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L’Histoire insolite d’un « apéritif qui pince »…

Publié le 14 janvier 2016 par Savatier

DuhomardLes spectateurs qui, au cinéma ou à la télévision, virent le film de Jean-Michel Ribes Brèves de comptoir (2013), directement inspiré des ouvrages éponymes (et hilarants) de Jean-Marie Gourio, durent pour la plupart se demander ce qu’était ce Duhomard que plusieurs piliers de bistrot commandaient et consommaient sur le zinc à longueur de journée. L’énigme méritait d’être résolue. Or, ce nom étrange, peu connu des consommateurs parisiens et banlieusards, désigne un apéritif mis sur le marché en 1926 dans le nord des Deux-Sèvres et resté jusqu’à ce jour très populaire dans le Grand-Ouest. Il appartient à ces boissons dont se délectaient nos grands-parents et dont les étiquettes s’affichaient dans les films de l’entre-deux-guerres, voire jusque dans les années 1960 : Dubonnet, Byrrh, Bartissol, Saint-Raphaël ou Lillet - des noms qui n’auraient rien eu d’incongru dans les dialogues de Prévert, de Jeanson ou d’Audiard.

C’est précisément à l’histoire singulière de ce breuvage que Daniel Fouchereau consacre un ouvrage fort documenté et abondamment illustré, Duhomard, l’apéritif qui pince (Geste Editions, 143 pages, 29,90 €). L’auteur, passionné d’automobiles (on lui doit un essai sur la Tuar, une torpédo des Années folles), établit dans une première partie la généalogie de cet apéritif, issu des banquets annuels qui réunissaient près de Thouars (Deux-Sèvres) une corporation de voyageurs de commerce depuis 1920. Au fil des années, la manifestation étendit sa notoriété des confins de la Touraine aux portes de la Bretagne et des Charentes. Ces joyeux compagnons, bons vivants, rompus aux relations humaines, aimaient s’amuser ; ils composaient des chansons (parfois lestes) pour l’occasion, se déguisaient, organisaient des kermesses et des concours de pêche au bord de l’Argenton, l’une des rivières locales. Volontiers adeptes des canulars, dans l’esprit d’Alphonse Allais, ils ne s’étonnèrent guère lorsque l’un d’entre eux, en 1922, remonta au bout de sa ligne... un homard cuit. C’est de cette plaisanterie de potache que naquit le quinquina Duhomard, présenté dans une « réclame » typique du temps comme « le plus puissant reconstituant et le plus agréable apéritif créé à ce jour. » Nous étions bien loin des hygiénistes forcenés qui sévissent aujourd’hui et voient l’Apocalypse se profiler dans un simple verre de bordeaux ou de bourgueil... Entraient dans sa composition, outre du vin, de la gentiane, de la badiane, des écorces d’oranges et de quinquina, cet arbre aux vertus tonifiantes venu du Pérou qui fut vanté par Mme de Sévigné et mis en vers par La Fontaine. Dès son introduction, une identité visuelle fut crée par un illustrateur célèbre, Albert Dorfinant dit Dorfi (on lui doit aussi celle de la Poule au pot, des Consommés Maggi, du Picon), qui faisait naturellement la part belle au crustacé. Elle figure encore, légèrement modernisée, sur les bouteilles actuelles.

Daniel Fouchereau retrace, d’une plume alerte, dans une deuxième section, l’histoire de cet apéritif, l’évolution de sa gamme, sa Confrérie composée, de nos jours comme jadis, de lurons conviviaux qui ne se prennent pas au sérieux, mais ne plaisantent pas avec la fraternité. Un dernier chapitre en rend compte, qui retrace la création d’une œuvre sociale - « La Fraternelle », justement -, contemporaine de l’apéritif, dont le but était d’édifier une maison de retraite destinée aux voyageurs de commerce nécessiteux.

Au-delà de l’intérêt que l’on peut porter au régionalisme ou de la curiosité que suscite légitimement un produit de la tradition gastronomique, cet essai, dont l’humour n’est pas absent, constitue un intéressant document sociologique. Il présente, archives à l’appui, la vie des voyageurs de commerce dans les années 1920 et 1930, période de mutation durant laquelle l’automobile remplaça progressivement le cheval, modifiant à jamais les pratiques d’une profession vouée à de constants déplacements. Il met en outre en lumière les préoccupations sociales de l’époque. Un livre insolite à consommer sans modération.


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