Début décembre, nous nous sommes rendus dans le mythique et tant adoré festival des Rencontres Transmusicales de Rennes. Pour cette 37ème édition, une nouvelle fois sous le signe de la découverte et de l’éclectisme, nous avons décidé de nous intéresser aux artistes présents dans la petite salle de l’Etage, en live tous les après-midis durant les trois jours de festivité.
Parmi eux, les hypers pros d’Inuït, le mélodieux Lenparrot, les énergiques Kokomo et… Chamberlain, savoureux mélange de piano et de musique électronique, tantôt envoûtant, tantôt puissant, que nous avions déjà repéré lors que de nos écoutes pré-festival. A l’approche de la sortie de son nouveau titre sur la compile « InFiné Explorer 2 », retour sur notre rencontre avec le compositeur/producteur et son duo sur scène:
Le précurseur est un lillois, décidé à conjuguer sur scène ses deux inspirations musicales principales: le classique et la machine. Par cela, il conjugue la musique et le visuel, souhaite donner une dimension physique à l’écoute, et surtout nous raconte une histoire, celle d’un artiste, d’un politique, d’un chevalier dans la steppe. Chamberlain, de sa belle prestation à l’interview qu’il nous donnera quelque minutes après son passage, a envie de nous faire rêver.
Est-ce que vous pouvez nous présenter le projet Chamberlain ?
Mathieu : Chamberlain c’est une idée au départ de composer le piano et l’électronique, une sorte de terminaison entre les deux, et sur scène on est deux, la version incarnée de cette musique là.
Tu es d’abord un artiste classique, comment s’est passée le passage à l’électronique ?
M : ça fait partie de notre paysage, et cela s’est fait de façon hyper naturelle. On a le même rapport au piano et à la machine, aux ordinateurs que le piano, c’est à dire qu’on est seul derrière un écran et on est maître de ce qu’il se passe dans l’écoute. Quand t’es seul devant un piano t’es maître du tempo, des harmonies, des basses, tu dois tout fait tout seul, et il y a ce même rapport avec l’ordinateur. Donc ça s’est fait naturellement. Et puis on baigne là dedans de toute façon.
Donc de la même manière l’idée de mêler les deux sur scène est venue naturellement ?
M : Oui exactement, mais c’est un vecteur aussi, parce que la musique électronique permet d’être sur des formats plus pop, d’avoir plus la main vraiment sur ce qu’il se passe réellement dans l’écoute, à la différence d’un groupe aussi. Nous on a un groupe à deux donc ça va vite, les informations circulent très vites.
Est-ce qu’il y a un enjeu ou une envie de démocratiser le classique à travers l’électronique ?
M : Oui, je crois que c’est ça. C’est cette idée de s’adresser à trois parties du corps: les pieds, sur une danse qui n’est pas une grosse danse de dancefloor mais qui est plutôt une danse un peu intra-utérine, celle qu’on entend de la porte à côté en buvant un cognac mais qu’on entend quand même. S’adresser au cœur, avec des harmonies, certaines gestion de l’émotion, la mélodie, et enfin s’adresser au cerveau, à l’intelligence des gens. On s’adresse à ces trois choses là.
Vous êtes deux sur scène: comment vous concevez ce live ensemble ?
Anatole : Ça a beaucoup évolué. Quand Mathieu m’a appelé pour travailler avec lui pour le live on est vraiment passé par plein d’étapes différentes. Au début on était parti sur plus de machines, avec du piano, après on est revenu à du piano au niveau du jeu, chacun sur un piano… A chaque concert ça évolue, on transforme le moyen de communiquer en fait. Là on est arrivé je pense dans une forme qui est pas mal aboutie, elle va évoluer mais c’est celle là la mieux.
M : Après c’est une sorte de complémentarité de caractère. Moi je suis arrivée avec un certain nombre de compositions, puisqu’elles datent d’avant qu’on commence le live toutes ces musiques, et je suis tout feu tout flamme et Anatole c’est le fournisseur d’idées fraîches, le courant d’air, le grand coup de vent frais, qui cadre et qui n’a pas peur. C’est le zéphyr et moi je suis l’espèce de feu mental et physique. Ça se passe comme ça, il vient m’apaiser, il vient m’énerver, me ré-apaiser, on a toujours un truc de confiance.
Mais la composition vient uniquement de toi.
M : Oui, parce qu’elle est antérieure au montage du live, c’est à dire à l’incarnation qu’on en a fait avec Anatole.
Il y a environ un an tu disais aux Inrocks que tu feras un album quand tu auras 101 morceaux, pourquoi ?
M : Oui, je me suis dit que lorsque j’en aurai 101 on fera un album. Mais il n’y en a pas encore 101. Et 101 parce qu’il faudra trier, je produis énormément de morceaux et encore sur le Soundcloud il y en a plein qui ne sont plus visibles. Mais c’est un magasin pas possible et si on veut avoir 8 titres ou 11 titres il faut en avoir produit 10 fois plus.
Et alors tu en es où ?
M : Si j’additionne je dois en être à 74, quelque chose comme ça. Mais il y a des petites touches qui ont commencé à sortir, on a un titre qui sort sur InFiné le 15 janvier sur la compilation Explorer 2, on ouvre la compile, je suis très content.
Comment ça s’est fait ?
M : Ça s’est fait qu’on aime beaucoup les artistes de InFiné depuis le début, Gordon et Arandel que j’ai programmé dans des soirées où on avait carte blanche, que Bruce Brubaker est chez le même tourneur que nous, et toute une suite d’éléments comme ceux là.
On a vu dans votre live tout à l’heure que le visuel avait une place très importante, mais avant d’y venir est-ce que tu peux nous parler de ton logo ?
M : Ah oui je peux t’en parler du logo. Le cheval fait en trait lumineux à la façon Picasso par un graphiste macédonien parisien… Le cheval, c’est parce qu’il y avait toujours besoin, pour commencer un morceau, d’avoir une émotion, un titre fort, une sensation, une métaphore, un point d’appui mental en fait, qui te dit « met toi au travail »… Et ce cheval il est vite arrivé parce qu’il y avait cette idée de solitude du chevalier, de la majesté du chevalier seul qui traverse la steppe dans une sorte de contemplation, parce que la steppe c’est contemplatif. Sauf que c’est pas un chevalier comme les autres, c’est un chevalier mongol un peu combattant, parce que pour traverser la steppe il faut de la rudesse dans tout ça. C’est une alternance entre le galop, la contemplation et une sorte de rudesse, un truc un peu plus rock’n’roll, un peu plus guerrier. Et après quand il a fallut faire le premier logo Chamberlain je suis tombée sur Neville Chamberlain, l’homme politique anglais très ambiguë, et c’est lui le premier logo, c’est Neville Chamberlain sur son cheval. Un homme politique ambiguë parce qu’il a fait de réels processus de paix, il a fait en sorte que ça se bastonne pas trop, un peu moins en tout cas, et en même temps il était un peu louche dans sa volonté de faire la guerre ou pas, c’était très étrange. Quelqu’un d’ambiguë. Il y a toujours cette part d’alternance entre contemplation et combat, et cette espèce de majesté du cheval qui avance.
Ce que tu fais aussi dans ta musique, en passant de nappes hyper sereines à une puissance électronique plus profonde.
M : Ouais c’est ça, cette espèce de truc en permanence, c’est beau, mais c’est dur, mais c’est beau, mais c’est dur…
Et alors le visuel du live, c’est une boîte avec de la fumée et des projections dessus, c’est bien cela ?
M : Oui, les formes prennent vie en 3D. Les vidéos débordent un peu, dans la boîte de fumée ça capte une partie de l’image et une partie s’envole sur les côtés. C’est important d’avoir un visuel parce que le piano, la composition, c’est de la construction, c’est une sorte d’élévation. Cette colonne correspond à une élévation et les images qu’on diffuse dedans sont des images de constructions, ce sont des choses qui sont complètement graphiques, et peut-être que cela vient remplacer un batteur que nous n’aurons peut-être jamais. Ça vient marquer quelque chose physiquement parce que l’image est physique, quand on se déplace on la voit en 3D sur les côtés.
Vous travaillez avec qui ?
M : C’est composé par le studio Chevalvert à Paris, qui nous a proposé ces images sur des univers, des morceaux, et ils travaillent vraiment sur des dispositifs originaux, celui-ci ils l’ont créé pour nous.
Ça va encore évoluer ?
M : On pourrait décupler cette colonne de fumée, et cette matière vivante, avec d’autres morceaux, d’autres vidéos, d’autres façons de faire, d’autres lumières. Ça va bouger encore. Un décor de chasse sur des chevaux… Comme on a une démarche de toujours faire évoluer les choses autant musicalement que visuellement pourquoi pas être plus sur scène aussi, si à un moment on imagine autre chose. Je pense qu’il n’y a aucune porte fermée et que tout est possible. Il y aura peut-être des batteurs mais ils seront peut-être plusieurs et scénographiés, on les mettra dans des cages de fumée ! Il faudra du coup beaucoup de remplaçants aussi… (rire)
Vous venez de jouer aux Transmusicales, vous aviez déjà fait le festival avant ?
M : Non jamais, c’est la première fois. C’est tout de suite dans le chaudron quand tu arrives ici, c’est énorme cette disposition, c’est vraiment vraiment énorme. On est vraiment super content.
Crédits photos : Nico M.