« J’exige la sainte tenue de l’élégance,
Soupçon aiguisé,
Du poète
Ne mendiant pas »
Certes, le poème se voit, en apparence, démantelé, déchiqueté, fragmenté sur la page, et paraîtrait travail formaliste, mais la raison en est la projection sans retenue aussi bien maîtrisée d’un excès, d’un discours gigantesque intérieur qui ne supporte pas l’attente ; une frénésie sans délire ; un peu comme le poème de Gertrude Stein, le poème de Thomas Chapelon puise son énergie dans sa propre grammaire. Thomas Chapelon ne s’appesantit pas sur la douleur, elle est, hyper-présente ; et il s’agit non de l’ignorer mais d’en faire quelque chose d’un peu plus grand qu’elle, même illusoirement. Insoutenable, disais-je en début de cet article, insoutenable parce qu’électriquement vive, excessivement vive, cette poésie, portée vers l’avant, est peut-être attirée par ce qu’elle repousse. Le rythme, en son syncopé, est d’allant binaire, comme si la volonté était constamment mise à mal par le sentiment d’échec, comme si l’hésitation devait être dépassée, en permanence, comme si le poète était happé par l’extérieur, mais demeurait en proie à l’intérieur rongé ; allant/retenue composent ce rythme binaire. Il serait hâtif de considérer cette poésie comme déglinguée, laissant entendre un laisser-aller (et même si le rythme l’est, déglingué), car elle est le chant d’une douleur plus vaste que celle qui l’endure, elle est le chant d’une souffrance, qui sourd d’une telle profondeur, lointaine (« Je vous écris/D’un pays lointain »), ce chant contient une multitude, celle de la tragédie humaine, sans exagérer.
Jean-Pascal Dubost
Thomas Chapelon, Guérissable, Flammarion, 16€