C'est un livre qui se termine par " je t'aime ". Le roman vrai d'une vie brève, l'histoire d'un amour qui n'en finit pas, qui a toujours été là. L'amour d'un père pour sa fille. Elle s'appelle Agathe. Elle a les couleurs, les finesses de l'agate. Enfant, l'agate était, de toutes les billes auxquelles on jouait à la récré, la plus précieuse, la plus belle aussi. Agathe était comme ça, tout en couleurs, en vies successives, comme les strates d'une paésine. Elle ne devait vivre que quelques jours, quelques semaines peut-être ; elle tiendra 23 ans...
" "Quand Agathe est née, [1984] les tests étaient à la sueur". On faisait chauffer une partie du corps de l'enfant, on prélevait la sueur pour l'analyser. Les médecins ne l'embrassaient pas sur le front... Sauf un vieux docteur qui, lorsqu'elle était bébé, lui avait léché le crâne brusquement, goulûment, et avait confirmé, tout rayonnant de son diagnostic "à l'ancienne" : Oui, c'est bien la muco, j'en suis sûr, il n'y a rien de mieux comme test !
Sombre connard, avions-nous pensé. "
Mucoviscidose.
Et puis, quelques années plus tard, le gladioli, c'est joli pourtant ce mot-là, ça fait penser au glaïeul, c'est plein de couleurs. Mais le Burkholderia gladioli est une saleté de bactérie, un alien dans les poumons.
" Où l'as-tu attrapée cette bactérie ? Dans une piscine municipale ? Dans un des parcs aquatiques qui te plaisaient tant ? La ville est pleine de pièges. Enfant de Pigalle, de l'école de la rue Chaptal, du collège Jules-Ferry, du carrefour Pigalle-Victor Massé, au milieu des immeubles serrés, des sex-shops, des marchands de guitares. Pas beaucoup de verdure. Ton plaisir c'est d'aller à la piscine, de sortir dans les parcs, à la campagne et à l'île d'Oléron. Surtout Oléron. "
Oléron où, sur un grand champ, en haut de la dune du Treuil poussent des immortelles.
C'est un livre léger, entendez par là qu'il a la grâce des grandes douleurs. Didier Pourquery a presque un style sec, clinique parfois. Signe de pudeur autant que de souffrance.
Didier Pourquery a toujours été dans la presse, de Libération au Monde, Science et Vie, Info Matin, VSD, etc. Il a dirigé le journal Métro où il m'offrit une tribune pendant quelque temps. Nous avons en commun d'avoir fréquenté la même école à Bordeaux-Bastide. Voilà qui crée des liens et parfois une amitié. Alors que j'étais éditeur je devais publier de lui, un roman dont les premières pages m'avaient emballé mais qu'il n'a jamais terminé et un livre sur Lionel Hampton qu'il n'a peut-être jamais commencé.
Il m'avait parlé de son projet d'écrire sur Agathe. Cette fois, il est allé jusqu'au bout.
Son livre parle à sa fille, à Agathe, il continue de lui parler. " Je dois te parler. Depuis vingt-trois ans nous échangeons des mots, des rires, des regards, ça ne peut pas cesser ainsi. Bon Dieu, Agathe, tu ne peux pas être nulle part.
J'appelle ton numéro de portable. Je tombe sur ton répondeur. Ton message qui nous énervait tant : "Allô. Allô ! Allôôôô ?... Non, j'déconne, je ne suis pas là, laissez-moi un message." "
Ces voix qui se sont tues et qui continuent de s'adresser à nous sur un répondeur. Ce passé et ce présent qui se mêlent...
" Puis nous avons dû fermer ta ligne. Le message d'Orange est devenu l'insupportable "Le numéro que vous demandez, etc."
Mais je ne demande pas un numéro, je demande ma fille. "
Deux greffes de poumons n'auront pas suffi.
Le père nous écrit ce mail à tous ses amis. Je m'en souviens :
" Vendredi matin 10 août [2007], à 2h40, Agathe s'est arrêtée de respirer pour toujours. Après six mois de lutte depuis sa seconde greffe du 14 février et presque vingt-trois ans de combat contre la mucoviscidose. Ses dernières heures furent magnifiques, elle s'est éteinte sereinement, sans souffrir. [...] Elle aurait eu vingt-trois ans le 15 août à 2h40 du matin. Elle a poussé l'élégance jusqu'à partir à l'heure où elle était arrivée. Tout Agathe, ça... extraordinaire même dans les détails. "
Ses cendres seront répandues parmi les immortelles...
Au mail de Didier, j'avais répondu - et je ne dois pas être le seul à y avoir pensé - par cette phrase de Henri Calet : " Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. "
L'été d'Agathe est de ces livres que l'on garde au cœur tout autant qu'en mémoire, un peu comme Le temps d'un soupir qu'Anne Philipe consacra à Gérard, son mari. On parle à nos morts, on le sait, on leur écrit, aussi.
" Il y a tellement de choses que je voudrais te dire ce soir, mon Agathe. Je vais les écrire dans un livre, ça me fera du bien de te les raconter... de te raconter.
L'été d'Agathe | Didier Pourquery | Grasset | 180 pages