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(Note de lecture) Thomas Chapelon, "Guérissable", par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

ChapelonLe sixième livre de Thomas Chapelon est découpé en trois sections (« Guérissable, guérissable », « Mélopée de l’équilibre », « Du noir et des couleurs ») liées par un rythme vif et uni, aussi envoûtant qu’insoutenable parce que le « Démantelèment/Des nerfs » est effectué par la haute et urgente nécessité. La parole est vivement hoquetée, le discours ponctué de trous, de béances abyssales d’où surgit ce qui doit se dire ; ça file à grande vitesse. L’expression poétique est ici à vif, les nerfs sont en permanente action, voire en surchauffe, mais il faut, il importe de dire. Le titre de la première section, injonctif, fait entendre la maladie, une maladie, comme adversaire de lutte du poème, presqu’elle en est le moteur, sinon le motif cousu sous la phrase. Il devient rare de lire une poésie de la douleur lyrique, qui soit sans pathos, et qui, en cette période de modernité-modernité hostile à toute expression poétique personnelle et subjective, s’autorise. Thomas Chapelon n’a que faire des interdits avant-gardistes : « le rythme/déglingué/du poème » est sa subjectivité lyrique. Mais :
«   J’exige la sainte tenue de l’élégance,
Soupçon     aiguisé,
Du poète
Ne mendiant pas »
Certes, le poème se voit, en apparence, démantelé, déchiqueté, fragmenté sur la page, et paraîtrait travail formaliste, mais la raison en est la projection sans retenue aussi bien maîtrisée d’un excès, d’un discours gigantesque intérieur qui ne supporte pas l’attente ; une frénésie sans délire ; un peu comme le poème de Gertrude Stein, le poème de Thomas Chapelon puise son énergie dans sa propre grammaire. Thomas Chapelon ne s’appesantit pas sur la douleur, elle est, hyper-présente ; et il s’agit non de l’ignorer mais d’en faire quelque chose d’un peu plus grand qu’elle, même illusoirement. Insoutenable, disais-je en début de cet article, insoutenable parce qu’électriquement vive, excessivement vive, cette poésie, portée vers l’avant, est peut-être attirée par ce qu’elle repousse. Le rythme, en son syncopé, est d’allant binaire, comme si la volonté était constamment mise à mal par le sentiment d’échec, comme si l’hésitation devait être dépassée, en permanence, comme si le poète était happé par l’extérieur, mais demeurait en proie à l’intérieur rongé ; allant/retenue composent ce rythme binaire. Il serait hâtif de considérer cette poésie comme déglinguée, laissant entendre un laisser-aller (et même si le rythme l’est, déglingué), car elle est le chant d’une douleur plus vaste que celle qui l’endure, elle est le chant d’une souffrance, qui sourd d’une telle profondeur, lointaine (« Je vous écris/D’un pays lointain »), ce chant contient une multitude, celle de la tragédie humaine, sans exagérer.
Jean-Pascal Dubost

Thomas Chapelon, Guérissable, Flammarion, 16€


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