toutes la même taille, il existait des bains publics efficaces et ouverts à tous, etc. Tout le monde semble croire, pourtant, que dans une petite communauté la démocratie directe est possible, mais que lorsqu'on met beaucoup de gens ensemble, une classe dirigeante s'impose, pour éviter la pagaille. L'Histoire montre exactement le contraire : organiser une ville sur un mode égalitaire est facile. Ce qui est vraiment compliqué, c'est de construire l'égalité entre les membres d'une même famille ! Pour moi, la question n'est d'ailleurs pas de savoir comment la hiérarchie a évolué, mais plutôt : " Pourquoi, à un moment donné, ces oscillations ont cessé ? Pourquoi est-on resté bloqué sur le modèle inégalitaire que nous connaissons aujourd'hui " ?
C'est objectivement vrai. Regardez ce qui se passe ! La statistique la plus impressionnante concerne la Russie après la chute de l'Union soviétique. D'après la Banque mondiale, entre 1992 et 2002, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 25 % en Russie. Alors que la taille de l'économie a substantiellement diminué, et qu'il y avait donc moins à gérer. Les marchés ne s'auto-régulent pas : pour les maintenir en fonctionnement, il faut une armée d'administrateurs. Dans le monde néolibéral actuel, vous avez donc davantage d'administrateurs. Pas seulement dans le gouvernement, mais aussi dans les compagnies privées.
Beaucoup d'institutions sociales que l'on associe aujourd'hui à l'Etat-Providence ont été créées " par le bas ". Je l'ai découvert en discutant avec des Suédois : aucun des services sociaux suédois n'a été créé par le gouvernement. Toutes les cliniques, bibliothèques publiques, assurances sociales, ont été créées par des syndicats, des communautés de travailleurs. Le gouvernement a ensuite voulu les gérer à un niveau centralisé, bureaucratique, expliquant que ce serait plus efficace. Évidemment, une fois que l'État en a pris le contrôle, il peut privatiser ces services. C'est ce qui arrive.
Vous faites aussi le lien entre le développement de la bureaucratie et celui des bullshits jobs (" job à la con " ) que vous avez analysés dans un précédent travail. Tous les " bureaucrates " font-ils des " jobs à la con " ?
Comment expliquez-vous alors que nous soyons si attachés à la bureaucratie, que nous n'arrivons pas à remettre en question ce processus et que nous continuons même à alimenter son développement ?
La bureaucratie n'est pas stupide en elle-même. Elle est le symptôme de la violence sociale, qui elle est stupide. La violence structurelle - qui inclut toutes les formes d'inégalités structurelles : patriarcat, relations de genres, relations de classes...- est stupide. Là où il y a une inégalité de pouvoir, il y a aussi une forme d'ignorance et d'aveuglement. La bureaucratie semble stupide en elle-même, mais elle ne cause pas la stupidité, elle la gère ! Même quand la bureaucratie est bienveillante, sous la forme de l'État social, elle reste basée sur une forme d'aveuglement structurel, sur des catégories qui n'ont pas grand chose à voir avec ce dont les gens font l'expérience. Quand les bureaucrates essaient de vous aider, ils ne vous comprennent pas, ils ne veulent pas vous comprendre, et ne sont pas même autorisés à vous comprendre.
C'est un des problèmes qui a inspiré mon livre. Pourquoi est-ce la droite qui tire tous les avantages de l'indignation populaire contre la bureaucratie, alors que c'est la droite qui est à l'origine d'une grande partie de cette bureaucratie ? C'est ridicule ! Aux États-Unis, la droite a découvert que si vous taxez les gens d'une manière injuste, et qu'ensuite vous leur dites que vous allez baisser les impôts, ils vont voter pour vous. Il y a quelque chose de similaire avec la bureaucratie en général. La gauche est tombée dans ce piège, avec la manière dont elle défend l'idée d'un État social tout en faisant des compromis avec le néolibéralisme. Elle finit par embrasser cette combinaison des forces du marché et de la bureaucratie. Et la droite en tire tout l'avantage avec ses deux ailes - d'un côté les libertariens, qui aiment le marché mais critiquent la bureaucratie, de l'autre, l'aile fasciste, qui a une critique du marché. La droite concentre toute la rage populiste sur ce sujet. Et la gauche finit par se retrouver à défendre les deux, marché et bureaucratie. C'est un désastre politique.
Le mouvement altermondialiste cherche à identifier les structures bureaucratiques qui n'étaient pas censées être visibles. Mais pas seulement pour les dévoiler, également pour montrer à quel point ces structures ne sont pas nécessaires, qu'il est possible de faire les choses autrement d'une manière non-bureaucratique. Pourquoi les procédures démocratiques sont-elles aussi importantes dans le mouvement altermondialiste ? Parce qu'il essaie de créer des formes de décision non-bureaucratiques. Dans ce mouvement, il n'y a pas de règle, il y a des principes. C'est une négation pure de la bureaucratie. Bien sûr, ces processus ont aussi tendance à se bureaucratiser si l'on n'y fait pas attention, mais tout est fait pour l'éviter. Mon travail sur la bureaucratie vient de mon expérience d'activiste dans le mouvement altermondialiste.
Le mouvement altermondialiste se bat pour des régulations différentes ! Et nous ne devrions pas tomber dans le piège de croire que nos adversaires sont favorables aux dérégulations. Vous ne pouvez pas avoir une banque non-régulée, c'est absurde : les banques sont entièrement basées sur des régulations. Mais des régulations en faveur des banques ! Quand on parle de re-régulation, cela signifie mettre les consommateurs au centre plutôt que les banques. Nous devons sortir de ce langage " plus ou moins de régulation ". Le néolibéralisme crée plus de régulations que les systèmes économiques précédents.
L'exemple syrien est vraiment intéressant. J'ai fait partie d'une délégation d'universitaires en décembre dernier, qui a observé sur place leur processus démocratique. Ils sont vraiment en train de créer une société non-bureaucratique. C'est le seul endroit que je connaisse où il y a une situation de pouvoir " dual " où les deux côtés ont été créés par les mêmes personnes. Avec, d'un côté, des assemblées populaires de base, et de l'autre des structures qui ressemblent à un gouvernement et à un Parlement. Des structures nécessaires, car pour coopérer avec les institutions internationales, il faut une sorte de gouvernement bureaucratique institutionnel effectif, sinon elles ne vous prennent pas au sérieux. Mais au Rojava, quiconque porte une arme doit en répondre face à la base avant d'en répondre au structures du " haut ". C'est pourquoi ils disent que ce n'est pas un État, car ils ne réclament pas le monopole de la violence coercitive.
L'État est une combinaison de trois principes aux origines historiques totalement différentes : premièrement, la souveraineté, le monopole de la force dans un territoire donné. Deuxièmement, l'administration, la bureaucratie, le management rationnel des ressources. Et troisièmement, l'organisation du champ politique, avec des personnages en compétition parmi lesquels la population choisit ses dirigeants. En Mésopotamie, il y avait beaucoup de bureaucratie mais aucun principe de souveraineté. L'idée de responsables politiques en compétition vient de sociétés aristocratiques. Et le principe de souveraineté vient des Empires. Ces trois principes ont fusionné ensemble dans l'État moderne. Nous avons aujourd'hui une administration planétaire, mais elle n'a pas de principe de souveraineté et pas de champ politique. Ces principes n'ont rien à faire ensemble a priori, nous sommes juste habitués à ce qu'ils le soient.
Il est évident que nous passons notre temps à remplir des formulaires. Si on calculait le nombre d'heures que l'on y consacre par jour, on serait effrayés. Il n'y a jamais rien eu de tel dans l'histoire, et certainement pas en Union soviétique ni dans les anciens Etats socialistes. Cela vient du fait que nous ne comprenons pas ce qu'est vraiment le capitalisme néolibéral. En fait, la caractéristique principale de ce système réside dans le fonctionnement bureaucratique ! La bureaucratie d'Etat et celle des entreprises fonctionnent d'ailleurs en parfaite collaboration, et pour cause : elles ont de plus en plus tendance à fusionner, au point que c'est un modèle qui transcende désormais la séparation entre le secteur public et le privé.
Le système bancaire capte, selon vous, des sommes colossales simplement en imposant sa bureaucratie à ses clients...
La vision que l'on a de ce secteur correspond à celle d'un casino géant, et dans un sens, c'est vrai, sauf que les jetons, ce sont vos dettes ! Tout cela est rendu possible par une gigantesque ingénierie réglementaire mise conjointement en place par les gouvernements et les banques. Quand on regarde comment ces réglementations sont créées, la plupart du temps elles sont écrites par les banques elles-mêmes. Elles ont des lobbyistes qui financent les politiques, des juristes qui écrivent et formalisent ces règles, tout cela est coproduit par une seule et même bureaucratie combinant les intérêts publics et privés. Avec pour seul but de garantir un niveau de profits le plus élevé possible.
Je me suis penché sur le cas de JPMorgan, la plus grosse banque américaine et la sixième plus grosse entreprise au monde, selon Forbes. J'ai été sidéré d'apprendre que 70 % de leurs revenus viennent de frais et de pénalités appliquées aux clients. On a toujours dit que les sociétés socialistes étaient des utopies dont l'idéal s'est avéré invivable. Elles ont créé des règles sans se préoccuper de savoir si elles étaient justes et vous envoyaient au goulag lorsque vous ne les respectiez pas. Si on y réfléchit bien, les bénéfices des plus grandes entreprises capitalistes sont rendus possibles par l'édiction de règles utopistes impossibles à respecter. Tout le monde doit être capable d'équilibrer ses comptes et de se conformer aux règles des banques, mais elles savent très bien que la plupart des clients en sont incapables. Voilà comment leur "utopie" bureaucratique leur permet de s'enrichir sans fin.
Au XIXe siècle, quantité de procédés ont été inventés pour économiser la force de travail et, bizarrement, les gens ont passé de plus en plus de temps à travailler dans ces entreprises, qui s'étaient pourtant industrialisées et mécanisées. Il se produit la même chose pour les cols blancs avec le règne de l'informatique. Tout le monde doit être agent d'assurance, comptable et réaliser de plus en plus de tâches qui autrefois étaient confiées à d'autres. Dans les universités par exemple, le temps dévolu aux procédures et à la paperasse ne cesse d'augmenter malgré le numérique, et cela au détriment de l'enseignement. Au départ, la messagerie électronique servait à dialoguer et à échanger des idées, aujourd'hui 95% de son usage correspond à des procédures qui mettent au passage quantité de personnes dans la boucle.
Le piège, c'est que toute tentative de la réduire crée encore plus de paperasse, on convoque une commission pour résoudre le problème des commissions ! Une énorme propension de la bureaucratie consiste par ailleurs à faire que les pauvres se sentent mal du fait de leur pauvreté. Ils sont suivis à la trace : on regarde s'ils sont vraiment mariés, s'ils cherchent un travail de façon active... On pourrait commencer par en finir avec ça.
Nous vivons dans un modèle économique erroné où les emplois mettent en avant la fonction sans se préoccuper de ce qu'ils produisent et, souvent, ce n'est rien du tout. J'avais écrit un article sur le phénomène des "boulots de merde", ces emplois qui ne produisent rien. Le sujet est évidemment tabou. Un institut de sondage en ligne avait fait une enquête retentissante à ce sujet dans laquelle les gens admettaient la vacuité de leur emploi. En général, plus votre travail est utile, moins vous êtes payé. Le système marche sur la tête alors même que le capitalisme se présente comme rationnel. Et cela résulte de la façon dont la rente est redistribuée et de cette bureaucratisation du monde au profit des plus puissants, qui en maîtrisent les codes et l'orientent à leur guise.
J'avais 7 ans quand le premier homme a marché sur la Lune. Au regard du passé, l'attente de ma génération par rapport à l'an 2000 était très forte. La période allant de 1750 à 1950 avait donné lieu à des découvertes incroyables : l'ADN, la relativité, la vapeur, le pétrole, le nucléaire... Des innovations fondamentales. Les prédictions des livres de science-fiction tels que le Choc du futur d'Alvin Toffler ne se sont pas toutes réalisées. Par rapport à la machine à voyager dans le temps, le smartphone est quand même très décevant.
Le capitalisme a été pendant très longtemps une force progressiste sur le plan technologique, c'est désormais le contraire. Les "technologies poétiques", sources de créativité, ont été abandonnées au profit des "technologies bureaucratiques". La poussée technologique exponentielle qui était attendue n'a pas eu lieu. Par exemple, c'est incroyable que la vitesse maximale à laquelle voyager ait été atteinte en 1971. Lorsque l'URSS a cessé d'être une menace, les Etats-Unis ont réorienté leurs investissements vers les technologies de l'information, médicales et militaires. Ce qui explique pourquoi nous avons des drones, et non des robots pour promener le chien ou laver le linge.
Arrêtons avec l'idée qu'il n'y a qu'une seule façon de diriger une société sur le plan technique. En tant qu'anthropologue, j'ai pu observer qu'il y avait des centaines d'autres modèles économiques. Les gens répondent "c'était avant". Mais pourquoi y avait-il des centaines façons d'organiser l'économie jadis et une seule aujourd'hui avec l'informatique ? La technologie n'était-elle pas censée nous donner plus d'options ? Il y a des tas de choses à inventer pour installer une économie qui maximiserait la liberté individuelle. On ne sait pas encore quel modèle émergera. L'histoire ne se produit pas avec quelqu'un qui arrive avec un plan prêt à l'emploi.
Je suis très inquiet à ce sujet parce que les institutions politiques ne sont plus capables de générer des politiques. Le chercheur Bruno Latour me disait l'autre jour que seuls les militaires américains et chinois avaient la capacité d'intervenir contre le réchauffement climatique à un niveau global. Des idées circulent dans les laboratoires de recherche. Ironiquement, la façon la plus efficace d'intervenir contre le changement climatique à une échelle massive, ça serait de planter des arbres, ça serait facile à faire et sans bureaucratie !
Les gens ne voient pas l'anarchisme comme quelque chose de mauvais, je crois même qu'ils sont plutôt d'accord avec ses fondements. Ils disent simplement que c'est dingue et que ce n'est pas réalisable. Mais en tant qu'anthropologue, je sais que c'est possible. Les gens sont parfaitement capables d'arriver à des décisions raisonnables tant qu'ils croient pouvoir le faire, mais il y a une propagande constante qui leur dit le contraire. Je travaille en ce moment avec un archéologue sur l'origine de l'inégalité sociale qui viendrait de la complexification des sociétés, du changement d'échelle des villes. Tout cela est faux. Les sociétés originelles de grande échelle, comme en Mésopotamie, étaient égalitaires. Alors qu'il existe des grandes villes qui fonctionnent sur un système égalitaire, il est très difficile de trouver une famille égalitaire. L'inégalité vient de la base. L'échelle ne veut rien dire, le problème vient de la petite échelle.
Nous assistons à la fusion progressive de la puissance publique et privée en une entité unique, saturée de règles et de règlements dont l'objectif ultime est d'extraire de la richesse sous forme de profits.
Parce que c'est ce que l'on nous a appris. Dans les années 1960, les révolutionnaires ont commencé à expliquer que les bureaucrates et les capitalistes, c'était peu ou prou la même chose : des hommes enveloppés, en costume trois pièces qui contrôlaient tous les aspects de notre vie. Des ennemis de la liberté, en somme. Puis la droite s'est appropriée l'argumentaire, en omettant la partie sur le capitalisme. Résultat, l'état omniprésent dont les révolutionnaires des années 1960 se plaignaient a en grande partie disparu. Pourtant tout le monde emploie encore la rhétorique des années 1960 alors qu'elle n'a plus grand chose à voir avec le fonctionnement actuel de la société.
L'économie de marché entraîne une augmentation extrême de relations qui ne sont pas basées sur la confiance, mais sur la maximisation de l'intérêt individuel. Cela signifie qu'elle nécessite des moyens beaucoup plus élaborés de mise en œuvre, de surveillance et de coercition que d'autres formes de relations sociales.
Le néolibéralisme nous a fait entrer dans l'ère de la bureaucratie totale.
Nous assistons à la fusion progressive de la puissance publique et privée en une entité unique, saturée de règles et de règlements dont l'objectif ultime est d'extraire de la richesse sous forme de profits.
Les politiques conçues pour réduire l'ingérence de l'Etat dans l'économie finissent en réalité par produire plus de réglementations, plus de bureaucrates, plus d'interventions policières.
Nous assistons à la fusion progressive de la puissance publique et privée en une unité unique, saturée de règles et de règlements dont l'objectif ultime est d'extraire de la richesse sous forme de profits.
La bureaucratie est le moyen principal qu'utilise une infirme partie de la population pour extraire la richesse de nous tous.
Libre échange et marché libre signifient en réalité création de structures administratives mondiales essentiellement destinées à garantir l'extraction de profits pour les investisseurs.
SEPT RÈGLES POUR AIDER À LA DIFFUSION DES IDÉES RACISTES EN FRANCE
Jacques Rancière, Le Monde, 21 mars 1997
La diffusion des idées racistes en France semble être aujourd'hui une priorité nationale. Les racistes s'y emploient, ce qui est la moindre des choses. Mais l'effort des propagandistes d'une idée a des limites, en un temps où l'on se méfie des idées, et il a souvent besoin pour les dépasser, du concours de ses adversaires. Là est l'aspect remarquable de la situation française : hommes politiques, journalistes et experts en tout genre ont su trouver ces dernières années des manières assez efficaces de faire servir leur antiracisme à une propagation plus intense des idées racistes. Aussi bien toutes les règles énoncées ici sont-elles déjà employées. Mais elles le sont souvent d'une manière empirique et anarchique, sans claire conscience de leur portée. Il a donc paru souhaitable, afin d'assurer leur efficacité maximale, de les présenter à leurs utilisateurs potentiels sous une forme explicite et systématique.
Règle 1. - Relevez quotidiennement les propos racistes et donnez-leur le maximum de publicité. Commentez-les abondamment, interrogez incessamment à leur propos grands de ce monde et hommes de la rue. Supposons par exemple qu'un leader raciste, s'adressant à ses troupes, laisse échapper qu'il y a chez nous beaucoup de chanteurs qui ont le teint basané et beaucoup de noms à consonance étrangère dans l'équipe de France de football. Vous pourriez considérer que cette information n'est vraiment pas un scoop et qu'il est banal, au surplus, qu'un raciste, parlant à des racistes, leur tienne des propos racistes. Cette attitude aurait une double conséquence fâcheuse : premièrement vous omettriez ainsi de manifester votre vigilance de tous les instants face à la diffusion des idées racistes ; deuxièmement, ces idées elles-mêmes se diffuseraient moins. Or l'important est qu'on en parle toujours, qu'elles fixent le cadre permanent de ce qu'on voit et de ce qu'on entend. Une idéologie, ce n'est pas d'abord des thèses, mais des évidences sensibles. Il n'est pas nécessaire que nous approuvions les idées des racistes.
Il suffit que nous voyions sans cesse ce qu'ils nous font voir, que nous parlions sans cesse de ce dont ils nous parlent, qu'en refusant leurs " idées " nous acceptions le donné qu'elles nous imposent.
Règle 2. - N'omettez jamais d'accompagner chacune de ces divulgations de votre indignation la plus vive. Cette règle est très importante à bien comprendre. Il s'agit d'assurer un triple effet : premièrement, les idées racistes doivent être banalisées par leur diffusion incessante ; deuxièmement, elles doivent être constamment dénoncées pour conserver en même temps leur pouvoir de scandale et d'attraction ; troisièmement, cette dénonciation doit elle-même apparaître comme une diabolisation, qui reproche aux racistes de dire ce qui est pourtant une banale évidence. Reprenons notre exemple : vous pourriez considérer comme anodin le besoin où est M. Le Pen de faire remarquer ce que tout le monde voit à l'œil nu, que le gardien de l'équipe de France a la peau bien noire. Vous manqueriez ainsi l'effet essentiel : prouver qu'on fait aux racistes un crime de dire une chose que tout le monde voit à l'œil nu.
Règle 3. - Répétez en toutes circonstances : il y a un problème des immigrés qu'il faut régler si on veut enrayer le racisme. Les racistes ne vous en demandent pas plus : reconnaître que leur problème est bien un problème et " le " problème. Des problèmes avec des gens qui ont en commun d'avoir la peau colorée et de venir des anciennes colonies françaises, il y en a en effet beaucoup. Mais tout cela ne fait pas un problème immigré, pour la simple raison qu' " immigré " est une notion floue qui recouvre des catégories hétérogènes, dont beaucoup de Français, nés en France de parents français. Demander qu'on règle par des mesures juridiques et politiques le " problème des immigrés " est demander une chose parfaitement impossible. Mais, en le faisant, premièrement, on donne consistance à la figure indéfinissable de l'indésirable, deuxièmement, on démontre qu'on est incapable de rien faire contre cet indésirable et que les racistes seuls proposent des solutions.
Règle 4. - Insistez bien sur l'idée que le racisme a lui-même une base objective, qu'il est l'effet de la crise et du chômage et qu'on ne peut le supprimer qu'en les supprimant. Vous lui donnez ainsi une légitimité scientifique. Et comme le chômage est maintenant une exigence structurelle de la bonne marche de nos économies, la conclusion s'en tire tout naturellement : si on ne peut supprimer la cause " profonde " du racisme, la seule chose à faire est de lui supprimer sa cause occasionnelle en renvoyant les immigrés chez eux par des lois racistes sereines et objectives. Si un esprit superficiel vous objecte que divers pays ayant des taux de chômage voisins n'ont pas de débordements racistes comme chez nous, invitez-le à chercher ce qui peut bien différencier ces pays du nôtre. La réponse va de soi : c'est qu'ils n'ont pas comme nous trop d'immigrés.
Règle 5. - Ajoutez que le racisme est le fait des couches sociales fragilisées par la modernisation économique, des attardés du progrès, des " petits Blancs ", etc. Cette règle complète la précédente. Elle a l'avantage supplémentaire de montrer que les antiracistes ont, pour stigmatiser les " arriérés " du racisme, les mêmes réflexes que ceux-ci à l'égard des " races inférieures " et de conforter ainsi ces " arriérés " dans leur double mépris pour les races inférieures et pour les antiracistes des beaux quartiers qui prétendent leur faire la leçon.
Règle 6. - Appelez au consensus de tous les hommes politiques responsables contre les propos racistes. Invitez sans trêve les hommes du pouvoir à s'en démarquer absolument. Il importe en effet que ces politiciens reçoivent le brevet d'antiracisme qui leur permettra d'appliquer avec fermeté et d'améliorer, si besoin est, les lois racistes destinées, bien sûr, à enrayer le racisme. Il importe aussi que l'extrême droite raciste apparaisse comme la seule force conséquente et qui ose dire tout haut ce que les autres pensent tout bas ou proposer franchement ce qu'ils font honteusement. Il importe enfin qu'elle apparaisse être, pour cela seul, victime de la conjuration de tous les gens en place.
Règle 7. - Demandez des nouvelles lois antiracistes qui permettent de sanctionner l'intention même d'exciter au racisme, un mode de scrutin qui empêche l'extrême droite d'avoir des sièges au Parlement et toutes mesures du même ordre. D'abord, des lois répressives peuvent toujours resservir. Ensuite, vous prouverez que votre légalité républicaine se plie à toutes les commodités des circonstances. Enfin, vous consacrerez les racistes dans leur rôle de martyrs de la vérité, réprimés pour délit d'opinion par des gens qui font les lois à leur convenance.
Il s'agit, en bref, d'aider la diffusion du racisme de trois manières : en divulguant au maximum sa vision du monde, en lui donnant la palme du martyre, en montrant que seul le racisme propre peut nous préserver du racisme sale. On s'emploie déjà, avec des succès appréciables, à cette triple tâche. Mais, avec de la méthode, on peut toujours faire mieux.
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RACISME, UNE PASSION D'EN HAUT
Texte de l'intervention de Jacques Rancière le samedi 11 septembre 2010 à Montreuil (93), lors du rassemblement " Les Roms, et qui d'autre ? "
Je voudrais proposer quelques réflexions autour de la notion de " racisme d'État " mise à l'ordre du jour de notre réunion. Ces réflexions s'opposent à une interprétation très répandue des mesures récemment prises par notre gouvernement, depuis la loi sur le voile jusqu'aux expulsions de roms. Cette interprétation y voit une attitude opportuniste visant à exploiter les thèmes racistes et xénophobes à des fins électoralistes. Cette prétendue critique reconduit ainsi la présupposition qui fait du racisme une passion populaire, la réaction apeurée et irrationnelle de couches rétrogrades de la population, incapables de s'adapter au nouveau monde mobile et cosmopolite. L'État est accusé de manquer à son principe en se montrant complaisant à l'égard de ces populations. Mais il est par là conforté dans sa position de représentant de la rationalité face à l'irrationalité populaire.
Or cette disposition du jeu, adoptée par la critique " de gauche ", est exactement la même au nom de laquelle la droite a mis en œuvre depuis une vingtaine d'années un certain nombre de lois et de décrets racistes. Toutes ces mesures ont été prises au nom de la même argumentation : il y a des problèmes de délinquances et nuisances diverses causés par les immigrés et les clandestins qui risquent de déclencher du racisme si on n'y met pas bon ordre. Il faut donc soumettre ces délinquances et nuisances à l'universalité de la loi pour qu'elles ne créent pas des troubles racistes.
C'est un jeu qui se joue, à gauche comme à droite, depuis les lois Pasqua-Méhaignerie de 1993. Il consiste à opposer aux passions populaires la logique universaliste de l'État rationnel, c'est-à-dire à donner aux politiques racistes d'État un brevet d'antiracisme. Il serait temps de prendre l'argument à l'envers et de marquer la solidarité entre la " rationalité " étatique qui commande ces mesures et cet autre -cet adversaire complice- commode qu'elle se donne comme repoussoir, la passion populaire. En fait, ce n'est pas le gouvernement qui agit sous la pression du racisme populaire et en réaction aux passions dites populistes de l'extrême-droite. C'est la raison d'État qui entretient cet autre à qui il confie la gestion imaginaire de sa législation réelle.
J'avais proposé, il y a une quinzaine d'années, le terme de racisme froid pour désigner ce processus. Le racisme auquel nous avons aujourd'hui affaire est un racisme à froid, une construction intellectuelle. C'est d'abord une création de l'État. On a discuté ici sur les rapports entre État de droit et État policier. Mais c'est la nature même de l'État que d'être un État policier, une institution qui fixe et contrôle les identités, les places et les déplacements, une institution en lutte permanente contre tout excédent au décompte des identités qu'il opère, c'est-à-dire aussi contre cet excès sur les logiques identitaires que constitue l'action des sujets politiques. Ce travail est rendu plus insistant par l'ordre économique mondial. Nos États sont de moins en moins capables de contrecarrer les effets destructeurs de la libre circulation des capitaux pour les communautés dont ils ont la charge. Ils en sont d'autant moins capables qu'ils n'en ont aucunement le désir. Ils se rabattent alors sur ce qui est en leur pouvoir, la circulation des personnes. Ils prennent comme objet spécifique le contrôle de cette autre circulation et comme objectif la sécurité des nationaux menacés par ces migrants, c'est-à-dire plus précisément la production et la gestion du sentiment d'insécurité. C'est ce travail qui devient de plus en plus leur raison d'être et le moyen de leur légitimation.
De là un usage de la loi qui remplit deux fonctions essentielles : une fonction idéologique qui est de donner constamment figure au sujet qui menace la sécurité ; et une fonction pratique qui est de réaménager continuellement la frontière entre le dedans et le dehors, de créer constamment des identités flottantes, susceptibles de faire tomber dehors ceux qui étaient dedans. Légiférer sur l'immigration, cela a d'abord voulu dire créer une catégorie de sous-Français, faire tomber dans la catégorie flottante d'immigrés des gens qui étaient nés sur sol français de parents nés français. Légiférer sur l'immigration clandestine, cela a voulu dire faire tomber dans la catégorie des clandestins des " immigrés " légaux. C'est encore la même logique qui a commandé l'usage récent de la notion de " Français d'origine étrangère ". Et c'est cette même logique qui vise aujourd'hui les roms, en créant, contre le principe même de libre circulation dans l'espace européen, une catégorie d'Européens qui ne sont pas vraiment Européens, de même qu'il y a des Français qui ne sont pas vraiment Français. Pour créer ces identités en suspens l'État ne s'embarrasse pas de contradictions comme on l'a vu par ses mesures concernant les " immigrés ". D'un côté, il crée des lois discriminatoires et des formes de stigmatisation fondées sur l'idée de l'universalité citoyenne et de l'égalité devant la loi. Sont alors sanctionnés et/ou stigmatisés ceux dont les pratiques s'opposent à l'égalité et à l'universalité citoyenne. Mais d'un autre côté, il crée au sein de cette citoyenneté semblable pour tous des discriminations comme celle qui distingue les Français " d'origine étrangère ". Donc d'un côté tous les Français sont pareils et gare à ceux qui ne le sont pas, de l'autre tous ne sont pas pareils et gare à ceux qui l'oublient !
Je conclus : beaucoup d'énergie a été dépensée contre une certaine figure du racisme - celle qu'a incarnée le Front National - et une certaine idée de ce racisme comme expression des " petits blancs " représentant les couches arriérées de la société. Une bonne part de cette énergie a été récupérée pour construire la légitimité d'une nouvelle forme de racisme : racisme d'État et racisme intellectuel " de gauche ". Il serait peut-être temps de réorienter la pensée et le combat contre une théorie et une pratique de stigmatisation, de précarisation et d'exclusion qui constituent aujourd'hui un racisme d'en-haut : une logique d'État et une passion de l'intelligentsia.
Il est clair pourtant qu'aucune nécessité ne lie ces trois traits. Qu'il existe une entité appelée peuple qui est la source du pouvoir et l'interlocuteur prioritaire du discours politique, c'est ce qu'affirment nos constitutions et c'est la conviction que les orateurs républicains et socialistes d'antan développaient sans arrière-pensée. Il ne s'y lie aucune forme de sentiment raciste ou xénophobe.
Que nos politiciens pensent à leur carrière plus qu'à l'avenir des citoyens et que nos gouvernants vivent en symbiose avec les représentants des grands intérêts financiers, il n'est besoin d'aucun démagogue pour le proclamer. La même presse qui dénonce les dérives " populistes " nous en fournit, jour après jour, les témoignages les plus détaillés. De leur côté, les chefs d'État et de gouvernement parfois taxés de populisme, comme Berlusconi ou Sarkozy, se gardent bien de propager l'idée " populiste " que les élites sont corrompues.
Le terme " populisme " ne sert pas à caractériser une force politique définie. Au contraire il tire son profit des amalgames qu'il permet entre des forces politiques qui vont de l'extrême droite à la gauche radicale. Il ne désigne pas une idéologie ni même un style politique cohérent. Il sert simplement à dessiner l'image d'un certain peuple.
Car " le peuple " n'existe pas. Ce qui existe ce sont des figures diverses, voire antagoniques du peuple, des figures construites en privilégiant certains modes de rassemblement, certains traits distinctifs, certaines capacités ou incapacités : peuple ethnique défini par la communauté de la terre ou du sang ; peuple troupeau veillé par les bons pasteurs ; peuple démocratique mettant en œuvre la compétence de ceux qui n'ont aucune compétence particulière ; peuple ignorant que les oligarques tiennent à distance, etc.
La notion de populisme construit, elle, un peuple constitué par l'alliage redoutable d'une capacité -la puissance brute du grand nombre- et d'une incapacité -l'ignorance attribuée à ce même grand nombre.
Le troisième trait, le racisme, est essentiel pour cette construction. Il s'agit de montrer à des démocrates, toujours suspects d'" angélisme ", ce qu'est en vérité le peuple profond : une meute habitée par une pulsion primaire de rejet qui vise en même temps les gouvernants qu'elle déclare traîtres, faute de comprendre la complexité des mécanismes politiques, et les étrangers qu'elle redoute par attachement atavique à un cadre de vie menacé par l'évolution démographique, économique et sociale.
Ce qui mérite le nom de racisme aujourd'hui dans notre pays est essentiellement la conjonction de deux choses. Ce sont d'abord des formes de discriminations à l'embauche ou au logement qui s'exercent parfaitement dans des bureaux aseptisés, hors de toute pression de masse. C'est ensuite toute une panoplie de mesures d'État : restrictions à l'entrée du territoire, refus de donner des papiers à des gens qui travaillent, cotisent et paient des impôts en France depuis des années, restriction du droit du sol, double peine, loi contre le foulard et la burqa, taux imposés de reconduites à la frontière ou de démantèlement de campements de nomades.
Certaines bonnes âmes de gauche se plaisent à voir dans ces mesures une concession malheureuse faite par nos gouvernants à l'extrême droite " populiste " pour des raisons " électoralistes ". Mais aucune d'entre elles n'a été prise sous la pression de mouvements de masse. Elles entrent dans une stratégie propre à l'État, propre à l'équilibre que nos États s'emploient à assurer entre la libre circulation des capitaux et les entraves à la circulation des populations. Elles ont en effet pour but essentiel de précariser une partie de la population quant à ses droits de travailleurs ou de citoyens, de constituer une population de travailleurs qui peuvent toujours être renvoyés chez eux et de Français qui ne sont pas assurés de le rester.
Ces mesures sont appuyées par une campagne idéologique, justifiant cette diminution de droits par l'évidence d'une non-appartenance aux traits caractérisant l'identité nationale. Mais ce ne sont pas les " populistes " du Front national qui ont déclenché cette campagne. Ce sont des intellectuels, de gauche dit-on, qui ont trouvé l'argument imparable : ces gens-là ne sont pas vraiment français puisqu'ils ne sont pas laïques. La laïcité qui définissait naguère les règles de conduite de l'État est ainsi devenue une qualité que les individus possèdent ou dont ils sont dépourvus en raison de leur appartenance à une communauté.
Ainsi ni les " populistes " ni le peuple mis en scène par les dénonciations rituelles du populisme ne répondent-ils vraiment à leur définition. Mais peu importe à ceux qui en agitent le fantôme. Au-delà des polémiques sur les immigrés, le communautarisme ou l'islam, l'essentiel, pour eux, est d'amalgamer l'idée même du peuple démocratique à l'image de la foule dangereuse. Il est d'en tirer la conclusion que nous devons tous nous en remettre à ceux qui nous gouvernent et que toute contestation de leur légitimité et de leur intégrité est la porte ouverte aux totalitarismes. " Mieux vaut une république bananière qu'une France fasciste ", disait un des plus sinistres slogans anti-lepénistes d'avril 2002. Le battage actuel sur les dangers mortels du populisme vise à fonder en théorie l'idée que nous n'avons pas d'autre choix.
Entretien avec Jacques Rancière, l'Obs, 2 avril 2015.
L'OBS : Il y a trois mois, la France défilait au nom de la liberté d'expression et du vivre-ensemble. Les dernières élections départementales ont été marquées par une nouvelle poussée du Front national. Comment analysez-vous la succession rapide de ces deux événements, qui paraissent contradictoires ?
Voulez-vous dire que ceux qui défendent le modèle républicain laïque contribuent, malgré eux, à dégager le terrain au Front national ?
Si l'on vous suit, c'est le sens même de la laïcité qui aurait été perverti. Qu'est-ce que la laïcité représente pour vous ?
Mais d'où viendrait cette volonté de stigmatiser ?
N'est-il pas légitime de combattre le port du voile, dans lequel il n'est pas évident de voir un geste d'émancipation féminine ?
Dès lors que j'analyse le Front national comme le fruit du déséquilibre propre de notre logique institutionnelle, mon hypothèse est plutôt celle d'une intégration au sein du système. Il existe déjà beaucoup de similitudes entre le FN et les forces présentes dans le système.
Si le FN venait au pouvoir, cela aurait des effets très concrets pour les plus faibles de la société française, c'est-à-dire les immigrés...
Oui, probablement. Mais je vois mal le FN organiser de grands départs massifs, de centaines de milliers ou de millions de personnes, pour les renvoyer " chez elles ". Le Front national, ce n'est pas les petits Blancs contre les immigrés. Son électorat s'étend dans tous les secteurs de la société, y compris chez les immigrés. Alors, bien sûr, il pourrait y avoir des actions symboliques, mais je ne crois pas qu'un gouvernement UMP-FN serait très différent d'un gouvernement UMP.
A l'approche du premier tour, Manuel Valls a reproché aux intellectuels français leur " endormissement " : " Où sont les intellectuels, où sont les grandes consciences de ce pays, les hommes et les femmes de culture qui doivent, eux aussi, monter au créneau, où est la gauche ? ", a-t-il lancé. Vous êtes-vous senti concerné ?
Il ne faut pas attendre de quelques individualités qu'elles débloquent la situation. Le déblocage ne pourra venir que de mouvements démocratiques de masse, qui ne soient pas légitimés par la possession d'un privilège intellectuel.
Dans votre travail philosophique, vous montrez que, depuis Platon, la pensée politique occidentale a tendance à séparer les individus " qui savent " et ceux " qui ne savent pas ". D'un côté, il y aurait la classe éduquée, raisonnable, compétente et qui a pour vocation de gouverner ; de l'autre, la classe populaire, ignorante, victime de ses pulsions, dont le destin est d'être gouvernée. Est-ce que cette grille d'analyse s'applique à la situation actuelle ?
Longtemps, les gouvernants ont justifié leur pouvoir en se parant de vertus réputées propres à la classe éclairée, comme la prudence, la modération, la sagesse... Les gouvernements actuels se prévalent d'une science, l'économie, dont ils ne feraient qu'appliquer des lois déclarées objectives et inéluctables - lois qui sont miraculeusement en accord avec les intérêts des classes dominantes.
Or on a vu les désastres économiques et le chaos géopolitique produits depuis quarante ans par les détenteurs de la vieille sagesse des gouvernants et de la nouvelle science économique. La démonstration de l'incompétence des gens supposés compétents suscite simplement le mépris des gouvernés à l'égard des gouvernants qui les méprisent. La manifestation positive d'une compétence démocratique des supposés incompétents est tout autre chose.
Propos recueillis par Eric Aeschimann
L'OBS. Avez-vous été surpris par l'ampleur de la progression du Front national ?
Face à ce désastre, peut-on reconstruire la gauche ?
Si on appelle " gauche " ce qui gravite autour du PS et de ses parasites institutionnels et culturels, je ne vois pas comment elle remédierait, plus que la droite qui lui fait pendant, à la situation qu'elle a créée. On n'a jamais vu une classe gouvernante se suicider. L'espoir ne peut venir, à long terme, que de forces populaires neuves qui se développent de façon autonome, avec des propositions, des formes de discussion et d'action à l'écart des agendas politiques fixés par les partis étatiques et relayés par les médias.
Les expériences de mobilisation à l'étranger - Syriza, Podemos, Occupy Wall Street - ne vous apparaissent pas comme des sources d'espoir ?
Le " mouvement des places " a posé l'exigence de cette radicale autonomie par rapport aux agendas étatiques et médiatiques. Il n'a pas trouvé les moyens de s'inscrire dans le temps ou alors il a été récupéré par la logique parasitaire de la " gauche de la gauche ".
Vous ne croyez pas à la possibilité de reconstruire la gauche dans le cadre actuel ?
Mais n'y a-t-il pas urgence à agir ? Le FN n'est-il pas une menace pour la démocratie ?
N'inversons pas les causes et les effets. Le succès du Front national est un effet de la destruction effective de la vie démocratique par la logique consensuelle. On voudrait identifier le FN aux bandes paramilitaires d'hier recrutées dans les bas-fonds pour mettre à bas le système parlementaire, au nom d'un idéal de révolution nationale. Mais c'est un parti parlementaire qui doit son succès au contre-effet du système électoral en vigueur et à la gestion médiatique de l'opinion par la méthode du sondage et du commentaire permanents.
Je ne vois pas ce qu'il gagnerait dans des aventures antiparlementaires et paramilitaires imitées des mouvements fascistes des années 1930. Ses concurrents électoraux espèrent tirer profit de cette assimilation. Mais ceux qui veulent " constitutionnaliser " l'état d'urgence sont-ils les protecteurs de la démocratie menacée ? La lutte contre le FN est la lutte contre le système qui l'a produit.
Propos recueillis par Eric Aeschimann
Sources en espagnol :
http://boletinlaovejanegra.blogspot.com/2015/09/revolucion-en-rojava.html
http://www.mediafire.com/view/xmfz62d4viheb59/laovejanegra31rosario.pdf
Traduction française : Třídní válka # Class War # Guerre de Classe
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[1] Zafer Onat : Rojava : Fantasmes et Réalités
[2] Guerre de Classe : Présentation au texte de la TCI Rojava : la Guerre Populaire, ce n'est pas la Guerre de Classe
[3] Tendance Communiste Internationaliste : Rojava : la Guerre Populaire, ce n'est pas la Guerre de Classe
[4] Gilles Dauvé : Kurdistan ?
[5] Zafer Onat : Rojava : Fantasmes et Réalités
Camarades, prolétaires d'Europe, une fois de plus on vous dit que vos conditions de vie ou même vos propres vies sont sous la menace de quelques " étrangers ". Vous êtes victimes d'un chantage avec les nouvelles coupes budgétaires dans les " services sociaux " et la menace de perdre votre boulot... comme si ce n'était pas déjà le programme de la classe dirigeante ! Vous êtes menacés par la propagation d'une " religion étrangère " et d'une " culture étrangère " et poussés à défendre " votre propre " pays, sa culture, ses croyances, etc. comme si cela signifiait quelque chose d'autre que de défense les intérêts d'une fraction locale de la bourgeoisie ! Comme si cela servait autre chose qu'à maintenir l'ordre capitaliste et à renforcer l'idéologie dominante, qui nous fait accepter notre propre exploitation !
On nous divise en " blancs " et " noirs " ou " Rom ", " immigrés " et " autochtones ", " hommes " et " femmes ". Peu importe combien de fois on nous a eu avec ça, la bourgeoisie est plus que jamais prête à nous jouer de sales tours ! Cela a pour objectif de séparer la lutte de classe dans une partie du monde de la lutte de classe dans d'autres parties. Pour séparer les prolos des prolos, pour nous faire voir les uns les autres non pas comme des frères et sœurs de classe, mais comme des ennemis.
La vague actuelle des réfugiés qui déferlent sur l'Europe en provenance de Syrie, d'Irak, de Somalie, d'Afghanistan, d'Egypte, d'Ukraine, etc., est un produit de l'écrasement brutal des luttes prolétariennes : grèves ouvrières, mutineries militaires et insurrections. Luttes en réaction à la crise capitaliste et à ses diverses expressions que sont les hausses de prix des denrées de base comme la nourriture, le carburant et le logement, la hausse du chômage, la baisse des salaires réels, la poursuite de la rationalisation de la production et du contrôle accru de l'Etat qui affectent le prolétariat dans le monde entier.
Ces réfugiés ont été bombardés, on leur a tiré dessus, on les a affamé et torturé... ils ont été trompés et poussés par diverses fractions bourgeoises locales - les nationalistes, les islamistes, les " séparatistes ", les syndicalistes ou les " municipalistes libertaires " - à transformer leur lutte pour de meilleures conditions de vie et contre la répression de l'Etat en une lutte pour des symboles et des drapeaux nationaux, partisans ou religieux, à les faire se haïr et se tuer les uns les autres.
Afin d'empêcher le mouvement prolétarien qui a mis le feu au Maghreb et au Machrek, en Turquie, en Grèce, ainsi que dans de nombreux pays africains, d'abattre les frontières - tant internes que celles de la " Forteresse Europe ", les fractions bourgeoises euro-américaines (y compris la Russie), unis dans la division, soutiennent toutes ces sectes et milices politiques et religieuses avec de l'argent, des armes, de la propagande et des renseignements provenant de leurs services secrets. Dans le même temps, leur objectif est également de sécuriser leurs intérêts géopolitiques et économiques dans la rivalité inter-bourgeoise.
Maintenant que les dernières expressions de la lutte autonome de notre classe en Syrie, en Irak et ailleurs ont été défaites et que sa colère a été canalisée vers le soutien populaire aux différents camps qui s'affrontent dans les guerres civiles, ce conflit inter-capitaliste s'est intensifié en un autre massacre de masse de prolétaires. Et quand les prolos de ces régions tentent de fuir pour sauver leur vie, quand il n'y a pas de perspective pour eux si ce ne sont des souffrances, ils sont de nouveau utilisés uniquement comme un fouet idéologique contre les prolos " locaux ".
Nous, le prolétariat mondial en Europe, devons lutter contre la violence de l'Etat envers nos frères et sœurs de classe qui viennent ici, nous devons dénoncer toutes les tentatives idéologiques de les diviser en " réfugiés " et en " migrants économiques ", de les enfermer dans des camps de concentration ou de les expulser. Nous devons remettre en question la fausse solidarité de la droite, de la gauche ou de l'extrême gauche du capital, qui ne les considèrent que comme un outil de la future division idéologique imposée à notre classe. Nous devons organiser la lutte de classe avec eux et avec le prolétariat dans le reste du monde.
Y.Y. Absolument. Combattre le productivisme sans combattre le capitalisme ou proclamer l'égalité sans remettre en question le hiérarchisme relève de la même naïveté. Mais les idées reçues continuent à défier la logique aussi durablement que la pensée n'est pas examinée. Sauf quand il s'agit de mauvaise foi, c'est-à-dire quand l'intérêt produit l'opinion. L'intérêt de classe notamment. C'est ce qu'on essaie d'expliquer aux gens sur les différents terrains de lutte, au moyen de débats, chansons, graffitis, articles, films et toutes sortes d'initiatives. Par exemple, faire venir Noël Godin, Raoul Vaneigem, Sergio Ghirardi ou l'Église de la Très Sainte Consommation sur la ZAD du Testet durant la semaine Grozad, c'était exactement dans ce but : faire de l'éducation populaire, bousculer les idées reçues et ouvrir des perspectives de réflexion pour aller plus loin, tout en remontant le moral des occupants et en attirant également du monde de l'extérieur, sans oublier d'aller à la rencontre des lycéens qui faisaient la grève pour nous soutenir, devant leur bahut. L'imaginaire est le carburant du désir, c'est-à-dire de la capacité à se projeter, qui à son tour produit la volonté, la ténacité, le courage et la joie de lutter et de s'émanciper. C'est l'antidote contre la résignation. Sans décoloniser et élargir son imaginaire, on ne choisit pas, ou en apparence seulement : on subit, en spectateur de sa vie et du monde. On reste assis, donc à genoux, esclaves modernes d'un pouvoir qu'il nous revient de désacraliser. Parce que nos chaînes sont d'abord dans nos têtes.
Les anarchistes, dans leur radicalité, proposent d'aller à "la racine" du problème, de remonter à "la cause des causes", formule malheureusement récupérée par des gourous confusionnistes qui veulent nous faire croire que Le Pen ou Soral sont des résistants et qu'il suffirait de tirer au sort nos chefs au lieu de les élire pour être libres. Alors que nous prétendons, au contraire, que c'est le pouvoir qui corrompt, quel qu'il soit et d'où qu'il vienne, et que le hasard ne fait rien à l'affaire : quand on est chef, on est chef. Si les libertaires ne veulent pas que des imposteurs maniant le verbe et la souris se prévalent de nos idées pour les mélanger à n'importe quoi et en faire des contresens, il est urgent d'agir directement, à l'épreuve du réel, en descendant dans les catacombes enfumées de la société, mais aussi en étant plus présents sur internet. Face aux virus de la confusion, c'est à nous d'être les rétrovirus du choix sibyllin qui se présente à nous : soit continuer à nous soumettre dans la servitude volontaire à un pouvoir toujours plus répressif, soit nous préparer à reprendre nos vies en main, tout en rejetant les fabriques de boucs-émissaires et leurs collaborateurs.
En Grèce, cette lutte contre la confusion est, depuis longtemps, l'une de nos priorités, au sein du "mouvement social" par-delà les divergences politiques. L'antifascisme n'est pas devenu un mot péjoratif comme en France, bien au contraire. Il est indissociable de l'anticapitalisme. Notamment, en dévoilant le rôle supplétif du fascisme au service du capitalisme qui l'instrumentalise pour se maintenir au pouvoir, comme l'histoire l'a montré en Grèce et ailleurs.
Outre l'amplitude de l'action directe antifasciste en Grèce, le dénominateur commun des luttes, là-bas, ne me semble ni la préoccupation écologique ni même sociale (contrairement aux ZAD en France et aux occupations habitables en Espagne), mais plutôt la question du pouvoir qui témoigne d'un profond ras-le-bol et d'une immense corruption. D'autant plus que le gouvernement grec est carrément une coalition PS-droite depuis 4 ans, à la différence des exemples espagnols et français où les mêmes jumeaux politiques jouent encore le spectacle de l'alternance perpétuelle.
L'exemple le plus éclatant est bien sûr dans le quartier d'Exarcheia à Athènes, où tous les membres de collectifs ne sont pas forcément du même avis sur la façon de construire un projet de société qui permettrait de vivre autrement, mais où, néanmoins, tout le monde s'accorde sans ambiguïté sur le fait que l'important désormais, c'est de ne plus obéir qu'à nous-mêmes et de refuser d'accepter plus longtemps de baisser la tête, dans la recherche d'une façon de vivre plus autogestionnaire, égalitaire et libertaire.
En France, ce "dénominateur commun" des luttes, que ce soit sur des fronts de combat multicolores comme au Testet ou dans des expérimentations alternatives souvent superficielles, est rarement la question du pouvoir, tout au moins pas d'emblée, hélas pour les anarchistes. Dès lors, à chaque fois, la question se pose : participer ou pas ? Et si oui, de quelle façon ?
Le plus court chemin vers l'utopie n'est pas de tourner en rond dans son coin en attendant le grand soir ou l'aube noire, mais de faire autant de pas que possible vers elle, au rythme d'une société minée de longue date par un passif monstrueux, stupide, inégalitaire et liberticide. Il n'y a pas de miracle. La décolonisation de l'imaginaire social ne tombera pas du ciel. Elle n'interviendra qu'au fur et à mesure de la découverte, du désir et de la réflexion, en progressant vers l'utopie et en savourant les avancées qu'elle procure.
De même, nous ne changerons pas le monde uniquement au moyen de petits groupes aussi éclairés soient-ils. Bien sûr, certains épisodes révolutionnaires ont été déclenchés par une poignée de personnes aux rôles décisifs. Mais que sont devenus ces grands moments historiques ? Ce qui a fait échouer chaque révolution n'est pas seulement la contre-révolution aussitôt lancée contre elle, mais aussi, plus profondément, la faiblesse de l'imaginaire social, distillé et institué au bon vouloir des puissants qui n'ont eu aucun mal, par conséquent, à éradiquer "la canaille" en levant aisément des troupes réactionnaires et assassines, puis, plus récemment, un cortège d'électeurs effrayés en juin 1968. Un fruit qui n'arrive pas à maturité ne peut être que stérile. Toute révolution qui devance trop largement l'imaginaire social est condamnée à échouer, sinon dans les premiers jours, du moins dans les suivants.
Par conséquent, cela suppose que préparer la révolution, c'est d'abord contribuer aux mouvements sociaux, parmi les gens qui en ont assez ou qui rêvent d'autre chose. On ne perd pas son "identité libertaire" parce qu'on va à la rencontre de "voisins politiques" avec lesquels on diffère sur un ou plusieurs sujets majeurs. De surcroît, si on désire un horizon véritablement démocratique au sens libertaire du terme, il est nécessaire de faire preuve de vigilance, mais aussi d'ouverture et d'écoute. Il est, par exemple, intéressant d'entendre les doutes et les réserves qu'expriment les gens qui s'intéressent à l'anarchie et de pouvoir y répondre. Par exemple, quand je présente Ne vivons plus comme des esclaves dans des associations comme Attac ou d'autres associations proches de la gauche critique, de l'écologie ou de l'altermondialisme, je découvre, d'une part, beaucoup de choses intéressantes même si je ne partage pas certains points de vue et, d'autre part, je peux mesurer le chemin qui reste à parcourir avant d'oser plus radicalement changer le cours des choses et les bases de la société. Je peux également vérifier à quels points certaines choses que nous proposons séduisent de plus en plus des gens qui croyaient autrefois que l'anarchie ne pouvait mener qu'au désordre arbitraire et au chacun pour soi. Dans ce genre de circonstances, par exemple, il m'arrive de faire observer que la devise "Liberté, Égalité, Fraternité", pure abstraction républicaine clouée froidement aux frontispices des monuments publics, devient enfin concrète et agissante dans l'utopie libertaire, au point de la résumer parfaitement.
Y.Y. Oui, c'est dommage. Peut-être parce qu'ils ne distinguent pas assez l'attitude qui convient face au pouvoir et celle à privilégier aux côtés des opprimés même s'ils nous exaspèrent parfois. Quand je vais sur des territoires en lutte où les gens ont un niveau de culture politique relativement limité et, en particulier, toutes sortes de préjugés sur l'anarchie, il ne suffit pas de citer Bakounine ou Louise Michel et de parler de liberté ou d'égalité pour les convaincre. Il faut surtout leur montrer ce qu'est l'anarchie dans notre façon d'être à l'écoute, d'accepter les différences et de faire de la propagande par l'exemple. Non pas de la propagande au sens que nous serions parfaits, mais en montrant simplement que nous savons faire preuve d'amour, c'est-à-dire en l'occurrence de fraternité, dans un monde qui en manque terriblement, de même que nous sommes capables de mordre, de lutter et de créer obstinément.
Propos recueillis par Pola, Groupe Béthune de la Fédération anarchiste
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1 Athènes sur un volcan, Yannis Youlountas, sur le site du film Ne vivons plus comme des esclaves (rubrique actualité).
2 Ibid
3 Le collectif Tant qu'il y aura des bouilles a été fondé le 13 octobre 2013 à la Métairie Neuve de la ZAD. Pour en savoir plus, lire La ZAD de Sivens : une expérience libertaire, Yannis Youlountas, sur le site du Monde Libertaire.
4 Occupants de la ZAD.
5 Qui a peur du grand méchant casseur ? Yannis Youlountas, sur le site de Siné Mensuel.
6 www.amentonpeze.org
La vie brûle de se répandre à travers la diversité des sentiments et dans la beauté des rencontres possibles. Et ainsi de se retrouver dans cette somme de la diversité. Mais la réalité dont il faut partir est cette séparation entre chacun et tous. Dans l'amour, le séparé existe encore, mais non plus comme séparé : comme uni. Et le vivant rencontre le vivant.
Pourtant, l'harmonie enivrante des corps et des esprits n'a qu'un temps. Le tourbillon s'arrête et le courant emporte les êtres vers d'autres ciels étoilés. Ils continuent leur dérive mais ils ont été transformés. La beauté de l'amour ne réside pas dans la durée mais dans cette transformation.
Premier jour... quelque part en Amérique latine
Les mêmes matins ouvrent sur les mêmes questions qui loin de refermer le gouffre, ne font que l'agrandir. Il y a ce vague souvenir des alcools et des fumées de la veille. Il y a l'importance de ce monde sans importance. Et moi au milieu de ce désert.
Encore une journée où il faudra s'incarner dans cette guerre de chacun contre tous. Encore une journée où il faudra errer dans ce monde qui ne nous appartient plus, dans cette prison où tout est devenu si laid.
Cette civilisation n'en finit pas de mourir. Mais à mesure que son déclin devient la manifestation la plus évidente de son existence, la recherche du plaisir immédiat et la réussite individuelle constituent l'aspiration de l'immense majorité. La soif de reconnaissance correspond parfaitement au processus général d'effritement de toute l'existence. Le narcissisme de ces temps bouleversés n'est rien d'autre que le côté subjectif du fétichisme de la marchandise. Lorsqu'une certaine idée de l'homme et du monde s'effondre, lorsque la marchandise envahit tout, l'espace comme les relations, la communauté disparaît et il ne reste plus que l'individu face à ce néant. Alors les hommes essayent de se construire un abri au milieu de ce champ de ruines. Cet abri, ils l'appellent le bonheur mais il n'est rien d'autre qu'une mystification de leur solitude.
C'est du fond de l'ennui qu'inspire ce monde normalisé que naît la passion de marcher sur le bord de la vie. Le blasphème aux lèvres et la négation dans l'âme, je rampe dans ce désert. Le mépris y tient lieu d'espérance.
Il suffit de voir cette foule hypnotique qui ère sans but, tout juste capable d'obéir, pour comprendre que les véritables rencontres se font rares sous l'empire de la servitude. Seuls ces écrits sur les murs laissent songer que la vie existe encore, quelque part, non loin d'ici peut-être.
Voilà ma famille, ma tribu, ma bande de frères. Avec eux je suis en paix car nous savons contre quoi nous sommes en guerre. À notre échelle, avec nos gestes, nous jetons nos forces contre l'ordre du monde. " Je sais qu'il y en a qui disent que nous servons à peu de chose. À ceux-là je réponds que nous sommes du côté de la vie. Nous aimons des choses aussi insignifiantes qu'une chanson ou un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu'à ce qu'elle étouffe. Elle n'étouffera pas sans t'avoir piqué. C'est peut-être peu de chose mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus d'abeilles. "
C'est ici que l'on rencontre ceux qui valent la peine, ceux qui n'ont pas encore renoncé à l'essentiel et qui ont conservé dans leur regard ce feu que n'ont plus les résignés. Toute véritable rencontre est un événement de même que tous les événements réels naissent d'une rencontre. Ils ouvrent de nouveaux trajets aussi bien à l'échelle de nos destinées qu'à l'échelle de l'Histoire. C'est ici que je la rencontrai. Elle venait du Mexique et n'était de passage dans ma ville que pour trois jours. Des camarades de San Cristobal lui avaient parlé de notre groupe. Elle était toute envahie par son projet de film sur les luttes indigènes du rio grande à la terre de feu. Elle nous aidait à préparer des banderoles pour le jour de la race, qui commémore ce matin funeste où Colomb avait mis les pieds sur le continent. Nous avons peu de traditions dans le groupe mais il nous plait de marquer cette date de notre sceau. Un peu comme ces républicains français qui chaque année le 21 janvier mangeait une tête de veau en se rappelant quand celle de leur roi avait vacillé.
Elle était belle et lumineuse, ses cheveux glissaient sur sa nuque et sa peau blanche, un peu sucrée, inspirait aux lèvres un baiser. On ne sait pourquoi une personne vous attire, ce n'est peut être qu'une question d'odeurs. Mais je n'avais ni la force ni l'envie d'échapper à ce tourbillon. Je l'observais longtemps, je l'approchais lentement et dans ce jeu étrange de la séduction, je l'isolais un peu. Ses yeux brillaient quand elle parlait. La passion était là et l'indispensable cohérence du discours aussi. Elle me parlait de son projet et de la nécessité de tisser des liens entre tous ces groupes qui surgissent un peu partout. Elle disait que le sérieux historique était de retour. Je répliquais que l'heure était aux hurlements. Elle me sentait désespéré, je la trouvais trop optimiste ; c'est sans doute pour cela que seule la révolution nous paraissait une aventure digne de cet état de survie dans lequel nous végétions. Elle disait qu'il fallait convaincre, je répliquais qu'il fallait combattre, nous étions d'accord sur l'essentiel. Je lui proposais de nous enfuir...
La discussion sur le sens de tout cela continua longtemps, mais déjà, il y avait quelque chose de nouveau : une peur mêlée d'espérance. Elle disait que nous étions faits pour aimer mais pas pour tomber amoureux. Elle m'expliquait que c'était là toute la différence entre un choix qu'on assume et une condition que l'on subit. J'admirais le raisonnement mais dans la fragilité de cet instant suspendu, je ne trouvais rien à dire qui vaille la peine. En réalité, je ne pensais plus qu'à la prendre dans mes bras pour l'embrasser...
"Il n'y a de vrai au monde que de déraisonner d'amour." Alfred de Musset
Je me réveillais au milieu de la nuit et déjà, de manière presqu'imperceptible, mon regard avait changé. Je sentais que celle vers qui tout mon être tendait pouvait tout aussi bien s'en aller, ne plus être là, à mes côtés. Cette idée me glaça. Errant dans les ruines de la civilisation, je voulais simplement la conserver, la posséder en quelque sorte. Elle devenait à elle seule, la compensation aux affres et aux souffrances qui m'habitent depuis toujours. Elle était le sens qui manquait à tout cela, " le paradis de l'évidence inexprimable ". Et moi, enfant perdu de ce siècle, je glissais ainsi dans la mélancolie d'une autre époque, et qui ne reviendrait plus. Ce ne peut être assurément que l'odeur de la fin d'un monde. Elle se retourna pour me dire qu'elle m'aimait et qu'elle était très heureuse de me connaître. Nous nous embrassâmes à nouveau avant de replonger dans l'amour, cette danse sublime qui unit la chair et les étoiles. Et puis le sommeil...
Deuxième jour...
"Je n'appartiens à personne ; quand la pensée veut être libre, le corps doit l'être aussi." Alfred de Musset
Lui : Je te sens comme indifférente au fait que tu t'en ailles demain.
Elle : Non, tu te trompes, j'ai beaucoup apprécié ces jours passés avec vous et avec toi.
Lui : Mais tu vas partir ?
Elle : Je dois suivre mon chemin.
Lui : Je n'avais pas encore vécu une telle harmonie avec quelqu'un, unir l'amour et la révolution, ce n'est pas si facile. J'ai peur de passer à côté de l'amour véritable.
Elle : L'amour véritable, l'amour passionnel, l'amour fusionnel, je n'y crois guère. La vérité est que la représentation socialement élaborée de l'amour n'existe pas. L'amour fusionnel est l'illusion qui sert le mieux les intérêts de la domination présente. L'amour dans les films ou dans les chansons définit une manière de penser, une manière de réagir qui ne sert finalement qu'à développer l'insatisfaction lorsqu'il se confronte à la réalité vécue. Et l'insatisfaction généralisée est la matrice de la consommation.
Lui : Mais l'amour authentique est justement l'arme qui peut détruire l'insatisfaction généralisée.
Elle : Je ne pense pas que la majorité des femmes partagent ton point de vue. Il est toujours difficile de s'écarter des normes aliénantes de l'amour mais je suis décidée à bâtir ma force et ma joie à contre-courant. En dissociant sexualités et propriété exclusive, je veux rompre avec les relations de mépris, de violences physiques, d'autorité, et aussi avec l'habitude de raisonner en fonction de l'autre. L'amour, en tant que construction sociale appauvrit les relations possibles. Moi je veux l'affection sans la jalousie, l'intensité sans la dépendance, la sexualité sans l'exclusivité. Je veux vivre, partager, être libre, chanter, rire, être moi. Je ne veux appartenir à personne et que personne ne m'appartienne. Je veux suivre mon chemin, celui qui me rapproche des autres et non celui qui m'enferme dans les bras d'un autre.
Elle avait tout dit et elle avait raison. Je restais là, incapable de lui répondre. J'aurais pu lui dire que nous pouvions construire quelque chose de différent, mais à quoi bon, si tous les couples pensent cela mais aucun n'y parvient. Je la serrai simplement dans mes bras en espérant qu'un jour je serai à la hauteur d'un tel discours.
Troisième jour
Elle avait pris la route du sud-ouest. Je pensais à nous sans tristesse. Je marchais dans la nuit tombante, sentant le vent pénétrant tout mon être, juste cette phrase qui revenait comme un refrain : c'est bien plus beau lorsque c'est éphémère. Je sentais que quelque chose en moi avait changé...
"J'ai souvent souffert, je me suis trompé quelques fois mais j'ai aimé." Alfred de Musset
Telle est la vie des hommes. Quelques rencontres qui brillent d'un feu plus intense au milieu d'un ciel obscurci par la servitude. Et le projet, toujours renouvelé, d'écrire notre propre histoire.
Ceux qui parlent de révolution sans se proposer de bouleverser les relations amoureuses ne font que défendre la fonction oppressive du vieux monde. L'amour aussi, avec tant d'autres choses est à réinventer. Il s'agit de détruire les sentiments de propriété et l'illusion d'éternité qui perdurent dans l'amour. Entre la sexualité-marchandise et l'amour-possession, il existe une ligne étroite sur laquelle il faudra se mouvoir. Il nous appartient d'inventer ce jeu et le langage qui lui correspond.
Le texte et le film sont libres de droits, ils peuvent être copiés, diffusés, projetés sans la moindre forme de contrainte. Ils sont par ailleurs totalement gratuits et ne peuvent en aucun cas être vendus ou commercialisés sous quelque forme que ce soit. Il serait en effet pour le moins incohérent de proposer une marchandise qui aurait pour vocation de critiquer l'omniprésence de la marchandise. La lutte contre la propriété privée, intellectuelle ou autre, est notre force de frappe contre la domination présente.
Ce film qui est diffusé en dehors de tout circuit légal ou commercial ne peut exister que grâce à l'appui de personnes qui en organisent la diffusion ou la projection. Il ne nous appartient pas, il appartient à ceux qui voudront bien s'en saisir pour le jeter dans le feu des combats.
" Les communistes l'ont rêvé [en cauchemar]... Syriza l'a réalisé... " Cette boutade pourrait très bien résumer les leçons programmatiques à tirer de la situation que les prolétaires en Grèce, nos frères et sœurs de misère et de lutte, subissent actuellement. En effet, depuis toujours, ou du moins depuis les grandes campagnes de la social-démocratie au début du 20ème siècle pour l'instauration du suffrage universel, dont le but n'était rien d'autre que l'encadrement et l'anéantissement de l'énergie que le prolétariat développait pour en finir avec la misère et l'exploitation, la critique communiste (que celle-ci s'exprimait sous l'étiquette " anarchiste ", " socialiste révolutionnaire " ou autre n'est pas ici notre propos) a toujours dénoncé le cirque électoral, le parlementarisme, le gouvernementalisme, la collaboration avec les institutions bourgeoises, la croyance quasi-religieuse que des réformes pourraient améliorer le sort de notre classe...
Nous n'allons pas dans cette toute petite contribution parler plus avant de la " dette souveraine grecque ", ni du sauvetage de la " zone euro ", et encore moins du " Grexit ", tellement à la mode ces dernières semaines dans les média bourgeois. Nous n'allons pas non plus développer les différentes stratégies du gouvernement Syriza afin de " défier " les institutions financières de la commission européenne et de la Troïka. Nous laissons tous ces " détails " aux fervents adeptes de l'économie politique. Pour notre part, nous considérons que les communistes n'ont pas à se complaire dans la biologie du Capital, alors que notre tâche est fondamentalement de participer à sa nécrologie ! Nous n'allons pas plus nous épancher sur la " psychologie " du premier ministre Tsipras, sur ce qu'il espérait ou prétendait faire, et encore moins n'allons-nous prendre en considération le show médiatique et les déclarations rocambolesques de son ministre des finances, le " beau ténébreux " playboy bellâtre Varoufakis (autoproclamé " marxiste libertaire " !), ainsi que sa clique de gauchistes, juste capable de pleurnicher sur le " déni de démocratie " vis-à-vis des résultats du référendum du 5 juillet, et sur le " diktat de l'euro zone ". Ce qui intéresse les communistes, ce n'est pas ce que les individus disent d'eux-mêmes mais bien ce qu'ils font et assume dans leurs pratiques sociales...
Alors, que se passe-t-il donc en Grèce, si ce n'est l'antépénultième épisode de la toujours triste et lamentable histoire de la social-démocratie historique, c'est-à-dire du parti bourgeois à destination des ouvriers et des prolétaires, de cette force sociale chargée de vider nos mouvements de lutte de sa substance subversive, de dévier leurs perspectives de transformation radicale de ce monde vers une simple réforme de celui-ci, et finalement de nous faire rentrer dans les rangs serrés de la paix sociale. Ce parti de la social-démocratie se matérialise à deux niveaux : par la constitution d'une structure militante extérieure à notre classe, issue directement des fractions progressistes et gauchistes de la classe bourgeoise d'une part, et par le développement d'un corpus idéologique réformiste généré au sein même de notre classe et s'appuyant sur les faiblesses, les limites et les illusions de la lutte d'autre part, le tout dans un va-et-vient dialectique entre les deux.
Donc, il ne se passe en Grèce rien de bien différent de ce que le très " radical " Parti des Travailleurs du Brésil (sous la houlette du réformiste Lula da Silva puis de l'ex-" guérillera " Dilma Roussef) a réalisé ces dernières années en termes d'attaques des conditions de vie des prolétaires ; ce qui soit dit en passant a généré la révolte de juin 2013 contre l'austérité et la misère.
Historiquement, la gauche et l'extrême gauche du Capital nous ont cent fois, mille fois habitués à leurs " trahisons " (ne peuvent se considérer comme " trahis " que les naïfs qui misent sur une quelconque alternative bourgeoise pour résoudre les problèmes fondamentaux de notre classe, de l'humanité)... Déjà, en 1871, lors de l'important mouvement prolétarien connu sous le nom de la " Commune de Paris ", la gauche et l'extrême gauche en ont pris la tête afin de fonder un gouvernement qui jamais, au grand jamais, n'a pris la moindre mesure révolutionnaire afin de contrer les forces bourgeoises versaillaises, ni afin d'étendre internationalement l'effort militant en cours. Toutes les mesures de ce " gouvernement de la Commune de Paris " n'ont mené qu'à une seule chose : le désarmement (tant militaire que programmatique) de notre classe face à notre ennemi historique en recomposition après une brève défaite...
Si l'on remonte à l'année 1914, on constatera le même phénomène où des gauchistes, qui se déclarait ouvertement anti-guerre, vont retourner leurs vestes en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Par exemple, le militant " socialiste révolutionnaire " français Gustave Hervé, qui écrivait dans le journal " La Guerre Sociale " qu'il fallait " planter le drapeau national dans un tas de fumier ", va très rapidement se rallier à la défense de " la patrie en danger "... Idem pour la CGT française anarcho-syndicaliste, qui après des années de propagande antimilitariste, rejoindra en rangs serrés les partisans de la guerre et de l'union sacrée, permettant ainsi la faisabilité de la mobilisation générale, ou du moins favorisant son déroulement sans trop de problème...
En 1917, alors que la révolte gronde sur tous les fronts contre la boucherie capitaliste, le " Parti Bolchevique " se porte à la tête du mouvement du refus de la guerre afin de mieux l'amener dans l'impasse d'un changement " radical " de gouvernement, en abattant le règne du tsar millénaire, et en participant in fine à la reconstruction de l'État capitaliste en Russie, après qu'il ait été fortement malmené par notre classe en lutte, ce qui résultera dans le stalinisme et son " socialisme dans un seul pays "...
En 1918, en Allemagne, après plusieurs années de collaboration ouverte avec l'État-major de l'armée impériale, ce qui se traduira par la mobilisation sur le front ainsi que par la participation des ouvriers de l'industrie à l'effort de guerre, une importante fraction de la social-démocratie (le SPD) est directement appelée à la gestion politique (et donc au gouvernement), et ce sont des militants de la gauche qui participeront directement à l'écrasement de la lutte prolétarienne par la constitution de " corps-francs " sous l'égide de " l'ouvrier " et " député socialiste " Noske...
Enfin, afin de clôturer ici cette liste non-exhaustive, en 1936 en Espagne, c'est grâce au " soutien critique " et aux voix des militants de la CNT que le Front populaire a remporté la victoire aux élections, et a ainsi pu développer une politique républicaine " antifasciste " qui s'opposera pratiquement aux velléités du prolétariat dans sa lutte pour la révolution sociale, avec l'aide active des " camarades-ministres " de la CNT-FAI. Encore une fois, la révolution sera sacrifiée sur l'autel de la défense d'un quelconque camp bourgeois considéré comme un " moindre mal " !
Bref, nous pourrions distiller ainsi sur des dizaines de pages les horreurs que notre classe a connues dans le détournement de ses luttes et l'approfondissement de ses faiblesses. Comme on le voit, la gauche et l'extrême gauche (toutes fractions confondues) ont toujours été, sont et continueront d'être des éléments prédominants dans la structuration et le maintien de la dictature capitaliste. Le prolétariat est historiquement obligé et déterminé de les combattre au même titre que toutes les autres fractions de la bourgeoisie s'il veut en finir une fois pour toute avec sa misère, l'exploitation et les guerres...
Mais, revenons quelque peu aux événements présents, ainsi que sur la façon dont les actuels gestionnaires gauchistes de notre misère prétendent régler le problème... Tous ceux qui ont critiqué (à juste raison d'ailleurs) le référendum organisé par le gouvernement Tsipras n'y ont vu que du feu : leurs critiques ne dépassaient pas les sempiternelles pleurnicheries affirmant que le " Oui " signifierait une austérité dure et le " Non " une austérité moins dure. En fait, et la suite des événements nous l'a prouvé, et comment d'ailleurs en aurait-il été autrement, le " Non " n'a jamais rien signifié d'autre (comme dans toute élection) que de donner " carte blanche " au gouvernement et qu'il développe une austérité encore plus forte que celle initialement imposée par les instances européennes et leurs gangsters capitalistes. Il faut vraiment être un " idiot utile " de premier ordre pour croire une seule micro-fraction de seconde que le show électoral ou référendaire puisse être autre chose qu'une farce dont les prolétaires en sont les dindons... L'extrême gauche du Capital nous avait plutôt historiquement habitués à appliquer une politique gauchiste, qui n'est jamais rien d'autre qu'un ravalement de façade plus ou moins " radical " selon les circonstances et les nécessités du moment, le tout n'étant finalement qu'une version de la même dictature capitaliste repeinte en rouge. Dans le cas présent de la Grèce, " l'originalité " consiste à ce qu'un parti et un gouvernement gauchistes appliquent à la lettre le plan d'ajustement structurel et les mesures d'austérité implacables concoctées dans les quartiers généraux de ce qu'il est convenu d'appeler les centres décisionnels de la politique libérale du capitalisme. Mais finalement, au-delà des différences de formes et de discours, tout cela participe directement et intrinsèquement de la logique même du système capitaliste ; ou mieux dit, ce n'est pas Syriza qui est l'acteur de l'histoire mais bien l'histoire du capitalisme qui trouve en Syriza des acteurs à la hauteur de la tâche, en vue d'accomplir ses basses besognes, c'est-à-dire d'attaquer frontalement le prolétariat dans ses moyens d'existence et de lutte.
Car ce dont il est fondamentalement question dans la " crise grecque ", ce n'est pas de " la dette ", qui ne s'élève d'ailleurs " qu'à " 324 milliards d'euros (dont plus des trois-quarts ne sont remboursables que dans plusieurs années) ; pour donner un ordre de comparaison, la dette de la France est de 2.089 milliards d'euros, celle de l'Italie de 2.194 milliards et de 9.293 milliards pour la " zone euro ", sans même parler de celle de l'État-Nation le plus endetté de la planète et de l'histoire : les USA avec une dette colossale et abyssale de 18.152 milliards de dollars ! Le capitalisme a visiblement besoin de produire de la dette, il ne sait d'ailleurs rien faire d'autre que de s'emballer ainsi et de toujours plus appuyer sa reproduction élargie sur du capital fictif, sur de la valeur non encore produite et qui probablement ne le sera jamais... Non, ce dont il est vraiment question, c'est de la mise en place pratique d'un programme de mise au pas du prolétariat, non seulement en Grèce mais aussi dans d'autres régions d'Europe où le Capital a besoin de frapper encore plus fort et de discipliner une force de travail surnuméraire, de toujours plus diviser les prolétaires en différentes catégories, les blancs et les " basanés ", les nationaux et les migrants, les bons citoyens travailleurs qui acceptent l'austérité sans trop rechigner et ceux qui relèvent la tête, qui montrent leurs crocs, qui organisent la lutte et la révolte... Et en ce sens, la Grèce est un véritable laboratoire social pour la bourgeoisie et son serviteur d'extrême gauche !
Le prolétariat est condamné à toujours en prendre plus plein dans la gueule, et cela sous toutes les latitudes...
Si le prolétariat discipliné et pacifié en Europe et en Amérique du nord, abreuvé de campagnes étatiques de citoyennisation toujours plus terroriste, croie pouvoir échapper à son destin sans lutter, il se le fout dans l'œil comme jamais auparavant...
Il faut en finir avec toutes ces illusions dans le cirque parlementaire, dans le jeu des partis politiques, mais aussi des syndicats qui ne font rien si ce n'est sauver la paix sociale et négocier au plus offrant la vente de notre force de travail.
Nous n'avons rien à gagner non plus dans de nouvelles croyances qui garantiraient la " pureté " de nos luttes contre les scories de la politique bourgeoise : l'autogestion (c'est-à-dire la gestion de notre propre misère), les coopératives de production où l'essence du Capital (l'argent, l'échange et donc la valeur) n'est jamais éliminé...
Dans une déclaration faite le 1er juillet, un certain " Mouvement Antiautoritaire " de Thessalonique affirme sans rire : " Nous n'avons rien à faire d'une monnaie qui fera partie d'un renouveau national et, bien sûr, nous ne pouvons pas soutenir une monnaie qui fait partie de l'intrusion financière dans chaque aspect de nos vies. Nous préférons penser la monnaie dans sa dimension normale, comme un instrument d'échange avec comme fonction principale de servir les besoins et les services sociaux. " Misère du gauchisme et de son incompréhension de ce qu'est le capitalisme !
Bref tout ce fatras démocratique à la mode n'a jamais, au grand jamais, constitué la moindre garantie quant au développement de nos luttes et à l'approfondissement de nos ruptures d'avec la société du Capital et ses défenseurs acharnés.
Camarades, face à la catastrophe capitaliste faite de plus de misère, d'austérité, de répression et de guerres, face à la destruction environnementale de la planète générée par un rapport social qui n'en a rien à foutre de l'humain, il n'y a pas d'autre alternative que la lutte révolutionnaire à outrance pour la destruction de ce qui nous détruit...
http://www.autistici.org/tridnivalka/guerre-de-classe-022015-syriza-podemos-front-de-gauche-que-creve-lextreme-gauche-du-capital/
Le totalitarisme n'est pas seulement une uniformisation politique terroriste, c'est aussi une uniformisation économico-technique non terroriste qui fonctionne en manipulant les besoins au nom d'un faux intérêt général.
Nous pouvons distinguer de vrais et de faux besoins. Sont " faux " ceux que des intérêts sociaux particuliers imposent à l'individu : les besoins qui justifient un travail pénible, l'agressivité, la misère, l'injustice.
Le résultat est alors l'euphorie dans le malheur. Se détendre, s'amuser, agir et consommer conformément à la publicité, aimer et haïr ce que les autres aiment ou haïssent, ce sont pour la plupart de faux besoins.
Plus l'administration de la société répressive devient rationnelle, productive, technique et totale, plus les individus ont du mal à imaginer les moyens qui leur permettraient de briser leur servitude et d'obtenir leur liberté.
Choisir librement parmi une grande variété de marchandises et de services, ce n'est pas être libre si pour cela des contrôles sociaux doivent peser sur une vie de labeur et d'angoisse - si pour cela on doit être aliéné.
Le refus intellectuel et émotionnel du conformisme paraît être un signe de névrose et d'impuissance. Tel est l'aspect socio-psychologique de l'événement politique le plus marquant de l'époque contemporaine : la disparition de ces forces historiques qui, au stade précédent, représentaient des possibilités et des formes de vie nouvelles.
Les divers processus d'introjection se sont cristallisés dans des réactions presque mécaniques. Par conséquent il n'y a pas une adaptation mais une mimesis, une identification immédiate de l'individu avec sa société et à travers elle, avec la société en tant qu'ensemble.
Le concept d'aliénation devient problématique quand les individus s'identifient avec l'existence qui leur est imposée et qu'ils y trouvent réalisation et satisfaction. Cette identification n'est pas une illusion mais une réalité. Pourtant cette réalité n'est elle-même qu'un stade plus avancé de l'aliénation ; elle est devenu tout à fait objective ; le sujet aliéné est absorbé par son existence aliénée. Il n'y a plus qu'une dimension, elle est partout et sous toutes les formes.
L'idéologie se situe aujourd'hui dans le processus de production lui-même. (...) Les biens et les services qu'il produit "vendent" ou impose le système social en tant qu'ensemble.
Les produits endoctrinent et conditionnent ; il façonnent une fausse conscience insensible à ce qu'elle a de faux.
Les valeurs de la publicité créent une manière de vivre.
Au bout d'un moment, l'ouvrier, le technicien ne se sent pas seulement esclave mais bel et bien partie intégrante du dispositif technico-informatique. L'humain n'existe plus. Les ordres semblent tomber du ciel (il y aurait un "on" qui a décidé de quelque chose) et le terme "urgent" se décline entre "très urgent" et "très très très très très urgent". Le travail en binôme est un cauchemar car les consignes ressemblent à des injonctions et à des ordres militaires. Le bruit ambiant n'aide pas la communication orale et la rapidité de l'exécution multiplie le stress. Il faut venir voir (de préférence le vendredi vers 15h) dans quel état psychique se trouve l'ouvrier chargé du lancement de la production pour le week-end. Comme le flux ne doit être arrêté sous aucun prétexte : travailler de 7h30 à 16h30 (en théorie, plus souvent 17h ou 17h30) n'est pas suffisant. La nuit, la machine et le robot bossent, eux. D'où la cerise sur le gâteau : un Blackberry -fourni par l'entreprise- est là en cas de "plantage". Un système d'alarme à distance permet au Blackberry d'émettre une jolie sonnerie auprès de l'employé alors "en astreinte" (une semaine sur trois !). Qui gagne le droit de retourner à l'usine jusqu'à 20h pour remettre en route le dispositif sans savoir s'il en aura pour 15 minutes ou trois heures. Et même le week-end. À ce stade, l'ouvrier n'est plus esclave, il n'est plus humain, il n'est peut-être même plus animal ni vivant mais simple particule. Comme une particule d'ADN permettant à l'entreprise de vivre.
Il est fortement conseillé de respecter les horaires, sous peine de sanction, y compris pour prendre son repas. Il faut redoubler d'ingéniosité pour contourner tel ou tel article du règlement intérieur. Et ne parlons pas de la promenade quotidienne et sa durée rigoureusement chronométrée. La sonnerie, aussi froide qu'immuable, délivrance une fois par jour, véritable coup de poignard à chacun de ses autres retentissements. Selon la qualité des embastillés, les conditions d'hygiène qui leur sont accordées varient du supportable à l'exécrable. Puisqu'on tourne autour du bidet, la sexualité est tout à la fois thème tabou et centre de toutes les espérances mais force est de constater l'accumulation de frustrations - pour ne rien dire des convoitises - au fil que le temps passe ou que la gent féminine montre le bout de son nez. Par moments, sans raison apparente, une furie s'empare des lieux en un mélange de tintements et de grognements. Si les visites de l'extérieur sont planifiées d'avance, on n'est pas à l'abri d'une descente du sommet de la pyramide à n'importe quelle heure du jour ; comme de la nuit. Sous les néons de la capitainerie, c'est le flou artistique - si je puis me permettre la métaphore en de telles circonstances - puisque s'enchevêtrent les responsabilités. Les prises de décision s'effectuent à la va-vite non sans avoir fait subir au préalable le supplice de tantale à celui qui en est le sujet, si ce n'est l'objet.
D'un côté comme de l'autre de la barrière, tout le monde reste sur le qui-vive, à s'épier les uns les autres, quitte à tenter de déchiffrer à distance les paroles d'un coreligionnaire en lisant sur ses lèvres, un mot de trop pouvant tout faire basculer. Tous prêts à de petites mesquineries au rythme des velléités que chacun a de prendre du galon ou d'accroître son espace vital. L'entraide, lorsqu'elle existe, s'effectue par groupuscules, toujours en suspens et mouvants, souvent disloqués au bout d'une poignée de semaines, parfois après quelques heures seulement. C'est le règne du caïdat où les plus téméraires rêvent de devenir calife à la place du calife, à leurs risques et périls. On pourrait croire ce récit issu d'une prison mais, contrairement aux apparences, c'est d'un autre genre de taule dont il s'agit puisque je vous parle de l'usine.
Après plusieurs mois de ce régime, les sens sont touchés. Perte d'empathie (ne rien éprouver à la perte d'un proche), troubles du comportement, céphalées, capacités de réflexion atrophiées, écouter de la musique (chose vitale jusque-là pour moi) devient un calvaire et perte d'identité puisque la seule parade pour tenir le choc a été de me dire : "Ce n'est pas possible, ce n'est pas moi qui vais là-dedans". Avec le recul, je désignerais bien l'ensemble du dispositif comme "Management par la privation sensorielle."
Nous sommes des individus libres de penser et autonomes dans nos actions, qui nous interrogeons sur l'avenir qu'on nous prépare et voudrions ne pas faire n'importe quoi au nom de l'emploi, de l'argent ou du saccage des conditions de survie de notre espèce.
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=733
Le pouvoir n'est pas à conquérir, il est à détruire.
Le film : https://www.youtube.com/watch?v=e5LcXFXgqw0
Le livre : http://www.delaservitudemoderne.org/Documents/delaservitudemoderne.pdf
Le Net apparait comme une vaste décharge sauvage, où l'on trouve à peu près tout et n'importe quoi. Mais Internet se représente lui-même comme la gigantesque vitrine mondiale des apparences. Le débordement d'informations disparates provoque la précipitation des visites, la fièvre d'une consommation gratuite, la frénésie du surf pour trouver le truc à ne pas manquer, l'affolement du clic trop facile par peur de passer à côté. C'est le règne de la consommation à la va-vite, de la récupération à tout va, l'hystérie du copier-coller, le survolé volé. Les internautes sont spectateurs, la consommation passive est en vedette, les vidéos l'emportent sur les bibliothèques. Et tôt ou tard, tous les surfeurs se perdent dans la surabondance d'informations hétéroclites et superficielles, en devenant consommateurs volontaires de clichés et d'apparences mises en représentation.
Dans ce vaste dépotoir démocratique de marchandises déréalisées, tout est à vendre parce que tout est publicitaire. Le commerce est maître du lieu. Il faut à tout prix s'y montrer pour y être vu, s'y représenter comme une marque pour s'y faire remarquer. Chacun y devient son propre publicitaire, et s'y vautre comme camelote de consommation rapide, noyé dans la profusion sans fin. Seuls les gros commerçants restent toujours visibles. La gratuité et le partage se laissent submerger par cette pathologie de toujours vouloir en foutre plein la vue. Et chacun se laisse prendre par ce grand bazar pour tous, sans contraintes et sans limites, pour peu que l'on reste soumis à la nécessité irrépressible de toujours rester branché.
Explorer le monde de l'internet fait écran au monde réel. En s'interposant, il accapare notre appréhension sensible de notre environnement en le médiatisant dans sa matrice. La pratique continue de la navigation rapide génère un trouble de la compréhension par accumulation d'informations décontextées, séparées dans une suite sans fin d'éléments juxtaposés. La cohérence de l'ensemble se désagrège dans l'addition addictive. Nos facultés de compréhension liées à l'histoire de nos expériences personnelles nous lâchent, emportées dans le flux des connexions déconnectées de notre existence particulière. Notre autonomie critique s'estompe dans la consommation passive d'une succession de représentations impersonnelles.
L'internet est un mass-média publicitaire, contrôlé par les moteurs de recherche qui en donnent l'accès. La conformité d'un référencement de plus en plus complexe donne l'accès à la visibilité. Payer cher des experts pour ce travail permet d'exister sur la toile, où la richesse et le pouvoir créent le sens. Un site Web est en permanence évalué et noté par des moteurs calculateurs qui ne tiennent compte ni du sens ni de la pertinence, sans discernements ni contexte, dans l'abstraction numérique. Le nombre de clics est juge de l'évaluation, la quantité définit la qualité. Est excellent celui qui est le plus normal. N'apparait que ce qui est conforme aux règles imposées par Google et les autres, qui ont tout le pouvoir de sélectionner à leur convenance ce qui sera vu et de rendre pratiquement inaccessible tout ce qui est non conforme à leurs calculs de ce qui doit convenir pour être présentable.
Comme dans tout média de masse, la liberté de s'exprimer et l'égalité de la visibilité des publications n'y sont qu'écran de fumée. Pour donner l'impression d'une liberté d'expression, il suffit de restreindre considérablement les sujets à discussion autorisés à apparaître, bien cadrer les mots clés, et multiplier à l'infini ces débats bipolaires contradictoires, par oppositions inconciliables, tout en occultant les autres questions, faisant disparaître tous les sujets importants pour notre survie quotidienne.
La propagande se diffuse sur internet par propagation de la confusion à grande échelle. La confusion des repères a toujours profité au système dominant, ainsi qu'à sa version autoritaire fascisante. Les prétendues vérités y sont montées par oppositions contradictoires. Les confrontations permanentes entre islamistes et racistes, conspirationnistes sectaires et conformistes soumis, rendent insaisissable la complexité du réel, et inintelligible la critique de l'information dominante. Les critiques globales radicales y sont discréditées et amalgamées dans la catégorie du complot avec les fidèles des Illuminati et des martiens. Il est tout aussi stupide de croire que les affairistes n'influencent pas les décisions politiques à l'ombre des médias, que de s'imaginer un gouvernement mondial surpuissant et mystérieux, alors que les dominants ne défendent que leurs propres intérêts contradictoires dans une concurrence guerrière, ne se réunissant temporairement que pour développer des positions dominantes qu'ils ont momentanément en commun pour accroître leurs profits respectifs. Ne voir qu'un complot général centralisé maintenu dans l'obscurité, là où se dissimule seulement des trafics lucratifs et spéculatifs, le secret d'affaires plus ou moins légales, où prolifèrent surveillance et espionnage, infiltrations et manipulations, serait aussi idiot que de croire, sans aucun doute, ce conformisme bien-pensant que nous rabâchent tous les médias à longueur de temps.
Ce qui rassemble les complotistes et les croyants des versions médiatiquement admises, c'est l'omission omniprésente de l'exploitation des populations par une caste de privilégiés, la disparition de l'esclavage du travail et de l'aliénation par la consommation. Derrière ces affrontements spectaculaires, limités et stérilisés, disparaît le fonctionnement réel d'une domination dont les explications deviennent apparemment inconcevables et la compréhension inaccessible.
Le trouble du Net isole dans la confusion. Les réseaux de communication déversent leurs messages à sens unique, le partage n'est qu'illusoire. Plus nous sommes connectés à distance de manière restrictive et impersonnelle, moins nous sommes reliés entre nous, impliqués personnellement. Plus on se représente dans nos prothèses communicantes, moins la communication est présente et partagée dans la vie réelle.
Dirigé par les propositions de la machine, soumis au programme qui grave ses présupposés dans le mental, emporté par ses réflexes conditionnés, le surfeur perd toute pensée autonome, toute possibilité d'imaginer d'autres choix librement consentis. Le Net donne l'illusion d'appartenir au monde, d'être dans le mouv'. L'internaute est d'abord spectateur soumis, possédé par sa consommation contemplative de la toile, et quand il croit s'y afficher, il tombe dans son propre panneau publicitaire qui le dépossède de sa personnalité. L'image de soi prêt à consommer, transférée sur le Net, compose le spectacle de la marchandise mis en ligne. Les machines à diffuser des apparences séparent les personnes dans des représentations publicitaires, et intoxiquent la vie sociale qui parait impossible.
Il y a des choses avec lesquelles on ne rit pas.
Pas assez !
Scutenaire
La bêtise est une bombe à fragmentation. Elle ne frappe pas seulement l'intelligence, sa cible de prédilection, elle se propage en trouant les consciences qui se mettent à pisser de partout. Celles - essentiellement gestionnaires - du monde étatique et politique ont célébré leur incontinence par des actions de grâce, qui leur étaient doublement profitables. Les notables ont pu, en toute immunité, remercier le ciel - fût-il celui d'Allah - de les avoir débarrassés d'une poignée d'irrévérencieux. Dans le même temps, ils se sont offert, avec une pompe nationale française, cléricalo-laïque et républicaine, le luxe de sanctifier en martyrs de la libre pensée des héritiers de Daumier et de Steinlen usant du droit, reconnu à chacun, de conchier en leur totalité les drapeaux, les religions, les margoulins politiques et bureaucratiques, les palotins au pouvoir (dont ceux qui jouèrent des coudes dans la manifestation ubuesque). Ils faisaient montre au demeurant de beaucoup de modération, si l'on compare Charlie à l'Assiette au beurre, au Père Peinard, à la Feuille de Zo d'Axa.
L'idéologie enfin, ce tout à l'égout et à l'ego des intellectuels. L'idéologie où prolifèrent des idées qui, séparées de la vie, la vident de sa substance et n'en sont que les simulacres.
Du XIXe siècle à il n'y a pas si longtemps, on s'est battu, torturé, massacré pour des idéologies, comme au XVIe siècle, où un poil de cul biblique envoyait au bûcher.
Hier la bonne parole communiste masquait les goulags, les prêches nationalistes envoyaient des millions d'hommes au casse-pipe, l'éloquence socialiste occultait la solidarité des corrompus, partout, sous la table des valeurs évangéliques s'appliquait le " tuez-vous les uns les autres " (à quoi les Rwandais et les Yougoslaves ont au reste obtempéré sans avoir besoin de la religion).
Que reste-t-il de ces idéologies hier encore si puissantes ? Le clientélisme les a éviscérées. Les déclarations programmatiques n'ont que des résonances de pet médiatique. En revanche nous sommes environnés de ces paroles qu'évoque Rabelais : elles tournent affolées dans l'air parce que la gorge qui les a proférées, et où elles veulent retourner, a été tranchée.
On assassine la vie et les mots tournent en rond.
Qu'est-ce que la liberté de pensée sans la liberté de vivre ? Un " cause toujours " à l'usage du n'importe quoi. Le pouvoir se fout bien du peuple, il le piétine avec des mots en guise de bottines. Les bottes militaires ne sont même plus nécessaires.
Sous l'énormité du mensonge que l'économie diffuse à longueur de journée, il y a ceux qui courbent le dos, ceux que la peur du lendemain persuade d'avaler l'amertume du présent, ceux qui s'appauvrissent, s'enragent et se désespèrent sous le talon de fer du profit. Tout se joue sous le mensonge des mots.
Il n'est pas vrai que les mots tuent. Les mots servent seulement d'alibi aux tueurs. Quand l'énergie ne nourrit pas la joie de vivre, elle s'investit dans la haine, le ressentiment, le règlement de compte, la vengeance.
Avec sa peur du désir, de la nature, de la femme, de la vie libre, la religion est un grand réservoir de frustrations Ce n'est pas un hasard si les désespérés y puisent les mots qui leur permettront d'assouvir leur goût de la mort, des mots dont la sacralité invente du même coup ce qui la heurte et dont elle a besoin, le blasphème.
Le blasphème n'existant que pour le croyant, il suffit de faire glisser les mots comme des coquilles vides et de les remplir : attaquer la politique du gouvernement israélien, c'est être antisémite, écrire " ni maître ni Allah ", c'est être islamophobe, dénoncer les curés pédophiles c'est blesser le chrétien dans sa foi. Je ne sais plus qui disait : donnez-moi une phrase d'un auteur, et je le ferai pendre.
La violence endémique est partout, produite et stimulée par un système économique qui ruine les ressources de la planète, appauvrit la vie quotidienne, menace jusqu'à la simple survie des populations. Les multinationales ont intérêt à favoriser les conflits locaux et la guerre de tous contre tous. Quelles meilleures conditions que le chaos pour piller impunément la planète, empoisonner des régions entières avec le gaz de schiste ou l'exploitation des filons aurifères ? C'est une stratégie peu coûteuse que d'enrôler dans des affrontements absurdes des gens qui, avec un peu de réflexion, risqueraient de dénoncer les manœuvres des exploiteurs et de se liguer contre eux.
Le rire de la joie de vivre retrouvée.
Il semblerait qu'on serait suspect, voir irresponsable de ne pas "être Charlie" derrière tous les chefs d'États. Il ne serait plus acceptable de critiquer une certaine "liberté d'expression", restreinte et contrôlée.
Quand les autorités imposent une minute de silence au nom même de la "liberté d'expression", elles produisent un paradoxe sans solution possible. Lorsque l'on prône aux filles la liberté de s'habiller en jupe, mais en interdisant le foulard, la double contrainte engendre un paradoxe. Il en est de même quand on éduque à la critique de l'internet en interdisant de critiquer l'éducation. "Qu'un sang impur, abreuve nos sillons." Chanter la Marseillaise comme un hymne à la tolérance est insensé.
Le modèle normatif d'acquisition personnel des règles de vie en société s'exprime presque toujours sous la forme d'un paradoxe qui crée une situation intenable, pathologique. "Fais ce qu'on te dit mais fait le de ta propre initiative !" Il s'agit là de faire par soi-même, de sa propre volonté quelque chose qui nous est imposée de l'extérieur. Cette double contrainte qui confond l'interne et l'externe, fusionne la dépendance avec l'indépendance, crée un paradoxe où la recherche de solution provoque un problème sans issue. Par cette confusion un trouble est induit dans les processus de socialisation des individus, introduisant l'incertitude d'une insécurité obsessionnelle, la peur incontrôlée et inavouée de la vie collective. Soit on obéit sans satisfaire la demande d'indépendance, soit on désobéit par volonté d'indépendance mais alors on viole la règle d'obéissance.
"Fais-le de ta propre volonté !" L'indépendance exigé ne peut être que fictive, l'individualisation forcée illusoire. L'indépendance en dépendance est une escroquerie aliénante qui mortifie en profondeur. "Exprime-toi librement selon le modèle qu'on ta fixé !" "Sois toi-même en jouant les rôles préfabriqués par le spectacle !" "Choisis à ta convenance les contraintes qu'on t'impose !" "Sois spontané !" "Sois positif en obéissant à ces ordres contradictoires !" "Ta servitude doit être volontaire !"
Choisir sa servitude n'est pas une liberté mais un paradoxe. Toute opposition, tout rejet de la règle imposée serait très mal vue et interprété de façon extrêmement négative comme acte asocial. Toute demande d'explication ou d'éclaircissement sera considérée comme un refus des règles admises en société, donc, comme une rébellion pathologique contre le bien commun. La fuite est une folie, qui est impossible sans exclusion et répression. L'individualisme, publicité par le monde du spectacle, se restreint à pouvoir choisir sa soumission dans l'uniformisation ambiante. C'est un égocentrisme antisocial, un paradoxe sans issue, qui engendre des comportements pervers, des pathologies "proche de la folie".
L'évolution actuelle de la psychiatrie sert de caution scientiste à une politique néolibérale qui ne cesse de se durcir. Ainsi la nouvelle loi sécuritaire du 5 juillet 2011 marque un tournant historique en permettant de traiter de force tout trouble du comportement individuel à domicile. À l'heure où une politique d'austérité généralisée vient répondre à l'emballement insensé du système économique, le contrôle social de la " santé mentale " des populations est ainsi assuré par la peur de la folie et de l'exclusion. Pour que la psychiatrie publique ne devienne pas le nouveau ministère de l'Intérieur psychique, ni la police des comportements, l'auteur nous invite à lutter contre ce nouvel ordre psychiatrique profondément déshumanisant.
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(Le nouvel ordre psychiatrique, Guerre économique et guerre psychologique, extrait, p. 225-270)
La mondialisation de la perversion narcissique
La personnalité culturelle perverse narcissique contemporaine
Nous sommes tous des pervers polymorphes de naissance, la frustration du désir nous aidant à grandir, mais l'enfant-roi est appelé à régner dorénavant à vie dans un système où l'appropriation de l'objet vient faire taire l'interdit que symbolisait la triangulation œdipienne. Car c'est la " soustraction de jouissance " [18], ce manque à être fondamental de l'être humain que tente d'éluder, de supprimer vainement, jusqu'au bout, le fétichisme de la marchandise, la possession matérielle, comme métaphore de la possession phallique. Dominer l'autre, posséder plus, comme vaine tentative de suturer la plaie ouverte au cœur de la condition humaine, pourtant constitutive du désir et de toute vie sociale. Mais pour nier quelque chose, il faut bien en avoir eu conscience préalablement : le sujet néolibéral est un pervers narcissique tellement fasciné par lui-même et ses objets de convoitise qu'il en oublie toute la souffrance dont il sait qu'elle l'entoure et l'imprègne, mais n'en veut rien savoir. De fait, le désir égoïste de s'enrichir du capitalisme spéculatif repose entièrement sur l'illusion autoconvaincante de la réalisation du désir. La course au profit est une perversion narcissique de la saine existence sociale : il existe un lien dialectique entre psychologie et économie, nouveau trouble de la personnalité et consommation, quête du bonheur et spectre du malheur. Le problème est que ce système pathologique nous aspire tous comme dans un maelström, dans sa fuite éperdue, son déni absolu qui signe aussi sa fin. DUFOUR comme DEJOURS ont montré comment le néolibéralisme nous contamine, nous obligeant à adopter un comportement pervers pour espérer grappiller quelques miettes, ne pas être oublié, éliminé en chemin... Mais comment fait-il pour nous entraîner dans cette spirale insensée de la jouissance et de la destruction ?
La propagande marchande par la publicité, comme on l'a vu, est le principal vecteur de l'autoexcitation narcissique : renouant avec l'omnipotence des désirs infantiles, elle met tout objet à portée de possession et de jouissance. D'ailleurs, les instituts de recherche des motivations ont dépensé des dizaines de millions de dollars dès les années 1950 pour conclure qu'un produit " doit flatter le narcissisme du consommateur, lui apporter de la sécurité émotive, lui assurer qu'il est méritant, l'inscrire dans son époque, lui donner un sentiment de puissance, d'immortalité, d'authenticité et, enfin, de créativité ". De cette façon, conclut Franck MAZOYER, le produit ne sera pas acheté pour son utilité réelle, mais " pour le "manque" qu'il [promet] de combler " [19]. Parmi les médias dominateurs de la propagande marchande, la télévision, plus spécialement, vouée à la réussite et à la séduction individuelle, au culte du corps et de l'argent, est le mode de diffusion privilégié d'une telle autofascination perverse. Elle fait vivre en direct le bonheur sur télécommande, et permet d'éteindre toute contrariété, toute altérité. Le miroir télévisuel me place ainsi au centre de l'univers, me faisant admirer et intérioriser imaginairement le " compte de fées " à la fois mièvre et sordide qu'il renvoie, où tout sourit aux meilleurs.
La société néolibérale, égocentrique et sadique
Un narcissisme consumériste de masse, voué à la jouissance immédiate, pour fuir l'épuisement dépressif provoqué par une pression normative extrême : telle est la perversion contemporaine d'un système néolibéral auquel la psychiatrie sert de courroie de transmission scientiste, tout en participant pernicieusement à sa maltraitance organisée. La raison psychologique m'enjoint à m'adapter sans cesse, à la recherche du contentement et de la combativité promis par la propagande pharmaceutique et professionnelle, tandis que je suis obligé de me plier à des contraintes et à des modes de contrôle de plus en plus nombreux et pesants. L'admiration est le ressort de l'excitation narcissique médiatique et technologique, mais la réalité socioprofessionnelle et politique est tout autre : il faudrait à la fois que je sois performant, motivé, moteur ; mais en même temps conciliant, flexible, mobile. Être maître de moi et meilleur que les autres, mais accepter d'être le jouet de décisions arbitraires ; réaliser des objectifs toujours plus ambitieux, mais avec de moins en moins de temps pour cela. Le discours socioprofessionnel ne cesse de pratiquer ce double langage haletant, de peur et de plaisir, de pseudoliberté et de sécurité mêlés, qui m'oblige à louvoyer sans cesse, au gré des circonstances. Je suis perdu, sous tension, sujet à des écarts d'humeur, tenté par la consommation et le divertissement, mais leur inanité me renvoie toujours plus à ma solitude. Cette ambivalence est éprouvante : me voici lancé dans un manège harassant où je ne suis plus moi-même, mais parasité en permanence, comme vidé. Ce vide narcissique, c'est la normopathie du faux-soi, qui me protège tant bien que mal du burn out. Mais aujourd'hui, il n'y a pas moyen de s'arrêter, sauf en maladie - on a vu à quel prix ! La course à la performance, " la vitesse stupéfiante " à laquelle change le monde, la " réalité économique " à laquelle " on ne peut rien changer ", la vie professionnelle de plus en plus précaire et son management de plus en plus pressant ne nous laissent plus le choix : il faut se faire une raison et suivre le rythme. Telle se produit " la névrose de guerre économique " (DONNET), forme contemporaine d'un " malaise dans la civilisation " auquel nous sommes tenus psychologiquement de nous soumettre. Dans notre intérêt..., sinon la science psychiatrique est prête à nous asséner que la vulnérabilité et le trouble du comportement sont des maladies que l'on peut prédire génétiquement, prévenir par des programmes neuroscientifiques, soigner sans consentement, et corriger par la neuroéconomie : ainsi est garanti le conditionnement cognitif de l'adaptation bienheureuse à l'ordre du monde en place. Il n'y a plus d'altération, et plus d'altérité possibles : la santé mentale, pour les stratèges qui nous gouvernent, c'est de profiter et de jouir opportunément !
Le discours scientifique médical et psychologique, se calquant sur la propagande politique, managériale et industrielle, se vide ainsi de toute réalité : instrumentalisée par le pouvoir, la psychiatrie accrédite officiellement le projet néolibéral, de fonder une nouvelle gouvernance psychoéconomique basée sur l'égoïsme du profit et de la concurrence. Que chacun soit à sa place, assignée par le mérite et par l'argent, et participe naturellement à l'enrichissement du monde : la perversion narcissique est la personnalité culturelle du néolibéralisme, qui exige que chacun devienne un manager sans limites à sa manipulation utilitariste du monde et des autres. Dans un système aussi déréglé, lancé dans une folle fuite en avant, car sa croissance est justement caractérisée par l'absence de limite, pur jeu de miroir spéculatif où Narcisse peut s'admirer jusqu'à en mourir, la psychiatrie aura vite fait de nous remonter le moral, comme une vulgaire " droguerie " (La BOÉTIE). Le refuge dans le plaisir immédiat constitue bel et bien le seul déni possible à la profonde démoralisation causée par cette absence totale de perspectives historiques. À chacun de s'adapter en espérant s'en sortir mieux que les autres, et advienne que pourra ! Dans la France de 2012, cette réalité tragique prend la forme d'une lutte oppressante pour la survie : l'insécurité sociale généralisée et son déni sécuritaire, l'injustice et l'immoralité d'un système économique présenté comme sans alternative, sont trop décourageantes pour nous révolter vraiment. Telle est la terrifiante obligation qui nous est faite aujourd'hui, à chacun d'entre nous, d'adopter cette mentalité opportuniste et compétitive aux dépens de toute santé psychique et de toute éthique démocratique. Face à un avenir barré, la banalité du mal est conditionnée désormais par une psychiatrie neuroscientifique normative et prédictive qui évoque irrésistiblement la politique d'élimination eugénique menée en Europe il y a moins d'un siècle. Cette résurgence du totalitarisme scientiste rend la sélection d'ores et déjà impitoyable...
Six ans après le mois de décembre 2008, l'atmosphère est à nouveau insurrectionnelle à Athènes et ailleurs en Grèce. Tous les ingrédients sont réunis pour faire du mois de décembre 2014, peut-être, un grand moment historique. Jusqu'à quel point et à quelles conditions ?
Depuis la fin du mois de novembre, les manifestations, émeutes, actions ciblées et occupations se multiplient un peu partout en Grèce (dans le silence total des medias européens, plus que jamais des merdias à boycotter ou à bloquer et occuper). La cause principale est la situation du jeune prisonnier anarchiste de 21 ans, Nikos Romanos, qui est devenu un symbole de toutes les violences subies par la population, mais aussi du profond désir de lutter, quelle que soit la forme, et de refuser la torpeur et la résignation.
Nikos, l'ami d'Alexis Grigoropoulos, symbole des émeutes de 2008
Nikos est l'ami d'enfance d'Alexis Grigoropoulos, assassiné à l'âge de 15 ans par un policier dans le quartier d'Exarcheia à Athènes. Un quartier réputé pour ses révoltes historiques et ses nombreuses initiatives autogestionnaires et solidaires. Un quartier dans lequel la liberté, l'égalité et la fraternité ne sont pas des mots jetés à l'abandon au frontispice de monuments publics glacés de marbre. Nikos a vu son ami mourir dans ses bras le soir du 6 décembre 2008. Profondément révolté, il s'est par la suite engagé dans l'anarchisme révolutionnaire et a dévalisé une banque pour financer son groupe qualifié de terroriste par le pouvoir. Après avoir été torturé, notamment au visage, lors de son arrestation, il a finalement réussi à obtenir son bac en prison, mais se voit aujourd'hui refuser la possibilité de poursuivre ses études. C'est pourquoi, depuis le 10 novembre dernier, Nikos est en grève de la faim. Son état s'est progressivement dégradé, notamment au niveau cardiaque, malgré ses 21 ans, et il a été transféré sous haute surveillance à l'hôpital Gennimatas d'Athènes devant lequel manifestent régulièrement des milliers de personnes qui parviennent parfois à dialoguer avec lui à travers les grilles de sa fenêtre (voir la première photo de l'article connexe, dans la même rubrique). En solidarité avec Nikos, un autre prisonnier politique, Yannis Michailidis, s'est mis en grève de la faim le 17 novembre au Pirée, suivi par deux autres, Andreas Dimitris Bourzoukos et Dimitris Politis, depuis le 1er décembre. Le gouvernement grec vient de confirmer son refus de permettre à Nikos de poursuivre ses études et préfère le laisser mourir, non sans faire preuve d'ironie. Des petites phrases assassines et provocatrices qui ne font qu'augmenter la colère populaire et les nombreuses protestations des organisations anarchistes et antiautoritaires jusqu'à celles de SYRIZA, principal parti de la gauche critique, qui est annoncé vainqueur des prochains élections en Grèce. Bref, le contexte politique est particulièrement tendu, à tous points de vue.
L'Ecole Polytechnique, symbole de la chute de la dictature des Colonels
Dans cette ambiance de fin de règne, parmi d'autres initiatives solidaires, l'Ecole Polytechnique est à nouveau occupée depuis le premier décembre, 41 ans après avoir défié avec succès la Dictature des Colonels en novembre 1973, au cours d'une occupation similaire pour défendre une radio libre qui s'opposait au régime autoritaire. Les CRS suréquipés viennent d'échouer par deux fois dans leurs tentatives de nous déloger, notamment le 2 décembre au soir, à la fin d'une manifestation fleuve qui s'est terminé avec plusieurs banques dégradées ou brûlées. Parmi d'autres obstacles de circonstance, un bus a même été transformé en barricade incandescente sur l'avenue Stournari, à Exarcheia (voir les photos dans l'article connexe), et les affrontements ont duré une bonne partie de la nuit. Douze insurgés arrêtés ont été violemment frappés, au point que trois d'entre eux souffrent de fractures du crâne. L'occupation de l'Ecole Polytechnique n'a pas cédé, malgré le deversement de quantités énormes de gaz lacrymogène depuis l'extérieur, tel du napalm sur toute la zone devenue une zone à défendre. Une ZAD jumelée, ces dernières heures, avec d'autres ZAD dans le monde, notamment celles de NDDL et du Testet en France qui ont rapidement transmis leur soutien fraternel, ainsi que de nombreuses personnes et organisations de France et d'ailleurs (soutiens que j'ai tous affichés sur l'un de nos murs et annoncés en assemblée à tous les compagnons et camarades).
Ce soir-là, alors que la distribution solidaire de sérum, de mallox et de citrons battait son plein, j'ai remarqué plus de filles que jamais parmi les insurgés (voir la photo de " l'autre statue de la liberté " dans l'article connexe) et une diversité à tous les niveaux qui augure d'une ampleur et d'une radicalité sans précédent. J'ai vu et ressenti une détermination et une fraternité rarement rencontrées jusqu'ici, dans mes voyages en Grèce et ailleurs, là où l'humanité ne se résoud pas à vivre à genoux et tente, diversement, de se lever. J'ai vu la vie s'organiser autrement dès le lendemain et la chaleur des barricades se transformer en chaleur des cœurs parmi les occupants de l'Ecole Polytechnique et d'ailleurs.
Rien n'est fini, tout commence !
Car durant ces dernières heures, les lieux d'occupations se sont multipliés, rappelant le processus de décembre 2008 qui avait amené la Grèce à connaître les émeutes sans doute les plus puissantes en Europe depuis plusieurs dizaines d'années (sans toutefois parvenir à renverser un pouvoir qui s'était finalement maintenu de justesse, notamment en distillant la peur et la désinformation dans les médias). Des occupations de bâtiments publics et de groupes financiers, de chaînes de télévision et de radios, d'universités et de mairies, depuis Thessalonique jusqu'à Héraklion. Des occupations toujours plus nombreuses, ainsi commentées par Yannis Michailidis dans son dernier communiqué de gréviste de la faim, très relayé sur Internet : " c'est ce qui brise la solitude de ma cellule et me fait sourire, parce que la nuit de mardi [2 décembre], je n'étais pas prisonnier, j'étais parmi vous et je sentais la chaleur des barricades brûlantes ". Avant de conclure avec une phrase rappelant le titre du dernier livre de Raoul Vaneigem : " Rien n'est fini, tout commence ! "
Une émotion immense
Parmi les événements qui m'ont également marqué ces jours-ci, certaines assemblées de collectifs ont montré à quel point la tension est à son comble. Notamment celle de l'occupation de l'Ecole Polytechnique dans la soirée puis toute la nuit du 3 au 4 décembre. Une assemblée qui a duré plus de 9 heures, jusqu'à 5h30 du matin. Certes, quelques divergences ont justifié cette durée jusqu'au consensus finalement trouvé au petit matin et je ne rentrerai évidemment pas dans les détails de ce qui s'est dit, notamment pour ce qui est des projets en cours. Mais je peux témoigner d'une atmosphère électrique ponctuée de longs silences qui en disent long. Je peux vous dire également que le grand amphi de l'Ecole Polytechnique était, une fois de plus, plein à craquer, avec des compagnons et des camarades debout et assis un peu partout, devant des murs fraichement repeints de graffitis. Je peux vous dire que la présence du papa de Nikos Romanos, assis au milieu de la salle, avec sa chevelure longue et grise et son regard profond et digne, ne pouvait que contribuer à une émotion déjà immense, alors que son fils se rapproche chaque jour d'une mort certaine.
" Agir comme si notre propre vie était en jeu... "
Le stress et la nervosité, la gravité du moment, l'importance des enjeux, faisaient fumer presque tout le monde beaucoup plus qu'à l'habitude, au point que j'en étais presque à regretter l'irritation causée par les gazs lacrymogènes dans les rues alentours. Parmi les paroles qui ont résoné : " ce n'est plus l'heure de mettre la pression, mais de rentrer en insurrection ", ou encore des appels à " agir comme si notre propre vie était en jeu, car en vérité, c'est bien le cas pour nous tous qui vivons comme des damnés, comme des esclaves, comme des lâches " ; " il faut retrouver pleinement confiance en nous-mêmes pour parvenir à redonner partout confiance aux gens et, en particulier, pour rassembler les laissés pour compte qui devraient être les premiers à descendre dans la rue, au lieu d'attendre que la libération ne vienne du ciel ". J'ai aussi parfois entendu des paroles jusqu'au boutistes que je ne préciserai pas ici, mais qui témoignent bien du ras-le-bol immense qui traverse une grande partie de la population et la conduit à tout envisager pour se libérer des tyrans du XXIème siècle.
Des tags à la mémoire de Rémi Fraisse
J'ai vu un ancien de 1973 avoir les larmes aux yeux et songer que nous vivons peut-être un autre moment historique. J'ai lu d'innombrables tags en soutien à la grève de la faim de Nikos Romanos, mais aussi à la mémoire de Rémi Fraisse, tué par le bras armé du pouvoir sur la ZAD du Testet.
Cette nuit encore, à la veille du 6 décembre très attendu, avec une grande inquiétude par les uns et avec un profond désir par les autres, le quartier d'Exarcheia est encerclé par les camions de CRS (MAT) et les voltigeurs (Delta, Dias). Plusieurs rues sont barrées. On ne peut entrer et sortir d'Exarcheia que par certaines avenues, plutôt larges et très surveillées. La situation prend des allures de guerre civile et rappelle certaines régions du monde. A l'intérieur du quartier, comme dans beaucoup d'autres coins d'Athènes, la musique résonne dans le soir qui tombe : du rock, du punk, du rap, du reggae, des vieux chants de lutte. Dans l'Ecole Polytechnique, on a même installé deux immenses enceintes du côté de l'avenue Patission et on balance ces musiques pour le plus grand bonheur des passants qui nous soutiennent et lèvent parfois le poing ou le V de la victoire tant désirée. D'autres baissent la tête et ne veulent pas y croire, ne veulent pas voir, ne veulent pas savoir, murés dans la prison d'une existence absurde et pauvre à mourir d'ennui, si ce n'est de faim.
Le spectacle d'un monde à réinventer
Ici, ça dépave, ça débat, ça écrit sur les murs et sur les corps, ça chante, ça s'organise. La fête a déjà commencé ! Certes, elle est encore modeste et incertaine, mais une nouvelle page de l'histoire des luttes est peut-être en train de s'écrire à Athènes et au-delà. Une nouvelle page qui ne pourra s'écrire qu'en sortant de chez soi, par-delà les écrans, les " j'aime " des réseaux sociaux et le spectacle d'un monde tout entier à réinventer. Une nouvelle page qui ne pourra s'écrire qu'ensemble, en se débarrassant de la peur, du pessimisme et de la résignation.
Rester assis, c'est se mettre à genoux.
http://nevivonspluscommedesesclaves.net/spip.php?article55
http://nevivonspluscommedesesclaves.net/spip.php?article54&lang=fr
Barbacha - Iberbacen, en Tamazight - est une région de la petite Kabylie, autogérée par ses habitant-e-s. depuis fin 2012. " Barbacha n'est qu'une petite mechta laissée à l'écart de toutes les richesses de l'Algérie, résume Da Taieb, un ancien de la commune. C'est un bled pauvre, situé dans une zone montagneuse. On n'a pas de pistes, pas de routes. " Comme dans d'autres régions, les paysan-ne-s et les ouvrier-e-s de Barbacha se battent au jour le jour pour pouvoir mener une vie digne face à toutes les formes d'exploitation et d'oppression que leur imposent l'État et le capitalisme. Mais à Barbacha, autre chose s'invente aussi. Les 27 000 habitant-e-s de ces 34 villages s'auto-organisent en effet à travers l'Assemblée générale ouverte (AGO) de la population d'Iberbacen installée dans un bâtiment occupé collectivement. " Nous, à Barbacha, on a créé cette maison pour protester contre ce système qui nous écrase sans arrêt. Le système qui nous gouverne actuellement est pourri ", résume Da Taïeb. Lui et quelques autres nous ont accueillis en février 2014, nous ont raconté leur histoire et transmis des archives. Voici quelques esquisses de ces chemins tracés par le peuple de Barbacha. Des pistes pour toutes celles et ceux combattant pour l'émancipation partout dans le monde.
Une tradition d'insoumission et d'autonomie
La région de Barbacha se place dans la continuité des résistances berbères à toutes les colonisations. Et dans celle des combats pour la culture et la langue Tamazight. Elle s'inscrit dans la longue histoire des luttes du peuple kabyle pour l'autonomie et l'indépendance. La région cultive ainsi des pratiques d'entraide et de solidarité, d'insoumission et d'insurrection qui se transmettent de génération en génération. " C'est un mouvement qui est né en 1979. Et ce combat pour la culture, pour la langue, pour tout, continue. Parce qu'on n'est pas indépendants ! ", affirme Da Elhamid, un ouvrier de Barbacha-centre.
Comme la plupart de la Kabylie, la région s'est soulevée en 2001. Outre l'obtention de droits culturels, ces révoltes ont permis aux habitant-e-s de se débarrasser de nombreux commissariats et gendarmeries qui entravaient toute forme de lutte et de vie sociale autonome.
En plus du harcèlement, du racket et des brutalités systématiques, l'État algérien applique de longue date à la Kabylie une stratégie de la tension basée sur le meurtre et l'enlèvement de civils, une forme de contre-insurrection permanente. Face à ce régime d'exception, le peuple ne se laisse pas faire. En 2001, il expulse ainsi les forces policières et militaires de la région de Barbacha et incendie leurs locaux. Mabrouk, un professeur d'anglais de la Commune, explique que la population est alors restée treize ans sans services de sécurité, ni gendarmerie, ni police. Treize ans pendant lesquels il ne s'est commis aucun délit ou infraction. Amazigh, un jeune de la région estime ainsi que la gendarmerie " ne sert à rien. Au contraire, elle opprime. Elle est pas là pour notre sécurité. Depuis douze ans, on s'est organisés en comités de villages. Chaque village assure sa sécurité, par ses habitants ". C'est dans cette expérience d'auto-défense collective qu'ont émergé de nouvelles formes d'auto-organisation communale. Mabrouk développe : " On s'est organisés. Chaque village doit avoir un responsable. Et les gens du village s'organisent ensemble. S'il y a un ennemi qui veut entrer, on va faire un poste de sécurité, de nuit, on va s'organiser avec l'aide de tout le monde, avec des équipes. " Il raconte qu'au bout de quatre ans, les gens ont pris l'habitude de vivre sans ces équipes de sécurité. " Mais dès qu'il y a un problème, tout le monde va venir, tout le monde va s'organiser et lutter. " À Barbacha, il n'y a pas non plus de tribunaux d'État : la justice est rendue selon le modèle traditionnel des Aarchs, les conseils des sages.
La fermeture de la Daïra et son remplacement par l'Assemblée générale ouverte
Le conflit direct avec l'État algérien et ses structures est reparti de plus belle durant la préparation des élections municipales de novembre 2012. À cette époque, le wali (préfet) Hemmou Hmed Et-Touhami refuse en effet d'enregistrer la liste du PST soutenue très largement par les habitant-e-s de Barbacha. Ces derniers décident alors de se battre pour qu'elle soit enregistrée. Et ils obtiennent gain de cause. Aux élections du 29 novembre, le PST recueille finalement 39 % des voix, avec six élus sur quinze. En clair, la liste est majoritaire. Sauf que les quatre autres partis en lice nouent alors une alliance pour imposer un autre maire, Benmeddour Mahmoud, du RCD3. Et ce, malgré l'existence d'une loi stipulant qu'il revient à une liste ayant obtenu plus de 35 % des suffrages de proposer le nouveau maire. L'élection se tient sans même la présence des membres de la liste PST, qui n'ont pas été prévenus. Cette " honteuse alliance ", comme l'ont nommée les habitant-e-s de Barbacha, réunit le RCD, le FLN4 et le FFS5, partis censés être en opposition dans leur lutte pour le pouvoir d'État.
La population de Barbacha se soulève alors contre cette manipulation. Elle ferme la Daïra, puis la mairie, et réquisitionne collectivement la salle des fêtes pour créer l'Axxam n Caâb - la maison du peuple - où se réunit depuis lors l'Assemblée générale ouverte (AGO) des villages de Barbacha. Une banderole y trône : " Vive la lutte, car seule la lutte paye ".
Au sein de cette assemblée, seuls l'alcool, les drogues et " le manque de respect " sont interdits par décision collective. Da Taïeb explique le fonctionnement : " Dès qu'il y a un problème, on se réunit, on prend des décisions, notre parole passe, c'est notre force, la loi du peuple. [...] Cette maison, on l'a acquise avec nos forces. Personne ne peut la fermer, et ici on parle de ce qu'on veut, on dit ce qu'on veut. Pas question que quelqu'un nous marche sur les pieds. " Da Elhamid, le soudeur, ajoute : " Tout le monde a le droit à la parole. Et y a des gens qui sont là, qui sont volontaires, c'est la démocratie, la vraie démocratie, parce que ça vient du peuple. [...] On s'organise pour les marches, pour les cotisations, pour tout tout tout. Il faut toujours combattre. "
Mabrouk, un professeur d'anglais d'une trentaine d'années, précise : " On lutte contre la corruption, pour la dignité du peuple. " Face au " pouvoir d'État " qui les décrit comme " une mafia de jeunes qui passent la nuit dans une maison ", Mabrouk explique que viennent à l'Axxam n Caâb " des paysans, des intellectuels, des artistes ". " C'est un endroit libre à 100 % : y a pas un courant, soit religieux, soit politique, à l'intérieur de cette maison, il n'y a pas les idées de PST ni de l'alliance ni de FFS, mais celles des paysans, des habitants. " Après chaque assemblée, quelqu'un prend en charge l'écriture d'un communiqué qui est dispatché aux prisons, aux citoyens, et affiché sur tous les murs des villages de la commune. Il est même envoyé aux services de sécurité. " Parce qu'on fait pas ça en cachette ! ", confie Mabrouk.
Peu à peu, l'Assemblée générale ouverte des habitant-e-s de Barbacha remplace la gestion centralisée et autoritaire de la mairie. Se limitant d'abord à la lutte contre l'État, elle s'étend peu à peu vers différents domaines de la vie collective. Un cheminement par la base ancré dans une histoire particulière.
Autonomie de la lutte et lutte pour l'autonomie
C'est dans le combat contre l'installation du maire frauduleux par l'État et les grands partis que s'auto-organise la Commune de Barbacha. Alors que l'escroc tente de s'installer à l'APC (Assemblée populaire communale, c'est-à-dire la mairie), accompagné d'un huissier de justice, la foule se rassemble une première fois pour l'empêcher d'y accéder. Résolus à régler définitivement le problème, les habitant-e-s décident de bloquer tout accès à la mairie. Des centaines d'entre eux, y compris des militants du FFS et du RCD en désaccord avec les élus de leurs partis, se mobilisent jour et nuit, occupant et bloquant tous les services municipaux (état civil, etc.) et interdisant la moindre réunion des élus fantoches.
" L'intérêt de la commune, qui est dans un état de stagnation, passe avant tout autre intérêt, et notre intérêt aujourd'hui est de remettre Barbacha sur ses rails ; ceci passe simplement par la démission de tous les élus ", annonce le deuxième communiqué de l'AGO (30 décembre 2012). Le communiqué n°3 pointe, quant à lui, les stratégies de pourrissement exercées par l'État à l'encontre de la population, afin de créer des divisions parmi les mobilisé-e-s. Ce texte appelle à la fois à la dissolution de l'APC, à la nomination d'un chef de Daïra provisoire pour gérer les affaires administratives et à un rassemblement le 5 janvier au siège de la Wilaya à Béjaïa. L'assemblée signe " Aux peuples et populations du monde luttant pour leur réelle souveraineté : bonne et heureuse année 2013 de luttes solidaires et d'acquis. "
Pour se rendre à Béjaïa, il faut parcourir une quarantaine de kilomètres. Pas tout à fait la porte à côté. La manifestation du 5 janvier 2013 réunit pourtant plus d'un millier de personnes. Les protestataires bloquent l'une des principales artères menant à Béjaïa pour exiger l'organisation de nouvelles élections. Cette manifestation marque aussi le début de l'implication effective des habitant-e-s d'autres communes dans d'autres wilayas. Une solidarité d'autant plus précieuse que des procédures judiciaires ont été lancées contre des militants accusés de bloquer la mairie.
Dès lors, l'Assemblée générale ouverte n'est plus seulement un lieu d'organisation de la lutte et de la résistance. Elle devient quotidienne et prend en charge différents aspects du fonctionnement de la commune : collecte des déchets, distribution du gazole dans les écoles, nettoyage... Mabrouk, le professeur d'anglais, évoque aussi les travailleurs de l'APC qui n'ont pas été payés depuis quatre mois : " Il y a des gens qui ont quatre, cinq ou six enfants. Pour s'occuper d'eux pendant quatre mois, on s'est organisés pour trouver de l'argent et de la nourriture, répondre à leurs besoins... Il y a en outre des malades qui ont besoin d'un passeport pour se déplacer en France ou en Belgique pour des soins, et on a aussi pris ça en charge. De même que le fonctionnement des écoles, avec du gazole, avec des cantines. " Des commerçants et des habitant-e-s se sont même cotisés pour financer certain projets, raconte Mabrouk : " C'est comme ça qu'on a travaillé jusqu'à aujourd'hui. Il y a toujours des assemblées, c'est un travail de solidarité. On veut faire une APC du peuple et non une APC du pouvoir. "
Cette prise en main collective de l'organisation de la commune entraîne une forme de radicalisation révolutionnaire. Dans sa " Lettre ouverte à toutes et à tous " du 22 janvier 2013, l'AGO énonce :
" Nous ne ménagerons aucun effort pour jeter tous les ponts nécessaires à l'élargissement de notre mouvement à tout le peuple algérien en lutte pour une vraie révolution sociale émancipatrice, à même de fédérer nos multiples mécontentements, ô combien légitimes, et nos actions. À Sidi Buzid ... ce fut le suicide. À Barbacha... c'est une étincelle d'espoir qui se déclencha. "
Le 26 janvier 2013, les six élus légitimes du PST et l'élu RND démissionnent et remettent leurs mandats à l'Assemblée pour pousser à la dissolution de l'APC et provoquer la tenue de nouvelles élections. L'Assemblée décide aussi de réclamer la démission de toute la préfecture. Dans son communiqué n°6 du 29 janvier 2013, elle appelle la population de Barbacha et " toute personne convaincue de la justesse de notre combat, d'où qu'elle vienne " à une grève générale sur le territoire de la commune le 31 janvier, avec " fermeture de tous ses accès entre minuit et seize heures ". Elle conclut le communiqué sur ces mots : " Vive le peuple organisé et conscient. Vive la solidarité populaire. Nous sommes en marche. "
Mais le 30 janvier, le local du FLN est incendié. Se revendiquant d'une stratégie qu'elle appelle " pacifique ", l'AGO condamne cette action dans laquelle elle perçoit une provocation de l'État pour justifier la répression. Le communiqué n°7 du 30 janvier 2013 proclame ainsi :
" Nous disons à tous les hamhamistes, ennemis du bas peuple, que ce genre d'actes ne fera que renforcer notre détermination à vous combattre, vous et vos commanditaires, jusqu'à la victoire. Notre combat n'est ni tribal, ni individualiste. C'est une vraie lutte de classes qui se déclenche à partir de Barbacha. C'est la volonté du peuple contre la volonté du pouvoir bourgeois et mafieux qui, au lieu de se mettre au service de ce peuple d'en bas, s'offre en valet du capitalisme mondial et impérialiste. "
Le régime d'exception appliqué de longue date à la Kabylie et les régimes de terreur répressive déployés durant les printemps berbères et les années 1990 ont laissé des cicatrices indélébiles dans le rapport qu'entretiennent les mouvements de lutte algériens avec l'usage de la violence. À Barbacha, la majeure partie de la population - qui avait participé à incendier les commissariats treize ans plus tôt - semble préférer les occupations et blocages des bâtiments, routes ou villes ainsi que les marches massives et la grève générale. Mais dans les débats entre habitants auxquels nous avons assisté, les partisans de l'insurrection armée, bien que minoritaires, ne sont pas stigmatisés ni mis à l'écart ; ils sont respectés dans leur parti pris et sont intégrés à la lutte. Il semble que prédomine une volonté de minimiser l'emploi de formes de violence les plus récupérables par le pouvoir et les plus susceptibles de justifier la remilitarisation du territoire, tout en assumant complètement toutes les formes de l'action directe offensive lorsque la situation le nécessite. C'est par exemple la position d'un jeune anarchiste de Barbacha, très impliqué dans l'Assemblée et qui préfère ce qu'il appelle la " non-violence ", " même si dans mes interventions au sein du mouvement, je défends parfois l'idée d'utiliser la violence, comme par exemple de faire brûler les urnes le 17 avril prochain [date des élections présidentielles]. J'y vois l'expression des séquelles psychologiques des mouvements passés, comme celui de 2001. Le fait de voir un gendarme nous donne l'envie de tout brûler ", résume-t-il. À Barbacha, ces débats semblent nourrir le mouvement plutôt que de le diviser.
Le 11 février, des opposants minoritaires à l'AGO tentent une nouvelle fois d'entrer dans l'APC pour réinstaller le maire " mafieux ", mais ils en sont encore empêchés par la population qui bloque l'accès à la mairie. En réaction, l'Assemblée appelle à un nouveau rassemblement devant la Wilaya le 17 février. Le préfet consent alors alors à rencontrer les représentants de l'AGO et du PST. Lors de cette réunion, la décision est prise de rouvrir la daïra, mais sans son locataire officiel, et de confier des pouvoirs administratifs limités au Secrétaire général de la Daira, Toufik Adnane. Ce dernier est chargé par l'Assemblée de gérer les " affaires courantes de la commune ", c'est-à-dire principalement les dossiers administratifs, le paiement des employés municipaux ainsi que la délivrance des actes de naissance et de décès (dont la population a besoin pour faire valoir ses droits). En conséquence, les représentants de l'AGO décident d'annuler le rassemblement prévu pour le 17 février. Mais ils prévoient une nouvelle marche " pacifique " et un campement devant le siège de la wilaya le 24 mars.
Ce dimanche 24 mars marque un tournant. Face aux 2 000 manifestants bloquant le siège de la wilaya à Béjaïa, le Wali fait donner la police anti-émeute, laquelle intervient avec une extrême brutalité, blessant plusieurs personnes - un jeune a même les jambes brisées.
Vingt-quatre personnes sont arrêtées, dont Sadeq Akrour, le maire PST, qui n'est relâché, la tête bandée suite aux coups reçus, qu'au bout de 24 heures, grâce à la pression et sous les acclamations de centaines de personnes venues attendre sa sortie. Ce 25 mars, l'AGO décrète une nouvelle fois la grève générale à Barbacha pour aller chercher les camarades arrêtés la veille à Béjaïa.
L'émotion est considérable en Kabylie comme dans tout le pays. D'autant qu'au même moment se répand la nouvelle que le gouvernement fait donner la police contre des manifestations de chômeurs qui se développent dans le sud. " C'est ainsi que, tout en luttant pour la libération sans conditions de nos six camarades concernés par le contrôle judiciaire, il est plus que jamais urgent de trouver les nouvelles formes de luttes à même d'imposer l'aboutissement des dites revendications principales ", pose le communiqué n°20 du 26 mars.
La mobilisation ne faiblit pas. Dimanche 31 mars, des centaines d'habitant-e-s de Barbacha manifestent à nouveau devant le tribunal de Béjaïa où six des leurs doivent comparaître. Ils exigent l'annulation des poursuites judiciaires. Et ils annoncent pour les jours suivants des initiatives nationales afin d'imposer la dissolution du conseil municipal et de nouvelles élections. L'AGO appelle ainsi à la grève générale à Barbacha et à un rassemblement devant le tribunal de Béjaïa pour le 9 avril, date du procès des 24 arrêtés. Plus de 1 000 manifestant-e-s se rassemblent devant le tribunal pour protester et la grève générale est massivement suivie.
Tout cela pousse la population à développer encore les formes de son auto-organisation. Le communiqué n°23 du 11 avril 2013 énonce ainsi :
" Le chemin est encore long et difficile. Pour cela, le renforcement de l'auto-organisation de la population doit être notre tâche permanente : consolider les comités de villages existants et en mettre sur pied de nouveaux dans les villages et quartiers non encore organisés. Car si la reprise relative du fonctionnement de la Daïra et de la Mairie constitue une avancée importante de notre combat, le développement réel de notre Commune demeure notre objectif stratégique. [...] C'est là notre vraie bataille : mine de Buâmran, mini-barrages, gaz de ville, lycée, CEM de Tibkirt, RN 75, chemins de wilaya et communaux, téléphone et internet, engins, agriculture et forêt, jeunesse et loisirs, etc. Une vraie synergie du peuple d'en bas est plus qu'indispensable pour aller de l'avant et réussir ce chantier. "
Les 19 et 20 avril, l'Assemblée se charge d'organiser les festivités de commémoration des printemps berbères de 1981 et 2001. C'est dans ce contexte qu'émerge et se renforce l'idée qu'une assemblée populaire est le meilleur et le plus légitime moyen de régler les problèmes des habitant-e-s. et d'améliorer collectivement leurs vies. Dans son communiqué n°26 du 20 mai 2013, l'AGO fait ainsi part de sa conviction que la nomination du Secrétaire général à la gestion de la Daïra n'apporte pas les solutions attendues par la population. Et l'Assemblée de dénoncer " toute tentative de vouloir réhabiliter le maire de l'alliance et son équipe, en vue de les mettre aux commandes de notre glorieuse commune ". À juste titre : le 22 mai, Mohamed Benmeddour, son équipe et les membres de l'" alliance " tentent une nouvelle fois d'entrer dans la mairie. Mais ils en sont encore chassés par la foule. L'Assemblée se prononce pourtant en faveur d'une concession : la réouverture de la mairie. Il s'agit autant de gérer les " affaires courantes " que de faire taire " les détracteurs ".
Durant l'été, la wilaya bloque les pouvoirs de signature du Secrétaire général - les seuls financements qu'elle laisse à sa disposition sont ceux pour " une clôture " destinée à protéger la daïra ainsi que des moyens pour réinstaller une gendarmerie. L'Assemblée générale met alors en cause la mauvaise volonté de la Wilaya, soulignant que la population a de son côté accepté de faire des concessions (la réouverture de la mairie notamment). Dans son Appel du 21 septembre, l'AGO dénonce ainsi : le fonctionnement réduit à son strict minimum des services communaux ; le fait que les travailleurs communaux reçoivent leur traitement au compte-goutte, quand ils ont la chance de le toucher après des mois de retard ; le refus de la wilaya d'approuver le budget de 2013 (ce qui bloque la trésorerie communale) ; la mise à l'arrêt de tous les chantiers, notamment celui du lycée ; la fin du ramassage scolaire (car les transporteurs en charge de cette mission n'ont pas été payés, tout comme les fournisseurs pour les cantines scolaires) ; le " squat des locaux communaux par la gendarmerie "...
Il faut finalement attendre le 1er octobre pour que le Secrétaire général soit enfin autorisé par le ministre de l'Intérieur à répartir le budget et à payer les employés communaux. Mais durant tout l'automne 2013, l' " honteuse alliance " tente encore plusieurs fois de se réinstaller à la mairie. À chaque fois, le peuple de Barbacha, soudé et déterminé, l'en empêche. Pour faire entendre l'écrasante opposition de la population à l'installation de ce maire, un grand meeting populaire est organisé le 29 novembre 2013. Un millier d'habitant-e-s y participent, votant à main levée contre " l'honteuse alliance ". " Sur plus d'un millier de personnes, répondant à notre appel, seules trois mains, et encore (une par ironie), se sont levées en guise d'approbation de l'installation du fameux maire de la honteuse alliance RCD-FLN-FFS, Mohammed (dit Mahmoud) Benmeddour, que nous avions généreusement invité à y prendre la parole. Ce fut un vrai référendum digne d'une réelle démocratie populaire directe, jamais connue ailleurs ", constate le communiqué n°32 du 6 décembre 2013.
La lutte ne plie pas. Mais les revendications en direction de l'État et des pouvoirs publics pour l'arrêt des poursuites judiciaires, la dissolution de l'APC et le versement de fonds destinés à développer la commune n'obtiennent pas pour autant gain de cause. Des perspectives plus radicales émergent alors parmi la population.
Et si l'assemblée populaire remplaçait définitivement la mairie ?
Le combat pour de nouvelles élections et pour la mise en place d'une mairie " légitime " s'accompagne de nombreuses concessions. À commencer par le retour de la gendarmerie, même si celle-ci est tenue à l'écart de la commune et se garde bien de tout conflit. Mabrouk confie que l'État a justifié la réinstallation de la gendarmerie comme une mesure de protection des populations contre le " terrorisme ". De son côté, Da Elhamid précise qu'il y a encore peu de temps, les gendarmes nous auraient embarqués pour cette discussion : " Y'a rien de changé, c'est toujours le même système, parce que même les gendarmes, c'est des gendarmes coloniaux. "
Une mairie, même d'extrême gauche et sincèrement engagée pour les habitant-e-s, ne peut rien faire qui change radicalement la vie des gens. Elle reste un gestionnaire, une hiérarchie, un maillon dans le réseau des pouvoirs de l'État et du capital. Elle représente le peuple parce qu'elle n'est pas le peuple. Le maire Saddek Akrour résumait ainsi le rôle attribué par l'État au PST lorsqu'il gérait la mairie pendant le mandat précédent : " Nous nous sommes retrouvés du coup comme courroie de transmission des deniers publics entre la rente pétrolière et les entreprises privées ". Dans ce contexte, et puisque les revendications de base pour le développement économique de la commune sont restées lettres mortes, un nombre croissant d'habitant-e-s prend conscience que l'Assemblée ne devrait pas se réduire à un outil de lutte, mais qu'elle pourrait devenir une structure d'auto-organisation politique, économique et sociale permanente.
À la fin du mois de décembre 2013, l'État n'a toujours pas satisfait les revendications pour lesquelles l'AGO avait concédé le retour du chef de la daïra. Le camp de celles et ceux qui pensent que l'Assemblée populaire devrait définitivement remplacer toute forme de pouvoir d'État s'en trouve encore renforcé. Da Taïeb, que nous rencontrons en février 2014, quelques semaines avant les élections présidentielles, résume ainsi sa stratégie : " Il faut détruire tout le système algérien. Il ne s'agit pas que de Bouteflika, de son ministre ou de son wali : il faut détruire tout l'État. Y a que les généraux qui vivent (bien) en Algérie, le peuple n'a rien. État riche, peuple pauvre ! C'est pour ça que le peuple se soulève. Pour retrouver ses droits. Parce qu'il y a moyen ! C'est la hoggra. Regardez, un député touche 35 millions par mois, plus les devises, plus le passeport international, alors qu'un employé de la commune perçoit seulement 15 000 dinars ! [...] Nous sommes des contestataires, nous souhaitons que les autres peuples qui sont marginalisés comme nous, viennent à notre aide, qu'on s'unisse, qu'on s'aide les uns les autres. " Il est coupé par son ami : " Ce qui nous intéresse, c'est pas les élections, c'est de rassembler [...] pour lutter contre ce système. " La réflexion sur les élections et les partis politiques a effectivement évolué parmi les habitant-e-s de Barbacha, qui ont inventé une manière de gérer elles et eux-mêmes leurs vies. La position du soudeur est claire : " Les partis, je les aime pas. Parce que les partis, tu pousses quelqu'un, une fois qu'il est en haut, ça y est, le roi est mort, vive le roi, c'est toujours ça. Parce que j'ai passé un moment dans les partis politiques, mais c'est pas intéressant, dès que quelqu'un s'élève, que ce soit un député ou un maire, une fois qu'il monte, ça y est, tu n'en entends plus parler, et le jour où il a besoin du peuple, il revient, il pleurniche. On va faire ceci, on va faire cela... et à la fin, y a rien du tout. Ces gens ne s'intéressent qu'au pouvoir et à l'argent. "
Face à l'État et au capitalisme qui ravagent son territoire et son existence, le peuple de Barbacha mène une lutte sans répit pour une vie digne. À travers des pratiques d'entraide et de résistance collective, il invente au quotidien les bases d'une société d'émancipation. Comme d'autres avant lui, au Chiapas notamment, il ne cherche pas s'emparer du pouvoir étatique, mais il le dissout, avec le capitalisme, dans des formes d'auto-organisation fédérées, des Communes. Comme les zapatistes, il sait que la solidarité est une arme lorsqu'elle coordonne des luttes entre elles. C'est la conclusion du soudeur : " Il faut lutter, là où on est. Si tout le monde lutte ensemble, en France, au Maroc, ici... on peut améliorer des choses. " Car le vieux Da Taïeb l'assure : " Seuls, les habitant-e-s de Barbacha, ne pourront pas les dégager. Alors on cherche à créer un grand mouvement, un bulldozer, pour les détruire. "
Les auteurs de ce texte ont également réalisé une vidéo sur le sujet
(Réalisation: Matouf Tarlacrea).
http://www.youtube.com/watch?v=LIbKL3pQYcI
Depuis vingt ans que j'ai posé le pied dans le Tarn, tout en gardant l'autre à Athènes, je n'ai jamais vu se développer de projets libertaires de grande envergure dans ce département. Les initiatives importantes sont plutôt du genre Amap, sel, modèles économiques alternatifs, zones de gratuité, souvent à l'initiative du groupe Attac, assez actif et radical par rapport à beaucoup de ceux que j'ai pu rencontrer en tournant en France. Pas mal de mobilisations ponctuelles aussi, notamment sur des actions de solidarité, par exemple les alertes RESF. Mais rien de tout ça, jusqu'ici, n'était à proprement parler libertaire. Rien ne remettait profondément en question la relation au pouvoir au point d'envisager sa destruction et de repenser toute la société.
Tout a changé en un an. Oui, vous avez bien lu : un an seulement. Pourquoi ? Parce que l'expérience née de la nécessité a pris le relais des débats théoriques. Un vent vif, frais et fraternel souffle sur le Tarn, depuis la forêt de Sivens dans le nord-ouest jusqu'à la montagne Noire (joli nom, n'est-ce pas ?) au sud-est. Une résistance s'est progressivement mise en place, au point de faire sans forcément le dire ce que nous disions jusque-là sans parvenir à le faire.
Je ne vais pas revenir ici sur le projet de barrage proprement dit, ses décideurs hautains et leurs conflits d'intérêts sur le plan politique et financier, son parti-pris pour la culture intensive du maïs sur le plan économique et agricole, ou encore son désintérêt de ce que peut représenter une zone humide sur le plan écologique, notamment zoologique, aquatique et climatique. Je vous invite à aller jeter un œil directement sur les excellents sites des deux collectifs de lutte.
Deux collectifs, car cette lutte a une double histoire, en parallèle, qui a convergé ces derniers temps sans jamais totalement fusionner, et pour cause. Le collectif initial s'appelle Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. Il est principalement animé par Ben Lefetey, un écologiste passionné doublé d'un homme de dossier qui déploie toute son énergie et sa minutie depuis trois ans pour motiver une opposition au projet de barrage en diffusant d'innombrables informations et arguments.
Le Collectif Testet, comme on le surnomme, c'est aussi un conseil d'administration, avec des personnes engagées par ailleurs, notamment à Attac, et souvent sympathisantes des principaux partis politiques situés localement dans l'opposition de gauche à la suprématie historique du PS (dont est membre Thierry Carcenac, le président du conseil général) : surtout le PG et EELV. Bref, même si les membres du Collectif Testet sont très généreux de leur temps, au fait des dossiers, actifs pour diffuser et relayer les infos, et prêts à pratiquer la grève de la faim et la désobéissance " civique ", on reste néanmoins dans la logique organisationnelle d'une structure à étages, avec processus de délégation entre chacun d'eux, comme dans la plupart des associations loi 1901.
Suite à la circulation de l'information hors du Tarn, puis au durcissement de la situation locale, un collectif d'occupation s'est créé en complément du Collectif Testet, il y a exactement un an : Tant qu'il y aura des bouilles, surnommé " les bouilles ", ou encore, pour certains, " les zadistes ", ce qui ne reflète pas toute la réalité puisqu'une bonne partie des bouilles n'est pas présente sur la ZAD, mais la soutient diversement aux alentours, de Toulouse à Nîmes.
Tous égaux, tous différents
Chez les bouilles, pas de représentant, pas de bureau, pas de conseil des anciens, tout le monde participe aux assemblées très fréquentes : au moins hebdomadaires et souvent quotidiennes. Tout le monde peut venir, sauf les infiltrés, flics ou fachos, qui sont traqués et parfois virés. Tout le monde peut participer aux décisions, même celles et ceux qui débarquent pour la première fois et ne font, peut-être, que passer. Les règles de parole et d'écoute sont celles des indignés : les codes gestuels précis permettent de réagir silencieusement, parfois en nombre, sans couper la parole. Le but de la discussion, sur chaque sujet, est le consensus, même si le vote à la majorité peut, parfois, s'avérer nécessaire. Tout propos autoritaire ou phallocrate est banni.
Par contre, actions non-violentes et actions insurrectionnelles cohabitent sans difficulté, de même que véganisme et régime alimentaire omnivore. Tous égaux, tous différents. Ceux qui portent des projets, après validation par l'assemblée, sont souvent invités à animer leurs mises en œuvre, cela notamment pour favoriser la liberté et la créativité des camarades, copains ou compagnons de lutte (les trois principaux termes employés), mais aussi pour mettre en place, dès lors, un cloisonnement de l'information dans le cadre d'actions de résistance connues dans l'idée, mais secrètes dans leurs déclinaisons, d'un bout à l'autre de la ZAD : déplacement des repères de niveau des bûcherons diminuant ainsi la zone à défricher, cloutage sur certains arbres et utilisation de fil de fer barbelé pour user plus rapidement voire endommager les machines, enfouissement de carcasses d'électroménager dans le sol pour compliquer le curage de l'humus, créations de nouvelles caches, barricades, cabanes suspendues, et d'autres choses encore, que je ne rapporterai pas ici.
La jeunesse enthousiaste de la majorité des bouilles n'a d'égal que sa maturité et son courage dans l'initiative permanente et l'effort quotidien de lutter à armes inégales contre un pouvoir ultraviolent et suréquipé. David contre Goliath, ou plutôt Gaza contre Tsahal, David étant devenu palestinien ces derniers temps, de même qu'il est devenu un peu tarnais, breton, macédonien, catalan et piémontais, entre autres territoires mobilisés autour de zones à défendre.
Une convergence des luttes anticapitalistes, antiproductivistes et antifascistes
La plupart de ces ZAD rassemblent formidablement ce qui était épars jusque-là, non seulement à travers un phénomène de mobilisation lié à la notion de territoire, à sauver de la rapacité croissante et tyrannique du pouvoir, mais, surtout - bonne nouvelle -, dans une convergence des luttes anticapitalistes, antiproductivistes et antifascistes. Les écologistes les plus candides et " fleur bleue " comprennent mieux sur ces ZAD que le productivisme ne peut se combattre qu'à travers une puissante résistance locale et globale au capitalisme. Les anticapitalistes se découvrent une fibre écolo, par-delà les clichés et les railleries, et les plus naïfs politiquement prennent en pleine figure la réalité de la collaboration fasciste avec le pouvoir capitaliste.
L'antifascisme affirmé du collectif des bouilles a d'ailleurs été renforcé après les exactions nocturnes des fachos dans les parages de la ZAD (destructions des véhicules, agressions contre les zadistes isolés et chasses à l'homme dans les bois à plusieurs reprises, avec des barres de fer et des armes à feu), ainsi que la confusion, politiquement très nuisible, générée par divers superstitieux et conspirationnistes, qui ont aimablement été appelés à remettre un peu d'ordre dans leurs pensées et à ne pas obscurcir la lucidité de la résistance collective en fabriquant d'innombrables peurs et leurs lots d'épouvantails fantasmagoriques, qui sont autant de diversions utiles au pouvoir.
Outre l'absence totale de hiérarchie et les décisions prises en assemblées, le fonctionnement des bouilles est basé sur l'autogestion : l'assemblée liste les besoins (pharmacie, alimentation, outillage, pièce juridique...) et chacun se met en quête, en réseau avec les bouilles non zadistes, à l'extérieur de la zone, ainsi que des membres généreux et solidaires du collectif Testet qui amènent fréquemment des cartons de nourriture et de médicaments. Car la cerise sur le gâteau de cette expérience libertaire dans le Tarn, c'est bien le rayonnement de celle-ci auprès de personnes distantes voir méfiantes au départ. La ZAD du Testet dans la forêt de Sivens est devenue un lieu d'éducation populaire où de nombreuses personnes, jeunes et moins jeunes, viennent chasser leurs idées reçues sur l'anarchisme, la désobéissance et la décroissance.
Sous le drapeau noir de Gazad ou celui rouge et noir de la Métairie Neuve
En arrivant sur les lieux, les uns et les autres découvrent, sous le drapeau noir de " Gazad " ou celui rouge et noir de la Métairie neuve, des visages inconnus mais fraternels, des sourires accueillants et généreux, des regards profonds, parfois tristes mais jamais abattus, des corps fourbus mais toujours d'attaque, des mains calleuses d'avoir trop creusé d'innombrables tranchées, des pieds abimés trop mal protégés par des chaussures usées, des ventres creusés par la faim parfois choisie parmi d'autres façons de lutter, des cuisses tatouées de bleus par les tirs de flash-ball et les dos par les coups de matraques, des toux chroniques dues à l'exposition quotidienne aux gaz lacrymogènes, des bras griffés par les ascensions dans les arbres ou les traversées rapides de ronces impénétrables, des cœurs gros comme ça par amour de la Terre et de la vie.
Une vie qui est là plus que nulle part ailleurs, parmi ceux qui luttent et expérimentent notre façon d'articuler l'individu et le collectif. Passer du " je " au " nous " sans se mettre à genoux, passer du nous au jeu sans se voir nuageux. Transformer les mots liberté, égalité et fraternité en actes quotidiens, en les arrachant aux frontispices mensongers des monuments publics où ils pourrissent et servent de paravent à une organisation politique et sociale totalement inverse. Choisir la vie, loin des compromissions, collaborations et soumissions qui rongent les cervelles et sèment la résignation.
Sur la ZAD de Sivens, j'ai vu l'anarchie en actes et son intense capacité à rayonner, bien au-delà des convaincus, sans peur ni dédain vis-à-vis des autres formes d'opposition et de résistance. J'ai vu l'anarchie confiante en elle-même s'imposer simplement par l'exemple, en laissant de côté les conflits d'étiquettes et les cicatrices de l'Histoire. J'ai vu l'anarchie fraternelle accueillir celles et ceux qui venaient à elle en constituant la première ligne de front sans jamais s'opposer aux formes voisines engagées dans la même lutte. Sur la ZAD de Sivens, seule l'expérience a parlé et elle a bien parlé.
Yannis Youlountas
La France championne d'Europe des dividendes versés aux actionnaires cette année, et aussi championne du monde des hausses de dividendes au deuxième trimestre 2014.
Cette envolée des dividendes intervient au moment où les entreprises françaises ont bénéficié de la première tranche du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi). Un dispositif gouvernemental, financé en partie par la hausse de la TVA, censé inciter les entreprises à relancer leurs investissements ou à embaucher, ce qu'ils n'ont pas fait, et non pas gratifier des actionnaires repus. L'investissement dans la production est en panne. Les machines vieillissantes ne seront pas remplacées. Ils ne croient déjà plus en l'avenir et raflent tout ce qu'ils peuvent avant que d'autres ne le fassent à leur place.
La distribution de dividendes a presque doublée depuis 2008 lors du début de la crise financière. Ils représentaient que 20 % des bénéfices distribués en 1970, puis 44 % en 2007, et maintenant 68 %. Les actionnaires se gavent de plus en plus vite.
Mais le marché des actions ne représente moins de 20 % des marchés financiers, ce n'est que la partie visible de l'iceberg du monde de la finance qui spécule sur une inflation débridée de dettes, ruinant un futur déjà condamné. Des richesses démesurées sont ainsi englouties par quelques uns à l'ombre de l'économie spectacle qui voudrait encore nous faire croire au retour de la divine reprise.
Il n'y a jamais eu autant de milliardaires en France, ils sont 67, soit 13 de plus que l'an passé. Leur richesse a plus que doublé en 5 ans. Mais ce calcul ne tient pas compte de tous leurs fonds investis en permanence dans l'opacité des bourses de l'ombre, le marché des changes, le marché secondaire, les produits dérivés, les comptes numérotés, les paradis fiscaux... Les fortunes de la haute bourgeoisie seraient-elles bien plus élevées que ce que voudrait nous faire croire l'économie spectacle ?
Les milliardaires de "la haute" ne sont pas plus que 0,0001 % de la population. La bourgeoisie environ 1 %, La petite bourgeoisie près de 9 %. Les prolétaires, qui n'ont jamais été aussi nombreux et qui s'ignorent, représentent les 90 % restant.
La crise est un privilège de pauvres, une aubaine pour les hyper-riches, un mensonge médiatique, un racket officiel qui permet à quelques uns d'escroquer impunément les populations avec l'aide de l'État.
Entretien avec La Brique (N° 39), Juillet 2014.
* Apparemment ça chauffe en Grèce... Tu pourrais nous faire un petit portrait de ce qu'il s'y joue ? (La Brique)
Raoul Vaneigem : Ce qui se passe en Grèce et que l'information spectaculaire s'emploie à dissimuler, c'est le début d'un mouvement autogestionnaire. Une réalité l'emporte sur les grandes déclarations théoriques et sur les idéologies. Et cette réalité est celle-ci : l'État qui, hier, se servait d'une partie des taxes et impôts des citoyens pour entretenir les écoles, les hôpitaux, les transports publics, les caisses de retraite et d'allocations sociales, escroque l'argent des citoyens pour financer les malversations bancaires. Le bien public est envoyé à la casse, on rogne sur tous les budgets pour augmenter le profit des mafias multinationales.
* Comment réagissent les gens sur place ?
Devant la faillite de l'État devenu un simple organe de répression commandité par le totalitarisme financier, de plus en plus d'individus se disent : faisons nos affaires nous-mêmes, et chargeons-nous des tâches sociales que l'État ne remplit plus. La Grèce, qui n'a aucune tradition anarchiste, découvre non pas une idéologie libertaire mais une façon d'agir en se passant d'État et de tout le système politique qui lui est inféodé. Le moteur d'un tel mouvement, ce sont les collectifs ou centres sociaux autogérés. Il y en a partout en Grèce, et surtout à Athènes.
* Concrètement, ça se passe comment ? Qu'est-ce qui organise la vie dans ces centres sociaux ?
Des chômeurs et des bénévoles les gèrent selon le principe d'horizontalité : ni leader ni tribun. Les décisions sont prises par l'assemblée, à laquelle tout le monde peut participer. Ce qui est important dans les collectifs, c'est la pratique mise en œuvre sur la base de la gratuité. Gratuité de la cuisine collective (de grande qualité, avec des produits issus des coopératives de la campagne), gratuité des leçons aux enfants, aux chômeurs, aux émigrés, gratuité des films et des spectacles, consultation gratuite de la bibliothèque, gratuité des soins dans les cliniques autogérées, gratuité de l'aide juridique. Certains collectifs ont des potagers entretenus par des bénévoles.
* Comment l'argent circule-t-il dans ces centre sociaux ? Comment faire de cette gratuité une arme contre le système marchand ?
Dans les centres autogérés, il n'y a pas de circulation d'argent. Il existe une boite en carton où chacun est libre, s'il en a les moyens, de jeter quelques pièces. J'estime que le principe devrait trouver son prolongement dans un mouvement général où les citoyens refusant de payer l'État-escroc constitueraient une caisse de dépôt qui servirait au bien public. La gratuité est aussi une arme contre l'économie. On commence à détruire les barrières de péage des autoroutes, à saboter les machines de contrôle du métro. La multiplication des collectifs propage aussi la notion de gratuité.
* Concrètement, qui se mobilise ? À lire tes ouvrages, on a parfois le sentiment qu'il suffit de le vouloir pour se mobiliser...
Sur les murs d'Athènes, il est écrit " Autogestion de la vie quotidienne ", et je ne pense pas que les collectifs qui ont écrit cela peuvent être confondus avec des crétins ou des curés de bonne volonté. Ceux qui essaient d'être humains savent que s'ils doivent détruire l'économie d'exploitation, ils y arriveront en jetant les bases d'une société autogérée, non en pataugeant dans le merdier électoral et politique qui continue d'entretenir la servitude volontaire.
* Observes-tu dans ces centres sociaux autogérés des passerelles avec les classes populaires ?
Ce sont des centres qui accueillent tous ceux qui sont en difficulté. Certains travaillent avec les comités de quartier ou en créent. D'autres restent assez isolés et ont beaucoup de mal à briser le poids du désespoir et de la résignation. Athènes a le plus grand nombre de centres sociaux autogérés mais la plupart des autres villes en comptent aussi.
* Les occupations sont illégales... Ça se gère comment du coup ?
Du jour au lendemain, elles peuvent être interdites par décision juridique. Les problèmes ne manquent pas, comme dans tout mouvement qui avance en tâtonnant : il y a trop peu de relations établies entre les collectifs. Si certains se prolongent en comités de quartiers, d'autres restent relativement isolés. Les occupations, évidemment illégales, sont à la merci d'une attaque policière de l'État et des néo-nazis dont les accointances avec la police et l'armée sont évidentes (même si le gouvernement les a condamnés après l'assassinat d'un jeune chanteur). Les centres autogérés ne sont pas une organisation, ils sont un mouvement anti-autoritaire et de démocratie directe comme le furent les collectivités libertaires apparues lors de la révolution espagnole, et que les communistes écrasèrent au nom de l'organisation.
* La fragilité du mouvement est politique, elle est aussi économique...
Oui, la relation d'échange pose un problème. Mais au lieu d'en faire un problème abstrait, essayez de résoudre celui-ci : il existe en Grèce et en Turquie plusieurs usines autogérées. Je connais le cas d'une usine de détergents dont se sont emparés les ouvriers. Ils produisent des produits de nettoyage bio à des prix très bas, les collectifs vendent ces produits. L'argent est intégralement versé à ceux qui font fonctionner l'usine. Oui, les produits de l'usine autogérée sont des marchandises, mais des marchandises qui entrent dans leur processus de dépassement. Votre journal n'est-il pas lui aussi une marchandise ?
* Certes... Mais il est souvent reproché au " mythe " autogestionnaire de passer sous silence les contraintes structurelles que fait peser l'économie mondialisée sur la volonté de se réapproprier son propre travail. En quoi les expériences grecques apparaissent-elles stimulantes de ce point de vue ?
Elles ne sont qu'une esquisse d'un mouvement autogestionnaire exposé à tous les échecs, à toutes les récupérations, mais qui apparaît de plus en plus comme la seule et unique solution. Car de l'extrême gauche à l'extrême droite, personne n'est capable d'éviter la faillite mondiale qui menace l'environnement et la vie des hommes.
* Quels rôles jouent actuellement les autres groupes syndicaux ou politiques de gauche - comme Syriza, par exemple ? Penses-tu que des alliances soient possibles, ou qu'au contraire il faille maintenir une séparation radicale avec cette frange de la mobilisation ?
Les centres refusent toute intrusion politique. Aucune relation avec l'État et avec le système politique qui est sa courroie de transmission. C'est le social qui l'emporte et la solidarité qui opère à la base, là où sont les vrais problèmes de la vie quotidienne. Syriza n'a aucune solution. S'il l'emporte aux prochaines élections, cela offrira seulement un bref répit aux collectifs et permettra peut-être de " purger " la police des éléments néo-nazis qui sont nombreux. Mais les collectifs ne veulent rien avoir à faire avec Syriza et tutti quanti. En revanche si l'Europe réussit à maintenir le gouvernement actuel, la tendance qui prône de combattre le fascisme sans recours à la violence risque de se renverser et de déboucher sur une guerre civile dont seuls l'État et les multinationales tireraient profit.
* Si on se faisait un peu plaisir et qu'on imaginait un réseau d'espaces autonomes qui relierait Lille et sa région à Brussel, par exemple en 2043 : à quoi ce joyeux bordel pourrait-il donc bien ressembler ?
Au joyeux bordel qui règne en Grèce, mais sans la menace permanente des assassins de l'ordre étatique.
Marie-France Hirigoyen,
Propos recueillis par Serge Cannasse (extraits), La revue du praticien médecine générale, 2014.
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LE HARCÈLEMENT MORAL, LA VIOLENCE PERVERSE AU QUOTIDIEN
Extraits du livre de Marie-France Hirigoyen,1998.
Il suffit d'un ou de plusieurs individus pervers dans un groupe, dans une entreprise ou dans un gouvernement pour que le système tout entier devienne pervers. Si cette perversion n'est pas dénoncée, elle se répand de façon souterraine par l'intimidation, la peur, la manipulation. En effet, pour ligoter psychologiquement quelqu'un, il suffit de l'entraîner dans des mensonges ou des compromissions qui le rendront complice du fonctionnement de la mafia ou des régimes totalitaires. Que ce soit dans les familles, les entreprises ou les Etats, les pervers narcissiques s'arrangent pour porter au crédit des autres le désastre qu'ils déclenchent, afin de se poser en sauveurs et de prendre ainsi le pouvoir. Il leur suffit ensuite de ne pas s'embarrasser de scrupules pour s'y maintenir. L'histoire nous a montré de ces hommes qui refusent de reconnaître leurs erreurs, n'assument pas leurs responsabilités, manient la falsification et manipulent la réalité afin de gommer les traces de leurs méfaits.
Dans le spectacle actuel de la crise du fétichisme de l'argent, tout apparemment semble continuer à tourner rond mais à y bien regarder de plus près, les choses commencent subrepticement à bouger vers un commencement de radicalité tendancielle qui annonce un possible réveil de la lutte de classe prolétaire... La grève des cheminots est bien entendu à la source toujours torpillée par la gauche et l'extrême gauche du Capital mais elle signale simultanément qu'une colère des profondeurs porteuse d'un autre regard est bien en train de naître du fin fond des difficultés de la vie humaine arraisonnée par le système des objets...
En plus d'une semaine de contrastes, de tiraillements et de contradictions mais aussi et surtout de début complexe de parole ouverte, la grève à la SNCF, fait novation de sédition potentielle puisqu'elle signale là la production d'un bouleversement assurément inédit sous le règne crépusculaire d'un gouvernement de la gauche de la marchandise.
Par delà tous les abrutissements médiatiques qui de l'extrême droite à l'extrême gauche du gouvernementalisme de la domestication, récusent ou encensent bêtement la mythologie d'une grève corporative simplement serviliste pour dissimuler l'envers du décors de l'asservissement, il y a la dynamique de la base qui, elle, se met à renâcler en commençant à voir que ceux qui neutralisent et paralysent le mieux de l'intérieur cette embarrassante grève qui commence à tant déranger les flics syndicaux sont évidemment et comme toujours les prédicateurs anarcho-gauchistes du réformisme extrême lesquels bien loin d'appeler à une extension généralisée de la lutte à tous les secteurs de la vie emprisonnée, cloisonnent chaque entreprise à l'horizon aliénatoire et étriqué de ses particularités illusoires alors même que des grèves dont personne ne veut parler ne cessent pourtant, elles, de spontanément se développer depuis des semaines dans plusieurs secteurs et régions...
La police du Capital dans les usines doit d'abord empêcher qu'émerge les conditions d'un mouvement conscient vers une rencontre étendue et subversive des grévistes, au-delà des murs de chaque prison travailliste. La défaite des cheminots est ainsi savamment et naturellement orchestrée dans le double langage, le sabotage, l'illusion, la claustration et le freinage par tous les faux réfractaires de la CGT et de Sud Rail...
La période dans laquelle nous entrons est certes encore déterminée par l'extrême dispersion des forces de vie humaine susceptibles de contester de manière maximaliste l'ordre existant des galeries marchandes de la mort. Mais la situation désormais advenue de crise cataclysmique du spectacle mondial de l'argent ouvre la voie montante d'une gigantesque crise sociale qui fera, de toutes façons, de la rupture révolutionnaire une possibilité manifestement
évidente.
La contradiction essentielle de la domination spectaculaire en crise finale, c'est qu'elle est irrémédiablement condamnée à échouer en ce moment même où étant devenue le temps de la puissance historique la plus forte de son apogée, elle a perdu simultanément toute chance désormais de ne plus pouvoir être autre chose que l'histoire progressive de son dépérissement définitivement arrivé.
Tous les lamentables experts syndicalo-politiques du pouvoir de la pourriture marchande appuyés sur toutes les machineries numériques de l'intoxication sont partout réunis en permanents conciliabules pluridisciplinaires de vacuité et d'ineptie pour tenter de trouver les moyens de donner à un ordre moribond une dernière apparence de survie... Mais rien n'y fera.
Les jours de la société du calcul sont de plus en plus comptés à mesure que son compter historique invalide lui-même toute l'histoire de ses comptages et qu'un nombre croissant de vivants va vouloir véridiquement exister. Il s'ensuit irrépressiblement qu'elle doit et va disparaître.
Contre tous les rackets politiques du Capital, la conscience radicale de l'Être de la vie sait que pour devenir elle-même, la jouissance authentique doit se produire comme acte cosmique de subversion absolue vers la constitution de la communauté humaine universelle pour un monde sans argent, ni salariat ni État.
Nous, riches actionnaires de l'Église de la Très Sainte de la Consommation, vous invitons à notre grand'messe pour célébrer la bonne parole: travaille, obéis,consomme ! Au nom du pèze, du fric et du saint crédit ! Amen ton pèze !
Dilapidez ! Tout votre blé !
Pour la croissance Du P.I.B. !
Aimer le pouvoir et l'argent
Missel du consommateur
http://inventin.lautre.net/livres/Pezemissel.pdf
Vivons comme des esclaves !
https://www.youtube.com/watch?v=Lk2QWl9Bq3U
€UROP€ $ACRIFIC€
https://www.youtube.com/watch?v=ZPiygnSeqzk
L'Église de la Très Sainte Consommation
http://www.youtube.com/channel/UCpunRr31jcD-0XtwQuaZauA
La politique ne crée pas d'alternatives. Son but n'est pas de nous laisser développer nos possibilités et nos capacités ; dans la politique, nous ne faisons que réaliser les intérêts qui découlent des rôles que nous exerçons dans l'ordre existant. La politique est un programme bourgeois. Elle est toujours une attitude et une action dont le point de référence est l'État et le marché. La politique est l'animatrice de la société, son médium est l'argent. Les règles auxquelles elle obéit ressemblent à celles du marché. D'un côté comme de l'autre, c'est la publicité qui est au centre ; d'un côté comme de l'autre, c'est une affaire de valorisation et de mise en conditions de celle-ci.
Le spécimen bourgeois moderne a fini par absorber complètement les contraintes de la valeur et de l'argent ; il est même incapable de se concevoir sans ceux-ci. En effet, il se maîtrise lui-même, le Maître et l'Esclave se rencontrant dans le même corps. La démocratie, cela ne signifie rien d'autre que l'auto-domination des supports de rôles sociaux. Comme nous sommes à la fois contre tout pouvoir et contre le Peuple, pourquoi serions-nous pour le pouvoir du Peuple ?
Être pour la démocratie, voilà le consensus totalitaire de notre époque, la profession de foi collective de notre temps. La démocratie, c'est l'instance d'appel et le moyen de résoudre les problèmes. La démocratie est considérée comme le résultat final de l'Histoire. Elle est certes corrigible, mais derrière elle, il ne peut plus y avoir rien d'autre. La démocratie est partie intégrante du régime de l'argent et de la valeur, de l'État et de la Nation, du Capital et du Travail. C'est une parole vide de sens, tout peut être halluciné dans ce fétiche.
Le système politique lui-même se délite de plus en plus. Il ne s'agit pas, ici, d'une crise des partis et des hommes politiques, mais d'une érosion du politique sous tous ses aspects. La politique est-elle nécessaire ? Que nenni et, de toute façon, dans quel but ? Aucune politique n'est possible ! L'antipolitique, cela signifie que les individus eux-mêmes se mobilisent contre les rôles sociaux qui leur sont imposés.
Capital et Travail ne sont pas antagoniques, ils constituent, au contraire, le bloc de valorisation de l'accumulation du Capital. Qui est contre le capital, doit être contre le Travail. La religion pratiquée du Travail est un scénario auto-agressif et autodestructeur dont nous sommes les prisonniers, à la fois matériellement et intellectuellement. Le dressage au travail a été - et demeure - un des objectifs déclarés de la modernisation occidentale.
Or, c'est au moment même où la prison du Travail s'écroule, que cet enfermement intellectuel vire au fanatisme. C'est le Travail qui nous rend stupides et, de plus, malades. Usines, bureaux, magasins, chantiers de construction et écoles sont autant d'institutions légales de la destruction. Quant aux traces du Travail, nous les voyons tous les jours sur les visages et sur les corps.
Le Travail est la rumeur centrale de la convention. Il passe pour être une nécessité naturelle, alors qu'il n'est rien d'autre que la forme sous laquelle le capitalisme façonne l'activité humaine. Or, être actif est autre chose dès lors que cette activité se fait non en fonction de l'argent et du marché, mais sous la forme du cadeau, du don, de la contribution, de la création pour nous-mêmes, pour la vie individuelle et collective d'individus librement associés.
Une partie considérable des produits et des services sert exclusivement aux fins de la multiplication de l'argent, qui contraint à un labeur qui n'est pas nécessaire, nous fait perdre notre temps et met en danger les bases naturelles de la vie. Certaines technologies ne peuvent être comprises autrement que comme apocalyptiques.
L'argent est notre fétiche à nous tous. Il n'y a personne qui ne veuille en avoir. Nous n'avons jamais décidé qu'il devait en être ainsi, mais c'est comme ça. L'argent est un impératif social ; ce n'est pas un instrument modelable. En tant que puissance qui nous oblige sans cesse à calculer, à dépenser, à économiser, à être débiteurs ou créditeurs, l'argent nous humilie et nous domine chaque heure qui passe. L'argent est une matière nocive qui n'a pas son pareil. La contrainte d'acheter et de vendre fait obstacle à toute libération et à toute autonomie. L'argent fait de nous des concurrents, voire des ennemis. L'argent dévore la vie. L'échange est une forme barbare du partage.
Il est absurde non seulement qu'un nombre incalculable de professions ait pour seul objet l'argent, mais aussi que tous les autres travailleurs intellectuels et manuels soient sans cesse en train de calculer et de spéculer. Nous sommes des calculettes dressées. L'argent nous coupe de nos possibilités, il ne permet que ce qui est lucratif en termes d'économie de marché. Nous ne voulons pas remettre à flot l'argent, mais nous en débarrasser.
Il faut non pas exproprier la marchandise et l'argent, mais les supprimer. Qu'il s'agisse d'individus, de logements, de moyens de production, de nature et d'environnement, bref : rien ne doit être une marchandise ! Nous devons cesser de reproduire des rapports qui nous rendent malheureux.
La libération, cela signifie que les individus reçoivent leurs produits et leurs services librement selon leurs besoins. Qu'ils se mettent directement en relations les uns avec les autres et ne s'opposent pas, comme maintenant, selon leurs rôles et leurs intérêts sociaux (comme capitalistes, ouvriers, acheteurs, citoyens, sujets de droit, locataires, propriétaires, etc.). Déjà aujourd'hui, il existe, dans nos vies, des séquences sans argent : dans l'amour, dans l'amitié, dans la sympathie et dans l'entraide. Nous donnons alors quelque chose à l'autre, puisons ensemble dans nos énergies existentielles et culturelles, sans présenter de facture. C'est alors que nous sentons, par moments, que nous pourrions nous passer de matrice.
La critique est plus qu'une analyse radicale, elle demande le bouleversement des conditions existantes. La perspective cherche à dire comment on pourrait créer des conditions humaines qui n'auraient plus besoin d'une telle critique ; l'idée d'une société où la vie individuelle et collective peut et doit être inventée. La perspective sans la critique est aveugle, la critique sans la perspective est impuissante. La transformation est une expérience dont le fondement est la critique ayant pour horizon la perspective. " Réparez, ce qui vous détruit " ne peut être notre mot d'ordre.
Il s'agit d'abolir la domination, rien de moins, peu importe si celle-ci se traduit par des dépendances personnelles ou par des contraintes objectives. Il est inacceptable que des individus soient soumis à d'autres individus ou soient livrés, impuissants, à leurs destins et structures. Nous ne voulons ni d'autocratie ni d'auto-domination. La domination est plus que le capitalisme, mais le capitalisme est, jusqu'à aujourd'hui, le système de domination le plus développé, le plus complexe et le plus destructeur. Notre quotidien est conditionné à un point tel que nous reproduisons le capitalisme chaque jour et que nous nous comportons comme s'il n'y avait aucune alternative.
Nous sommes bloqués. L'argent et la valeur engluent nos cerveaux. L'économie de marché fonctionne comme une grande matrice. Notre objectif est de la nier et de la supprimer. Une bonne vie bien remplie suppose la rupture avec le capital et la domination. Aucune transformation des structures sociales n'est possible sans transformation de notre base mentale et aucun changement de la base mentale sans la suppression des structures.
Nous ne protestons pas, nous avons dépassé ce stade. Nous ne voulons réinventer ni la démocratie ni la politique. Nous ne luttons ni pour l'égalité, ni pour la justice et nous nous réclamons d'aucune libre volonté. Nous n'entendons pas non plus miser sur l'État social et l'État de droit. Et encore moins nous voulons nous faire les porte-à-porte de quelconques " valeurs ". Il est facile de répondre à la question quelles sont les valeurs dont nous avons besoin : aucune !
Nous sommes pour la dévalorisation totale des valeurs, pour la rupture avec ce mantra des soumis appelés communément " citoyens ". Il faut rejeter ce statut. En idées, nous avons déjà résilié le rapport de domination. L'insurrection que nous avons en tête ressemble à un saut paradigmatique.
Nous devons sortir de cette cage qu'est la forme bourgeoise. Politique et État, démocratie et droit, nation et peuple sont des figures immanentes de la domination. Pour la transformation, nous ne pouvons disposer d'aucun parti et d'aucune classe, d'aucun Sujet et d'aucun mouvement.
Ce qui est en jeu, c'est la libération de notre temps de vie. C'est elle seule qui nous permettra d'avoir plus de loisir, plus de plaisir et plus de satisfaction. Ce dont nous avons besoin, c'est plus de temps pour l'amour, l'amitié et les enfants, plus de temps pour réfléchir ou pour paresser, mais plus de temps aussi pour nous occuper, de façon intense et extensive, de ce que nous aimons. Nous sommes pour le développement tous azimuts des plaisirs.
Une vie libérée, cela signifie de se reposer plus longtemps et mieux, mais, tout d'abord, dormir plus souvent ensemble, et plus intensément. Dans cette vie - la seule que nous ayons - l'enjeu est la bonne vie, il s'agit de rapprocher l'existence et les plaisirs, de faire reculer les nécessités et d'élargir les agréments. Le jeu, dans toutes ses variantes, requiert à la fois de l'espace et du temps. Il ne faut plus que la vie soit cette grande occasion manquée.
Nous ne voulons plus être ceux que nous sommes forcés d'être.
Le bonheur et la joie de vivre prendront la place de la fatigue nerveuse, de la lassitude et de la dyspepsie. Il y aura assez de travail à accomplir pour rendre le loisir délicieux, mais pas assez pour conduire à l'épuisement.
Les hommes et les femmes ordinaires, deviendront plus enclin à la bienveillance qu'à la persécution et à la suspicion. Le goût pour la guerre disparaîtra, parce que celle-ci exigera de tous un travail long et acharné. La bonté est, de toutes les qualités morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bonté est le produit de l'aisance et de la sécurité, non d'une vie de galériens. Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous sommes montrés bien bête, mais il n'y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment.
C'est le point aveugle du débat : la dette publique est une escroquerie ! En cause, la loi Pompidou-Giscard de 1973 sur la Banque de France, dite " loi Rothschild ", du nom de la banque dont était issu le président français, étendue et confortée ensuite au niveau de l'Union européenne par les traités de Maastricht (article 104) et Lisbonne (article 123). D'une seule phrase découle l'absolue spoliation dont est victime 99% de la population : " Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la banque de France" . En clair, la Banque de France a désormais interdiction de faire crédit à l'État, le condamnant à se financer en empruntant, contre intérêts, aux banques privées, au lieu de continuer à emprunter sans intérêt auprès de la banque de France qui lui appartient. Depuis l'application de ce principe, la finance et son infime oligarchie donnent la pleine mesure de leur asservissement des peuples, en une spirale exponentielle d'accroissement des inégalités. Le pouvoir est désormais aux mains des créanciers privés, qui l'exercent au bénéfice exclusif d'intérêts particuliers, quand la puissance publique a renoncé à son devoir de protéger l'intérêt général. La démocratie, étymologiquement pouvoir du peuple, est morte.
" Ainsi, entre 1980 et 2008, la dette a augmenté de 1088 milliards d'euros et nous avons payé 1306 milliards d'euros d'intérêts ", résume Mai68.org. Faisons la soustraction : sans les intérêts illégitimes encaissés par les financiers privés, la dette publique française se serait élevée, fin 2008, à 21,4 milliards d'euros - au lieu de 1327,1 milliards ! Un escroc peut-il rêver pareil butin ?
Extrait de www.plumedepresse.net
L'INVENTION DE LA CRISE
Escroquerie sur un futur en perdition (Extrait)
Étant donnée la situation actuelle du capitalisme financier, nous sommes aujourd'hui contraints de comprendre et d'appréhender l'économie avec le point de vue plus global des relations humaines, sinon, nous serons condamnés à la subir comme un système d'oppression et d'exploitation pour le profit d'un petit nombre de privilégiés qui abuseront sans entraves de leur pouvoir sans limites, et ceci, à perpétuité.
Abandonnant les calculs quantitatifs des accapareurs de richesses, basés sur l'échange usurpateur comme unique valeur sociale, les rapports humains pourront enfin s'auto-organiser de manière juste et égalitaire. Si on se libère des combines et des arnaques, cachées dans la confusion par les complexités numériques des abstractions mathématiques, l'auto-organisation des liaisons entre individus égaux sera alors librement choisie et construite dans un consensus collectif au cours de processus démocratiques directs, à échelle humaine, dans tous les secteurs d'activités.
C'est la seule issue possible à la faillite d'un système mondial qui achève son temps dans la confusion et la désolation. Il s'agit maintenant d'émanciper la société des êtres humains de la tyrannie d'un système planétaire destructeur et suicidaire.
La crise économique est un discours idéologique qui sert à cacher la guerre sociale entre les capitalistes et les diverses couches de la population. Ce n'est pas l'aggravation illimitée de la crise qui produit la révolution, mais le combat dans la crise, contre les conditions d'une survie intolérable, qui engendre le changement de perspective nécessaire à un renversement du système d'exploitation du capital. Aujourd'hui, la révolution n'a plus le communisme comme projet idéal, mais plutôt comme pratique libertaire dans les luttes actuelles, en rupture avec le système, inadmissible pour les capitalistes. Et ce ne sont pas les blocages qui provoqueront la révolution, mais cet ensemble de pratiques incompatibles avec le système. Un bouleversement radical n'a que faire de syndicats aux revendications acceptables, de programmes préfabriqués à imposer, de logos ou de drapeaux de l'ancien monde.
Ce qui importe en réalité c'est le rapport social qui fait que l'activité humaine est réduite à l'esclavage du travail, l'important c'est alors l'abolition de ce rapport social, et non l'abolition abstraite du travail, en prenant collectivement des mesures qui libéreront l'activité de chacun, dans une démocratie générale qui rende tout retour en arrière impossible.
L'économie, idéologie de la domination, disparaîtra lorsque la monnaie, instrument à créer des inégalités, aura perdu sa valeur d'échange, et donc son usage, soit par implosion du système, soit par explosion sociale, soit, ce qu'il semble le plus vraisemblable, par une jonction fortuite des deux. Tout en reprenant le pouvoir sur notre existence et nous réappropriant l'usage de nos vies quotidiennes, instaurons la démocratie directe générale dans les entreprises et tous les établissements publics, " une personne, une voix ". L'autogestion généralisée de la vie dans le cours des libres jeux des relations est un minimum nécessaire à un changement de perspective devenu incontournable. Quand tout devient insupportable, il est prudent de ne plus supporter, et le désir de changer peut alors se transformer en plaisir de changer avec les autres en se libérant de l'emprise de la marchandise et de sa représentation spectaculaire.
Notre devenir sera ce que nous en ferons ensemble, dans une coopération auto-organisée, ou alors nous nous condamnerons à nous enfouir dans la barbarie et la misère.
Lukas Stella, octobre 2011
Le soir où tout a basculé, le 6 décembre 2008 à 21h10, une rumeur traverse Exarcheia et fait sortir tout le monde dans la rue "ELATE GRIGORA SKOTOSAN ENA PAIDI SKOTOSAN TON ALEXI !" (venez tous, vite ils ont tué un enfant ! ils ont tué Alexis !). L'information se précise : un garde spécial de la police vient de tirer sur un jeune de quinze ans, au terme d'une banale altercation. Les riverains affluent, rejoints par des centaines d'anarchistes et d'anti-autoritaires prévenus aux quatre coins d'Athènes. Les policiers prennent peur et reculent jusqu'à l'avenue Panepistemiou, derrière l'École Polytechnique, sous la menace populaire. C'est le geste de trop, pour tout le monde ultime violence d'un pouvoir politique et financier qui se croit tout permis. La colère, contenue jusque-là, explose. L'heure de la révolte a sonné. Vers 23h, ils sont plus de dix mille au coeur d'Exarcheia. Un campement s'organise sur la place historique. On rassemble des palettes pour faire un grand feu durant la nuit. Chaises et fauteuils descendent dans la rue. On se parle, on se questionne, on ne dort plus. 300 banques sont incendiées ou saccagées en un mois, de même que des commissariats et le ministère de l'économie par deux fois.
Le nouveau rideau de fer n'est plus au nord de la Grèce, mais partout dans les rues. C'est celui des magasins qui continuent de fermer les uns après les autres. Des maisons, des fenêtres, des portes qui sont murées. L'Europe du totalitarisme financier a reconstruit le mur autrement : entre les riches, toujours plus riches, et les pauvres, toujours plus pauvres. Les classes moyennes sont en voit de disparition. Le capitalisme se démasque brutalement dans la domination absolue des puissants sur une population à genoux et exaspérée.
À Exarcheia, comme ailleurs, beaucoup de grilles sont baissées. Mais beaucoup moins que dans le centre marchand d'Athènes ou que sur la longue avenue Voulagmeni qui mène jusqu'à la mer, au sud. Ici, on résiste en créant, en produisant et en échangeant autrement. Moins d'importation de cochonneries venues de Shangal ou d'ailleurs. Les Amap se développent pour supprimer les intermédiaires et faire baisser les prix. Vivre autrement d'abord pour survivre.
Le chômage de masse qui frappe la Grèce rappelle l'Allemagne des années 30 et les conséquences qu'on connaît. À Exarcheia, la violence de la crise a plutôt favorisé l'alternative humaniste, libertaire et sociale. Le quartier est massivement anti-autoritaire, avec des nuances et une pléiade d'initiatives complémentaires.
On trouve surtout des représentations de la misère sur les murs, y compris des mendiants dessinés, comme un décor visant à ne pas faire oublier ce qui se passe à l'extérieur du quartier. En effet, dès qu'on traverse la rue Solonos, on croise énormément de mendiants dans les artères marchandes devenues lugubres. De l'autre côté de l'avenue Patission, à l'ouest d'Exarcheia, c'est la misère à plus grande échelle. La misère qui se répand comme une maladie contagieuse. Et la faim qui se dévoile dans les regards furtifs ou insistants.
Le nazisme est de retour. 7% aux élections législatives en 2012. Plus de 15% dans les enquêtes d'opinion un an plus tard. Le fléau est partout. Partout, sauf à Exarcheia qui se revendique zone antifasciste. Sur ses principales artères, les affiches, dessins et textes sont sans appel ni concession, ni compromission.
Ici, les migrants sont tranquilles ou presque. Ils vendent à la sauvette des cigarettes de contrebande sur l'avenue Stournara, ou d'autres bricoles aux alentours du quartier, et se replient vers la place dès qu'une menace s'approche. Des guetteurs sont postés tout en bas de l'avenue. Au moindre mouvement suspect, tout le monde se lève subitement. À la moindre confirmation sonore, c'est la course, en emballant d'un seule geste toutes les marchandises. Ce manège fait songer aux proies de grands prédateurs. Des proies qui réagissent ainsi avant de fuir de la savane vers un territoire plus boisé ou à couvert.
Athènes, c'est la savane des chasseurs de migrants, agréés ou non agréés officiellement par le pouvoir. Exarcheia, c'est la jungle protectrice au beau milieu de ce vaste territoire à découvert. Un point d'eau. Un abri. Et plus, si affinité.
Le long des manifestations, les jeunes libertaires forment une chaîne avec leurs bâtons surmontés d'un drapeau rouge et noir ou tout noir. Les policiers anti-émeutes surveillent de près les cortèges et chacun cherche à impressionner l'autre. Le rapport de force est palpable, lourd, orageux. La détermination est totale. "BATSI, GOUROUNIA, DOLOFONI !"(flics, cochons, assassins !) crient les jeunes à la colonne de visages casqués et dissimulés sous des masques à gaz. Ceux qui pourraient être leur pères se taisent. Seuls leurs chefs répondent dans des talkie-walkie à des ordres venus d'ailleurs, toujours plus haut dans la hiérarchie de l'ordre et du pouvoir. On attend la sortie des Molotovs, pour l'instant cachés dans certains sacs à dos. Tout peut basculer à tout moment, dans les bombes assourdissantes et les gaz lacrymogènes aveuglants et très irritants. Les yeux dans les yeux, le face-à-face continue en criant, à trois ou quatre mètres seulement, le long de la manif.
Les gaz lacrymogènes sont déversés comme du napalm. Un masque à gaz dans chaque sac, les manifestants se sont préparés à cette éventualité. D'autant plus que les gaz utilisés par les brigades anti-émeutes sont absolument proscrits en Europe. Ce sont des gaz à usage militaire, souvent périmés, extrêmement puissants et irritants, voire dangereux pour la santé. Personne ne recule. Les entrées d'Exarcheia sont tenues par des jeunes et des moins jeunes qui dépavent les trottoirs à une vitesse incroyable, outils en main, et en font des projectiles pointus et tranchants. Des guetteurs préviennent de l'arrivée des "MAT" (CRS). Les cocktails Molotovs s'allument. Certains sont des bouteilles de bière et se projettent loin. D'autres sont des bouteilles de vin et même des magnums de i, litre ou de 3 litres et sont jetés en se rapprochant très près ou bien d'un toit. Des jeunes courent de terrasse en terrasse pendant que d'autres, plus nombreux, sont dans les rues. Tous les 6 décembre, chaque année, on assiste à un bras de fer à l'entrée d'Exarcheia et à une véritable guérilla urbaine. Une catharsis de la souffrance endurée.
Aux violences et tortures policières s'ajoutent les sanctions très lourdes de la Justice grecque... C'est pourquoi le quartier est aussi l'un principaux lieux de caches de résistants recherchés dans Athènes. Des planches d'échafaudage sur les toits permettent de passer d'une terrasse à l'autre très vite en cas de besoin. Certaines rues sont si étroites qu'on pourrait presque enjamber le vide. Des logements en apparence murés ou encore des caves ont le même usage. Même rien ne vaut les petits abris sur les terrasses.
NE VIVONS PLUS COMME DES ESCLAVES. Cette devise qui a fait le tour de la Grèce est née ici, à Exarcheia, suite à l'adaptation de la pièce de Jean Genet "Les Bonnes" (d'où elle est extraite).
Une devise qui est revenue à Exarcheia quelques mois plus tard sous la forme d'un film et d'une chanson éponymes. L'occasion de découvrir et fêter cette internationalisation la lutte dans différents lieux et sur la place bien sûr.
Combien de temps encore Exarcheia portera cette énergie créatrice ? Dans quelle mesure seront-nous capables ailleurs de prendre le relais ou de nous en inspirer ? Probablement, selon notre capacité à l'engagement, car c'est bien cela qui caractérise d'abord beaucoup d'habitants de ce quartier d'Athènes si particulier. Ils agissent, sans attendre, tournés ensemble vers l'horizon, par-delà leurs différences.
"Le temps s'écoule, le temps s'enfuit" et l'oubli menace de recouvrir tout ce qui se fait là-bas et ailleurs. Les affiches se déchirent, la peinture s'écaille... Les tyrans ont les yeux braqués sur les poches de résistance qui les menacent. Le temps nous est compté et la vie nous attend.
Éditions Libertaires (Avec 75 photographies de Maud Youlountas)
Les dettes se répandent comme des virus, l'épidémie envahit une société de crise qui s'est grippée. La fièvre monte dans un État fébrile, la lassitude gagne et les défenses immunitaires s'écroulent...
" Pour contenir les populations plongées dans la pauvreté, la propagande de la peur peut être utilisée à propos du changement climatique, des catastrophes naturelles et des attaques terroristes à grande échelle, comme outil de contrôle des populations. "
Rapport de la Fondation Rockefeller, 2010
L'insistance permanente et obsessionnelle du spectacle médiatique à nous faire peur par tous les moyens, nous pousse à nous recroqueviller dans la servitude, chacun " chez soi ", embourbé par nos habitudes casanières et solitaires. Mais la propagande tapageuse en fait parfois beaucoup trop et perd son emprise dans un dysfonctionnement latent, des relations apparaissent là où on ne les attend pas, les croyances se dérobent et la servitude se décompose en petits morceaux.
Le matraquage répétitif et permanent du spectacle de cette réalité des choses marchandes, déforme nos perceptions et notre compréhension de la situation, dans une surabondance de détails parasites qui nous placent dans un état de confusion permanente.
La société a considérablement protégé son fonctionnement depuis 1968 en surdéveloppant son discours spectaculaire, et la contestation de la société n'a pas compris les conséquences de cette mutation, l'empêchant d'effectuer le changement de perspective nécessaire à l'émergence d'un mouvement de transformation radicale. L'internationale s'est réalisée dans la mondialisation et l'abolition de l'État est en cours, il a déjà perdu tout contrôle sur l'économie et la finance. Les politiques gèrent au jour le jour un système dont le fonctionnement leur échappe, en justifiant très mal leurs mesures de rafistolage. Ce sont des escrocs bonimenteurs, et la contestation marche dans les pas de leurs embrouilles, se rendant complice de l'arnaque générale mal dissimulée par sa représentation spectaculaire.
Dans ce monde de communications numériques à sens unique, nous ne sommes pas informés, mais mis en conformité avec les faits objectifs du monde des marchandises.
" Notre croyance en l'objectivité entrave la compréhension que nous avons de nous-mêmes et des autres. L'objectivité du monde n'est qu'apparente. Le lien de cause à effet n'est pas dans la réalité, mais dans une explication de la réalité. C'est l'opération de distinction qui fait distinguer les choses. La réalité est une construction de l'esprit, elle est ce que nous en faisons. La question n'est plus de savoir ce qui est vrai, mais de chercher ce qui est utile pour agir selon nos désirs. "
Lukas Stella, Stratagèmes du changement
Le concept de cause, tel que le définit le scientisme déterministe, se fonde sur les présuppositions que l'on peut expliquer n'importe quel phénomène en le réduisant à l'étude de ses parties et qu'aucun autre élément n'entre en jeu. L'erreur commise par ce réductionnisme aveugle est de ne pas reconnaître avoir détruit le système des relations et interactions qui forment un tout en effectuant ces dissections et découpages arbitraires. Cette conception schizophrénique d'un monde fragmenté ne mène jamais qu'à un obscurantisme sans devenir, à un blocage des possibles.
Ce réalisme qui considère qu'une cause génère son effet, en dehors de tout contexte et de toute interaction n'est qu'une prétention scientiste erronée. La science peut se décrire comme un mode de perception, d'organisation et d'attribution de sens aux observations, qui construit par là même des théories subjectives qui peuvent être confirmées par l'expérience et dont la valeur n'est pas définitive.
Aucune science ne peut proposer une explication de la réalité absolument vraie et inaltérable. Il n'y a pas une seule, mais de multiples réalités, selon le point de vue de l'observateur et des instruments qu'il utilise à des fins d'observation. Ainsi est réfuté tout modèle d'interprétation présupposant une explication de la nature et du comportement de l'Homme qui se veut absolument vraie et définitive, parce qu'un tel modèle tombe inévitablement dans le piège idéologique d'autoréférenciation, sorte de discours qui génère sa propre justification, construite sur ses hypothèses de départ.
Le système doit être étudié dans sa totalité, car la totalité représente davantage que la simple somme de ses parties ; elle est autre et bien plus que le total. Toute tentative d'étudier les composantes de façon isolée détruirait la totalité et produirait des résultats qui altéreraient la compréhension du système.
" Ce sont ces liens, conceptuels ou opérationnels, qui sont les prérequis pour interpréter les structures et la fonction d'un organisme vivant vu comme un organisme autonome autoréférent. Quand ces liens sont ignorés, le concept "d'organisme" est vide, et ses pièces détachées deviennent des problèmes triviaux ou restent des mystères. "
Heinz von Foerster, Seconde cybernétique et complexité
Par opposition au mode de pensée conformiste, qui découpe les champs de connaissances et les compartimente, la pensée situationnelle relie, associe, recadre, coopère, harmonise, s'implique, interagit avec les autres, invente des possibilités et du plaisir partagé. Un mouvement de transformation sociale peut alors se comprendre comme la congruence d'une danse synchrone de coordinations d'actions, d'où émerge une évolution comportementale dans de nouveaux rapports relationnels, au cours de dérives individuelles et collectives sans plan préétabli. Selon ce point de vue, les règles de la concurrence, la loi du plus fort, la hiérarchie, l'exploitation et la prédation font place à l'entraide interactive, la coopération sociale, l'association fédérative, la commune à échelle humaine.
Les réseaux interactifs d'éléments autonomes sont à la base de comportements émergents non prévisibles, car ils sont non déductibles à partir de ses parties singulières. L'auto-organisation émergente est précisément l'agrandissement de l'espace de possibilités d'une nouvelle globalité issue d'une histoire d'interactions entre des éléments différents et hétérogènes. Lorsque la richesse de ces interactions franchit un certain seuil, le mouvement global produit de façon discontinue de nouveaux comportements d'ensembles tout à fait imprévisibles en fonction de la somme des apports de chaque individu ou groupe d'individus. Ces groupes de relations, en interaction temporaire avec d'autres groupes, peuvent développer, dans de brèves périodes, des capacités et des propriétés nouvelles inconcevables, parce que non déductibles.
La société du spectacle est très peu spectaculaire
(Réponse de Jean-Pierre Voyer à M. Bueno)
Pour Debord, les marchandises et leur consommation sont des promesses de bonheur, "le spectacle n'est qu'une image d'unification heureuse" (encore des images ! thèse 63). Le titre du deuxième chapitre est d'ailleurs "La marchandise comme spectacle". Pour Debord, donc, le spectacle est le monde marchand dans son ensemble, et non pas seulement un seul secteur de ce monde.
D'abord, je vous le demande, où donc le monde réel se change-t-il en de simples images comme le prétend le monsieur ? Nulle part. Vous verrez peut-être des images, à la télévision notamment, qui se prétendent images du monde ou qui sont tenues pour des images du monde. Mais cela ne signifie pas que le monde se transforme en images. Allez dire ça aux bougnoules irakiens. Il produit et contient peut-être beaucoup d'images (de ce fait, il est spectacliste) mais ce n'est pas pour autant qu'il se transforme en images. C'est tout le contraire. Quelques images, quelques femmes nues sur des affiches, essayent de se faire passer pour le monde et cela n'est possible qu'à cause de la déficience de parution du monde. Le monde ne paraît pas. Comment pourrait-il être un spectacle ? Le monde réel ne se change en rien du tout sinon en lui-même. Il se contente de ne pas paraître. Il continue d'être, tranquillement. Il tremble dans ses profondeurs et pourtant il n'est pas inquiet. Quant à ce qui paraît, ce n'est pas le monde, mais ce n'est ni une image, ni un spectacle pour autant, ni plus, ni moins que les Alpes.
Ensuite, où peut-on voir des images, qu'elles soient d'unification heureuse ou de ce qu'on voudra, qu'elles se prétendent images du monde ou non, qu'elles soient tenues pour des images du monde ou non ? Je vous le demande, où peut-on voir de telles choses ? Dans la pub, à la télévision et nulle part ailleurs. Le seul endroit où les marchandises sont un spectacle, au sens de mise en scène, le seul endroit où leur consommation est une image d'unification heureuse, le seul endroit où les marchandises sont des images, c'est la pub, n'en déplaise à Debord, cet homme qui ne se corrigeait pas mais qui baissa sa culotte devant un "merdeux qui espérait hériter" et qui, finalement, hérita. Tout le reste, c'est de la phrase.
Ailleurs que dans la pub, ailleurs qu'à la télévision, dans les supermarchés notamment, vision d'enfer que ne pouvait imaginer Dante, les marchandises et leur consommation ne sont pas une image d'unification heureuse, ni aucune autre image, mais un spectacle d'épouvante et de désolation, grouillement abject d'esclaves pacifiés et apeurés. Et là il ne s'agit pas de mise en scène mais de réalité ! Là le mot "spectacle" n'a pas le sens de mise en scène et d'illusion lénifiante mais simplement le sens de "vision" d'horreur, ce que l'on voit quand on ouvre les yeux si les mots veulent encore dire quelque chose. Encore une fois, le seul endroit où il y ait image d'unification heureuse c'est la propagande ou la pub, le seul endroit où les marchandises et leur consommation soient une promesse de bonheur, c'est la pub, le seul endroit où la marchandise soit un spectacle, c'est la pub. Partout ailleurs, c'est une vision de terreur et de désolation et il ne s'agit pas d'images. Les mots "image d'unification heureuse environnée de désolation et d'épouvante" sont de Debord lui-même (thèse 63). Il reconnaît donc, (il n'est pas à une contradiction près du moment qu'il peut faire de la phrase), que l'image de l'unification heureuse a lieu au milieu de quelque chose qui n'est ni image, ni spectacle, ni mise en scène, ni unification heureuse ; mais atroce réalité quasi invisible pour la plus grande part. La misère et le malheur sont secrets ou bien, quand ils paraissent, c'est précisément sous une forme spectaculaire (au sens vulgaire, très vulgaire même), à la télévision. Le con de Mme Ockrent est si large que son mari peut y pénétrer avec un sac de riz sur l'épaule.
Je serais encore plus précis : ce n'est pas tout ce qui était directement vécu (quoi donc d'ailleurs ?) qui s'est éloigné dans une représentation, mais seulement l'idéologie, ce qui n'est déjà pas mal. Toute l'idéologie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de communication se réduit à une immense accumulation de spectacles. Ce qui était seulement écrit et prononcé est aujourd'hui photographié, filmé, télévisé, chanté et dansé, comme l'avait bien compris Céline qui y voyait, en tant qu'écrivain, de la concurrence déloyale. L'idéologie est devenue audiovisuelle et se réduit à une mise en scène. Il n'est même plus la peine d'argumenter et les néo-professeurs et néo-auteurs sont seulement des cabotins dont le succès dépend de leur passage de la rampe (ils rampent d'ailleurs). Le seule spectacle qui soit est seulement l'idéologie devenue spectacle. C'est tout. Et l'idéologie n'est pas le monde que je sache mais seulement un discours sur le monde. Aujourd'hui ce discours, si on peut appeler cela ainsi, est photographié, filmé, télévisé et même vécu (les prides et les proud). Voilà donc ce concept de spectacle. C'est la seule différence avec le monde du temps de Marx et Balzac. L'idéologie est devenue un spectacle et n'a même plus besoin de prétendre être une pensée. C'est seulement dans cette idéologie audiovisuelle que la marchandise est image d'unification heureuse, encore que les pâtes Panzani ou l'huile Lesieur ne soient pas tellement bandantes. C'est pourquoi on leur adjoint généralement une pisseuse dont la culotte est mouillée, oui, mais de pisse. Aujourd'hui l'idéologie est audiovisuelle, elle est non seulement presse, édition, mais culture, pub, télévision, cinéma, mode, prétendu art post-pédé, sport ou plus généralement industrie des loisirs où le bétail servile est engagé à ses frais (on est loin de l'édition à compte d'auteur) comme figurant et prosélyte. Mais tout cela n'est qu'un secteur spécialisé du monde et non pas le monde lui-même, ni "un rapport social entre des personnes médiatisé par des images" (thèse 4) quoique les billets de banque soient des images. Disneyland n'est pas le monde et ne le sera jamais.
Debord a certainement réussi à stigmatiser cette partie de la société dont le rôle est de concentrer et d'abuser tout regard et toute conscience (il aurait certainement mieux réussi d'ailleurs s'il avait été moins prétentieux et moins précieux, car, que je sache, les stigmatisés ne se portent pas trop mal et se réclament tous, à juste titre, de Debord) ; mais il a totalement échoué à montrer que le spectacle était un rapport social entre des personnes, que le spectacle était le capital qui se change en image, que le monde se change en de simples images, bla bla bla. Il n'a même jamais essayé. Cet ivrogne s'est vite fatigué et vite contenté. Certes, le spectacle se donne comme "la société même" ; mais il n'est pas "la société même". La société même n'est pas non plus spectaculaire mais au contraire, hélas, strictement invisible. Ce spectacle qui se présente comme la société même est le fait d'une partie de la société, même si tous les habitants de la société sont victimes de cette apparence. Tous les habitants de la société peuvent très bien voir "la société même" dans les représentations que leur en donne un secteur spécialisé dans l'illusion et la mise en scène (ce qui reste à prouver) sans que pour autant "la société même" soit un spectacle, ni spectaculaire, ni une mise en scène. Au contraire, "la société même" (la main invisible d'Adam Smith) ne paraît jamais et c'est bien ce défaut de parution qui permet au spectacle de s'épanouir et de prospérer. Ce n'est pas le spectacle qui cache la société et l'empêche de paraître, c'est le défaut de parution de la société qui permet au spectacle d'exister. Contrairement aux sociétés étudiées par Lévi-Strauss où les règles des systèmes d'échange portant sur des biens, des signes, des femmes, paraissaient néanmoins tout en demeurant incompréhensibles pour l'ethnographe, dans les sociétés modernes ces règles ne paraissent pas. Ensuite, ce secteur spécialisé de la société peut très bien être un instrument d'unification, mais il n'unifie que l'abrutissement et non pas la société. Si la société même paraissait, tous les problèmes seraient instantanément résolus. C'est du fait de l'invisibilité de la société que les hommes font autres chose que ce qu'ils croient faire et qu'ils le font toujours contre leur gré. Tout le problème consiste selon Hegel dans le paraître dans soi du monde (la phénoménologie de l'esprit stricto sensu si je ne m'abuse), ce qu'était bien incapable de comprendre Lévi-Strauss et à fortiori M. Derrida absorbé par la recherche de son prépuce perdu.
Ce qu'est la société même, Debord l'ignore, moi aussi et vous sans aucun doute. Seule m'importe ce qu'est la société, seule m'importe la réponse à la question "pourquoi y a-t-il des esclaves plutôt que rien ?", choses dont Debord s'est moqué dans tous les sens du terme. Ce qu'est la société même, elle l'était déjà du temps de Balzac et de Marx et elle l'est toujours aujourd'hui.
Le spectacle comme partie de la société et comme production d'une partie de la société, le seul qui existe contrairement à ce que prétend Debord, est, d'une manière plus générale, l'industrie des loisirs et s'il est vrai que cette industrie concourt à l'unification de l'abrutissement dans la société, ce n'est qu'en tant que branche particulière du commerce. Le commerce est l'instrument d'unification unique de ce monde. Il est certainement vrai que l'industrie des loisirs concentre tout regard et toute conscience mais justement parce qu'elle est industrie de loisirs spectaculaires, destinés par définition au regard et à la conscience. Il est certainement vrai que cette industrie est un puissant instrument d'abêtissement ; mais au moins est-ce partout le même abêtissement, un abêtissement universel. L'universel progresse par le mauvais côté ce qui ne devrait pas vous étonner. Voilà le négatif au travail. Il n'en n'est pas moins vrai que la société même n'est ni spectacle ni spectaculaire ne serait-ce que parce que si elle était spectacle, vous la verriez, or vous ne l'avez jamais vue, ni Marx, ni Durkheim, ni Mauss ni tant d'autres qui auraient tellement aimé la voir. Hegel fut certainement le meilleur visionnaire de la société. Hegel est catégorique : la société est communication, la société est savoir, la société est un système général d'apparence. L'histoire du monde est celle du paraître dans soi du monde. Si toute illusion est une apparence, toute apparence n'est pas une illusion et cette société ne vit pas à travers son système général d'illusion, comme le prétend la pensée Canal plus ; mais, comme toute société, à travers un système général d'apparence qui ne parait jamais (Dans les sociétés étudiées par Lévi-Strauss il paraissait encore). Prétendre le contraire, c'est confondre l'enculage proprement dit avec la vaseline. Ce savoir vous ignore et réciproquement vous l'ignorez. C'est de bonne guerre. Plus précisément, Hegel et les sauvages savent que la société est savoir, Weber et vous l'ignorez.
Donc, finalement, le spectacle se réduit à l'industrie des loisirs : culture, sport, mode, loisir, télévision, show-business, pub, presse. Le monde entier n'est pas une industrie des loisirs, n'est pas un spectacle, n'est pas spectaculaire, n'est pas une mise en scène, n'est pas illusoire, n'est pas une accumulation de spectacles ou d'images. Pour qu'il soit illusoire, au moins faudrait-il qu'il paraisse, ce qu'il se refuse à faire. Il s'abstient de paraître, tout bonnement. Et quand il parait c'est comme une nature. Le spectacle du monde réel est comme le spectacle des Alpes. Comme Hegel devant les Alpes nous ne pouvons que dire das ist. C'est la naturalisation de l'esclavage. Dans la société, telle qu'elle paraît, l'esclavage est naturel. Il va de soi. J'écrivais précédemment qu'il n'y avait pas de société du spectacle mais seulement un spectacle de la société. Hélas non, il n'y a même pas de spectacle de la société, seulement un spectacle d'une nature. La prétendue société du spectacle est très peu spectaculaire. On ne la voit jamais sinon à la télévision. La société que l'on voit ailleurs qu'à la télévision est tout à fait ordinaire, tout à fait naturelle, ce qui est la pire des choses pour une société. (Les société des sauvages sont bien moins naturelle que la nôtre. C'est ce qui a frappé les ethnographes.) Le monde cache bien son jeu. Le monde paraît dans lui-même secrètement, à l'insu de tous et de lui-même évidemment. Le monde est plus fort en secret que la CIA et le Mossad réunis. Le monde est un message secret dont le sens ne préexiste pas à son déchiffrement. Donc, le spectacle n'est pas, comme le prétend le monsieur (thèse 10), "la négation de la vie devenue visible". [Le crétin a également écrit dans ses Commentaires : "Le secret domine le monde et d'abord comme secret de la domination". Il faudrait savoir. La négation de la vie est devenue visible, mais la domination demeure secrète ! Pour un homme qui ne se corrige jamais. Prétentieux imbécile. La vanité l'a perdu. C'est comme ce Bounan qui prétend que le secret de la domination est connu depuis un siècle. Mais on chercherait en vain, dans le monde, le plus minime effet de ce savoir séculaire. Mais, crétins, le monde lui-même est un secret. Personne, hormis Hegel et Allah, ne peut se vanter d'en produire le concept. Le monde seul peut produire son concept. Durkheim dirait que seule la société peut expliquer la société.] C'est exactement le contraire. Comme toute idéologie le spectacle (le médiatique) a pour mission de dissimuler la négation effective de la vie qui, sans cela, risquerait de devenir visible. Au besoin, le spectacle (le médiatique) insiste complaisamment sur des négations de la vie bien sanglantes, en un mot bien spectaculaires, massacres, camps de concentration, chambres à gaz, génocides, guerres locales, charniers, ce qu'il faut bien appeler des détails face à la généralité et à la permanence de la véritable et universelle négation de la vie qui demeure secrète. Celle là, on ne la verra jamais à la télévision. (J'emprunte le mot détail à M. Le Pen. J'espère qu'il ne va pas me réclamer de droits d'auteur. Ce n'est qu'une juste compensation après le plagiat universel de mon titre Reich, mode d'emploi qui est certainement le titre le plus plagié dans toute l'histoire de la littérature.) M. Lévy, flanqué de l'inévitable James Bond girl, grand amateur de ce genre de détails édifiants, est l'un de ces agents de désinformation très actifs du Maussade (voilà donc pourquoi il ne sourit jamais sur ses photos !) La négation effective de la vie, ce qui nie effectivement la vie, demeure invisible, secret. Et pour cause, c'est la vie même qui nie la vie, l'esprit qui nie l'esprit, la communication qui nie la communication. Si la négation de la vie devenait visible, le problème serait résolu immédiatement. Quand les dix mille hoplites (hélas, ils n'étaient plus que cinq mille alors) voulaient déposer un de leurs officiers, trois cents d'entre eux se baissaient et ramassaient une pierre, et cela suffisait si l'on en croit Xénophon. La phénoménologie de l'esprit n'est pas un spectacle.
Comme le remarque très justement Weber, les sauvages voient beaucoup mieux leur propre société que nous ne voyons la nôtre (et la leur par la même occasion). C'est cela l'aliénation. La communication s'éloigne de chacun et devient invisible ou plutôt visible mais méconnaissable. Vous l'avez sous les yeux mais vous ne la voyez pas. Ainsi, selon Hegel, la nature est l'esprit, mais méconnaissable. Dans son œuvre, Hegel tente justement de nous montrer que sous ses dehors peu avenants, la nature est cependant l'esprit devenu autre. Les esclaves ont le devoir de détruire tout ce qu'ils ont été contraints de produire ; mais contrairement à ce qui se passait dans d'autres sociétés, ils peuvent produire et détruire autant qu'ils peuvent, la communication ne leur demeure pas moins étrangère, elle n'en demeure pas moins toujours ailleurs et strictement invisible. La communication aliénée est tout le contraire d'un spectacle. Il faut vraiment beaucoup chercher pour voir l'esprit à l'œuvre dans la nature ou la communication à l'œuvre dans cette société. Bien qu'il ne s'agisse pas du même dieu, je pourrais reprendre à mon compte ces mots de Bloy : "Tout ce qui s'accomplit extérieurement n'est qu'une apparence, - un reflet énigmatique, per speculum, - de ce qui s'accomplit, substantiellement, dans l'invisible." Voilà pourquoi, Monsieur, l'homme ne peut demeurer au repos dans une chambre à Gaza ou ailleurs. La substance invisible dans laquelle l'homme se meut réellement et qui le meut pénètre et agit dans la chambre la mieux calfeutrée.
Effectivement, cette industrie des loisirs, extrêmement récente (disons 1960) est bien caractéristique du monde présent et n'existait pas du temps de Marx et de Balzac (à part la presse aux ordres, cf "Illusions perdues" et la réclame. Au moins les journalistes du temps de Balzac étaient-ils cyniques. Les Lousteau et Bixiou en plaisantaient en privé et faisaient des mots d'esprits sur leur scélératesse. Ceux d'aujourd'hui sont de gauche et intimement bien pensants - et non plus seulement dans les colonnes des journaux - c'est à dire infâmes. Regardez ces lycéens prétendument cyniques de Libération-Chargeurs, toujours ricanants, pas dupes n'est-ce pas, toujours prêts à faire un bon mot grinçant. Lâchez devant eux, je ne dirais même pas les mots "Heil Hitler !", mais simplement le mot "détail" et c'en est fini de leur cynisme et de leur goguenardise. Là ils ne rigolent plus.) Mais ce n'est pas une raison pour dire que le monde est spectaculaire, que la société est spectaculaire. Seuls l'idéologie l'est devenue. Les loisirs des esclaves sont tout sauf une image d'unification heureuse. Céline ne se trompait pas sur ces questions comme en témoigne notamment sa partie de canotage à Chatou. Il ne rate pas ces cochons d'hédonistes supposés. C'est bien ce monde qu'il décrivit de façon véridique. La prétendue félicité, le prétendu hédonisme de ces loisirs spectaculaires sont en vérité abjection, bêtise, ennui, terreur, hébétude, concours de thermomètres. C'est dans ces loisirs spécialement produits pour lui que l'esclave peut révéler toute sa bassesse et son ignominie d'esclave. Le maître est à son balcon, il jette sa chéchia dans la cour, les esclaves sursautent. Quant au monde ou à la société, ils sont toujours ce qu'ils étaient déjà du temps de Marx et de Balzac, l'industrie des loisirs et l'idéologie transformée en spectacle (Hitler et Goebbels n'en espéraient pas tant) n'en étant qu'un des logiques aboutissements : l'esclave doit pouvoir dépenser son salaire. La consommation, c'est l'esclave qui doit dépenser son salaire.
Ce n'est pas cette industrie des loisirs qui fait que les esclaves sont esclaves, c'est parce que les esclaves sont des esclaves que cette industrie est possible, qu'elle peut coloniser la fameuse vie prétendument quotidienne (prétendument au sens où Wittgenstein parle des lois prétendument naturelles) de l'esclave. Elle consiste à occuper l'esclave le temps qu'il ne travaille pas. La pleureuse très bouffie Finkielkraut prétend que c'est l'industrie des loisirs qui empêche que les esclaves puissent accéder à la pensée. C'est seulement le fait que les esclaves sont des esclaves qui empêche qu'ils puissent accéder à la pensée et que l'industrie des loisirs est possible, facile et rentable. C'est seulement parce que les esclaves n'ont pas accès à la communication et à la reconnaissance qu'ils n'ont pas accès à la pensée. C'est parce qu'ils ne peuvent rien faire d'autre que dépenser leur salaire que l'industrie des loisirs est possible et a été tout spécialement conçue pour dépenser ce salaire (enfin ce qui n'est pas dépensé en pâtes Panzani et en huile Lesieur). Seuls parmi tous, que vouliez vous qu'ils fassent. L'industrie des loisirs est calquée sur la bassesse des esclaves (marketing oblige) ; ce n'est pas la bassesse de cette industrie florissante qui est la cause de la bassesse de l'esclave.
Il est parfaitement injustifié de prétendre que toute la vie (rien que ça) des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles et que tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. C'est seulement l'idéologie qui s'est éloignée dans une représentation. C'est seulement toute la prétendue vie présentée par l'industrie des loisirs qui parait comme une accumulation de spectacles. C'est seulement l'accumulation de spectacles qui parait comme une accumulation de spectacles et rien d'autre. Quant à tout ce qui était directement vécu, il a purement et simplement disparu. La vie telle qu'elle est, ou son absence, ne paraissent jamais. Personne ne sait ce qu'est toute la vie, ni ici, ni ailleurs. Là encore la remarque de Weber garde tout son sel. Quelques hommes ont conquis une gloire immense pour avoir tenté de dire ce qu'était toute la vie notamment, Stendhal, Balzac, Proust, Joyce, Céline. Un Debord n'en sait rien et surtout ne veut rien en savoir. Seule l'intéressait son érection (terme peu approprié pour cet ivrogne, boire ou bander, il faut choisir) en Debord l'Admirable, grand détecteur d'octosyllabes devant la postérité.
Seule l'industrie des loisirs s'annonce comme une immense accumulation de spectacles (qui sont aussi des marchandises ; mais le plutonium aussi est une marchandise). Et l'industrie des loisirs n'est pas le monde ni la société. C'est seulement dans l'industrie des loisirs, dans l'idéologie audiovisuelle, que "les images se sont détachées de chaque aspect de la vie" et non pas dans le monde et la société bien que l'industrie des loisirs soit une partie de ce monde et de cette société. Mais il est possible que l'industrie des loisirs, et seulement elle, "se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation", et tout d'abord parce qu'elle est industrie de spectacles, que ce qu'elle fait est fait pour être vu, qu'elle y emploie les moyens adéquats. "Le spectacle en général" (thèse 2) n'existe pas. N'existent que "ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissement" (thèse 6). Il ne peut donc être "inversion concrète de la vie, mouvement autonome du non-vivant". Encore moins "un rapport social entre des personnes médiatisé par des images", "le capital devenu image", bla bla bla. Mais en tant qu'industrie des loisirs, il peut très bien être "une vision du monde qui s'est objectivée" (thèse 5), c'est à dire une idéologie qui s'est objectivée [thèse d'Anders, mot pour mot, publiée en 1956]. Et à ce titre il ne peut être "le monde réellement inversé" mais seulement un monde illusoire qui prétend être le monde même (renversé ou non) mais qui ne l'est pas. Pendant ce temps, le vrai monde, c'est à dire le monde tel qu'il existe, et qui contient et produit ce monde illusoire, continue tranquillement dans l'indifférence générale. Cependant, ce monde illusoire qui bien que n'existant pas semble exister n'en n'est pas moins révélateur : il est un monde où la reconnaissance aurait lieu, il est mise en scène de la reconnaissance. Ainsi, en devenant spectacle l'idéologie change également de contenu. Aux sévères leçons de morale anglo-saxonnes et protestantes a succédé une célébration débridée de l'hédonisme. Là, il y a effectivement un changement qualitatif. On ne célèbre que ce que l'on n'a pas justement. L'idéologie de l'hédonisme c'est avant tout le spectacle d'un monde où la reconnaissance aurait lieu, c'est à dire tout le contraire du monde tel qu'il est si l'on en juge par le peu qu'on en voit. Mais la mise en scène de la reconnaissance n'est pas la reconnaissance, c'est seulement un spectacle assez dégoûtant. Pendant ce temps, le métro est bondé d'hédonistes, les autoroutes vomissent des hédonistes à pleins embouteillages et pleins gaz, les bureaux regorgent d'hédonistes et les syndicats de pédés défilent dans les rues pour exiger le droit au divorce.
Voilà donc à quoi s'emploie la canaille culturelle, médiatique et autre, elle s'emploie à la mise en scène de la reconnaissance et en tout premier lieu à la mise en scène de sa propre reconnaissance. L'activité de la canaille intellectuelle est l'idéologie vécue et militante. Et c'est pourquoi M. Lévy, bien que piètre metteur en scène, (c'est en quoi il est excellent, il ne cherche même pas à donner le change, contrairement à Debord) est parfaitement représentatif de ces gens, c'est en quelque sorte le secrétaire perpétuel de cette académie. C'est l'écrivain réduit à la pure opération d'écrire et donc totalement délivré de l'obligation d'écrire quelque chose. Né riche, ami de riches et puissants capitalistes, capitaliste lui-même, il n'a pas à se soucier, comme ses congénères pauvres, de l'or nécessaire mais seulement de la gloire des lauriers, comparable en cela, (et pas seulement en cela) au vicomte d'Arlincourt. (Telle Mme Barbie-Lévy, la vicomtesse entrait dans les librairies pour acheter les livres de son mari, celui-ci faisait faire simultanément plusieurs impressions de ses livres pour se targuer de rééditions rapides, il se ruinait en soupers où il invitait toute la presse de son époque etc. La vicomtesse était-elle aussi jolie que Mme Barbie-Lévy, baissait-elle sa petite culotte avec autant de grâce ? C'est la seule chose qui risque d'être différente et qui intéresserait fort Stendhal aujourd'hui.) De plus il est déjà reconnu par ses pairs de son vivant (contrairement au vicomte). Il est donc totalement libre de travailler à sa propre reconnaissance posthume. Il se coltine directement à la postérité sans se soucier d'accomplir la moindre œuvre ou le moindre exploit. Il ne prend même pas la peine de signer une pissotière comme le tout venant des artistes post-pédé. Il travaille la postérité à main nue. L'artiste spectaculaire travaille directement sur la reconnaissance (la femme de l'artiste est aussi très spectaculaire. Elle tient un rôle important dans l'idéologie faite spectacle. Effectivement, quand elle baisse avec grâce sa petite culotte dans le roman photo grandiose que son mari lui a consacré, on a bien une image du bonheur. Elle nous apprend d'autre part dans les colonnes du Monde que son mouillomètre déborde quand elle détecte une société du spectacle tandis que son mari fait du grand journalisme avec les cadavres des bougnoules algériens. Je sais d'ailleurs pourquoi il ne s'est pas rué sur les cadavres des Tutsis et des Hutus pourtant innombrables, c'est qu'il craignait que les nègres ne coupent ses arbres en représailles faute de pouvoir lui couper les couilles. Or la Mitidja est très peu boisée. Un bon négociant ne prend jamais de risques inconsidérés. M. Babette Lévy s'en va-t-en guerre avec son ami Vacherin très, très fripé. Après tout, c'est son monde, il en est l'un des propriétaires. Il en fait ce qu'il veut, avec ses amis, du moins, jusqu'à maintenant.) M. Lévy, comme Debord, est fou de reconnaissance comme d'autres sont fous de Dieu. C'est un militant infatigable de l'idéologie faite spectacle. C'est, comme Debord, un fanatique de la reconnaissance. L'art post-pédé, (c'est à dire l'art après l'affreux pédé albinos Warhol) ne se préoccupe que de la mise en scène de la reconnaissance. Dans l'idéologie devenue spectacle, tout est réduit à la pure opération.
En fait la seule véritable société spectaculaire fut la société stalinienne. Celle-ci ne fut qu'une réédition gigantesque et sanguinaire des mises en scènes Potemkine. La révolte sur le cuirassé Potemkine en 1905 ne fut donc qu'un sinistre présage. Tintin chez les soviet est un reportage véridique et clairvoyant, le Nord d'Hergé. Au contraire, malgré l'estime que j'ai pour Céline, je trouve son Mea culpa brouillon, incompréhensible et mensonger : où donc a-t-il vu Popu à l'œuvre en URSS ?
En résumé : la mise en scène n'est pas le secret de ce monde. C'est au contraire ce secret demeuré inviolé qui permet l'abondance et la facilité de la mise en scène, qui permet que l'idéologie devienne spectacle. Il y a plus de mise en scène (est-ce certain ?) et donc plus de metteurs en scène aujourd'hui que du temps de Balzac mais, c'est une simple question quantitative. Bien qu'abondante, la mise en scène n'est qu'un détail, une anecdote du monde. Ce qui fait que les esclaves obéissent est ailleurs. Ce qui nie la vie demeure secret. Serait-il connu que tout s'effondrerait. Et Debord n'a pas écrit une théorie du monde comme système général d'apparence, comme phénoménologie de l'esprit. J'ai pensé un moment que tel était son projet. Il n'en est rien. Il s'en souciait comme de sa chemise ou de la culotte qu'il baissa devant l'héritier Gallimard. La marchandise contient le négatif comme apparence, certes, mais elle n'est pas spectacle. La valeur est un échange effectué en pensée, mais cela n'est ni spectacle, ni mise en scène, c'est la réalité. D'ailleurs, personne ne le voit. C'est le familier qui n'est pas pour autant connu.
Comme je l'ai écrit à M-E Nabe, les journalistes pour une fois sont innocents (n'en déplaise à M. Lévy, l'écrivain abstrait) quand ils entendent le mot spectacle au sens de médiatique. Il n'y a pas d'autre sens. Debord n'a que ce qu'il mérite, il a choisi ses lecteurs. Il plaît furieusement aujourd'hui, à Paris, ce qui est fâcheux pour quelqu'un qui prétendit, avec quelle insistance (cf Cette mauvaise réputation) s'être appliqué à déplaire. Il donne raison à Buffon : il n'a que le style (faisandé) puisqu'il n'a pas la pensée. Si d'aventure, vous lisez son autopanégyrique vous apprendrez que dans l'âtre de sa maison de campagne "Plusieurs bûches brûlaient ensemble". Plusieurs ! Ensemble ! C'est extraordinaire. Quel grand homme. Il ne peut rien faire comme tout le monde. [Exclamation du général Lefèvre alors que son ancien camarade Bonaparte, devenu entre temps directeur ce qui jetait un certain froid dans leurs relations, disait qu'il mangeait les artichaut à la croque au sel. Anecdote rapporté par Paul-Louis Courier] Je suis certain qu'il mangeait les artichauts à la croque-au-sel, comme Bonaparte.
A nouveau je vous mets au défi de citer un seul passage de Debord qui définisse le spectacle dans un sens autre que celui de médiatique et qui ne soit pas une sottise comme ce monde qui se transforme en images ou cette économie se développant pour elle-même. Je vous mets au défi de m'indiquer un seul phénomène que l'on puisse nommer spectacle et qui soit autre chose que médiatique. Tout ce que vous avez trouvé à me répondre jusqu'ici, c'est que je sais, moi, ce qu'est le spectacle. Ce n'est pas de chance, je n'ai jamais su ce qu'était le spectacle contrairement aux perroquets qui répètent le mot ou à Debord qui prétendait le savoir (Debord et Lebovici prétendaient aussi savoir qui avait critiqué Marx !). Aujourd'hui je sais que, hors du sens médiatique, c'est un mot vide de sens, un de plus. Debord m'a aidé dans cette compréhension par sa conduite. Il me dit un jour que l'on pouvait toujours discuter et transiger sur la théorie mais jamais sur les actes. Oui en effet. J'applique à lui-même ses sages principes. Ceci dit, où avez vous jamais vu Debord, ou un seul de ses disciples, discuter de théorie ou de quoi que ce soit d'autre ? En avez-vous vu un seul penser ? En avez-vous vu un seul argumenter ? Ils sont tellement au dessus de ça.
L'élite mondiale utilise un noyau très serré des institutions financières et des méga-sociétés pour dominer la planète. Le but est le contrôle. Ils veulent nous asservir tous à la dette, ils veulent asservir tous nos gouvernements à la dette, ils veulent rendre nos politiciens accros aux énormes contributions financières qu'ils canalisent dans leurs campagnes. Puisque l'élite détient aussi toutes les grandes sociétés de médias, les grands médias ne nous informent jamais de ce secret.
L'élite mondiale domine également les organisations non élues, qui n'ont pas de compte à rendre, et qui contrôlent les finances de presque tous les pays de la planète.
Une organisation internationale extrêmement puissante, dont la plupart des gens n'ont jamais entendu parler, contrôle secrètement la masse monétaire du monde entier. Elle est appelée la Banque des règlements internationaux , et c'est la banque centrale des banques centrales. Il s'agit essentiellement d' une banque centrale non élue , qui n'a pas de compte à rendre au monde, qui bénéficie de l'immunité complète de la fiscalité et de la législation nationale. La Banque des règlements internationaux a été utilisé pour blanchir de l'argent pour les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, mais ces jours-ci le but principal de la BRI est de guider et de diriger le centre planifiée du système financier mondial.
Aujourd'hui, 58 banques centrales mondiales appartiennent à la BRI , et elle a beaucoup plus de pouvoir sur la façon dont l'économie américaine ( ou toute autre économie , d'ailleurs) se portera au cours de la prochaine année que n'importe quel politicien. Tous les deux mois , les banquiers centraux du monde entier se réunissent à Bâle pour une "Réunion sur l'économie mondiale ".
Au cours de ces réunions , des décisions sont prises qui affectent chaque homme, femme et enfant sur la planète, et pourtant, aucun d'entre nous n'a son mot à dire dans ce qui se passe . La Banque des Règlements Internationaux est une organisation qui a été fondée par l'élite mondiale, elle fonctionne pour le bénéfice de l'élite mondiale.
Nous avons un système de "néo - féodalisme " dans lequel chacun d'entre nous et nos gouvernements nationaux sont asservis à la dette. Ce système est régi par les banques centrales et la Banque des règlements internationaux, et il transfère systématiquement les richesses du monde de nos mains entre les mains de l'élite mondiale.
Mais la plupart des gens n'ont aucune idée de ce que tout cela se passe parce que l'élite mondiale contrôle aussi ce que nous voyons, entendons et pensons.
Le vaste enrichissement de cette couche sociale provient de la flambée des marchés boursiers, alimentée par "l'argent facile" et les opérations d'impression de la Réserve fédérale américaine et d'autres banques centrales. Ce processus s'intensifie. Ainsi, la semaine dernière, la Banque centrale européenne, répondant à une détérioration des conditions économiques en Europe, a abaissé son taux d'intérêt directeur de moitié, le faisant passer de 0,5 pour cent à 0,25 pour cent, insufflant ainsi une nouvelle vague de liquidités dans les marchés financiers.
Le lendemain de la publication du rapport de Wealth-X, Twitter, le service de réseautage social, a lancé son offre publique initiale, créant 1.600 millionnaires sur papier en une seule journée, alors que ses actions ont doublé en quelques heures selon le cabinet d'analyse financière PrivCo. Evan Williams, co-fondateur du site, a augmenté sa richesse dans le processus, la faisant passer de 1 milliard de dollars à 2,5 milliards de dollars. L'autre co-fondateur, Jack Dorsey, a fait 500 millions de dollars, ce qui porte maintenant sa fortune à 2 milliards de dollars.
En plus d'analyser la richesse des milliardaires du monde entier, le rapport documente les énormes sommes dépensées par ceux-ci en articles de luxe. Les milliardaires du monde entier possèdent pour environ 126 milliards de dollars en yachts, jets privés, oeuvres d'art, antiquités, articles de mode, bijoux et voitures de collection. Ce chiffre est supérieur au produit intérieur brut du Bangladesh, un pays de 150 millions de personnes.
Cet état de fait est le résultat inévitable du système capitaliste, qui traite la richesse des milliardaires du monde entier comme sacro-sainte, alors que les besoins de la population, tels que l'éducation, le logement et la santé, sont sujets à être sacrifiés.
http://www.wsws.org/fr/articles/2013/nov2013/rich-n14.shtml
Omar Aziz (affectueusement connu par ses amis comme Abu Kamal, ile à la frontière de l'Irak, à l'est de la Syrie) est né à Damas. Il revint en Syrie dès les tous premiers jours de la révolution syrienne après un exil en Arabie Saoudite et aux Etats-Unis. Intellectuel, économiste, anarchiste, mari et père, il s'engagea de lui-même dans la lutte révolutionnaire à l'âge de 63 ans. Il travailla avec des activistes locaux pour collecter l'aide humanitaire et la distribuer dans les banlieues de Damas attaquées par le régime. Au travers de ses écrits et de son activité, il fit la promotion de l'auto-gouvernance, l'organisation horizontale, la coopération, la solidarité et l'entraide mutuelle comme moyens par lesquels les gens s'émanciperaient eux-même de la tyrannie de l'Etat. Avec des camarades, Aziz fonda le premier comité local à Barzeh, Damas. Cet exemple se propagea dans toute la Syrie et avec lui, certains des plus récents et prometteurs exemples d'une auto-organisation non-hiérarchique à avoir émergé dans les régions du printemps arabe.
Aziz vit des exemples positifs tout autour de lui-même. Il était encouragé par les multiples initiatives qui surgissaient dans tout le pays, incluant la mise à disposition volontaire d'un soutien légal et médical d'urgence, transformant des maisons en hôpitaux de campagne et arrangeant des paniers de nourriture pour la distribution. Il vit dans de tels actions "l'esprit de la résistance du peuple Syrien à la brutalité du système, la destruction et le meurtre systématique de la communauté". La vision d'Omar était d'étendre ces pratiques et il croyait que la façon de le faire se trouvait dans l'établissement de conseils locaux. Pendant le huitième mois de la révolution syrienne, quand les protestations généralisées contre le régime étaient encore largement pacifiques, il produisit un document de réflexion sur les Conseils Locaux en Syrie où il exposa sa vision.
Selon les vues d'Aziz, le Conseil Local était l'assemblée par laquelle des gens issus de diverses cultures et différentes strates sociales pourraient travailler ensemble pour atteindre trois objectifs principaux : mener leur vie indépendamment des institutions et organes d'Etat, établir un espace qui permet la collaboration collective des individus et activer la révolution sociale aux niveaux local, régional et national.
Dans son papier Aziz liste ce qu'il pense comme préoccupations que les conseils locaux devraient avoir à cœur :
1. La promotion de la solidarité humaine et civile au travers de l'amélioration des conditions de vie en fournissant des hébergements sûrs pour les déplacés ; en fournissant une assistance autant psychologique que matérielle pour les familles des blessés et des détenus ; en fournissant un soutien médical et alimentaire ; en assurant la continuité des services d'éducation ; en supportant et en coordonnant l'activité des médias. Aziz note que de telles actions devraient être volontaires et ne devraient pas se substituer aux réseaux familiaux et amicaux. Il pensait que cela prendrait du temps pour que les gens se sentent confortables en dehors des services fournis par l'Etat et qu'ils ajustent leurs comportements sociaux afin d'être plus coopérants. Aziz pensait que le rôle des conseils devrait être maintenu à un minimum autorisant le développement d'initiatives par une communauté unique.
2. L'encouragement d'une coopération incluant la construction d'initiatives et actions communes locales qui promeuvent l'innovation et l'invention, dont Aziz a vu qu'elles étaient étouffées par un demi-siècle de tyrannie. Le conseil local devrait être le forum qui permet aux gens de discuter des problèmes auxquels ils ont à faire face dans la vie avec leurs conditions quotidiennes. Le conseil local devrait soutenir la collaboration et permettre aux gens de concevoir des solutions appropriées aux problèmes auxquels ils font face, incluant les questions relatives aux infrastructures, l'harmonie sociale et le commerce, aussi bien que les questions qui requièrent des solutions externes à la communauté locale. Aziz a aussi vu un rôle clé dans la défense du territoire des zones rurales et urbaines qui ont été sujettes à des expropriations et acquisitions par l'Etat. Il rejeta l'expropriation urbaine de la terre entrainant la marginalisation et le déplacement des communautés rurales, dont il a vu que c'était une méthode utilisée par le régime pour renforcer sa politique de domination et d'exclusion sociale. Aziz croyait qu'il était nécessaire d'assurer un accès à la terre qui peut satisfaire les nécessités de la vie pour tout le monde et appela à une redécouverte des communes. Il était réaliste mais optimiste. Il avait noté, "c'est clair que de telles actions s'appliquent à des lieux sûrs ou à des zones quasi-libérées du pouvoir. Mais il est possible d'évaluer la situation de chaque zone et de déterminer ce qui peut être accompli". Aziz prônait la réalisation de liens horizontaux entre conseils pour créer des liens et une interdépendance entre les différentes régions géographiques.
3. Des liens avec l'Armée Syrienne Libre (ASL) et des relations réciproques entre la continuité de la révolution et la défense, protection de la communauté. Aziz pensait qu'il était essentiel de coordonner la résistance populaire civile et la résistance populaire armée. Il voyait le rôle de l'ASL comme étant d'assurer la sécurité et la défense de la communauté, particulièrement pendant les manifestations, de soutenir des lignes sécurisées de communication entre les régions et de fournir une protection de la mobilité du peuple avec des approvisionnements logistiques. Le rôle du conseil serait de fournir de la nourriture et de l'hébergement pour tous les membre de l'ASL et de se coordonner avec elle pour la sécurité de la communauté et la défense stratégique de la région.
4. La composition des conseils locaux et de la structure organisationnelle. Aziz avait vu plusieurs défis à la formation de multiples conseils locaux. Le premier était le régime, qui prenait régulièrement d'assaut les cités et villes de façon à paralyser le mouvement, isoler les gens dans des enclaves et empêcher la coopération. Aziz soutenait que pour répondre à de telles assauts de l'Etat, les mécanismes de défense devaient rester flexibles et innovants. Les conseils devraient s'accroître ou se réduire en fonction des besoins et s'adapter aux relations de pouvoir sur le terrain. Il pensait que cette flexibilité était essentielle pour la réalisation du désir de liberté de la communauté. Il avait aussi vu ce défi consistant à encourager les gens à pratiquer un mode de vie nouveau et peu familier. De plus, le service d'approvisionnement devait être maintenu et il était nécessaire de trouver une source indépendante d'énergie faisant face aux coupures aussi bien que pour soutenir le développement des activités sociales et économiques. Pour cette raison il pensait que les conseils locaux devaient inclure des travailleurs sociaux et des gens avec des expertises sur des champs variés, sociaux, organisationnels et techniques, qui sont respectés et qui ont le désire de travailler volontairement. Pour Aziz, la structure organisationnelle du conseil local est un processus qui commence avec le minimum requis et qui évolue en fonction du niveau de transformation accompli par la révolution, l'équilibre du pouvoir dans une région donnée et les relations avec les régions voisines. Il encourageait le conseil local à partager le savoir, à apprendre de l'expérience des autres conseils et à se coordonner régionalement.
L'organisation révolutionnaire s'est principalement formée autour du développement du tansiqiyyat, des centaines de comités locaux établis dans les quartiers et villes dans tout le pays. Ici, les activistes révolutionnaires sont engagés dans des activités multiples, de la documentation et rapports sur les violations perpétrées par le régime (et de plus en plus souvent par des éléments de l'opposition) jusqu'à l'organisation des manifestations et des campagnes de désobéissance civile (comme des grèves et des refus de paiement des factures) et la collecte de l'aide humanitaire et sa distribution à des zones sous bombardement ou assiégées. Il n'y a pas un seul modèle mais ils opèrent souvent de façon horizontalement organisée, des groupes sans leaders, composés de tous les segments de la société. Ils ont été les fondations du mouvement révolutionnaire en créant la solidarité entre les gens, un sens de la communauté et de l'action collective.
Les jeunes activistes de Kafranbel gardent le mouvement de protestation populaire vivant et ont gagné une notoriété mondiale avec leur utilisation de bannières satiriques et colorées dans les manifestations hebdomadaires (voir http://www.youtube.com/watch?v=nJNR6WIh7tQ). Ils sont aussi engagés dans des activités civiles comme de fournir un soutien psychologique aux enfants et des forums pour adultes afin de discuter des questions comme la désobéissance civile et la résistance pacifique.
Dans la ville et au niveau des quartiers, des conseils révolutionnaires ou majlis thawar ont été établis. Ils constitue souvent la structure administrative civile principale dans les zones libérées de l'Etat, aussi bien que dans des zones qui restent sous le contrôle de l'Etat. [pour un rapport sur les Conseils Locaux voir dans Gayath Naisse (Self organization in the Syrian people's révolution)Ceux-ci assurent la mise à disposition de services basiques, coordonnent les activités des comités locaux et se coordonnent avec la résistance populaire armée. Indubitablement, comme les services étatiques ont disparus et la situation humanitaire s'est détériorée, ils ont joué un rôle vital en augmentation. Il n'y a pas un modèle unique pour les Conseils Locaux, mais ils suivent principalement une forme de modèle de démocratie représentative. Certains ont établi différents départements administratifs pour prendre en charge des fonctions auparavant portées par l'Etat. Certains ont y compris eu plus de succès que d'autres qui ont lutté pour déplacer la bureaucratie du vieux régime ou qui ont été assaillis par des querelles intestines.
Omar Aziz n'a pas vécu pour voir les défis qui semblent souvent insurmontables et qui assaillissent les révolutionnaires de Syrie, ou les succès et échecs des expérimentations d'auto-organisation locales. Le 20 novembre 2012, il fut arrêté chez lui par le mukhabarat (le plus craint des services secrets). Peu avant son arrestation il déclara "Nous ne sommes pas moins que les travailleurs de la Commune de Paris : ils ont résistés pendant 70 jours et nous nous continuons encore après un an et demi." [Via @Darth Nader] Aziz fut gardé dans une cellule de détention des services secrets de 4 mètres par 4 qu'il avait partagé avec 85 autres personnes. Cela contribua probablement à la détérioration de sa santé déjà fragile. Il fut transféré plus tard à la prison Adra où il mourut de complications cardiaques en février 2013, un jour avant son 64ème anniversaire.
Le nom d'Omar Aziz ne sera jamais très connu, mais il mérite de la reconnaissance comme une figure contemporaine de premier plan dans le développement d'une pensée et d'une pratique anarchiste. Les expérimentations dans l'organisation révolutionnaire de base qu'il a inspirées fournissent une sagacité et des leçons dans l'organisation anarchiste pour les futures révolutions à travers le globe.
Le 17 Février 2013, les Comités locaux de coordination de la révolution syrienne ont rapporté que Omar Aziz, éminent intellectuel syrien, économiste, et de longue date dissident anarchiste, est mort d'une crise cardiaque à la prison centrale d'Adra. Détenu au secret par le renseignement de la Force aérienne depuis le 20 Novembre 2012, le grand et - même malade - chaleureux coeur d'Omar Aziz ne pouvait pas supporter près de trois mois de détention dans les cachots infâmes du régime Assad. Les rapports de son décès sont apparus sur le deuxième anniversaire de la manifestation du marché Hariqa , lorsque 1.500 Syriens se sont engagés pour la première fois de ne pas être humilié en plein cœur du Vieux Damas. Aziz laisse derrière lui un riche héritage important de contributions révolutionnaires intellectuelles, sociales et politiques ainsi qu'une révolution inachevée et un pays ayant un besoin désespéré de gens comme lui.
Omar Aziz ne portait pas de masque de vendetta, et il n'a pas formé des groupes de Black Block. Il n'était pas obsédé par le fait de donner des interviews à la presse, et il n'a pas fait les gros titres des médias lors de son arrestation.
La vision de Omar Aziz du conseil local a été fondée sur la prémisse que les révolutions sont des événements exceptionnels où les êtres humains vivent dans deux fuseaux horaires parallèles: le temps de l'autorité et le temps de la révolution.Pour la révolution afin de sortir victorieux, il faut se libérer de la domination des autorités et s'impliquer dans tous les aspects de la vie des gens, et pas seulement dans des manifestations et de l'activisme politique.
Aziz espérait que les conseils locaux deviendraient une alternative à l'Etat, mais il savait que leur formation dans les zones de sécurité très strictes serait plus difficile. Il a également prédit que cela prendrait du temps et des efforts pour convaincre les gens qu'ils peuvent se gouverner et de gérer leurs affaires de manière indépendante de l'État et sa bureaucratie. Aziz estimait que les conseils devraient s'employer à donner aux gens un espace d'expression collective, où chaque individu peut être impliqué politiquement dans le processus décisionnel. Pour que cela fonctionne, un réseau de solidarité et d'entraide entre les conseils locaux dans différents domaines doit être formé. En outre, le soutien logistique, matériel et psychologique pour les personnes déplacées et les familles des détenus devrait être de la responsabilité des conseils locaux, avec le soutien financier de l'opposition politique syrienne en exil.
1. Un rapport sur les conseils locaux
2. Le conseil local d'un village frontalier
3. Un rêve démocratique s'est réalisé à Deir Ezzor
Sous les bombardements, l'opposition organise des élections locales dans les zones " libérées " de la ville lors d'un scrutin qui est une première depuis 40 ans.
Dans les galeries du vieux marché de la ville de Deir Ezzor, qui est la proie quotidienne des tirs de mortier et le théâtre d'affrontements violents, un pro-ces-sus électoral " libre a été organisé pour la première fois depuis quarante ans ", comme le dépeint Khadr, un membre du conseil local de l'opposition qui a été élu dimanche par les habitants des zones " libérées ".
Khadr a remporté l'un des cinq sièges au " conseil local " de Deir Ezzor. Des opposants, parmi eux des combattants, ont décidé de créer de tels conseils qui administrent les affaires des populations dans les zones évacuées par les forces du régime et désertées par le pouvoir. Le nouveau responsable élu a dit : " c'est un jour historique pour tous les habitants de Deir Ezzor, Ils se sentent libres d'élire la personne qu'ils estiment capable de les aider. "
Dans les quartiers qui échappent au contrôle des forces régulières à l'est du pays, des pancartes appellent les gens à voter et des tracts sont distribués dans les zones commerciales.
C'est dans le quartier de Cheikh Yassine, sous terre, que des dizaines d'électeurs, à l'abri de la pluie intense et des obus, vérifient les listes de candidats. Oum Chadi, 56 ans, dit qu'elle vote pour la première fois de sa vie et ajoute : " je veux voter pour dire à Bachar que tout ce que nous demandions au début, c'est cette liberté des élections, la participation à la décision dans notre pays ". Son fils a été tué il y a six mois, alors qu'il se battait contre les troupes régulières (...)
Abdelhamid, un ancien ingénieur qui a supervisé le processus électoral, indique que "les gens sont venus malgré les bombardements, pour soutenir la révolution (...) c'est une façon pour eux d'affronter le régime sans avoir recours aux armes."
Aujourd'hui, près de 200 000 personnes vivent à Deir Ezzor, d'après les militants, sachant que la population s'élevait à plus de 750 000, dont beaucoup ont fui les violences. Un résident déclare sous le couvert de l'anonymat : " dans le passé, les élections étaient organisées pour montrer la démocratie syrienne au monde, alors que les gagnants appartenaient tous au parti Baath " qui gouverne la Syrie depuis un demi-siècle.
Abdulmajid, 75 ans, qui met son bulletin de vote dans l'urne sous les applaudissements : " la famille Assad gouverne depuis quarante ans, le temps du changement est arrivé " ; et de rappeler qu'elle " n'est pas parvenue au pouvoir de façon démocratique ", en référence au coup d'Etat qui a porté l'ancien président Hafez Al Assad, père de l'actuel président, au pouvoir en 1970, alors que le régime syrien " veut convaincre le monde que notre soulèvement est illégitime. Nous réclamons seulement ce qu'on nous a volé " ; et il poursuit : " la démocratie reviendra en Syrie. "
Un autre électeur, Ahmad Mohammad, souligne que les Syriens " veulent un état démocratique, pas un Etat islamique. Nous rêvons d'un Etat laïc gouverné par des civils, pas par des mollahs. "
L'armée syrienne libre a interdit à ses membres de participer au scrutin. Pour le commandant du bataillon de combat dans la ville, " c'est une occasion d'écouter les voix des civils. Nous travaillons à combattre le régime " (...)
Source : http://middle-east-online.com/id=150017
4. Le conseil local de la commune de Maadan
5. Le congrès général constituant du conseil local du gouvernorat de Raqqa
Bureau de l'information de Tell Abiad libre, le 16 février 2013.
Courant de la gauche révolutionnaire
Appel à la solidarité avec les révolutionnaires syriens
Traduction française par Manuel Sanchaise.
Au moment où les USA poussent à une intervention militaire en Syrie, les récits disponibles oscillent pratiquement entre la brutalité du régime de Bashar el Assad et le rôle des éléments islamistes au sein de la résistance. De plus, là où la position des USA apparaît contestée, cela repose en grande partie sur cette contradiction de soutenir des entités liées à Al Qaeda et cherchant à renverser le régime, comme si elles représentaient la seule force opposante à la dictature existante. Mais comme l'a écrit récemment Jay Casano dans le magasine technique Fast Company, le réseau de la résistance non-armée et démocratique au régime d'Assad est riche et varié, représentant un vaste web d'initiatives politiques locales, associations artistiques, organisations de droits humains, groupes non-violents et plus. (Le Mouvement Syrien de la Non-violence a créé une carte interactive en ligne pour montrer ce réseau aux connections complexes)
Par ailleurs, les écrits et dépêches d'anarchistes Syriens ont eu énormément d'influence dans d'autres luttes Arabes, avec des anarchistes torturés à mort dans les prisons d'Assad et commémorés dans des textes palestiniens ou des manifestations en faveur de prisonniers politiques détenus en Israël. Deux caractéristiques principales de ces expressions demandent une attention particulière : la façon dont les anarchistes organisent dans le monde arabe de plus en plus de critiques et d'interventions pour démonter les contradictions qui justifient la politique étrangère des USA et comment les conversations en cours dans le monde Arabe entre mouvements anti-autoritaires sont évitées et restent sans relais dans les médias de référence occidentaux et grand-public. Que l'insistance des anarchistes Syriens sur l'auto-organisation comme principe central d'organisation puisse résister à la réalité immédiate de la violence ou à l'influence des intérêts étranger reste une question ouverte.
Nasser Attassi est un chercheur et écrivain politique originaire de Homs, vivant actuellement entre les États-Unis et Beyrouth. Il tient le blog Darth Nader, réfléchissant sur les événements de la révolution Syrienne. J'ai discuté avec lui de ses caractères anarchistes et de la perspective d'une intervention américaine.
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Joshua Stephens pour Truthout :
Les anarchistes Syriens ont écrit et été actifs dans la révolution syrienne depuis le début. As-tu une idée du genre d'activités qui se déroulaient auparavant ? Y avait-il des lignes d'influence qui ont généré une articulation syrienne pour l'anarchisme ?
Tu as récemment écrit dans ton blog au sujet d'une possible intervention des USA comme étant corollaire aux interventions russes et iraniennes du côté d'Assad et à l'intervention Islamiste dans les mouvements révolutionnaires. Tout comme avec l'Égypte récemment, les anarchistes paraissent être une sorte de signature vocale contre deux pôles insatisfaisants de la couverture dominante - une voix préoccupée par l'auto-détermination. Est-ce juste comme compréhension ?
Quand j'ai interviewé Mohamed Bamyeh cette année, il a parlé de la Syrie comme d'un exemple très intéressant où l'anarchisme est une méthodologie de conduite sur le terrain. Il a souligné que quand on entend parler d'organisation dans la révolution syrienne, il s'agit de comités et de formes qui sont relativement horizontales et autonomes. Sa suggestion semble corroborée par ce que des gens comme Buddour Hassan ont mis en lumière, en documentant la vie et le travail de Omar Aziz. Vois-tu cette influence dans ce que tes camarades font et rapportent ?
Cela revient à ce que l'anarchisme devrait être vu comme un ensemble de pratiques plutôt que comme une idéologie.dans la révolution syrienne, une grande partie de l'organisation a eut une approche anarchiste, même si cela n'est pas explicite. Il y a le travail du martyr Omar Aziz qui a contribué à l'émergence des conseils locaux, que Tahrir-ICN et Buddour Hassan ont très bien documenté. Essentiellement, ces conseils furent conçus par Aziz comme des organisations où l'auto-gouvernance et l'aide mutuelle pourraient fleurir. Je crois que la vision d'Omar à insufflé une vie à la façon d'opérer de ces conseils. Il faut également noter que les conseils ont mis court à l'auto-gouvernance, optant plutôt pour l'effort de l'aide et à se focaliser sur les médias Mais ils agissent encore en se basant sur des principes d'aide mutuelle, coopération et consensus.
La ville de Yabroud, à mi chemin entre Damas et Homs, est un standard de l'insurrection syrienne. C'est aussi un modèle de coexistence confessionnel, avec une population chrétienne importante vivant en ville. Yabroud est devenu un modèle de l'autonomie et de l'auto-gouvernance en Syrie. Après que les forces de sécurité se soient retirées pour qu'Assad les concentre ailleurs, les résidents ont comblé le vide, déclarant " nous organisons maintenant tous les aspects de la vie de la cité par nous-même [sic]. De la décoration de la cité au nouveau nom de l'école " École de la Liberté ", Yabroud est certainement ce que beaucoup de Syriens, y compris moi-même, espèrent que soit la vie après qu'Assad soit parti. D'autres zones contrôlées par des djihadistes réactionnaires dépeignent une possible et sombre image du futur, mais il est cependant important de reconnaître qu'il y a des alternatives. Il y a aussi un réseau hardcore d'activistes situé dans tout le pays, mais surtout à Damas, appelé " Jeunesse Révolutionnaire Syrienne ". Ils sont une organisation secrète. Ils mènent des manifestations extrêmement audacieuses, très souvent en plein centre du Damas contrôlé par le régime, avec des masques et portant des drapeaux de la révolution syrienne, souvent accompagnés de drapeaux kurdes (un autre tabou en Syrie).
Dans la ville de Darayya en banlieue de Damas, où le régime à mené une bataille féroce depuis qu'elle est tombée aux mains des rebelles en novembre 2012, des résidents ont décidé de se mettre ensemble et de créer un journal au sein même du combat, appelé Enab Baladi (signifiant Raisin Local, car Darayya est connue pour son raisin). Leur journal se concentre sur ce qui se passe à Darayya et sur ce qui se passe dans le reste de la Syrie. Il est imprimé et distribué gratuitement dans toute la ville. Les principes d'auto-gouvernance, autonomie, aide mutuelle sont présents dans beaucoup d'organisations de l'insurrection. Les organisations qui agissent suivant ces principes ne constituent évidemment pas la totalité du soulèvement. Il y a des éléments réactionnaires, des éléments sectaires, des éléments impérialistes. Mais nous en avons beaucoup entendu parlé, n'est ce pas ? Il y a du monde qui fait un grand travail basé sur des principes solides et qui mérite notre soutien.
Comment pensez-vous que l'intervention des USA affectera en fin de compte la composition et la dynamique de la révolution ?
Que peuvent faire les gens en dehors de la Syrie pour apporter du soutien ?
Pour les gens en dehors, c'est difficile. En terme de soutien matériel, il y a très peu de choses qui peuvent être faites. Je pense que la seule chose qui peut être faite à grande échelle, c'est un soutien discursif/intellectuel. La gauche a été très hostile à l'insurrection syrienne, traitant les pires éléments de l'activité anti-régime comme s'ils étaient les seuls de celle-ci et acceptant les récits du régime pour argent comptant. Ce que je demande aux gens de faire, c'est de remettre les pendules à l'heure et de montrer qu'il y a des éléments de l'insurrection syrienne qui méritent d'être défendus. Aider à casser cette binarité nuisible entre Assad contre Al Qaeda, ou Assad contre l'impérialisme US. Être juste avec l'histoire et les sacrifices du peuple syrien en donnant un compte-rendu précis...
A prendre connaissance du dernier " Temps qu'il fait " et de l'état des lieux qu'il révèle, comment ne pas être saisi autant par la gravité de la situation que par l'ampleur du pari fait sur ce qui n'a peut-être pas commencé mais qui serait pourtant en train de s'inventer ici, là, maintenant, ailleurs, en dehors des chemins balisés, que ce soit dans la solitude d'une adolescence ou à travers la solidarité informelle et néanmoins de plus en plus réelle de ceux qui refusent ce monde ?
De cette certitude que tout se tient, dépend, en effet, l'acuité du regard mais aussi la détermination à ne pas accepter l'inacceptable. Et ne le verrait-on pas à cause de la complexité de nos sociétés à laquelle il est justement fait allusion, oui, il y a un rapport entre l'affaire de l'extradition de Julian Assange et la fusillade de New York. Comme ce n'est pas sans lien avec le rapport qu'il y a entre le massacre des mineurs d'Afrique du Sud et les questions de régulateurs qui inquiètent aujourd'hui la banque Standard Chartered. Mais comme il y a aussi un rapport de tout cela avec la révolte et la condamnation des Pussy Riot aujourd'hui en Russie. Où qu'on se tourne, voilà que l'inacceptable commence à être perçu comme tel mais pas par les mêmes et pas de la même façon.
Ainsi, que ces trois filles, belles de leur insolence, aient eu le courage de s'en prendre, en toute connaissance de cause, au pouvoir et à l'église russes réunies aura été un feu de joie dans la grisaille de cet hiver 2012. Il faut voir la vidéo de leur intervention du 21 février dernier dans la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur " haut lieu du renouveau orthodoxe en Russie ", où, après leur prière à la vierge Marie pour " chasser Poutine ", l'honneur du mâle en question se trouve d'abord défendu, avant l'arrivée de la police, par des sortes de sœurs converses, complètement affolées devant quatre jeunes diables déchaînés, en cagoules et collants bariolés. Et il me paraît très significatif que, contrairement à un certain nombre de jeunes gens et vraisemblablement au nom d'un sérieux politique décontenancé par un mélange d'humour et de radicalité, on n'aura pas mesuré l'enjeu de cette affaire, à savoir, comme le souligne un de leurs amis, l'artiste Oleg Koulik, que ces filles se retrouvent en prison, " parce que le pouvoir ne peut pas admettre qu'on critique l'Église, la seule institution qui, dans le cas d'une révolution, se lèvera pour sa défense ".
Pareillement, il ne me paraît pas indifférent que ces jeunes féministes, comme j'avais rêvé qu'on le fût il y a trente cinq ans, ont été condamnées à deux ans de camp par une juge. Comme il n'est pas indifférent qu'au même moment elles étaient soutenues par une splendide fille qui, torse nu et en signe de solidarité, aura abattu une croix à la tronçonneuse en quelques minutes. Comme il est encore moins indifférent qu'elles aient purement et simplement rigolé, à la lecture des attendus de leur condamnation.
En fait, féministes, écologistes, militantes de la cause homosexuelle, liées à des collectifs d'artistes contestataires..., si Nadejda Tolokonnikova, Ekaterina Samoutsevitch et Maria Alekhina sont coupables, c'est d'être RÉVOLTÉES, moins en tant qu'artistes qu'à vouloir, semble-t-il, " changer la vie ", vraiment. Et c'est peut-être cela qui est ici difficile à imaginer, quand la plupart de nos artistes, champions de la subversion subventionnée se livrent à tous les détournements et recyclages possibles, pour en fin de compte chacun trouver sa place dans l'entreprise de neutralisation en cours. À l'inverse, on ne peut qu'être impressionné par la façon dont ces Pussy riot se seront réappropriées l'insurrection Punk, pour lui redonner la charge de révolte dont le marché du disque des années soixante-dix avait su immédiatement la dépouiller.
Et c'est sans doute pourquoi, après les avoir accusées d'" hooliganisme ", on les aura finalement convaincues de " vandalisme " et d'" incitation à la haine religieuse ", pour dépolitiser un propos qui ne se laisse pas réduire à telle ou telle idéologie. Dans ces cas-là, l'aberration des chefs d'accusation est toujours proportionnelle à l'inquiétude suscitée : il n'y a pas loin de " l'hooliganisme " au " cosmopolitisme " et le flou de la formulation cache toujours une partie de la " bête immonde. " De toute façon, la résonance internationale du procès est un signe. Quelque chose de cette révolte demande à être entendu.
Peu importe que telle ou telle vedette médiatique se retrouve à soutenir ces jeunes femmes. Pour ma part, je ne peux que m'en réjouir, au moment où le processus de domestication généralisée s'accélère, à voir les grands moyens adoptés pour réinjecter, par exemple à l'occasion des Jeux Olympiques, les valeurs d'asservissement que sont la famille, la patrie et la religion, celles-ci bien sûr présentées sous de nouveaux emballages.
Ce sont là autant de signes contradictoires que non seulement les structures de ce monde sont en train de lâcher mais aussi que peu à peu les choses finissent par apparaître à leur scandaleuse lumière, pour provoquer, comme en pointillé, ici, là, le refus de continuer à participer de ce jeu-là.
J'ai dit ailleurs que si la servitude est contagieuse, la liberté l'est aussi. Nous en sommes à ce point d'équilibre instable, où tout peut basculer d'un côté ou de l'autre. D'où l'importance de repérer tous les signes et nous ne serons jamais trop pour tenter de discerner ce qui advient. C'est pourquoi il me déplairait qu'on fasse fi de l'insaisissable jeunesse de cette révolte venant de l'Est. Pensez aux Provos, pensez aux Hippies, aux " aventuristes* " de 68... il y aura toujours l'insolente beauté de ce qui commence. Aussi, quand bien même " en matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d'ancêtres ", il se pourrait que tout débute avec le " retour du refoulé ", mais ailleurs et autrement. Comme si chaque insurrection était riche de tous les rêves précédents encore à venir, c'est-à-dire comme si, à chaque fois, il s'agissait de jouer le Grand Jeu.
Il faut peut-être le savoir pour commencer à voir.
Le 30 mai 1968 tous les vieillards de 70 à 18 ans se sont donné la main, et ce fut non seulement ridicule, comme on l'avait prévu, mais aussi terrifiant comme des milliers de couvents, de casernes, de prisons en marche, arborant dans la respectabilité de leurs limites la scandaleuse violence d'un monde de la ségrégation, du sauve-qui-peut de la ruse et de la lâcheté. On assista à la riposte imbécile, peureuse et soi-disant pacifique d'une société qui venait de recevoir en plein visage la plus belle gifle qu'on ait vue ces derniers temps : celle d'un enfant à son père endormi après un trop bon repas.
AVANT QU'IL NE SOIT TROP TARD, des milliers de jeunes gens ont quitté un monde, claquant les portes derrière eux, allumant le plus grand nombre de brasiers pour répondre enfin aux injures sans merci faites à la spontanéité, à l'unique de chaque individu, suivant la formule bien connue "Il faut battre le fer quand il est chaud." Vous aviez oublié, Messieurs, l'incandescence du fer rouge, trop pressés de le replonger dans les eaux glaciales du temps qui passe, du monde comme il va. Mors ne vous étonnez plus de la violence de ces derniers jours, ne vous étonnez plus de l'apparente disproportion entre la cause et l'effet. L'éclat de certains regards, la couleur de certaines nuits vous ont échappé, vous échapperont toujours. C'est dans cette frange d'indétermination de toute vie quotidienne que la violence nécessaire a puisé son énergie, c'est grâce à cette puissance de refus qui répond à tous vos interdits que l'on a pris la force d'écrire REELLEMENT sur les pages enfin neuves des rues, ne fût-ce que pour un instant : En mai, fais ce qu'il te plaît. Une traînée de poudre que vous avez nommée dans votre vocabulaire usé indifféremment folie, frénésie, délire, embrasa l'anonymat du nombre. Et le nombre se mit à vivre, à détruire, individu par individu, le mythe de son inertie abstraite. Vos chiens de garde, sociologues, psychiatres, professeurs, politiciens (pendant que vous lâchiez vos meutes spécialisées pour une sinistre chasse à l'adolescent) s'interrogèrent fébrilement sur la disparité d'âge, de classe de ceux qui prirent la rue : les blousons noirs, les ouvriers, les étudiants, les filles outrageusement fardées descendues des Portes avec autour de la taille des chaînes qui n'avaient plus rien à voir avec les garde-fous, répondirent à un INCONTRÔLABLE (puisque le mot est actuel non sans raison) VIVE QUI VEUT, avec tous les risques que cela suppose, avec l'extrême violence de l'affirmation du désir muselé par le coude à coude des panses de cinquante millions de Français bien français, paralysé par toutes les mains jointes du monde en prière, enfin savamment réprimé par les morales pseudo-socialistes qui appartiennent à la même famille.
Le vent échappa à la spéculation météorologique des week-ends, pour servir une immense respiration collective. Je ne parle ni d'une fraternisation dérisoire de type boyscout toujours prêt à faire comme les autres, ni d'une solidarité de la peur bassement humaine de genre humaniste. Il ne s'agissait pas, mais pas du tout, de donner à voir, mais d'inviter à vivre. Pour la première fois depuis longtemps dans les rues les gens étaient beaux, parce que passionnés. On parla d'un débordement des organisations politiques parce que pour la première fois, on ne parlait plus raison mais passion. La misère des rapports humains qui assure votre lamentable sécurité était soudain débusquée. Le bruit courut que tout était possible, parce que des milliers d'hommes n'étaient plus séparés les uns des autres, mais surtout parce que chacun n'était plus séparé de lui-même. La spontanéité allant et venant du jeu passionné à l'extrême sérieux, de l'humour 'e plus libre au risque de mort, alors les forces répressives passèrent hors de chacun. L'irrationnel échappé de ses chasses gardées, la poésie, la peinture, l'art... dépouillé par la spontanéité collective de son déguisement de rigueur, reconnu ici ou là par vous de temps en temps, et sans risques, comme génial, réduisit à rien la distance habituellement payante entre le signifiant et 1e signifié, sabota le réseau de contre-espionnage de l'individualisme bourgeois.
Dans un document publié à la fin du mois de mai, le géant des banques d'investissement américain JPMorgan Chase réclame l'abrogation des constitutions démocratiques bourgeoises établies après la Seconde Guerre mondiale dans une série de pays européens et la mise en place de régimes autoritaires.
Le document de 16 pages a été réalisé par le groupe Europe Economic Research de JPMorgan et est intitulé " L'ajustement de la zone euro - bilan à mi-parcours. " Le document commence par faire remarquer que la crise de la zone euro a deux dimensions.
Pour commencer, il affirme que des mesures financières sont nécessaires pour garantir que les principales institutions d'investissement comme JPMorgan puissent continuer à engranger d'énormes bénéfices de leurs activités spéculatives en Europe. Ensuite, les auteurs soutiennent qu'il est nécessaire d'imposer des " réformes politiques " destinées à supprimer l'opposition aux mesures d'austérité massivement impopulaires qui sont appliquées au nom des banques.
Le rapport exprime sa satisfaction vis à vis de l'application par l'Union européenne d'un certain nombre de mécanismes financiers visant à garantir les intérêts bancaires. A cet égard, l'étude souligne que la réforme de la zone euro en est pratiquement à mi-chemin. Mais le rapport réclame aussi davantage d'action de la part de la Banque centrale européenne (BCE).
Depuis l'éruption de la crise financière mondiale de 2008, la BCE débloque des milliers de milliards d'euros en faveur des banques pour leur permettre d'effacer leurs créances douteuses et de redémarrer une nouvelle série de spéculations. En dépit d'une pression grandissante venant des marchés financiers, le chef de la BCE, Mario Draghi a déclaré l'été dernier qu'il ferait le nécessaire pour consolider les banques.
En ce qui concerne les analystes de JPMorgan, ceci n'est cependant pas suffisant. Ils exigent de la part de la BCE une " réponse plus spectaculaire " à la crise.
Les critiques les plus dures du document sont cependant formulées à l'égard des gouvernements nationaux qui ont mis bien trop de temps à appliquer le genre de mesures autoritaires nécessaires à l'imposition de l'austérité. Le processus d'une telle " réforme politique " précise l'étude, a " même à peine commencé. "
Vers la fin du document, les auteurs expliquent ce qu'ils entendent par " réforme politique. " Ils écrivent : " Au début de la crise l'on avait pensé que ces problèmes nationaux hérités du passé étaient en grande partie d'ordre économique, " mais " il est devenu manifeste qu'il y a des problèmes politiques profondément enracinés dans la périphérie qui, à notre avis, doivent être changés si l'Union monétaire européenne (UME) est censée fonctionner à long terme. "
Le document détaille ensuite les problèmes existant dans les systèmes politiques des pays de la périphérie de l'Union européenne - la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Italie - qui sont au centre de la crise de l'endettement en Europe.
Les auteurs écrivent: " Les systèmes politiques de la périphérie ont été établis après une dictature et ont été définis par cette expérience-là. Les constitutions ont tendance à montrer une forte influence socialiste, reflétant la force politique que les partis de gauche ont acquise après la défaite du fascisme. "
" Les systèmes politiques autour de la périphérie affichent de manière typique les caractéristiques suivantes : des dirigeants faibles ; des Etats centraux faibles par rapport aux régions ; une protection constitutionnelle des droits des travailleurs ; des systèmes recherchant le consensus et qui encouragent le clientélisme politique ; et le droit de protester si des modifications peu appréciées sont apportées au statu quo politique. Les lacunes de cet héritage politique ont été révélées par la crise. " Quelles que soient les inexactitudes historiques contenues dans leur analyse, il ne peut y avoir l'ombre d'un doute que les auteurs du rapport de JPMorgan plaident pour que les gouvernements adoptent des pouvoirs de type dictatorial afin de mener à bien le processus de contre-révolution sociale qui est déjà bien avancé à travers toute l'Europe.
En réalité, il n'y avait rien de véritablement socialiste dans les constitutions établies durant la période d'après-guerre partout en Europe. De telles constitutions visaient à garantir le régime bourgeois dans une situation où le système capitaliste et ses agents politiques avaient été totalement compromis par les crimes des régimes fascistes et dictatoriaux.
Les constitutions des Etats européens, y compris celles de l'Italie, de l'Espagne, de la Grèce et du Portugal, ont été élaborées et appliquées en collaboration avec les partis socialistes et communistes des pays respectifs et qui ont joué le rôle clé dans la démobilisation de la classe ouvrière pour permettre à la bourgeoisie de maintenir son régime.
Dans le même temps cependant les classes dirigeantes discréditées de l'Europe étaient parfaitement conscientes que la Révolution russe demeurait une inspiration pour de nombreux travailleurs. Elles se sont senties obligées de faire une série de concessions à la classe ouvrière dans le but d'empêcher une révolution - sous la forme précisément de protections sociales et constitutionnelles, dont le droit de manifester, ce que JPMorgan aimerait à présent voir aboli.
Dans une certaine mesure, les critiques de la banque à l'égard du manque d'autoritarisme des gouvernements européens sonnent creux. Partout en Europe, les gouvernements ont à maintes reprises recouru ces dernières années à des mesures d'Etat policier pour réprimer l'opposition à l'encontre de leur politique.
En France, en Espagne et en Grèce, des décrets d'urgence et l'armée ont été utilisés pour briser des grèves. La constitution adoptée en Grèce en 1975, après la chute de la dictature des colonels, n'a pas empêché le gouvernement grec de licencier en masse des fonctionnaires. Et dans un certain nombre de pays européens, les partis dirigeants sont en train d'encourager le développement de partis néofascistes tel le mouvement Aube dorée en Grèce.
Toutefois, pour JPMorgan cela ne suffit pas. Afin d'éviter une révolution sociale dans la période à venir, ses analystes préviennent qu'il est indispensable que les gouvernements capitalistes partout en Europe se préparent aussi vite que possible à mettre en place des formes de régime dictatoriales.
A la fin du document, les auteurs avancent une série de scénarios qui, selon eux, pourraient découler de l'échec des gouvernements européens à ériger des systèmes autoritaires. Ces variantes comprennent : " 1) l'effondrement de plusieurs gouvernements favorables aux réformes en Europe méridionale, 2) un effondrement du soutien à l'euro ou à l'UE, 3) une victoire électorale incontestée de partis anti-européens radicaux quelque part dans la région, ou 4) l'ingouvernabilité de fait de certains Etats membres une fois que les coûts sociaux (notamment le chômage) dépasseront un certain seuil. "
C'est la voix authentique du capital financier qui parle. Il faut rappeler que JPMorgan est profondément impliqué dans les opérations spéculatives qui ont dévasté la vie de centaines de millions de travailleurs partout dans le monde. En mars de cette année, une commission du sénat américain a rendu public un rapport de 300 pages documentant les pratiques criminelles et la fraude réalisées par JPMorgan, la plus grande banque des Etats-Unis et le plus grand agent de produits dérivés du monde. En dépit des révélations détaillées dans le rapport, aucune action ne sera prise à l'encontre du PDG de la banque, Jamie Dimon, qui jouit de la confiance personnelle du président américain.
Cette même banque se permet à présent de faire la leçon aux gouvernements. Soixante-dix ans après la prise de pouvoir par Hitler et les nazis en Allemagne, dont les conséquences furent catastrophiques pour l'Europe et le monde, JPMorgan est le premier à réclamer des mesures autoritaires pour réprimer la classe ouvrière et éradiquer ses acquis sociaux.
http://www.legrandsoir.info/IMG/pdf/jpm-the-euro-area-adjustment--about-halfway-there.pdf
http://blogs.mediapart.fr/blog/koszayr/200613/jp-morgan-prescrit-la-dictature-en-europe?onglet
La période dans laquelle nous vivons est marquée par l'extrême dispersion des forces qui contestent de manière radicale l'ordre existant. Mais la situation actuelle de crise permanente du capitalisme qu'il s'agit de comprendre ouvre sur une indétermination qui fait de la rupture révolutionnaire une possibilité. La perspective révolutionnaire, même en tant qu'idée, n'a toutefois plus l'évidence qu'elle pouvait avoir il y a encore seulement quelques dizaines d'années. C'est que la " contre-révolution " capitaliste qui sévit depuis la fin des années soixante a considérablement remodelé les rapports entre le capital et le travail. Les formes de domination elles-mêmes, tant dans le cadre du travail qu'en-dehors de celui-ci, mériteraient sans doute d'être repensées à la lumière d'une stratégie politique nouvelle. De fait, le renouvellement et l'extension le plus largement possible dans la société actuelle de la critique révolutionnaire relève maintenant, selon nous, de l'impérieuse nécessité. En même temps qu'il s'agit de concevoir la pratique, il est indispensable de reformuler les problèmes théoriques à la lumière d'une perspective d'avenir souhaitable et au-delà des idéologies surannées. Plus que jamais, la révolution est à réinventer.
Hélas, tout n'est qu'abîme !
Les réalités multiples de la crise
C'est une civilisation tout entière qui chancelle
Du fait d'une crise généralisée qui nous entraîne vers l'inconnu, les sociétés où sévit le capitalisme globalisé s'avèrent être des entités de plus en plus ingouvernables, comme le montre la situation de la Grèce. Mais cette crise généralisée ne signifie pas forcément un effondrement final. Le capitalisme a en effet montré au cours de l'histoire sa capacité à utiliser les crises pour dépasser ses propres contradictions. Tout dépend en fait de l'existence ou non d'un mouvement anti-systémique, de sa radicalité, de son envergure et de sa capacité à toucher à l'essentiel.
Dans le labyrinthe de la colère obstinée : les linéaments d'une contestation en gestation
Réinventer la révolution
Les moments de contestation radicale sont aussi des instants de grande liberté et l'histoire ne se déroule jamais selon les plans préconçus par une avant-garde consciente de tous les tenants et aboutissants. Néanmoins, la pure spontanéité n'existe pas et il nous semble essentiel d'interroger l'héritage révolutionnaire pour que la question de notre avenir commun puisse ébranler le présent. Certaines idées motrices doivent être reconsidérées à la lumière de l'actuelle situation historique.
1. L'exigence de démocratie réelle est apparue, ces dernières années, comme l'axe de revendications de la majorité des mouvements sociaux. Cela est dû au fait de plus en plus évident que le système politique et social présent est tout ce que l'on veut sauf un état de démocratie, laquelle ne saurait se réduire aux formes que nous connaissons. La démocratie n'a de sens que si elle est révolutionnaire, autrement dit que si elle consiste en un gouvernement du peuple par le peuple, en un processus permanent d'apprentissage de l'égalité et de la liberté. De ce point de vue, la démocratie comprise comme l'égalité dans la liberté ne peut être que la reprise et l'approfondissement critiques des expériences révolutionnaires du passé, de 1789 à 1968, en passant par la Commune de Paris ou le mouvement des conseils entre 1905 et 1921 en Russie et en Allemagne et la Révolution de 1936 en Espagne principalement.
2. Le communisme est sans doute ce qui a exprimé le plus radicalement cette idée. C'est qu'il ne peut y avoir de communisme sans démocratie révolutionnaire et on ne peut donc confondre ce dernier avec les formes de société qui ont pu s'en réclamer par le passé. Le communisme ne peut en effet être que l'extension de la liberté et de l'égalité à toutes les sphères de l'organisation de la vie sociale.
3. De même, le communisme ne peut plus aujourd'hui se définir seulement comme une appropriation des moyens de production. Pour nous, il s'agit moins de libérer le travail que de se libérer du travail salarié. La tradition du socialisme autogestionnaire nous semble ici insuffisante. Nous ne voulons pas gérer le monde tel qu'il est, mais le refaire de fond en comble et ce dans tous les aspects de la vie humaine. Le communisme n'a d'importance que si nous parvenons à le concevoir autrement qu'une simple collectivisation de l'existant. La question se pose donc aussi en termes de culture et d'imagination créatrice.
4. Du point de vue du communisme tel que nous le concevons, la principale production est la production de l'homme lui-même dans un monde où il puisse se retrouver dans toutes ses singularités irréductibles. Les menaces écologiques qui s'accumulent nous l'imposent comme première urgence. Une révolution qui ne concernerait pas aussi la manière de saisir notre humanité et d'établir de nouvelles relations avec la nature manquerait l'essentiel. Si le changement révolutionnaire est devenu un dessein trop bien connu, il faut maintenant imaginer la révolution comme un projet singulier, le surgissement inouï d'une autre histoire déjouant tous les plans prévus.
5. Il n'est plus possible également de maintenir l'idée du progrès comme développement infini des forces productives, extension perpétuelle de la puissance technologique ou accumulation sans fin de quantités. La question de savoir ce que nous voulons produire et pourquoi s'avère évidemment décisive. C'est avec une conception du monde, celui du capital et de son corollaire la marchandise, qu'il devient urgent de rompre.
6. Il nous faut surtout envisager la reprise de l'activité révolutionnaire comme la création collective d'une nouvelle culture. Aussi s'agit-il de mener une véritable guerre de décolonisation de l'imaginaire social. L'industrie culturelle a su imposer un système d'uniformisation des comportements qui permet la production et la reproduction de pensées et de désirs conformes aux exigences du capitalisme. Pourtant l'imagination et la poésie sont toujours disponibles et peuvent opérer des brèches dans l'ordre social si nous nous montrons capables d'en saisir les potentiels subversifs. Nous avons à renverser l'ordre des choses en rendant la révolution désirable. Pour ce faire, il est nécessaire de reprendre et d'élargir le projet d'une critique de la vie quotidienne, terrain sur lequel le capitalisme se veut hégémonique. Dès maintenant, il faut commencer à concevoir la révolution comme la fondation d'un nouveau rapport au monde, fondation qui ne pourra se faire sans la réinvention d'un langage propre, d'une pensée propre, d'une façon d'être et d'exister radicalement nouvelle.
Comme cette perspective ne peut s'ouvrir que par un effort collectif, il va sans dire que rien n'est toutefois possible sans la reprise d'une activité politique révolutionnaire large et durable, activité que nous envisageons comme une activité auto-organisée, permanente et non séparée des autres activités. Pour transformer le monde, changer la vie et refaire l'entendement humain, elle est plus que jamais nécessaire.
Pour entrer dans la ronde de la consommation frénétique, il faut de l'argent et pour avoir de l'argent, il faut travailler, c'est-à-dire se vendre. Le système dominant a fait du travail sa principale valeur. Et les esclaves doivent travailler toujours plus pour payer à crédit leur vie misérable. Ils s'épuisent dans le travail, perdent la plus grande part de leur force vitale et subissent les pires humiliations. Ils passent toute leur vie à une activité fatigante et ennuyeuse pour le profit de quelques uns.
L'invention du chômage moderne est là pour les effrayer et les faire remercier sans cesse le pouvoir de se montrer généreux avec eux. Que pourraient-ils bien faire sans cette torture qu'est le travail ? Et ce sont ces activités aliénantes que l'on présente comme une libération. Quelle déchéance et quelle misère !
Toujours pressés par le chronomètre ou par le fouet, chaque geste des esclaves est calculé afin d'augmenter la productivité. L'organisation scientifique du travail constitue l'essence même de la dépossession des travailleurs, à la fois du fruit de leur travail mais aussi du temps qu'ils passent à la production automatique des marchandises ou des services. Le rôle du travailleur se confond avec celui d'une machine dans les usines, avec celui d'un ordinateur dans les bureaux. Le temps payé ne revient plus.
Ainsi, chaque travailleur est assigné à une tache répétitive, qu'elle soit intellectuelle ou physique. Il est spécialiste dans son domaine de production. Cette spécialisation se retrouve à l'échelle de la planète dans le cadre de la division internationale du travail. On conçoit en occident, on produit en Asie et l'on meurt en Afrique.
(...) Selon la doctrine reçue, nous vivons dans des démocraties capitalistes, qui sont le meilleur système possible, malgré quelques imperfections. Il y a eu un débat intéressant au fil des ans sur la relation entre le capitalisme et la démocratie, par exemple, sont-ils même compatibles? Je ne vais pas poursuivre là-dessus parce que je souhaite parler d'un système différent - ce que nous pourrions appeler la "démocratie capitaliste qui existe vraiment", RECD en abrégé, prononcé "wrecked" par accident (jeu de mots: "really existing capitalist democracy", RECD, ou "wrecked", qui veut dire "brisée", "démolie", "naufragée", ndt). Pour commencer, comment comparer RECD à la démocratie? Et bien cela dépend de ce que nous entendons par "démocratie". Il y a plusieurs versions de cela. D'une part, il y a une sorte de version retenue. C'est de la rhétorique emphatique du même genre que celle d'Obama, des discours patriotiques, ce qu'apprennent les enfants à l'école, &c. Dans la version US, c'est le gouvernement "du peuple, pour et avec le peuple". Et c'est plutôt facile de comparer cela à RECD.
Aux USA, l'un des sujets principaux de la science politique académique est l'étude des attitudes et des politiques et de leur corrélation. L'étude des attitudes est relativement facile aux USA: une société lourdement sondée, des sondages plutôt sérieux et précis, et des politiques que vous pouvez voir, et comparer. Et les résultats sont intéressants. Dans le travail qui représente essentiellement l'étalon-or du domaine, il a été conclu qu'à peu près 70% de la population - les 70% du bas de l'échelle des richesses/revenus - ils n'ont aucune influence du tout sur la politique. Ils sont véritablement laissés pour compte. Comme vous montez dans l'échelle des richesses/revenus, vous obtenez un peu plus d'influence sur la politique. Quand vous arrivez en haut, ce qui représente peut-être le dixième d'un pour cent, les gens obtiennent à peu près tout ce qu'ils veulent, c'est-à-dire qu'ils décident de la politique. Donc le terme correct pour çà n'est pas la démocratie; c'est la ploutocratie.
Des enquêtes de ce genre s'avèrent être du matériel dangereux parce qu'elles peuvent en dire trop aux gens sur la nature de la société dans laquelle nous vivons. Et donc malheureusement, le Congrès a interdit leur financement, et nous n'avons donc pas à nous en soucier à l'avenir.
Ces caractéristiques de RECD se révèlent tout le temps. Le thème central aux USA est donc celui des emplois. Les sondages le démontrent très clairement. Pour les très riches et les institutions financières, le thème principal, c'est le déficit. Et qu'en est-il de la politique? Il y a à présent une séquestration aux USA, une grande réduction des financements. Est-ce à cause des emplois ou du déficit? Et bien, du déficit.
En Europe, incidemment, c'est bien pire - tant et si bien que même le Wall Street Journal était horrifié par la disparition de la démocratie en Europe. Ils avaient un article il y a une quinzaine de jours qui concluait que "les Français, les Espagnols, les Irlandais, les Néerlandais, les Portugais, les Grecs, les Slovènes, les Slovaques et les Chypriotes ont voté contre le modèle économique de la monnaie unique à des degrés différents depuis que la crise a commencé il y a trois ans. Pourtant les politiques économiques ont peu changé en réponse à chaque défaite électorale subie à la suite de l'autre. La gauche a remplacé la droite; la droite a sorti la gauche. Même le centre-droite a dérouillé les communistes (à Chypre) - mais les politiques économiques sont essentiellement restées les mêmes: les gouvernements vont continuer à couper dans les dépenses et augmenter les impôts." Ce que pensent les gens importe peu et "les gouvernements nationaux doivent suivre les directives macro-économiques édictées par la Commission Européenne". Les élections sont presque insignifiantes, presque comme dans les pays du Tiers-Monde qui sont dirigés par les institutions financières internationales. C'est ce qu'a décidé de devenir l'Europe. Elle n'y est pas obligée.
Revenant aux USA, où la situation n'est pas tout à fait aussi mauvaise, il y a la même disparité entre l'opinion publique et la politique sur une gamme très large de sujets. Prenez par exemple le sujet du salaire minimum. Une opinion est que le salaire minimum devrait être indexé sur le coût de la vie et assez haut pour empêcher de tomber sous le seuil de pauvreté. 80% du public soutient cela et 40% des riches. Quel est le salaire minimum? En train de descendre, bien en-deçà de ces niveaux. C'est la même chose avec les lois qui facilitent l'action des syndicats; fortement soutenues par le public; recevant l'opposition des très riches - et disparaissant. C'est aussi vrai pour le système de santé national. Les USA, comme vous le savez sans doute, ont un système de santé qui est un scandale international, ils en sont au double du coût par personne en comparaison aux autres pays de l'OCDE et avec des résultats relativement pauvres. Le seul système de santé privatisé, et grosso modo dérégulé. Le public ne l'aime pas. Ils ont réclamé un système national intégré, des options publiques, pendant des années, mais les institutions financières pensent qu'il est très bien, alors il reste: stagnation. En fait, si les USA avaient un système de santé comme d'autres pays développés comparables il n'y aurait pas de déficit. Le fameux déficit serait effacé, ce qui ne compte pas tant que çà de toute façon.
L'un des cas les plus intéressants concerne les impôts. Pendant 35 ans il y a eu des sondages sur 'que pensez-vous que devraient être les impôts?' De larges majorités ont soutenu que les corporations et les riches devraient payer plus d'impôts. Ils se sont constamment réduits pendant cette période.
Encore et encore, la politique est toujours l'inverse presque exact de l'opinion publique, ce qui est une propriété typique de RECD.
Dans le passé, les USA ont parfois, un peu sardoniquement, été décrits comme un état à un parti unique: le parti des affaires avec deux factions appelées Démocrates et Républicains. Ceci n'est plus vrai. C'est toujours un pays à parti unique, le parti des affaires. Mais il n'a qu'une seule faction. C'est la faction des Républicains modérés, qui s'appellent aujourd'hui Démocrates. Il n'y a presque pas de Républicains modérés dans ce qui s'appelle le Parti Républicain et presque pas de Démocrates libéraux (note: dans le monde anglophone, les libéraux sont de gauche, ndt) dans ce qui s'appelle le Parti Démocrate [sic]. C'est en gros ce que seraient des Républicains modérés et par analogie, Richard Nixon serait loin à gauche de l'éventail politique aujourd'hui. Eisenhower serait hors de l'orbite terrestre.
Il y a toujours quelque chose qui s'appelle le Parti Républicain, mais il a depuis longtemps abandonné toute prétention à être un parti parlementaire normal. Il est au service, au doigt et à l'œil, des très riches et du secteur corporatiste et a un catéchisme que tout le monde doit chanter à l'unisson, un peu comme l'ancien Parti Communiste. Le fameux commentateur conservateur, l'un des plus respectés - Norman Ornstein - décrit le Parti Républicain d'aujourd'hui comme, en ses termes, "une insurrection radicale - idéologiquement extrême, dédaigneuse des faits et du compromis, rejetant son opposition politique" - une sérieuse menace à la société, comme il le souligne.
Bref, RECD est très éloignée de la rhétorique emphatique à propos de la démocratie. Mais il existe une autre version de la démocratie. En réalité il s'agit de la doctrine de base de la théorie démocratique libérale contemporaine. Je vais donc vous donner des citations illustratives de la part de personnages éminents - incidemment pas des personnages de la droite. Ce sont tous des libéraux à la Woodrow Wilson-FDR-Kenndy, des figures consensuelles, en fait. Donc selon cette version de la démocratie, "le public est fait d'étrangers ignorants et importuns. Ils doivent être mis à leur place. Les décisions doivent être entre les mains d'une minorité intelligente d'hommes responsables, qui doivent être protégés du piétinement et de la clameur du troupeau abruti". Le troupeau a une fonction, il se trouve. Il est attendu d'eux qu'ils portent leur poids une fois toutes les quelques années, à un choix entre les hommes responsables. Mais à part cela, leur fonction est d'être des "spectateurs, pas des participants à l'action" - et c'est pour leur propre bien. Parce que comme l'avait souligné le fondateur de la science politique progressiste, nous ne devrions pas succomber à des "dogmatismes démocratiques sur les gens étant les meilleurs juges de leurs propres intérêts". Ils ne le sont pas. Nous sommes les meilleurs juges, et il serait donc irresponsable de les laisser prendre des décisions tout comme il serait irresponsable de laisser un enfant de trois ans courir en pleine rue. Les attitudes et les opinions ont donc besoin d'être contrôlées pour le bénéfice de ceux que vous contrôlez. Il est nécessaire de "régenter leurs esprits". Il est aussi nécessaire de discipliner les institutions responsables de "l'endoctrinement de la jeunesse." Toutes des citations, au fait. Et si nous pouvons accomplir cela, nous pourrions revenir aux bons vieux jours où "Truman avait été capable de gouverner le pays avec la collaboration d'un nombre assez réduit d'avocats et de banquiers de Wall Street." Tout ceci provient d'icônes de l'establishment libéral, les théoriciens en pointe de la démocratie progressiste. Certains d'entre vous reconnaîtront peut-être certaines des citations.
Les racines de ces attitudes remontent plutôt loin. Elles remontent aux premiers soubresauts de la démocratie moderne. Les premiers survinrent en Angleterre au 17è siècle. Comme vous savez, plus tard aux USA. Et elles persistent de façon fondamentale. La première révolution démocratique fut l'Angleterre des années 1640. Il y a eu une guerre civile entre le roi et le parlement. Mais la noblesse, les gens qui s'appelaient eux-mêmes "les hommes de meilleure qualité", étaient horrifiés par les forces populaires en plein essor qui commençaient à faire leur apparition dans l'arène publique. Ils ne voulaient soutenir ni le roi ni le parlement. Citez leurs pamphlets, ils ne voulaient pas être dirigés par des "chevaliers et des gentilshommes, qui ne font que nous oppresser, mais nous voulons être gouvernés par des compatriotes tels que nous-mêmes, qui connaissons les maux du peuple". Voilà une chose assez terrifiante à considérer. Maintenant, la populace a été une chose assez terrifiante à voir depuis. En réalité elle l'était déjà depuis longtemps auparavant. Elle l'est restée un siècle après la révolution démocratique britannique. Les fondateurs de la la république états-unienne avaient à peu près la même opinion de la populace. Ils ont donc déterminé que "le pouvoir doit être entre les mains de la richesse de la nation, le lot d'hommes plus responsables. Ceux qui ont de la sympathie pour les propriétaires et pour leurs droits", et bien sûr pour les propriétaires d'esclaves à l'époque. En général, les hommes qui comprennent qu'une tâche fondamentale du gouvernement est "de protéger la minorité opulente de la majorité". Ce sont des citations de James Madison, l'encadrant principal - ceci était dans la Convention Constitutionnelle, qui est beaucoup plus révélatrice que les Papiers Fédéralistes que lisent les gens. Les Papiers Fédéralistes étaient tout simplement un effort de propagande pour tenter de faire que le public soit d'accord avec le système. Mais les débats dans la Convention Constitutionnelle sont beaucoup plus révélateurs. Et en fait le système constitutionnel a été créé sur ces bases. Je n'ai pas le temps d'entrer dans le détail, mais il adhérait globalement au principe qui a été énoncé simplement par John Jay, le président du Congrès Continental, puis tout premier Premier Président de la Cour Suprême, et comme il le disait, "ceux à qui appartiennent le pays devraient le gouverner". Ceci est la doctrine centrale de RECD jusqu'à aujourd'hui.
Il y a eu beaucoup de combats populaires depuis - et ils ont gagné beaucoup de victoires. Les maîtres, par contre, ne relâchent rien. Le plus il y a de liberté qui est gagnée, plus intenses deviennent les efforts pour réorienter la société vers une trajectoire plus appropriée. Et la théorie démocratique progressiste du 20è siècle que je viens d'échantillonner n'est pas très différente de la RECD qui a été accomplie, hormis pour la question de: quels hommes responsables devraient régner? Cela devrait-il être les banquiers ou les élites intellectuelles? Ou à ce propos cela devrait-il être le Comité Central dans une version différente de doctrines similaires ?
Et bien, un autre aspect important de RECD est que le public doit être maintenu dans l'ignorance de ce qui est en train de lui arriver. Le "troupeau" doit rester "abruti". Les raisons en ont été expliquées de façon lucide par le professeur en science des gouvernements de Harvard - c'est le titre officiel - une autre figure libérale respectée, Samuel Huntington. Comme il l'a souligné, "le pouvoir reste fort tant qu'il reste dans l'ombre. Exposé à la lumière, il commence à s'évaporer". (...)
Une feuille de route vers un monde juste, le peuple ranimant la démocratie (Le texte complet en PDF)
Pourtant on sent poindre chez les jeunes, un désir d'autre chose qui s'appuie sur vos textes : le Raoul Collectif et son si beau "signal du promeneur", Nicolas Kozakis fait un film avec vous, Assayas dans "Après mai" montre un jeune lisant le manifeste situationniste. Y a-t-il un espoir via ces jeunes, via l'art ? Quel peut être le rôle de l'art : ouvrir une brèche dans le ciel plombé et entrevoir l'utopie comme possible ?
De nouvelles générations d'artistes sont entrées en lutte contre le marché de l'art au nom d'une œuvre qu'ils veulent en relation directe avec les problèmes de leur vie quotidienne. Beaucoup pressentent que l'art est une des formes d'expression de cet art de vivre qui est notre vraie richesse, une richesse de l'être qui revêt d'autant plus d'importance que la richesse de l'avoir et du consumérisme est rongée par la montée de la pauvreté. A mesure que la survie est menacée par la faillite de l'économie, comment ne pas se tourner vers la vie et son extraordinaire potentiel de créativité, comment ne pas inventer de nouvelles énergies, de nouvelles relations sociales, de nouvelles pratiques en rupture avec nos vieilles habitudes de prédateur ?
Gardez-vous l'espoir dans une humanité qui semble foncer sur un mur comme le dit même le prix Nobel Christian de Duve ?
Celui qui s'engouffre dans une impasse, ce n'est pas l'être humain, c'est l'homme qui, en produisant la marchandise, s'est produit lui-même comme objet marchand et a choisi le cours d'une histoire dont la barbarie illustre assez la part d'inhumanité qui domine en lui. Nous sommes dans une mutation où la civilisation marchande s'effondre et où s'esquisse, avec les douleurs de l'enfantement, une civilisation humaine. Ce qui a sauvegardé l'énergie vitale de ces hommes, en proie aux pires atrocités, c'est qu'ils n'ont jamais cessé d'aspirer à devenir des êtres humains à part entière. L'homme prédateur, cet hybride d'angélisme et de bestialité a fait son temps. Nous allons renouer avec un devenir humain que l'apparition de la civilisation agraire et marchande a dévoyé en exploitant cupidement la nature terrestre et la nature de l'homme. Quel que soit le temps que cela prendra.
Le travail pénètre et détermine toute notre existence. Le temps coule impitoyablement à son rythme alors que nous faisons la navette entre d'identiques environnements déprimants à une allure toujours croissante. Le temps de travail... Le temps productif... Le temps libre... La moindre de nos activités tombe dans son contexte : on considère l'acquisition de la connaissance comme un investissement pour une carrière future, la joie est transformée en divertissement et se vautre dans une orgie de consommation, notre créativité est écrasée dans les limites étroites de la productivité, nos relations -même nos rencontres érotiques- parlent la langue de la performance et de la rentabilité... Notre perversion a atteint un tel point que nous recherchons n'importe quelle forme de travail, même volontairement, pour remplir notre vide existentiel, pour " faire quelque chose ".
Nous existons pour travailler, nous travaillons pour exister.
L'identification du travail avec l'activité humaine et la créativité, la domination complète de la doctrine du travail comme destin naturel des humains a pénétré notre conscience à une telle profondeur que le refus de cette condition forcée, de cette contrainte sociale, semble être devenu un sacrilège pour le concept même d'humanité.
Alors n'importe quel travail devient meilleur que pas de travail du tout. Ceci est le message répandu par les évangélistes de l'existant, sonnant les trompettes pour la course à la compétition toujours plus frénétique entre les exploités pour quelques miettes tombées de la table des patrons ; pour l'instrumentalisation et le nivelage complet des relations sociales en échange d'un peu de travail misérable dans les galères de la survie.
Ce ne sont pas, cependant, seulement les conditions générales de travail qui créent l'impasse. C'est le travail comme une totalité, comme un processus de commercialisation de l'activité humaine qui réduit les humains à des composants vivants d'une machine qui consomme des images et des produits. C'est le travail comme condition universelle dans laquelle les relations et la conscience sont formées, comme la colonne vertébrale qui maintient et reproduit cette société basée sur la hiérarchie, l'exploitation et l'oppression. Et en tant que tel, le travail doit être détruit.
Alors nous ne voulons pas simplement devenir des esclaves plus heureux ou de meilleurs managers de la misère. Nous voulons redonner son sens et son essence à l'activité humaine et à la créativité en agissant, conduits par la recherche de la joie de la vie à travers la connaissance, la conscience, la découverte, la camaraderie, la solidarité.
Pour la libération individuelle et collective...
http://journalhorsservice.blogspot.fr/
On découvre qu'une prestigieuse étude en économie, citée des centaines de fois dans le monde occidental, contient une erreur de débutant.
Nombre d'économistes, au moins 500 articles universitaires, ont répercuté les conclusions de leurs collègues, sans jamais vérifier leurs calculs. Le 13 février 2013, Olli Rehn, Commissaire européen aux affaires économiques, faisait référence à cette étude pour soutenir sa politique d'austérité en europe.
Mardi dernier, 16 avril, un chercheur américain, Mike Konczal, semait la pagaille parmi les défenseurs de la théorie économique de l'austérité : c'est-à-dire ceux pour qui la crise économique dans laquelle nous vivons depuis 2008 ne sera résolue que par une vigoureuse réduction des dépenses gouvernementales, afin de réduire la dette. Ce que révélait Konczal, c'était qu'une des principales justifications des politiques d'austérité ces dernières années, une étude signée par deux économistes de Harvard en 2010, était construite sur une erreur dans un tableau Excel.
Les premiers à s'y être attelés sont trois économistes de l'Université du Massachusetts. En gros, ils concluent que Kenneth Rogoff (Chef économiste du FMI) et Carmen Reinhart avaient commis trois erreurs, dont celle du tableau Excel. Ils avaient notamment exclu du calcul du taux de croissance cinq des pays à la dette élevée (dont le Canada).
Mises bout à bout, ces trois erreurs annulent la conclusion de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff qui était devenue la base "scientifique" des politiques d'austérité : leur "calcul" semblait en effet démontrer que, passé le seuil magique où la dette représente 90% du PIB, un pays basculerait du côté de la dépression, d'où l'urgence de couper dans les dépenses. Or, une fois l'erreur corrigée, à 90 % du PIB on obtient une croissance positive de 2,2%.
En attendant, ironise l'économiste Paul Krugman dans son blogue du New York Times, on est en présence d'une erreur Excel qui a, grosso modo, " détruit les économies du monde occidental ".
Les dérives de la finance ont été falsifiées en dérives des dépenses. On peut aujourd'hui constater que l'économie n'est pas scientifique, mais bien l'idéologie de la caste qui domine le monde.
"Dans ce vieux monde de machines informatisées, nos prothèses de communication numérique nous isolent chaque jour un peu plus en réduisant au minimum les relations humaines, et nous conditionnent insidieusement jusqu'à notre manière d'appréhender et de comprendre notre situation de survie."
L'invention de la crise, Lukas Stella,Éditions L'Harmattan, 2012.
Les infos ne vous diront jamais qu'en quelques dizaines d'années, les 1 % les plus riches se sont approprié 99 % des mass-médias. Ils diffusent maintenant de partout leur point de vue, protégeant ainsi leurs intérêts. Les autres médias suivent par peur d'être dépassés. Leur manière de voir les choses, répandue de partout, est une idéologie qui domine tellement le monde, qu'elle n'est même plus perçue comme la propagande de la classe dominante. Ce conditionnement a envahi tout l'espace de son temps. Tout ce qui pourrait nuire aux intérêts des actionnaires de ces multinationales médiatiques est effacé de la réalité qu'ils produisent. Ce qui est tu en dit beaucoup plus sur le fonctionnement.
Suite au krach des Subprimes, nombre de chefs d'État ont déclaré qu'ils allaient réglementer les spéculations financières et s'attaquer aux paradis fiscaux. Les attaques contre la banque suisse UBS ont abouti à la fin du secret bancaire. Elles ont permis de faire croire à une action de grande ampleur contre les évasions fiscales. Mais ce qui n'a pas été dit et qui en dit long, c'est que UBS représentait à peine 2 % des avoirs évadés américains (3 % des français). Cette grande opération politico-médiatique a occulté 98 % des évasions fiscales américaines, masquant le trafic des grands trusts internationaux anglo-saxons et des multiples sociétés offshore par lesquelles transitent plus de 13 500 milliards de dollars.
La Suisse a été prise comme bouc émissaire, et les sanctions surmédiatisées ont permis aux 98 % des évasions fiscales d'être plus florissantes que jamais, bien à l'abri à l'ombre des projecteurs. Les paradis fiscaux sont en pleine expansion dans le silence médiatique. Ce trafic maffieux se développe dans un secret hyperprotégé, ce qui le rend très efficace et prospère.
Ce qui est mis en avant de la représentation du monde cache ce qui gêne les affaires, qui disparaît ainsi du spectacle de l'info. Ce qui n'est pas communiqué est toujours plus important pour la compréhension du fonctionnement des interactions du système. Le conditionnement à la soumission fonctionne par représentations de morceaux isolés du contexte, de parcelles détachées de leur situation en faisant abstraction de l'ensemble, et omissions de l'essentiel trop injuste et trop scandaleux.
La critique de la production de camelotes beaucoup trop éphémères est toujours passée sous silence. Il est aujourd'hui techniquement possible de produire de la qualité en moindre quantité. La plupart des marchandises pourraient avoir une durée de vie deux fois plus longue pour un coût de production similaire, ce qui permettrait d'en produire deux fois moins, et ainsi d'augmenter le pouvoir d'achat et réduire la pollution. Cela pourrait provoquer du chômage, à moins que l'on réduise le temps de travail équitablement par une juste répartition des richesses. Mais ce sujet reste tabou, car il remet en cause tout le système.
La question qui ne sera jamais posée dans les représentations des mass-médias, consiste à savoir qui paye pour l'austérité dans un monde qui n'a globalement jamais été aussi riche. Ce n'est pas une crise de manque de richesse, au contraire. Il y a beaucoup trop d'argent qui circule dans les réseaux trop juteux de la spéculation financière qui parie à la baisse sur les dettes des États affaiblis par leur renflouement des banques, et sur les risques d'une économie ravagée par la récession qu'ils ont eux-mêmes provoquée.
Le volume des dettes des États dépend des notes que les agences de notation américaines leur ont données. Lorsque la note baisse, les taux d'intérêt de la dette augmentent. Ce qui n'est pas dit par la propagande de la soumission, c'est que cette note n'est pas le résultat d'une enquête sérieuse, approfondie et impartiale sur la solvabilité de cet État, mais seulement une référence indexée sur les cours du marché des dérivés, un baromètre des spéculations en cours, un outil financier au service des gangsters de la mondialisation.
On omet de vous dire que la hausse des taux d'intérêt sur les dettes des États correspond étonnamment aux gains engrangés par les spéculateurs qui misaient sur la baisse. Par ailleurs, en France, le paiement de ces intérêts est une somme à peu près équivalente à la totalité des impôts sur le revenu. On peut donc considérer que ces impôts passent directement dans les poches de ces milliardaires, qui ont organisé ces dettes par des taux d'intérêt prohibitifs et une évasion fiscale sans faille, mise en place dans le secret et le silence médiatique. Ainsi, c'est la majorité des populations qui payent pour surgonfler les fortunes gigantesques d'une poignée d'escrocs, ce petit groupe fermé de la haute bourgeoisie.
Sous prétexte de sauver l'économie, le renflouement des banques par des États serviles a facilité les trafics des spéculateurs de l'ombre et stimulé les affaires des truands de la finance mondiale. Les liquidités abondent sur les marchés parallèles opaques et les bulles spéculatives recommencent à gonfler dangereusement.
Les informations ne diront rien sur un nouveau krach majeur, bien plus important que celui de 2008, qui semble aujourd'hui plus que probable. Les gouvernements, déjà désarmés, n'auront plus d'argent pour sauver le système, car ils se sont fait plumer et ont déjà tout donné pour les banques et les sauvetages abracadabrantesques des pays en faillite. Pillant les États et ruinant l'économie, ces milliardaires maffieux raflent tout ce qu'ils peuvent avant les autres, et surtout avant qu'il ne soit trop tard...
C'est le black-out médiatique sur ces seigneurs de l'escroquerie globale qui règnent sur un monde d'illusions et de risques, complexe et obscur, le milieu des affaires louches où tout n'est qu'objet de profits et de surexploitation, grands destructeurs de la nature et de la vie sur une planète ravagée. Leur seul projet consiste à en faire plus, en gagner beaucoup plus ; baisser les salaires, les diviser par deux et même plus, supprimer la séc